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Chapitre 6- Niveau micro : Les étudiants autochtones du Cégep Régional de Lanaudière à

6.2. Enjeux associés à la scolarisation postsecondaire des étudiants autochtones

6.2.3. Manifestations d’ordre scolaire

L’ACCC (2005) relève chez les étudiants ayant effectué une scolarité dans les écoles de bande, un « manque de préparation adéquate au monde académique et aux prérequis des études postsecondaires en mathématiques, et en sciences en particulier [ainsi qu’] un manque d’habiletés en gestion du temps et des études. » (Loiselle 2010 : 26). Ceci contribue aussi à expliquer le faible taux de diplômés autochtones dans les collèges et les universités.

Nous avons déjà souligné comment le discours dominant met l’accent sur le « déficit » et l’« incapacité » autochtones lorsque ceux-ci ne rencontrent pas les normes de la société dominante. Les modes d’éducation et de socialisation autochtones sont certes différents en ce qui concerne notamment « la gestion du temps et des études », mais cette distinction ne doit pas être lue comme un

66 Les deux étudiants du CRLJ ayant un parent autochtone et un parent non-autochtone possèdent le statut d’Indien selon la Loi sur les

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signe d’infériorité ou d’inaptitude. Une telle lecture est aussi une manifestation de violence néocoloniale à l’égard des personnes autochtones et illustre l’incapacité de la société dominante à reconnaitre pleinement la différence de l’Autre pour ce qu’elle est, ainsi qu’à la considérer de manière positive et enrichissante. Pour les étudiants autochtones, cette violence se traduit par l’obligation de faire des efforts afin de se conformer aux codes dominants et afin de se plier aux exigences académiques, tout en reniant les savoirs et capacités acquis au long de leur socialisation (et leur éducation) familiale et communautaire.

D’ailleurs, ceci met en lumière l’un des principaux défis vécus par les étudiants du CRLJ ayant effectué leurs parcours primaire et/ou secondaire à Manawan. Dans le cadre de ses fonctions au CAAL, l’agente socio-académique a remarqué que le niveau scolaire des écoles de la communauté atikamekw était grandement inférieur à celui des écoles de Joliette. Les contenus académiques n’étaient pas enseignés au même rythme, avec les mêmes méthodes pédagogiques et ils ne correspondaient pas à l’approche du système allochtone67. Ainsi, lorsqu’un enfant transfère d’une

école de communauté à une école urbaine, celui-ci accuse souvent un retard académique par rapport aux autres élèves, et ce, en plus des difficultés que peut représenter la barrière linguistique. Ainsi, les jeunes arrivant au cégep de Joliette passent souvent par le tremplin DEC pour compléter les prérequis nécessaires à une admission dans un programme collégial général. Ceci rallonge leur cheminement scolaire, source additionnelle de démotivation. De plus, ces étudiants sont rarement acceptés dans des domaines contingentés, et lorsqu’ils le sont, il leur est difficile de soutenir le rythme académique.

Le français, qui n’est pas la langue maternelle de plusieurs Atikamekw, rend leur parcours scolaire quotidien difficile, que ce soit lors des présentations orales ou au moment des examens. Selon les étudiants interrogés, il y a beaucoup moins de support individuel et psychologique offert au cégep qu’à l’école en communauté. Cette distance interpersonnelle constitue un des plus grands chocs que vivent les étudiants du cégep de Joliette lors de leur arrivée en ville. Selon une étudiante, les enseignants de Manawan comprenaient les défis et les enjeux autochtones tels que l’apprentissage simultané de trois langues (français, anglais et atikamekw) et supportaient mieux les élèves68. Cette

même étudiante mentionnait aussi que les enseignants du cégep étaient moins tolérants et plus intransigeants à l’égard de ses difficultés académiques. « Ils [les étudiants autochtones] sont évalués comme des enfants francophones, alors que leur langue maternelle c’est l’Atikamekw […] pour eux c’est un désavantage » (Alexandra, décembre 2017).

67 Les établissements scolaires dans les communautés doivent toutefois répondre aux exigences du MEES en ce qui a trait aux contenus

enseignés à chaque niveau scolaire.

68 La langue atikamekw est largement utilisée dans la communauté de Manawan. Elle est d’ailleurs utilisée comme langue d’enseignement

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La majorité des enseignants collégiaux sont perçus par les étudiants autochtones comme étant inaccessibles. Les enseignants et autres employés de soutien aux étudiants n’étant pas familiers avec les différentes réalités éducationnelles autochtones, ils utilisent alors dans la plupart des cas des méthodes pédagogiques qui ne rejoignent par les Autochtones et ne permettent pas à ceux-ci de développer une persévérance scolaire. Un exemple marquant de cet écart et de ce manque de compréhension est sans aucun doute le contrat de réussite auquel doivent s’engager les étudiants en situation d’échec. Selon le plan d’aide à la réussite des cégeps de Lanaudière (2014), certaines mesures sont offertes aux étudiants afin d’offrir une « aide adaptée et un encadrement favorisant la réussite » (Cégep Lanaudière 2014). Ainsi, il est prévu dans ce plan qu’un étudiant qui reprend pour une troisième fois un cours, peut être appelé à signer un contrat d’engagement à réussir ce dit cours. Si ce contrat n’est pas respecté, l’étudiant pourra être renvoyé de l’institution. Une ancienne étudiante autochtone a d’ailleurs été victime de cette mesure. Malgré qu’elle était déterminée à compléter son diplôme, sa situation familiale monoparentale lui permettait difficilement d’honorer ce contrat, ce qui mit fin à son cheminement scolaire. Mentionnons qu’aucune mesure n’avait été ajoutée à la signature de ce contrat pour l’aider à gérer sa situation familiale et scolaire particulière et difficile.

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