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Le Mikinakw RÉA et la valorisation des voix autochtones

Chapitre 6- Niveau micro : Les étudiants autochtones du Cégep Régional de Lanaudière à

6.4. Mikinakw RÉA (Regroupement des étudiants autochtones)

6.4.2. Le Mikinakw RÉA et la valorisation des voix autochtones

En plus de pouvoir partager des expériences communes et de former un groupe de soutien, le Mikinakw RÉA a permis de sortir du contexte strictement académique et a motivé les étudiants à investir le cégep à travers d’autres angles. En effet, l’expérience collégiale peut rapidement se résumer en une « expérience de la classe » telle que l’indique Bryan, un étudiant innu complétant une maîtrise en anthropologie à l’Université de Montréal, et ce, après plusieurs allers-retours dans le système scolaire allochtone. Pour lui, l’école était une place pour s’assoir dans une classe; il ne s’impliquait pas au cégep dans les différentes activités sociales, ses relations d’amitié étant à l’extérieur. Ce n’est qu’à son arrivée à l’université qu’il s’est impliqué dans divers projets « parascolaires ». Il a alors vu que l’école pouvait devenir un milieu de vie plutôt qu’un milieu uniquement académique. C’est alors devenu l’une de ses principales motivations à compléter un diplôme de cycle supérieur: « C’est que y a une vie autour des études qui est super dynamique » (Bryan, décembre 2017). Ce témoignage rappelle l’importance de posséder un réseau social stimulant à l’intérieur de la vie scolaire afin de briser l’isolement qui peut facilement accompagner les études postsecondaires. Bryan s’est investi énormément dans la vie scolaire autochtone de l’Université de Montréal. Il est d’ailleurs agent de liaison pour les Autochtones et organise diverses activités de rayonnement des cultures autochtones. À cet égard, au cours de la session d’automne 2017, le Mikinakw RÉA a organisé diverses activités afin que les étudiants autochtones puissent s’investir à l’extérieur des heures de cours, par exemple : cours de perlage, diners collectifs, séjour à Manawan, diners sportifs. Plusieurs témoignages soulignent l’importance de ces activités :

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- Ben ça l’amène beaucoup de choses. Je pense que si elle [l’agente socio-académique] n’était pas là je serais pas ici, parce que j’aurais pas de soutien, je connaitrais rien.

- Ben pour moi ce que ça a amené c’est que ça soit le fun qu’elle se soit impliquée dans ce genre de projet là, ça amène les gens à se rapprocher. On discute ensemble, on se sent plus le bienvenu, on sent que y’a quelque chose qui se passe après. C’est de passer des bons moments ensemble et pas nécessairement des projets académiques (Émilie, Alexandra et Éric, novembre 2017).

La création d’un groupe autochtone « officiel » au cégep de Joliette est d’autant plus pertinente qu’elle apporte une certaine visibilité à l’intérieur de l’établissement. Par l’utilisation d’un nom et d’un logo, réalisé par une étudiante autochtone en art visuel (Annexe X), la population collégiale a pu facilement reconnaitre la présence autochtone et la percevoir comme une communauté spécifique au sein du cégep. Selon l’agente socio-académique, le Mikinakw RÉA a permis de porter les voix des étudiants autochtones. Ce groupe pourra éventuellement être une plate-forme pour politiser les étudiants et développer leur leadership. À travers l’organisation d’activités du Mikinakw RÉA, les étudiants peuvent ainsi valoriser leurs identités et différents aspects de leurs réalités :

Pis les activités, le cours de langue (atikamekw) ça fait ouvrir les yeux des gens, mais pas beaucoup. Mais quand même, on a quand même un impact sur les autres. Leur ouvrir les yeux, leur dire ce qui s’est passé et ce que ça l’amène aujourd’hui (Alexandra, décembre 2017). Au cours de la session d’automne 2017, plusieurs activités ont été réalisées avec les étudiants du Mikinakw RÉA. Certaines d’entre elles s’inscrivaient dans le volet 1 du Programme Accueil et intégration du MEES et permettaient « le soutien à l’intégration des étudiants ». Plusieurs diners thématiques, midis de sport ainsi qu’une fin de semaine dans la communauté de Manawan ont permis aux étudiants autochtones de développer des liens, un sentiment de fraternité et de complicité. Les différentes activités organisées par les étudiants telles que des ateliers de perlage ou la construction de portraits d’anciens diplômés ont permis de mettre en valeur certains aspects culturels, d’échanger entre membres de différentes nations, et de développer une fierté identitaire à l’intérieur de l’école. Dans les prochaines lignes, je propose de présenter quelques-unes de ces activités.

Une activité a été particulièrement appréciée par les étudiants, soit l’atelier de perlage. À la demande d’Alexandra, et avec son aide, afin de me procurer le matériel, j’ai planifié une période ayant lieu sur l’heure du diner où les étudiants pouvaient apprendre à faire du perlage. Le perlage est une activité traditionnelle principalement féminine chez les Atikamekw. Elle continue à être pratiquée, notamment à Manawan, par plusieurs générations. En effet, tel que le démontre Katherine Labrecque (2015) dans son mémoire portant sur les jeunes femmes de Manawan, le perlage est une activité très populaire dans la communauté. Les jeunes d’aujourd’hui se sont d’ailleurs réapproprié

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cette technique à leur manière. Les réalisations sont représentatives de l’époque actuelle, comme par exemple, des boucles d’oreilles aux motifs variés, des représentations d’Hello Kitty ou encore l’effigie d’équipes de hockey. Le perlage est considéré à la fois comme un passe-temps, un art autochtone et une activité sociale (Labrecque 2015 : 128-129). C’est dans cette optique qu’Alexandra désirait que nous nous retrouvions autour de cette activité manuelle; elle nous a donc enseigné les techniques de base. Alexandra, Émilie, Charlotte et moi avons tenté de confectionner des boucles d’oreilles alors qu’Antony a entamé la réalisation d’un médaillon. Ces différentes œuvres ont toutes été conservées dans le bureau de l’agente socio-académique dans l’intention éventuellement de les afficher dans la vitrine de la vie étudiante ou alors de les utiliser pour un usage personnel selon les intentions de chacun. La démission de l’agente n’a pas permis de continuer cette activité à la session d’hiver 2018, et ces « œuvres d’art » ont malheureusement été égarées.

D’autres activités organisées par l’agente et les étudiants (représentant différents volets du Programme Accueil et intégration du MEES) visaient à sensibiliser et revitaliser (volet 6) les cultures autochtones au sein du cégep ou alors à réaliser des activités socioculturelles (volet 3) pouvant être offertes à toute la population du cégep. L’analyse de ces activités permet de mieux saisir de quelles manières les étudiants ont désiré se représenter au sein de la vie scolaire. À titre d’exemple, l’activité culinaire autochtone a été une réussite en termes de partage de savoirs et de promotion de la culture autochtone. De façon générale, la cuisine collective est une activité offerte par le département de la vie étudiante : il s’agit d’ateliers de cuisine, principalement fréquentés par des non-Autochtones, qui permettent aux participants d’apprendre à cuisiner des repas équilibrés. C’est dans le cadre de cette activité que les étudiants du Mikinakw RÉA ont préparé un atelier spécial sur la cuisine autochtone. Les deux groupes d’étudiants (cinq étudiants autochtones, trois étudiants non autochtones), l’agente socio-académique, l’animatrice des cuisines collectives et moi-même nous étions donnés rendez-vous dans les cuisines du Centre d’Amitié autochtone de Lanaudière. Les étudiants autochtones ont alors appris à leurs collègues comment cuisiner une sagamite (soupe wendate) et une bannique (pain qu’on retrouve dans plusieurs nations). Ce fut l’occasion, au son d’une musique atikamekw (des joueurs de tambour et des chanteurs tels que Sakay Ottawa) d’échanger autour d’une activité commune de manière informelle et conviviale. Les participants allochtones ont été particulièrement contents d’apprendre à faire le pain traditionnel autochtone. Ils en ont profité pour poser des questions sur les traditions autochtones. Les étudiants du Mikinakw RÉA quant à eux répondaient avec joie aux différentes questions, très heureux de partager leurs recettes de cuisine et de discuter dans de telles circonstances. Les étudiants autochtones pouvaient ainsi aborder des aspects positifs de leurs cultures et les partager avec fierté. Il est en effet rare de pouvoir échanger de telles connaissances dans un contexte scolaire.

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La mise en valeur des aspects culturels autochtones a aussi été l’objectif principal des ateliers de langue atikamekw organisés par les étudiants depuis un an au CRLJ. Au cours des sessions d’automne 2016 et d’hiver 2017, soutenus par l’agente socio-académique et une enseignante du département d’anglais et de langues modernes, les étudiants atikamekw ont créé des ateliers annuels présentant les bases de la langue aux étudiants intéressés. Ces présentations ont eu lieu dans un espace de conférence situé à la bibliothèque du cégep, et ce, durant l’heure du diner. À la suite du succès sans conteste des précédentes éditions, les étudiants du Mikinakw RÉA ont créé un troisième atelier, le 9 novembre 2017, qui aborderait davantage certaines thématiques culturelles. Pendant le mois d’octobre, les étudiants atikamekw ont donc préparé ensemble le contenu qu’ils voulaient aborder, planifiant la présentation générale, l’animation de l’atelier et les activités de pratiques du vocabulaire atikamekw. Une dizaine de personnes non autochtones ont participé à cet atelier. Les étudiants atikamekw ont ainsi eu l’occasion de prendre la parole, de présenter des aspects culturels aux autres étudiants et de mettre en valeur la langue atikamekw. Dans la première partie de la présentation, on révisait des notions linguistiques abordées dans les précédents ateliers (session d’automne 2016 et d’hiver 2017), afin que les étudiants se familiarisent avec les usages courants de la langue. La seconde partie de la présentation portait sur l’histoire des Atikamekw : Émilie présentait les différentes appellations des Atikamekw au cours de l’histoire de la colonisation; elle a ensuite présenté le Nitaskinan (le territoire atikamekw) dans sa configuration géographique, passée et actuelle. Alexandra a ensuite pris la parole pour expliquer ce qu’était un Pow wow, les origines, les pratiques contemporaines, les types de danses qui y étaient performées ainsi que les sortes de régalia. Finalement, Antony a présenté différentes cérémonies traditionnelles qui sont toujours pratiquées dans la communauté de Manawan, notamment la cérémonie du nouveau-né, la cérémonie des premiers pas et la cérémonie funéraire.

L’activité a connu un grand succès. Elle a permis de partager des connaissances sur la langue et offrir un aperçu de la vision du monde atikamekw. Les étudiants venus participer à l’atelier ont tous semblé très intéressés à en savoir plus; ils posaient des questions pertinentes et intéressantes et étaient particulièrement curieux à en apprendre plus sur l’étymologie des mots. D’ailleurs, après avoir discuté avec quelques-uns des participants, deux étudiants m’ont dit avoir participé à l’atelier afin de mieux comprendre la langue atikamekw et certaines traditions car ils espéraient effectuer leurs stages de travail social dans la communauté. Ce fut aussi l’occasion, pour les étudiants autochtones, de faire des recherches sur leur propre langue et d’approcher certains aînés afin d’approfondir leurs connaissances.

- Je trouvais que dans le cours de langue ça me rendait contente, fière de montrer la langue et les éléments culturel. Et ça permet d’échanger.

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- Oui beaucoup. C’est un moyen pour moi de continuer à parler l’Atikamekw aussi parce que sinon, je sais pas ce qui arriverait. Moi aussi il faut que je fasse des recherches sur les mots mais y’a 10 ans je les connaissais ces mots-là (Émilie et Alexandra, novembre 2017).

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