• Aucun résultat trouvé

Le profil entrepreneurial

CHAPITRE 5. Cas 1 – Mme Mi, propriétaire d’une concession automobile

5.2. Le parcours de l’entrepreneure

5.2.2. Le profil entrepreneurial

Thierry Verstraete et Alain Fayolle (Verstraete & Fayolle, 2005) ont pris l’initiative de réunir les écoles de pensée, des courants, et des paradigmes en matière d’entrepreneuriat pour offrir un cadre d’accumulation des connaissances. Ils relèvent quatre paradigmes génériques qui couvrent tous les profils entrepreneuriaux, de façon séparée ou dans leur complémentarité. Ce sont : l’opportunité d’affaires, la création d’une organisation, la création de valeur et l’innovation. Le profil de notre entrepreneur sera analysé dans ce cadre.

154 5.2.2.1. « Opportuniste » ou « innovatrice » ?

Notre entrepreneure n’est pas une chasseuse d’opportunité. Elle a développé un projet commercial qui lui vient en main, mais ne s’est jamais engagée dans une autre aventure entrepreneuriale. Elle a, au contraire, décidé de vivre sa croissance individuelle, lors de sa dixième année dans son parcours entrepreneurial.

Son projet consiste à monter une structure économique accueillante. La marque et ses traditions de service sont d’origine américaine. L’offre devait être localisée pour répondre aux besoins locaux.

« En automobile, les clients sont des connaisseurs. Ils écoutent et posent des

questions. Ils sont calmes et réceptifs mais exigeants » (un site web d’une

concession)

« Je ne peux pas laisser mes clients. Le producteur, il nous vend ses véhicules, et c’est fini. Ce sont les concessions qui prennent leur responsabilité vis-à-vis des produits devant leurs clients».

Elle a pu construire une équipe, une culture de service avec des ressources humaines n’ayant pas cette tradition, une culture humaine dans un contexte industriel et enfin une valeur de fiabilité vis-à-vis des clients.

L’entrepreneure n’a jamais dit qu’elle faisait des « innovations ». Pourtant elle pourrait être qualifiée d’« innovatrice » selon la définition de Schumpeter.

Selon Schumpeter (Schumpeter, 1939, p. 84) cité par Verstraete et Fayolle (Verstraete et Fayolle, 2005), « toute tentative de faire les choses différemment

dans le domaine de la vie économique devrait être considérée comme une innovation susceptible de fournir un avantage temporaire, et des profits, à une firme ».

Verstraete et Fayolle citent aussi Drucker et Julien et Marchesnay, les partisans de cette perspective. Drucker considère l’innovation comme une condition de création de la valeur. Pour Julien et Marchesnay, l’innovation peut être radicale, systématique, sporadique ou globale, autrement dit une rupture radicale ou plus incrémentale, et ce d’une question technologique ou organisationnelle.

155 Pour l’entrepreneure Mi, la création des valeurs et la construction de l’équipe sont réalisées à partir des innovations incrémentales (détails dans la parie 3 – évènements critiques).

Il y a eu également des innovations plus visibles. Elles sont :

- La restructuration de l’entreprise en 2012

- Le changement de stratégie après 2012

Pour positionner ces changements par rapport à l’esprit de Schumpeter, il convient de rappeler tout d’abord les 5 types d’innovation qu’il avait cités : de nouveaux objets de consommation (produits, services ou exploitation de nouvelles sources de matières premières), de nouvelles méthodes de production et de transport, de nouveaux marchés ou de nouveaux types d’organisation industrielle.

Le changement de stratégie de Mme Mi s’approche le plus à « une nouvelle méthode de production » puisqu’elle s’est basée sur la fiabilité. Si cette comparaison est approximative, celle dans l’esprit de Marchesnay et Julien est plus convaincante. Mme Mi est réellement innovatrice dans la mesure où elle « propose une nouvelle

façon de faire, de distribuer ou de vendre ».

5.2.2.2. La création de valeur

Pour Verstraete (Verstraete, 1999 ; Verstraete et Fayolle, 2005), « tout management

doit mettre en œuvre les processus offrant satisfaction aux différents acteurs ayant une influence sur les affaires ». La valeur est aussi un critère d’évaluation de la

performance de la firme pour ces acteurs.

Pour la concession de Mme Mi, nous pouvons voir deux acteurs ayant une influence décisive sur ses affaires: la marque et les consommateurs. Deux valeurs significatives vis-à-vis de ces acteurs peuvent être relevées.

156 La concession a répondu aux exigences de la marque en pouvant offrir un service de standard international. La valeur ajoutée par notre entrepreneure consiste en un service « luxueux » répondant aux données locales.

La réponse aux données locales est une exigence du marché. Pour s’adapter aux habitudes des consommateurs telles qu’elles sont expliquées dans le paragraphe 5.1 – contexte du marché automobile au Vietnam, toutes les concessions devraient arriver à générer cette valeur. Elle a un rôle de survie pour l’entreprise.

Valeur 2 : la fiabilité

Lorsqu’une équipe soudée est construite, l’entrepreneure constate qu’un service fiable fidéliserait ses anciens clients :

« Si l’entreprise fait son travail comme il faut, les clients vont revenir et l’entreprise n’a pas besoin de creuser la tête pour avoir des nouveaux clients. »

Cette constatation s’est transformée en une stratégie commerciale de l’entreprise. La fiabilité est devenue une valeur entrepreneuriale dans la mesure où elle est mobilisée pour construire une méthode pour obtenir des chiffres d’affaires.

Si la première valeur (réponse aux données locales) est le but et les innovations consistent aux tentatives pour construire une façon de faire, la deuxième valeur était une condition pour que l’innovation ait eu lieu sous forme d’une décision (changement de stratégie).

5.2.2.3. La création du système d’accompagnement

La relation liant l’entrepreneur et l’organisation créée est un aspect propre au domaine de l’entrepreneuriat (Verstraete et Fayolle, 2005). Il s’agit d’une action d’organisation et d’agencement des acteurs participant au projet entrepreneurial.

Dans le cas de notre entrepreneure, les agencements suivants ont eu lieu :

- L’évolution au niveau organisationnel, notamment la réorganisation en 2012.

157 L’évolution organisationnelle de l’entreprise comporte 3 phases :

Phase 1. Jusqu’en 2012, cette organisation correspond à la nécessité de survie face à un marché fluctuant.

« La première crise de l’entreprise a été une crise de ressources humaines. La deuxième crise a été une crise de ressources humaines également. »

La première tâche d’agencement de l’entrepreneur a été de construire une équipe.

« Avec l’équipe, je règle les difficultés. »

La reconstruction de l’équipe a pour conséquence première d’établir une politique de rémunération. Le contrat type est revu chaque année. Le salaire de base est calculé pour pouvoir couvrir le minimum des besoins.

Phase 2. La restructuration de 2012 amène à un changement dans l’agencement organisationnel. La délégation de pouvoir à plusieurs niveaux hiérarchiques est accompagnée d’une culture de confiance. L’entrepreneure s’engage à un mode de gestion basé à la fois sur l’intérêt économique et le sentimental.

Phase 3. Le mode de gestion par la confiance est favorisé. L’entrepreneure veille à ce qu’une solidarité et une compréhension réciproque soient nourries au sein de l’entreprise, et que cela amène à une auto-responsabilité et une fiabilité du service offert aux clients. Le changement de stratégie, à savoir fidéliser des clients au lieu d’en chercher des nouveaux en est le résultat.

L’organisation entre les entrepreneurs concurrents

Comme il a été expliqué dans la partie 1, il y a deux mouvements :

- Une synergie des entrepreneurs dans le secteur pour construire et diffuser une nouvelle valeur auprès des consommateurs, valeur de vie aux standards occidentaux.

- Une tendance de concentration au cours de laquelle la distribution est maintenue par un petit nombre d’acteurs inchangés.

158 Dans les faits, l’entrepreneure l’a provoqué:

« Je partage cette initiative avec les autres propriétaires de concession. Ils finissent par recruter un directeur exécutif pour la gestion opérationnelle à leur place »

« Les propriétaires, à notre niveau,…. »

Il s’agit d’un auto-agencement entre les concurrents. Une relation personnalisée entre eux en découle.

5.2.2.4. Conclusion profil de l’entrepreneure

A partir d’une opportunité saisie, l’entrepreneure a su créer un climat favorable pour ses clients. Pour cela elle a mis en place un système d’accompagnement durable et performant. Grâce à ces éléments novateurs, elle a obtenu un positionnement sûr sur son marché, dans un contexte de forte croissance mais aussi de changements rapides. Tout ce parcours est guidé par une motivation personnelle vers un mode de vie humain et équilibré.