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La socialisation scolaire des jeunes autochtones au Québec : l'exemple du cégep de Joliette

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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© Flavie Robert-Careau, 2019

La socialisation scolaire des jeunes autochtones au

Québec. L'exemple du cégep de Joliette

Mémoire

Flavie Robert-Careau

Maîtrise en anthropologie - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

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RÉSUMÉ

Depuis les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation (CVR 2015), plusieurs institutions collégiales québécoises s’attardent à mettre en place des mesures d’accueil et d’intégration pour les étudiants autochtones. Dans ce contexte politique et institutionnel, le présent mémoire tentera de démontrer les rapports qu’entretiennent les jeunes étudiants autochtones avec le système scolaire postsecondaire allochtone.

Dans le cadre de ma recherche, je propose de mieux comprendre l’expérience des jeunes autochtones dans le milieu collégial (soit leur processus de socialisation, leurs attentes, et leurs projets) et donc de saisir la position des établissements collégiaux et des différents intervenants allochtones face aux étudiants autochtones. Afin d’y arriver, je m’attarde principalement à l’expérience des étudiants autochtones du Cégep Régional de Lanaudière à Joliette (CRLJ), en comprenant comment les discours politiques, les programmes gouvernementaux et les discours sur l’autodétermination autochtone influencent les comportements des intervenants collégiaux et donc l’expérience scolaire des étudiants.

Les réflexions présentées dans ce mémoire se basent sur les idées que le système scolaire est toujours empreint d’une hégémonie et d’un eurocentrisme scolaires. Ces éléments influencent inévitablement les savoir-être et les savoir-faire des intervenants collégiaux et contribuent à la création d’un environnement qui laisse difficilement d’espace à la valorisation des personnes et des cultures autochtones. Dès lors, les jeunes doivent naviguer dans cet environnement en adoptant différentes stratégies de valorisation identitaire et de motivation scolaire qui impliquent notamment les aspects de socialisations familiale et scolaire.

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TABLE DES MATIÈRES

Résumé ... iii

Table des matières ... iv

Liste des annexes ... vii

Liste des tableaux ... vii

Liste des figures ... vii

Abréviations ... viii

Remerciements ... x

Introduction ... 1

Chapitre 1- Cadre théorique et conceptuel ... 5

1.1. Anthropologie de la jeunesse : un bref historique... 5

1.1.1. L’avènement de la jeunesse comme catégorie sociale ... 5

1.1.2. La jeunesse pour les sciences sociales ... 7

1.1.3. Les jeunes, l’agencéité et les pratiques ... 8

1.1.4. La jeunesse autochtone... 10

1.2. Socialisation, éducation et scolarisation : sujets de l’anthropologie de l’éducation ... 11

1.2.1. Socialisation ... 12

1.2.2. Scolarisation, socialisation dans l’espace de l’école ... 13

1.2.3. Anthropologie de l’éducation ... 14

1.2.4. L’hégémonie scolaire ... 14

1.2.5. Les apprentissages différentiels ... 16

1.3. L’eurocentrisme scolaire et les défis des Autochtones ... 17

1.3.1. L’eurocentrisme scolaire ... 17

1.3.2. Double paradoxe et biculturalité ... 19

Chapitre 2- Problématique et contextualisation ... 22

2.1. De l’éducation autochtone à la scolarisation des Autochtones : point de vue historique . 22 2.1.1. L’éducation formelle comme outil d’assimilation dans l’histoire coloniale canadienne . 22 2.1.2. Initiatives autochtones ... 25

2.2. Réalités postsecondaires autochtones ... 28

2.3. Le cas du Cégep Régional de Lanaudière à Joliette : au cœur du territoire atikamekw . 31 2.4. Question de recherche ... 35

Chapitre 3- Méthodologie ... 36

3.1. Recherche de terrain ... 36

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3.1.2. Recherche en contexte autochtone et scolaire ... 38

3.1.3. Enjeux méthodologiques et éthiques ... 40

3.2. Méthodologie de recherche ... 43

3.2.1. Négociation du terrain, implication au Mikinakw RÉA et relations entretenues ... 43

3.2.2. Méthode de collecte de données ... 44

3.2.3. Les participants ... 46

3.3. Méthode d’analyse des données : micro, méso, macro. ... 47

Chapitre 4- Niveau macro : Politiques et discours gouvernementaux et institutionnels sur l’éducation postsecondaire autochtone ... 48

4.1. Les instances autochtones et les études collégiales ... 50

4.1.1. Le Manifeste de l’APN (1988) ... 50

4.1.2. Le rapport du CEPN et de l’APNQL (2009) ... 51

4.2. Les instances gouvernementales, le postsecondaire et les étudiants autochtones ... 52

4.2.1. Le rapport Erasmus-Dussault (1996) ... 53

4.2.2. Les propos de la Commission de l’Assemblée Nationale du Québec (2007) ... 54

4.2.3. La Commission de vérité et réconciliation du Canada (2015) ... 55

4.2.4. La responsabilité de l’éducation postsecondaire autochtone... 56

4.2.5. Les programmes d’aide de financement des gouvernements canadien et québécois ... 58

4.3. La recherche sur l’éducation postsecondaire autochtone : ce qui est dit et recommandé 61 4.4. Discours et concepts dominants en éducation autochtone ... 64

4.4.1. Thème récurrent : la sécurité culturelle ... 67

4.5. Les concepts d’inclusion et d’intégration des étudiants autochtones postsecondaires ... 70

4.5.1. Le concept d’intégration en éducation ... 70

4.5.2. Le concept d’inclusion en éducation ... 72

Chapitre 5- Niveau méso : L’institution postsecondaire. Le Cégep Régional de Lanaudière à Joliette ... 75

5.1. Le Programme Accueil et intégration des Autochtones au collégial de Joliette ... 76

5.1.1. Le cégep de Joliette et l’histoire de ses relations avec les Autochtones ... 76

5.1.2. L’agente socio-académique, son mandat et ses défis ... 78

5.1.3. (In)visibilité autochtone au sein de l’espace collégial ... 84

5.2. Les enseignants et les employés... 88

5.2.1. La connaissance des réalités autochtones par les enseignants et les professionnels ... 88

5.2.2. Initiatives individuelles ... 95

5.3. La direction et les membres administratifs ... 97

5.3.1. Distances discursives ... 97

5.3.2. L’égalité formelle au détriment de l’équité ... 101

Chapitre 6- Niveau micro : Les étudiants autochtones du Cégep Régional de Lanaudière à Joliette ... 104

6.1. La diversité des réalités scolaires autochtones ... 104

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6.2.1. Manifestations d’ordre historique ... 106

6.2.2. Manifestations d’ordre social ... 107

6.2.3. Manifestations d’ordre scolaire ... 109

6.2.4. Manifestations d’ordre géographique ... 111

6.2.5. Manifestations d’ordre financier ... 112

6.2.6. Manifestations d’ordre culturel ... 113

6.2.7. Manifestations d’ordre personnel ... 114

6.3. Résistances et motivation scolaire ... 115

6.3.1. La persévérance scolaire ... 116

6.3.2. Aspirations multiples ... 118

6.3.3. Fierté identitaire et prise de parole ... 119

6.4. Mikinakw RÉA (Regroupement des étudiants autochtones) ... 126

6.4.1. Un nom pour se définir... 128

6.4.2. Le Mikinakw RÉA et la valorisation des voix autochtones... 129

6.5. Éducation souhaitée par les étudiants ... 133

Conclusion ... 137

Bibliographie ... 142

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LISTE DES ANNEXES

Annexe I : Initiatives collégiales au Québec portant sur les étudiants autochtones ... 156 Annexe II: Carte de la région de Lanaudière : Joliette et Manawan ... 158 Annexe III: Liste d’activités et implications au CRLJ réalisées au cours de la session d’automne 2017 ... 159 Annexe IV: Profils des étudiants autochtones participants ... 162 Annexe V: Profils des employés du CRLJ participants ... 164 Annexe VI: Montants accordés pour les projets retenus dans le cadre du Programme Accueil et intégration des Autochtones au collégial (2015-2016) ... 166 Annexe VII Volets thématiques du Programme. Guide d’attribution des subventions 2018-2019 Programme Accueil et intégration des Autochtones au collégial (MEES 2017) ... 167 Annexe VIII: Orientation # 2 du plan stratégique 2015-2019 du cégep de Lanaudière ... 168 Annexe IX: Fresque crée au CRLJ par une étudiante autochtone (hiver 2017) ... 169 Annexe X: Futur logo du Regroupement des Étudiant.es Autochtones Mikinakw du CRLJ 2017-2018 ... 170

LISTE DES TABLEAUX

Tableau I : Démographie de la population de la ville de Joliette et de l’arrondissement de Joliette (entre 1996 et 2016) ... 32

LISTE DES FIGURES

Figure I : Population ayant une identité autochtone dans la ville de Joliette et l’arrondissement de Joliette durant les dix dernières années ... 33 Figure II : Différence entre intégration et inclusions scolaires ... 72 Figure III : commentaire sur les réseaux sociaux ; territorialité et identité (Janvier 2018) ... 122

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ABRÉVIATIONS

AADN Affaires autochtones et du Développement du Nord AANC : Ministère des Affaires autochtones du Nord Canada ACCC: Association of Canadian Community Colleges AINC : Affaires indiennes et du Nord canadien API: Aide Pédagogique Individuelle (API). APN: Assemblée des Premières Nation

APNQL : Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador AR: Agglomération de recensement

AUCC: Association des universités et des collèges du Canada BVG: bureau du vérificateur général

CAAL: Centre d’amitié autochtone de Lanaudière CEPN : Conseil en éducation des Premières Nations

CÉRUL: Comités d'éthique de la recherche avec des êtres humains de l'Université Laval

CIDE: Convention internationale des droits de l’enfant

CIÉRA: Centre interuniversitaire d’études de recherche autochtone CMEC : Conseil des statistiques canadiennes de l’Éducation CRL: Cégep Régional de Lanaudière

CRLJ : Cégep Régional de Lanaudière à Joliette

CRPA: Commission royale sur les Peuples autochtones

CRRPI: Convention de règlement relative aux pensionnats indiens CVR : Commission Vérité et Réconciliation

DEC : Diplôme d’étude collégial EPI : Educational Policy Institute FAQ: Femmes Autochtones du Québec

FECQ: Fédération étudiante collégiale du Québec FIC: Fraternité des Indiens du Canada

IDF: Internationalisation de la formation KSB : Kativik School Board

MEQ : Ministère d’enseignement du Québec

MEES: Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement Supérieure MELS : Ministère de l’Éducation, des Loisirs et des Sports M.I.E.I.: Maîtrise indienne de l’éducation indienne NNASI: Native North American Studies Institute

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ix ONU: Organisation des Nations Unies

PAEI: Programme d’aide aux étudiants indiens

PAEP: Programme d’Aide à l’éducation postsecondaire

PAENP: Programme d’aide aux étudiants de niveau postsecondaire PPECU: Programme préparatoire à l’entrée au collège et à l’université RÉA : Regroupement des étudiant.es autochtones

RCAAQ : Réseau des Centres d’amitié autochtone du Québec

RCSPPA : Rapport du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones SRAM: Service régional d'admission du Montréal métropolitain

UdeM: Université de Montréal

UQAC : Université du Québec à Chicoutimi UQAM : Université du Québec à Montréal UQAT : Université du Québec à Trois-Rivières

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REMERCIEMENTS

Ce projet de maîtrise n’aurait pas pu se concrétiser sans l’appui de plusieurs personnes que je tiens à remercier profondément. Je remercie principalement les étudiants du Mikinakw RÉA pour leur accueil, leur ouverture et leur générosité. J’ai été touchée par les jeunes femmes et jeunes hommes que vous êtes et par les adultes que vous allez devenir; fiers, accomplis et porteurs de grands projets. Je remercie tout spécialement Geneviève Sioui sans qui ce mémoire n’aurait pas été possible et qui a permis à ce travail de prendre tout son sens. Merci pour ton entraide et j’espère que notre amitié perdurera encore longtemps.

Je tiens aussi à remercier la direction du Cégep Régional de Lanaudière à Joliette qui m’a permis d’effectuer ma recherche au sein de leur établissement ainsi que tous les intervenants qui y ont contribué de près ou de loin.

Merci à mon père Rénald, à ma sœur Daphné, à mon copain Philippe et à mes ami(e)s pour leur soutien inconditionnel, pour leur patience infinie et pour m’avoir toujours écoutée. Un merci tout particulier à ma mère Diane pour l’aide qu’elle m’a apportée tout au long de ce mémoire. Merci encore à mes relecteurs Monique et Clément à qui je dois beaucoup d’heures de travail sans relâche.

Enfin, j’aimerais remercier Sylvie Poirier, ma directrice de recherche, pour sa disponibilité, ses commentaires et son engagement tout au long de mon parcours à la maîtrise.

Finalement, j’aimerais remercier les évaluateurs de ce mémoire, Natacha Gagné, Caroline Hervé et Sylvie Poirier pour leurs commentaires, leurs critiques et leurs recommandations.

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INTRODUCTION

« The purpose of life is learning – it shapes who we are » (Le but de la vie est d’apprendre – l’apprentissage façonne qui on est) (Marie Battiste, 2013).

Les questions du décrochage scolaire et des difficultés de scolarisation sont au centre des préoccupations des communautés autochtones qui aspirent à offrir une scolarisation adéquate à leurs jeunes. Le présent mémoire tentera de démontrer les rapports qu’entretiennent les jeunes autochtones avec le système scolaire postsecondaire allochtone. Dans ce sens, la démarche proposée a eu comme but de défaire les préjugés et soulever des questionnements sur les interactions sociales vécues par les étudiants autochtones dans une institution collégiale allochtone.

Dans le cadre de ma maîtrise en anthropologie, je me suis intéressée à mieux comprendre, d’une part, l’expérience des jeunes des Premières Nations, Inuits et Métis en milieu collégial (soit leur processus de socialisation, leurs attentes, et leurs projets) et d’autre part, la position des établissements collégiaux et de leurs différents intervenants non autochtones face aux étudiants autochtones. Mon terrain s’est déroulé au cégep de Joliette à l’automne 2017, plus précisément auprès du Mikinakw RÉA (Regroupement des étudiants autochtones) du Cégep Régional de Lanaudière à Joliette (CRLJ) avec le support de l’agente socio-académique autochtone ayant pour mandat de gérer et de mettre en place différentes mesures financées par le Programme d’Accueil et d’intégration des Autochtones au collégial. C’est dans la lignée des recommandations de la Commission Vérité et Réconciliation CVR (2015) que plusieurs institutions postsecondaires, dont le cégep de Joliette, se sont intéressées davantage aux étudiants autochtones fréquentant leur établissement ainsi qu’aux ressources qui leur étaient offertes. Dans ce contexte, dès février 2016 le cégep de Joliette a bénéficié d’un financement provincial issu du Programme Accueil et intégration des Autochtones au collégial1. C’est dans ce

cadre que ma recherche s’inscrit et dans lequel j’ai pu rencontrer les intervenants du cégep ainsi que les étudiants autochtones membres du groupe Mikinakw (tortue en atikamekw), le comité étudiant autochtone de cette institution.

Le premier chapitre de ce mémoire retrace la notion de « jeune », comme catégorie sociale, telle qu’elle a été conçue et comprise dans les sociétés occidentales et par les sciences sociales. De prime abord, il est important de garder à l’esprit tout au long de ce travail, que la jeunesse correspond à un groupe d’âge particulièrement difficile à définir. En tant qu’étape de vie entre l’enfance et l’âge adulte, la jeunesse est mouvante et se transforme rapidement. Je propose de considérer que la notion

1 Une première demande a été déposée au MEES en mai 2015. La première année de financement correspond à la période de février 2016

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de « jeunesse » est relativement récente pour les sociétés occidentales et encore davantage pour les sociétés autochtones enclavées dans des États-nations comme le Canada. C’est en effet à travers le bouleversement rapide qu’a créé la scolarisation obligatoire que cette catégorie sociale a été imposée aux groupes autochtones. La théorie de la pratique et le concept d’agencéité, tels qu’énoncés par Ortner (2006), seront les avenues par lesquelles les jeunes seront considérés dans cette recherche. Ensuite, je propose dans ce chapitre de s’attarder aux concepts de socialisation, d’éducation et de scolarisation, comme les sujets fondamentaux de l’anthropologie de l’éducation, mais aussi comme éléments centraux dans la compréhension de l’hégémonie et de l’eurocentrisme scolaires. Ces derniers concepts peuvent aussi être perçus comme constituant l’épicentre des défis et des rapports de forces auxquels sont confrontés les étudiants autochtones vivant un double paradoxe et une biculturalité à l’égard des études postsecondaires. Ce cadre théorique et conceptuel servira de fondation aux réflexions qui seront ensuite proposées tout au long de ce mémoire.

Le deuxième chapitre permet de contextualiser la scolarisation telle qu’elle est vécue par les Autochtones d’aujourd’hui à travers le point de vue historique. Celui-ci permettra de constater que l’éducation a été un outil puissant d’assimilation, entre autres en ce qui a trait à la dévalorisation des savoirs autochtones. Il sera aussi question dans ce chapitre d’exposer les réalités éducationnelles postsecondaires et les luttes qui ont été récemment menées afin de faire une plus grande place aux Autochtones dans les « hauts lieux du savoir ». Le cas particulier du cégep de Joliette sera exposé. De plus, afin de saisir les dynamiques qui seront décrites plus tard, je dresserai un tableau de la situation démographique et sociale de la ville de Joliette et j’exposerai la question de recherche à l’origine des analyses qui suivront.

Le troisième chapitre présentera les méthodes utilisées lors de ma recherche de terrain au Cégep Régional de Lanaudière à Joliette (CRLJ). Dans une première section, je propose d’effectuer une réflexion sur l’ethnographie et les méthodes de recherche propres à cette discipline. Dans l’optique où cette recherche porte sur les jeunes et en particulier les Autochtones en milieu scolaire, il est indispensable de reconnaitre les Peuples Premiers et les chercheurs qui ont œuvré à transformer la discipline. Dans la seconde section de ce chapitre, j’exposerai les différents enjeux méthodologiques et éthiques qui ont teinté mon terrain au sein du cégep et qui ont influencé les relations entretenues avec les étudiants autochtones. J’exposerai ensuite les méthodes de recherche utilisées, les différentes activités, les différents types d’échanges entretenus et je présenterai les participants qui ont été au cœur de ma recherche.

Les données accumulées lors de mes observations, discussions, entretiens et autres activités au Cégep Régional de Lanaudière à Joliette ont mis en lumière trois niveaux d’influences, soit macro,

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méso et micro, par lesquels il est possible d’analyser les vécus des étudiants dans un établissement d’enseignement postsecondaire allochtone. Ainsi, les chapitres 4, 5 et 6 seront consacrés à ces trois niveaux d’analyse.

Dans le quatrième chapitre, je propose de porter un regard sur les différentes politiques gouvernementales et les discours scientifiques concernant l’éducation postsecondaire autochtone et qui ont un impact sur la manière dont les institutions scolaires négocient avec la présence de ces étudiants. Ainsi, dans cette analyse d’un niveau macro, je porterai une attention particulière à ce que les instances autochtones réclament pour l’éducation postsecondaire des membres de leurs communautés. En réponse à ces revendications, les instances gouvernementales proposent elles aussi une lecture de la situation éducationnelle. Je tenterai d’ailleurs de démontrer sous quelles formes les gouvernements (national et provincial) s’impliquent dans la question postsecondaire des Premières Nations, Inuits et Métis au Canada. Finalement, il sera pertinent de relever les recherches récentes conduites par des chercheurs au sujet de l’éducation autochtone et des projets de décolonisation de l’école. En regard à ces différentes lectures, certains concepts semblent être actuellement dominants. Ce sont ceux notamment de sécurité culturelle et d’intégration. Je proposerai de porter une attention particulière à ces discours et concepts et d’en comprendre leurs impacts dans les milieux collégiaux.

L’analyse méso exposée dans le cinquième chapitre, permettra, à partir des données recueillies au Cégep Régional de Lanaudière à Joliette, de se questionner sur la valorisation des cultures autochtones dans le système scolaire allochtone. Les discours politiques ont une influence sur les comportements et attitudes qui seront adoptés par les intervenants collégiaux à l’égard des étudiants autochtones et de leurs cultures. Ainsi, dans ce chapitre, il sera pertinent de s’interroger sur la manière dont l’espace scolaire valorise les cultures des Premières Nations, Inuit et Métis et contribue à la création d’un sentiment de « confort » chez les jeunes étudiants autochtones. Par la documentation de l’implantation du Programme Accueil et intégration des Autochtones au collégial au CRLJ, ainsi que les activités qui y sont liées, j’analyserai l’impact des attitudes et des comportements de la population collégiale sur le vécu scolaire des étudiants autochtones et sur la valorisation des cultures des Premières Nations, Inuit et Métis.

Finalement, le sixième chapitre, sera consacré à un niveau d’analyse micro, par lequel j’ai voulu mettre en lumière l’expérience des étudiants autochtones fréquentant le CRLJ. Ce chapitre permettra de constater en quels termes ces derniers performent et agissent au sein de cet environnement scolaire. À travers ce chapitre, je tenterai de documenter les défis auxquels les Autochtones doivent faire face dès lors qu’ils entreprennent une scolarité dans une institution postsecondaire allochtone. Une attention particulière sera consacrée aux stratégies utilisées par les étudiants du CRLJ afin de

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surmonter des défis, de concrétiser leurs aspirations, de maintenir leur motivation et dès lors de persévérer dans ce système scolaire issu de la société majoritaire. Je tenterai donc de mettre en valeur la parole des étudiants, d’identifier en quels termes ces derniers valorisent leur identité à l’intérieur d’un établissement et de comprendre comment ils perçoivent leur place au sein de celui-ci.

Ces différents niveaux d’analyse m’ont permis d’avoir accès à une compréhension plus globale des relations sociales et politiques entretenues dans le milieu scolaire et ainsi, je l’espère, de proposer une analyse plus nuancée et plus diversifiée des réalités collégiales au Québec et à Joliette en particulier telles qu’elles sont vécues par les étudiants autochtones. Même si ces réflexions permettent d’aborder et de décrire certaines expériences scolaires, je ne prétends pas avoir représenté l’ensemble des vécus postsecondaires autochtones. Je propose ici une simple recherche générique des réalités éducationnelles qui s’avèrent beaucoup plus complexes. J’invite donc le lecteur à s’approprier certains éléments proposés comme sources de réflexions sur la complexité et les enjeux liés à l’accès aux études postsecondaires pour les jeunes autochtones du Québec.

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CHAPITRE 1

CADRE THÉORIQUE ET CONCEPTUEL

Ce chapitre tentera de parcourir différentes avenues de réflexion qui permettront une meilleure compréhension des réalités vécues par les jeunes autochtones en milieu scolaire et en particulier les Autochtones du Québec qui poursuivent des études postsecondaires. Ces avenues ont permis de dresser le cadre théorique et conceptuel qui est au fondement des réflexions apportées tout au long de ce mémoire. Je propose donc dans ce chapitre d’approfondir les différents concepts reliant les questions de « jeunesse », d’autochtonie et de scolarisation. Ceci permettra de saisir comment cette idée de scolarisation a pris de l’importance dans les sociétés occidentales et autochtones. Il ne s’agit pas seulement dans ce chapitre de constater de quelle manière s’est développée l’anthropologie de l’éducation, mais également de comprendre comment la jeunesse et l’adolescence ont été abordées par différents domaines scientifiques. Ces éléments permettront dès lors de réfléchir au système scolaire actuel en termes d’hégémonie scolaire, et puis d’eurocentrisme scolaire.

1.1. Anthropologie de la jeunesse : un bref historique

1.1.1. L’avènement de la jeunesse comme catégorie sociale

La jeunesse, comprise comme étant une période plus ou moins longue s’inscrivant entre l’enfance et l’âge adulte, n’est pas une catégorie sociale universelle; on ne la trouve pas dans toutes les sociétés et à toutes les époques. La jeunesse se définit en corrélation avec diverses réalités sociales, historiques, idéologiques et économiques (Poirier 2009). La jeunesse, particulièrement l’adolescence en tant que catégorie sociale créée, est un concept relativement récent dans les sociétés occidentales.

Au Moyen-Âge (du Ve au XVe siècle), l’enfant était considéré comme un « mini-adulte ». Dès

qu’il possédait les capacités physiques (autour de l’âge de 7 ans), l’enfant se mêlait aux adultes et participait aux jeux communautaires ainsi qu’à la vie au champ; l’apprentissage se réalisait à travers l’observation des aînés (Le Breton 2013 : 26). À partir du XVIIIe siècle, l’espérance de vie s’accroît

et la nouvelle bourgeoisie confia l’enfant à des précepteurs ou à des gouvernantes. Ce changement d’affectivité est décrit par le socio-anthropologue Le Breton (2013 : 26) comme correspondant à une différenciation du développement de l’enfant et de sa prise en charge. L’adolescence est alors associée aux jeunes collégiens qui poursuivent leurs études et qui sont dépendants financièrement. Ce n’est qu’au début et au milieu du XXe siècle, selon les pays, avec l’avènement de la scolarisation

obligatoire, que l’adolescence fait son apparition dans les classes ouvrières et rurales. En effet, la révolution industrielle du XIXe siècle et le développement du capitalisme impliquent la spécialisation

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obligatoire viendra progressivement remplir les besoins du marché du travail. L’obligation de fréquentation scolaire cristallise dès lors le jeune dans une période de vie de latence et retarde son entrée dans la vie active, et donc sa responsabilisation sur le marché du travail. Cette mise à l’écart implique inévitablement la création d’un stade de vie distinct de celui de l’adulte et le renforcement d’un isolement physique et psychologique. Le jeune est ainsi contraint dans ses possibilités d’actions, ce qui a comme conséquence d’éliminer graduellement certains rites initiatiques soulignant le passage d’un stade de vie à un autre. La scolarisation et l’adolescence évoluent ainsi de manière conjointe.

La catégorie sociale de l’adolescence est d’autant plus récente pour les sociétés autochtones enclavées dans des États-nations comme le Canada. À la suite de la colonisation, les groupes autochtones ont été soumis aux politiques des États-nations, ce qui a eu pour effet d’engendrer une perte d’autonomie des sociétés autochtones, et ce, à tous les plans (soit l’éducation, l’économie, le politique, etc.). De plus, la globalisation du capitalisme ainsi que la modernité ont exercé des pressions résultant en des changements et une restructuration des réalités de socialisation. Les sociétés autochtones ont progressivement délaissé certains rites de passage qui permettaient aux enfants d’accéder au statut d’adulte et donc d’acquérir les compétences et valeurs qui leur étaient propres. En effet, à travers ces rites initiatiques, le jeune devenait un agent participant à la société par son accession et sa reconnaissance à ses différents rôles (tels que celui de chasseur, de paysan, de mari, de père, etc.). Ceci valait aussi pour les jeunes filles, bien que les rites initiatiques qui leur étaient destinés n’étaient pas autant répandus que pour les garçons.

Les pressions de la colonisation et d’assimilation des gouvernements coloniaux ont imposé graduellement et de manière accélérée leurs idéologies et ont mené au contrôle des territoires, des structures, et des dynamiques sociales autochtones par l’État. Surtout depuis la deuxième moitié du XXe siècle, ces pressions se font plus fortes en raison de l’imposition d’un système scolaire étatique

dans les communautés autochtones, de la globalisation du capitalisme et de l’avènement de la modernité. Les stratégies d’identification en milieu autochtone connaîtront ainsi des changements majeurs. À plusieurs égards et à des degrés divers selon les régions et les États, les Autochtones seront dépossédés de leurs propres processus d’éducation et de socialisation. C’est du moins le cas pour les peuples autochtones d’États-nations libéraux comme le Canada. La scolarisation des populations autochtones joue un rôle prédominant dans ce chamboulement de gestion de passage d’un stade de vie à l’autre (Condon 1990 : 266-279). Cette nouvelle étape de développement crée un groupe social qui ne possède plus de redevances envers la famille, qui n’a pas de rôle spécifique dans le

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fonctionnement sociétal et qui n’est donc relié à aucun mentorat générationnel particulier2 (Condon

1990 : 266-270). C’est cette idée qui est démontrée par les travaux de l’anthropologue Richard G. Condon (1990 : 266-279) sur les processus d’acculturation de la communauté inuit Holam Island du centre de l’Arctique canadien. L’augmentation de la concentration de la démographie, la sédentarisation et ses impacts économiques ainsi que l’exposition aux valeurs « du Sud » contribuent à développer une période prolongée d’un stade intermédiaire qui n’existait pas dans la période pré-contact (Condon 1990 : 269). Bref, la jeunesse est une catégorie sociale variable selon les sociétés, les époques et les modes de vie3. Au sein d’une même société, un éventail plus ou moins large d’âges

peut être caractérisé comme pouvant légitimement se réclamer de l’espace de la jeunesse (Durham 2000 : 113).

1.1.2. La jeunesse pour les sciences sociales

Ces quelques repères historiques nous permettent de mieux saisir l’intérêt des sciences sociales, et plus particulièrement de l’anthropologie, pour l’étude de la jeunesse. Dès le XXe siècle, la recherche

s’applique à étudier les sous-catégories sociales des sociétés occidentales; ainsi, la notion de culture des jeunes est d’abord privilégiée par l’école Culture et Personnalité populaire dans les année trente. Les chercheurs de ce courant s’intéressaient principalement à l’analyse de l’adolescence comme simple étape du développement psychologique et biologique de l’humain (Jérôme 2010 :38) à travers les thématiques traditionnelles telles que la famille, la parenté, les pratiques sexuelles et les cérémonies initiatiques4. Cette manière de concevoir la jeunesse comme une étape universelle de

latence segmentée par des rites de passage sera prédominante pendant plusieurs années au sein des études anthropologiques. Ce point de vue adulte définit ainsi les jeunes comme des « not-yet-finished human beings » (Bucholtz 2002 : 525, 528, 529).

Dans les années cinquante, deux écoles de pensée de la sociologie permettront de comprendre la jeunesse en d’autres termes. S’éloignant de l’étude unique de l’âge et du genre, la tradition américaine, inspirée de l’école de Chicago, valorise une compréhension de la jeunesse comme constituant une forme de déviance et analyse donc les conséquences sociales sur les pratiques culturelles des jeunes (Bucholtz 2002 : 536). À la même époque, la tradition britannique, portée par

2 C’est dans cette optique qu’on dira que la jeunesse est autonome. Toutefois, il serait plus judicieux de dire qu’elle est plutôt laissée à

elle-même ou encore que la société dans son ensemble se désintéresse de cette génération, laissant le soin au système scolaire de la prendre en charge.

3 L’adolescence n’est pas vécue de manière identique dans chaque société considérant les multiples réalités liées aux partages des

responsabilités, aux modes de vie et aux processus de socialisation de chacune. Par exemple, pour les jeunes des sociétés paysannes, le mode de vie agricole implique que la socialisation se fait en partie dès le plus jeune âge à travers les tâches domestiques et agricoles. Les jeunes assument ainsi rapidement les responsabilités du monde adulte (Melenotte 2009).

4 M. Mead (1928, cité dans Erny 1991) s’inscrit d’ailleurs dans cette école de pensée et tente de déterminer la véracité des hypothèses

occidentales de l’époque sur l’universalité de la « crise de l’adolescence » par une recherche de terrain sur les jeunes à Samoa (Erny 1991: 83-84).

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l’école de Birmingham et inspirée des théories marxistes de la culture et des analyses sémiotiques poststructurales, s’attarde davantage à relever les manifestations les plus visibles des identités de la jeunesse des classes ouvrières (Bucholtz 2002 : 536)5. Les deux courants sociologiques, américain et

britannique, ont ainsi contribué à l’évocation d’une culture des jeunes (youth culture) insistant sur leurs capacités d’action et de résistance (Jérôme 2010 : 38). Ces courants ont présenté majoritairement les jeunes de la classe ouvrière blanche comme s’opposant aux classes dominantes à travers des formes diverses. L’utilisation des termes tels que « sous-culture » par ces courants met l’accent sur la différenciation entre la culture des jeunes et celle des adultes (Durham 2000). Cette lecture contribue à isoler les jeunes dans une position de passivité (Jérôme 2010 :4).

Dès les années soixante-dix, le rôle et la place des jeunes dans les processus de transformation et de reproduction sociales sont de plus en plus visibles au sein des réformes économiques néolibérales et des mouvements internationaux, plus particulièrement dans les pays occidentaux, dits développés. Les jeunes deviennent une force sociale et politique qui ne peut plus être négligée. Suivant ce courant, l’anthropologie de la jeunesse se concentre dès lors sur les pratiques et les expériences des jeunes. Ainsi, les sciences sociales mettent en valeur les rôles particuliers des jeunes dans les changements sociaux globaux, explicitant ainsi le caractère d’agents sociaux variables de la jeunesse6 (Jérôme

2010 :39, Wulff 1995 :1). Dès lors, les recherches contemporaines en sciences sociales affirment la nécessité de voir l’enfance et la jeunesse non pas dans leurs aspects biologiques ou universels, mais plutôt comme des composantes structurelles et culturelles ainsi que comme des catégories sociales variables (reliées au genre, à la classe, etc.) dont les apports sociaux sont dignes d’intérêt. Conformément aux théories de la pratique (Ortner 2006 : 129), on a vu se développer au sein des sciences sociales, une compréhension de l’enfant et du jeune en tant qu’êtres actifs dans la construction de leurs vies, dans leurs relations avec les personnes qui les entourent et dans la société en général (Labrecque 2015 : 13).

1.1.3. Les jeunes, l’agencéité et les pratiques

Afin de saisir comment prend forme la catégorie de la jeunesse pour l’anthropologie actuelle, il est important de considérer les théories de la pratique ainsi que l’agencéité (capacité d’agir). Selon les théories de la pratique, la culture (au sens large) construit les gens comme des types particuliers d’acteurs sociaux qui reproduisent et transforment cette dernière à travers leurs pratiques. Ainsi, les

5 C’est d’ailleurs au sein de cette école que le Centre for Contemporary Cultural Studies (the CCCs), plus communément reconnu comme

étant le berceau des Cultural Studies, que se développèrent, durant la décennie suivante (1970 et début 1980), les Youth cultural Studies (Labrecque 2015 : 9).

6 Selon Jérôme (2010), la recherche anthropologique contemporaine sur la jeunesse se développe avec un regard porté sur l’enfance, sur

l’adolescence ainsi que sur les jeunes adultes. En effet, la catégorie « jeune » est davantage prise dans son acceptation large, sans établir une distinction particulière entre l’enfance, l’adolescence et l’âge adulte. Cette généralisation permet de respecter la diversité des définitions et des expressions qu’en font les jeunes eux-mêmes (Jérôme 2010 : 39).

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théories de la pratique conçoivent la vie en termes de jeux de perspectives, activement orientés vers des buts et des projets construits et partagés. Ceux-ci relèvent des formes de relations sociales complexes telles que des relations de pouvoir, des relations de solidarité ainsi que des dimensions de subjectivités diverses (Ortner 2006 :129).

L’anthropologue culturelle américaine Sherry Ortner est souvent considérée comme une figure marquante des théories de la pratique et du concept d’agencéité7. Dans la théorisation de la théorie

de la pratique, elle s’inspire des travaux de ses prédécesseurs, soit Bourdieu, Giddens et Sahlins. Selon elle, ces derniers ont été capables de considérer à la fois l’acteur dans son milieu social et les structures qui contraignent et permettent l’expression des actions et des pratiques des agents culturels. Pour Ortner, la théorie de la pratique est aussi une théorie de l’histoire et donc les pratiques sociales ne peuvent être comprises que dans leurs articulations avec la dimension historique. Ortner soutient que la culture est une réalité dynamique qui ne définit pas les gens; ce sont plutôt les personnes qui la définissent en lui donnant un sens dans leur vie. Elle s’inscrit dans le courant de pensée qui établit la culture comme étant une contrainte conformément à l’idée que la culture forme la subjectivité des acteurs sous des régimes spécifiques de pouvoirs historiques (Ortner 2006 :14). Cette nouvelle compréhension de la culture implique que les transformations sociales s’effectuent à travers une production constante, la contestation et la transformation de la culture publique, des médias et des représentations de toutes sortes (Ortner 2006 : 18). Ortner affirme que « ‘‘culture’’ is the means of understanding the ‘‘imaginative worlds’’ within which these actors operate, the forms of power and agency they are able to construct, the kinds of desires they are able to form, and so forth » (Ortner 1999: 9-10). L’idée de pouvoir est importante pour Ortner dans la conceptualisation de la théorie de la pratique. Le pouvoir ne doit pas être caractérisé comme la dominance d’une classe sur une autre, mais un pouvoir relationnel entre tous les acteurs. Le pouvoir est vu comme un produit de l’humain en tant qu’acteur social et non comme une force objective de la société. L’auteure s’inspire de la notion d’hégémonie de Gramsci, selon laquelle l’emprise est fortement contrôlante, mais jamais complète ou totale (Ortner 1999 : 6-7). Pour Ortner, le pouvoir a plusieurs facettes et formes d’expression : il peut référer autant à des pratiques de soumission qu’à des pratiques de résistance. Ortner insiste sur l’importance du contexte historique et social, de la réinterprétation de la culture et de l’idée de la relation de pouvoir circulaire entre les acteurs sociaux et la société. L’agencéité est donc perçue comme une notion centrale pour la théorie de la pratique dans la compréhension des relations entre les faits sociaux et les groupes d’agents culturels.

7 Dès 1984, Ortner met en doute les trois catégories de la « contrainte » qui dominaient jusqu’alors l’anthropologie culturelle américaine,

soit l’anthropologie interprétative (Geertz), l’économie politique marxiste et le structuralisme français (Lévi-Strauss). Selon elle, ces approches n’abordent pas l’agencéité humaine et les processus qui produisent, reproduisent et transforment les contraintes sociales, qu’elle nomme les pratiques sociales (Ortner 2006 :2).

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Ces apports conceptuels amènent l’anthropologie à considérer aujourd’hui les jeunes en termes d’agencéité. Dans le cadre de ce mémoire, je me contenterai d’identifier l’agencéité telle que la décrit Ortner (2006 :143-147). Les personnes (ici les jeunes) sont des acteurs sociaux compétents qui participent activement aux constructions sociales avec une capacité de production, d’adaptation, d’innovation et de créativité. Cette agencéité est comprise par Ortner dans sa globalité, à la fois comme une capacité d’agir (agency as power) et une capacité d’élaborer des projets (agency of projects) dès lors partagés par une collectivité. Cette manière de comprendre l’agencéité ne se limite donc pas à la compréhension du pouvoir dont dispose une personne, ses habilités à agir sur son environnement, d’influencer les personnes et les évènements et à maintenir un contrôle sur sa vie (Ortner 2006 :143-144), mais concerne aussi la résistance, les intentions, les objectifs et les désirs formulés en termes de projets culturellement partagés (Ortner 2006 : 144).

1.1.4. La jeunesse autochtone

C’est en ces termes que seront par la suite effectuées les recherches sur la jeunesse autochtone dans son rapport aux relations intergénérationnelles. L’importance des dynamiques relationnelles est au cœur de la définition et de la désignation de la jeunesse.

Les thèmes prédominants dans la recherche anthropologique portant sur les jeunes autochtones s’intéressent surtout aux lieux de socialisation et à leurs défis en termes de constructions identitaires. Ainsi, on tente de saisir les réalités de cette catégorie sociale précise, de même que la construction de la « jeunesse » dans différents contextes sociaux et culturels. À cet égard, l’ouvrage collectif Jeunesses autochtones : Affirmation, innovation et résistance dans les mondes contemporains dirigé par Natacha Gagné et Laurent Jérôme (2009) expose des recherches portant sur l’expérience du monde pour les jeunes autochtones et sur leurs stratégies d’autodéfinition et de constructions identitaires. Ces tendances à la valorisation de la parole des jeunes et cet intérêt pour leur vécu et leurs discours nous amènent à considérer l’autodéfinition de la catégorie sociale de la jeunesse. Comment la jeunesse est-elle définie dans les communautés autochtones au Québec?

Il serait réducteur de dégager des caractéristiques communes pour décrire l’ensemble des manières d’être Autochtone et jeune dans le contexte contemporain. Toutefois, la construction d'une jeunesse autochtone pourrait être définie en termes, entre autres, de dynamiques relationnelles (Poirier 2009) et identitaires. Selon Poirier, ces relations sont multiples, elles ne prennent leur sens qu’en considérant les divers types de relations dans lesquelles les jeunes sont engagés, notamment les réseaux de parenté, les logiques familiales, claniques et territoriales, les traditions, la société non autochtone, et enfin les institutions de l’état (dont l’école et le travail). L’importance des dynamiques relationnelles est d’ailleurs au cœur du concept d’agencéité d’Ortner (2006).

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Dans les contextes autochtones, les relations intergénérationnelles sont particulièrement importantes. Les générations et leurs frontières, plus ou moins flexibles, seront « autodéfinies » de manières différentes en corrélation avec des évènements sociaux et historiques particuliers (Bousquet 2005). Ainsi, Bousquet démontre que l’articulation de la mémoire et la construction des générations des Algonquins (Anicinabek) se forment autour d’évènements ayant modifié les modes de vie autochtones. La conception du temps social des Anicinabek est structurée autour d'un point zéro correspondant à la sédentarisation (identifiée entre les années 1850 et 1960), et à partir de laquelle on peut identifier un « avant » et un « après » (avec ses altérations du mode de vie et des systèmes de représentations du monde). La génération zéro correspond à la génération des pensionnats (entre 1950 et 1972). La génération d’« avant » est celle des ainés, soit celle des Anicinabek ayant vu le jour sur le territoire, ayant vécu le semi-nomadisme, l'autonomie et le bien-être social. La génération de l’« après temps zéro » regroupe les personnes n'ayant pas vécu l’ère des pensionnats, il s'agit de la jeunesse ; la nouvelle génération. Cette dernière a connu la réserve8 et vécu les effets secondaires des

pensionnats. Cette jeunesse a également été scolarisée sur la réserve (niveaux primaire et secondaire). Selon Bousquet, les jeunes ont donc été associés à une perte de territoire, de savoir et à une cassure intergénérationnelle9. Certains auteurs (Long et al. 2006, cité dans Grenier et al. 2013) ont été tentés

d'identifier la jeunesse autochtone par une tension entre le désir de vivre une identité dite « moderne », (avec les caractères individualistes de la réussite identitaire) et le désir de s'identifier comme Autochtone par l'acquisition entre autres des savoirs associés au mode de vie traditionnel10. D’autres

auteurs (Bousquet 2005) mettront aussi en question le caractère biculturel des jeunes autochtones contemporains sur lequel nous reviendrons plus loin.

1.2. Socialisation, éducation et scolarisation : sujets de l’anthropologie de l’éducation

Les éléments présentés précédemment permettent de concevoir que les jeunes acteurs sociaux sont motivés par un contexte communautaire, un réseau social, des réalités sociales, économiques et historiques variables. Dès lors, pour comprendre les motivations scolaires des jeunes autochtones il faut aussi aborder les concepts de « socialisation », de « scolarisation » et d’« éducation ».

8 Mentionnons que ce n’est pas toutes les personnes de cette génération qui ont vécu en réserve. Une partie d’entre elles ont grandi en

milieu urbain, notamment les femmes mariées à des hommes non autochtones.

9 Mentionnons que cela n’est pas propre aux jeunes autochtones mais que l’on retrouve aussi ces effets de cassures intergénérationnelles

dans d’autres milieux marginalisés tels que ceux en France ou au Brésil (Tousignant 2012 : 143-144).

10 Il nous semble important de rappeler que le terme « traditionnel » fait parfois référence à des pratiques effectuées par les générations

passées, cherchant ainsi à fixer celles-ci dans une historicité révolue. Or, une tradition peut être contemporaine si elle s’inscrit dans un présent et est pratiquée actuellement. Jérôme mentionne qu’associer l’idée de tradition en opposition à la modernité (ou à la contemporanéité) revient à nier le « caractère dynamique, créatif et adaptatif dans le temps et dans l’espace » (Jérôme 2009 :125) et ainsi entretenir le stéréotype de « l’Indien authentique ». Lenclud exprime l’idée de tradition comme « [étant] inventée et recréée…traditionnellement. » (1994 : 33, cité dans Jérôme 2009 : 126)

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12 1.2.1. Socialisation

Afin de saisir le concept de socialisation et son implication en anthropologie nous nous référerons à l’ouvrage collectif dirigé par Stéphanie Nkoghe (2013). Dans cet ouvrage, Nkoghe conçoit la socialisation en termes de socialisation contrainte. Inspirée par Ortner, elle s’appuie sur les théories de la pratique pour accorder une importance aux liens sociaux, à l’historicité et aux pouvoirs de l’agencéité. Une compréhension usuelle de la socialisation fait référence à un apprentissage de la vie en société (Nkoghe 2013 : 20) et donc aux processus de transmission et de réception des normes, des valeurs, des savoirs et des pratiques du milieu à partir desquels la société peut construire une identité sociale commune et intégrer les personnes à celle-ci (Bikié Bi Nguema 2013 : 242). Alors qu’au temps de Bourdieu (cité dans Nkoghe 2013 : 20), la société était vue comme déterminant la personne à travers l’incorporation des habitus, la socialisation est maintenant comprise, du point de vue anthropologique, comme étant un double mouvement où la société construit et modélise les personnes, mais aussi comme étant un processus où la personne elle-même intègre le tout en agissant sur les groupes sociaux. Les sociologues Dubet et Martucelli expliquent ce double mouvement de la socialisation au terme duquel, « […] la société se dote d’acteurs capables d’assurer son intégration, et d’individus, de sujets, susceptibles de produire une action autonome11 » (Dubet et Martucelli 1996 :

511). Ainsi, le concept de socialisation mobilise à la fois l’agencéité, l’incorporation, les représentations subjectives de l’acteur et les représentations du système social. En d’autres termes, la socialisation correspond à l'intégration d'une personne à son environnement par un processus d'incorporation, mais aussi d'adaptation ou d'accommodation.

D’un point de vue anthropologique, la socialisation concerne l’enfant (comme être à socialiser), mais aussi « […] tout humain ou être en situation d’apprentissage ou d’intériorisation des normes » (Nkoghe 2013 : 23). L’anthropologie de la socialisation considère tous les êtres (humains, animaux, ou extra humains) et les choses à socialiser, les lieux de socialisation, les méthodes éducatives, ainsi que les valeurs à acquérir. La socialisation fait référence à davantage qu’un simple processus de standardisation aux règles, aux normes ou aux codes d’une société. Elle est aussi une part importante des processus qui forment les subjectivités des acteurs et leurs perceptions du monde, des autres, d’eux-mêmes, de leur place dans l’univers (pour ne nommer que ces exemples). C’est tout ce qui concerne l’Être, son rapport au monde en terme ontologique. Le concept d’ontologie en anthropologie culturelle et sociale est complexe et il a fait l’objet d’attention de plusieurs auteurs. Contentons-nous ici de mentionner que les ontologies constituent les mondes figurés et les théories locales sur l’être et

11 Certaines sociétés, plus que d’autres, valoriseront cette dimension d’autonomie. Le concept même d’autonomie sera conçu et exprimé

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l’existence à l’intérieur desquels les acteurs construisent leurs pratiques. Les ontologies composent donc le cadre de la culture. Il s’agit de plus qu’un ensemble de connaissances et de savoirs : l’ontologie est le récit d’une manière d’être (Clammer, Poirier et Schwimmer 2004 : 4).

1.2.2. Scolarisation, socialisation dans l’espace de l’école

À ce moment de la réflexion, et après avoir brièvement exploré les concepts de socialisation et d’agencéité (en termes de caractère de performativité, d’action et d’incorporation), il est nécessaire de se questionner sur les espaces où ceux-ci prennent place. La socialisation, en tant qu'intégration à son milieu, se fait à travers diverses instances dont l’école qui est considérée comme l’un des lieux privilégiés (Biké Bi Nguma 2013 : 241). L'école, lieu d’éducation, est elle-même considérée comme une forme de socialisation (Biké Bi Nguema 2013 : 241).

L’éducation, d’une manière générale, correspond à « […] l'action exercée généralement sur autrui pour augmenter les possibilités du corps, de l'intelligence, du caractère » (Grawitz 2014, cité dans Sorgho 2008). Selon La Déclaration des droits de la personne, il s’agit de « l’ensemble des moyens qu'une société assure à ses membres pour les scolariser, c’est-à-dire partager, surtout aux jeunes, les valeurs qu'elle privilégie, sa culture en même temps que transmettre les connaissances nécessaires à l'épanouissement de leur personnalité » (Sorgho 2008). La scolarisation, quant à elle, est « […] l’action de scolariser c’est-à-dire, dans un premier temps doter […] une région des établissements nécessaires à l'enseignement de toute population. Dans un second temps, c'est admettre un enfant ou un groupe d'enfants à suivre l'enseignement d'un établissement scolaire » (Genouvrier 2001, cité dans Sorgho 2008 : s.p.). L’éducation est donc proche dans sa mission à certains égards de la socialisation. L’école, du moins dans les sociétés occidentales, est devenue le principal lieu d’éducation et de socialisation.

Ainsi, quel est le sens que prend la socialisation dans la scolarisation et dans le contexte de l’école en particulier? Afin d’amorcer une réponse, nous pourrions mobiliser l’idée de double mouvement (Nkoghe 2013 :21) à propos de l’école. L’école inculque aux élèves certaines pratiques et valeurs véhiculées par la société dominante. Toutefois, à l’intérieur de cet espace hégémonique, les étudiants possèdent une capacité d’action dans les fonctions de l’école auxquelles ils arriment leurs pratiques. En effet, tel que le proposent Dubet et Martucelli (1996 : 530-531), l’école possède des fonctions indépendantes telles que l’intégration (au sens classique de la socialisation par l’intériorisation), la distribution (qui amène à considérer l’école comme un marché) et la subjectivation (constituée par le rapport que les personnes construisent à la culture scolaire). L’autonomisation graduelle de ces fonctions implique que la socialisation soit construite par les acteurs, ce qui suppose une distance entre les systèmes et les acteurs. Toutefois, celle-ci ne représente pas une coupure radicale, car les

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acteurs effectuent leurs pratiques de socialisation à l’intérieur d’un matériel culturel et social particulier, celui de la société dominante. Ainsi la socialisation et l’intégration sociale apparaissent comme étant issues du travail des acteurs. Les personnes doivent effectuer leurs expériences et leurs choix, selon leurs ressources et leurs situations, dans un spectre proposé par les idéologies prédominantes de l’école.

1.2.3. Anthropologie de l’éducation

L’anthropologie de l’éducation représente une perspective intéressante à considérer dans ce contexte. Il faut souligner l’importance de l’anthropologie de l’éducation en tant que legs qui a nourri les recherches, les penseurs et les disciplines qui se sont penchées sur l’éducation en contexte autochtone, multiculturel ou sur les mondes scolaires sur lesquelles j’ai basé mes propres lectures.

L’anthropologie de l’éducation est issue d’un courant de l’anthropologie culturelle américaine qui s’intéressait plus spécifiquement au processus de transmissions de la culture et des apprentissages (Anderson-Levitt 2006). La discipline s’est surtout développée en Europe et en Amérique du Nord à travers différents sous-domaines tels que l’anthropologie pédagogique, l’ethnographie de l’éducation et l’anthropologie de l’école (Anderson-Levitt 2006). Dès les années soixante-dix, l’anthropologie de l’éducation a vu naître sa propre revue Anthropology and Education Quarterly (Anderson-Levitt 2006) permettant ainsi un essor considérable de l’intérêt et des recherches pour la discipline. Le corpus s’étendant de 1996 à 2006 s’est articulé autour des concepts d’identité, de culture et de langue. Ainsi, en considérant l’école comme une microculture, les recherches ont attribué une place importante à l’expérience des groupes minoritaires dans le système d’éducation, aux fonctions sociales de la scolarisation institutionnelle et aux mécanismes de transmission culturelle à travers l’instruction, l’éducation et la socialisation (Jacquin 2006). Au Canada et aux États-Unis, l’anthropologie de l’éducation s’est particulièrement intéressée à la scolarisation des peuples autochtones et au décalage culturel entre l’institution et les populations minoritaires (Anderson-Levitt 2006 :14). Au Québec, l’accent a plutôt été mis sur la sociolinguistique, sur les populations minoritaires et sur l’identité culturelle (Anderson-Levitt 2006 : 15).

1.2.4. L’hégémonie scolaire

Pour les mondes occidentaux, la réussite scolaire semble être l’issue vers le développement identitaire (Bousquet 2005; Fox et al. 2005, cité dans Grenier et al. 2013). L’importance de la diplomation et de l’idée de l’éducation pour tous sont vues comme une liberté fondamentale dans la Déclaration des Nations Unies sur l’éducation (2011) et, avec la globalisation et la domination de la modernité occidentale, elles sont propagées dans le monde entier (Wulf 1999 : 13) comme l’élément essentiel du développement des humains et des sociétés.

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Nous pourrions identifier plusieurs pôles à l’origine de ces réflexions éducationnelles ayant contribué à développer les objectifs pédagogiques de la société occidentale actuelle. Je me concentrerai ici sur les fondements du rêve de l’éducation de Corménius (1592-1679). Philosophe, grammairien et pédagogue tchèque, Corménius décrit bien le rêve de l’éducation occidentale contemporaine qui régit les intentions de globalisation de l’éducation dans le monde (Wulf 1999 : 21-25). Selon lui, l’unique remède à la crise culturelle que vit l’Europe au lendemain de la guerre de Trente Ans repose sur la réforme de l’éducation. Il développe ainsi des réflexions issues des racines religieuses et plaide pour une démocratisation de l’éducation en vue de créer un monde meilleur. C’est dans son ouvrage Grande Didactique (1628) qu’il développe la thèse selon laquelle connaître le monde et comprendre l’ordre des choses permettront de percevoir l’action de Dieu et d’ainsi créer un monde meilleur. Il élabore ce rêve de façonner l’homme dans sa totalité à travers l’utopie pédagogique de l’étude du monde ordonné par Dieu selon lequel l’homme pourra devenir semblable à Dieu, soit un être parfait dans une société parfaite. Cette utopie demeure encore aujourd’hui un objectif de la société occidentale (Wulf 1999 : 21) et se rapporte tantôt aux caractères religieux et tantôt à la logique marchande et financière du capital privé et de l’économie mondiale. En tout temps, cette utopie reste étroitement attachée à l’atteinte d’un mode de vie « meilleur » par la valorisation d’une connaissance hégémonique. L’éducation obligatoire s’est intégrée progressivement dans les sociétés occidentales depuis une centaine d’années, alors que les objectifs de scolarisation mondiale se sont propagés rapidement à travers plusieurs institutions religieuses, étatiques ou philanthropiques. Les mondes autochtones de l’Amérique n’ont pas échappé à ces tendances.

À cet égard, dans le prochain chapitre, il sera question de constater comment la dimension de l’histoire et de l’héritage coloniaux ainsi que le contexte néocolonial actuel influencent les réalités éducationnelles autochtones. À travers cette idée de contexte néocolonial, nous entendons que les rapports sociaux, économiques et politiques issus de l’État colonial cachent des clivages et des conflits qui reproduisent les relations de dominations, d’accumulation et d’exclusion héritées de l’époque impériale (Bayart et Bertrand 2006 :137). Ainsi, malgré les politiques étatiques d’autodétermination et de réconciliation, les groupes autochtones sont encore fortement dépendants des instances politiques et étatiques. Ce « legs colonial » entretient les relations inégales persistantes qui continuent d’affecter les Autochtones.

Je me contenterai ici de souligner que les missions civilisatrices des religieux ont financé l’enseignement scolaire des enfants autochtones depuis la colonisation. Ces objectifs seront soutenus par les instances gouvernementales qui y voient l’occasion d’assimiler les populations autochtones en sédentarisant les familles et en formatant les jeunes « sauvages » aux mœurs des Euro-canadiens.

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Les valeurs éducatives de ces derniers étaient drastiquement différentes, voire même opposées à celles véhiculées par les sociétés autochtones à l’époque.

1.2.5. Les apprentissages différentiels

Les processus de socialisation allochtones et autochtones, ainsi que les modes d’apprentissage et de transmission des savoirs, sont nettement différents: nous parlerons alors d’apprentissages différentiels. La transmission des savoirs autochtones, en termes de savoir-être et de savoir-faire, se définit par les réalités sociales du quotidien, dans un but de cohésion sociale et de partage d’une identité commune (Salaün 2013 : 218). Dans les mondes autochtones, le savoir-être (attitudes et valeurs) s’acquiert par le performatif, par l’expérience empirique à travers les savoir-faire qui sont en constante négociation, production, reproduction ainsi qu’en découvertes. L’observation et l’écoute sont au centre des modes d’apprentissage, ainsi que les dynamiques sociales et environnementales12.

La personne vise l’autonomie, la respectabilité, la solidarité et les relations harmonieuses avec le tissu social13. Mentionnons l’importance de l’oralité dans la transmission des connaissances, d’où

l’importance des relations intergénérationnelles qui demeurent au centre de ce partage des connaissances. De plus, on présente souvent à l’enfant les conséquences de ses choix et les dilemmes sans établir des règles, régulant ainsi une éducation de type non coercitive (Douglas 1998 : 120; Goulet 1998 : 28; Rushforth 1992 : 486, cité dans Boucher 2005).

Le modèle d’enseignement occidental et le curriculum des commissions scolaires, quant à eux, valorisent l’écrit, la hiérarchie et la linéarité. L’écrit a un caractère exclusif, augmentant ainsi la portée dans le temps et dans l’espace. Selon Boucher (2005), contrairement à la tradition orale, l’écriture omet les caractères émotionnels, sentimentaux perdant ainsi certaines subtilités et des connaissances. La méthode d’apprentissage occidentale valorise également l’établissement d’hypothèses et de théories décontextualisées dans une vision hiérarchisée et compartimentée de l’univers, contrairement à l’apprentissage autochtone qui préconise plutôt l’expérimentation personnelle, l’observation et le temps cyclique. Ainsi, le système scolaire occidental fait plus de place à la spécialisation. Par conséquent, l’enseignement des enfants est remis aux mains d’un maître qui possède les connaissances propres des milieux scolaires et qui devient alors responsable de les transmettre.

À la lumière de ces réflexions, il est pertinent de se questionner sur la manière dont les projets éducatifs auprès des peuples autochtones au Canada et au Québec ont été entrepris et quelles en furent

12 Les savoirs doivent toujours être validés dans un contexte de changements constants du territoire, d’où l’importance de l’expérience

directe (Éthier 2011 :35-37). Le caractère particulier du territoire impose donc une adaptabilité des humains et la validation constante des connaissances à travers l’expérience et l’oralité (Anderson 2001 : 273, Goody 1977 :45, Johnson 1992 : 12, Laugrand 2002 :110, Lohisse 1998 :27-28, Sapir 1967 :39, cité dans Boucher 2005).

13 Le tissu social autochtone implique les humains et l’ensemble des non-humains (les animaux, les végétaux ainsi que les êtres et forces

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les conséquences sur les jeunes autochtones contemporains qui désirent effectuer des études postsecondaires. D’ailleurs, les sciences sociales ont porté un regard sur la persistance des problèmes de scolarisation chez les Amérindiens en invoquant trois grandes catégories de positions théoriques (Gauthier 2005 :20). Une première lecture a été faite à travers la thèse du « déficit » qui abordait le problème sous l’angle des lacunes adaptatives des Autochtones par rapport aux processus de scolarisation formelle. Cette lecture ethnocentrique portait sur les déficiences liées aux habitudes de vie notamment personnelle, familiale, et communautaire, tendant ainsi à responsabiliser les Autochtones pour leurs difficultés d’adaptation. La seconde thèse, celle de la discontinuité culturelle, insistait plutôt sur les difficultés du système scolaire formel à répondre au particularisme moral, cognitif et comportemental des jeunes autochtones. Cette lecture valorisait la construction, de manière consensuelle, d’une scolarisation respectueuse des conceptions autochtones par l’application de mesures d’indigénisation des écoles. Au Canada, c’est ce courant qui a conduit les représentants autochtones à produire le document La Maîtrise indienne de l’éducation indienne (FIC 1972) (Voir 2.1.1) et qui continue à dominer la recherche actuelle. Une troisième thèse a émergé en réaction aux promesses non tenues des mesures d’amérindianisation dans les écoles autochtones. Tout en rejetant les explications axées sur le « déficit autochtone », cette thèse, dite conflictualiste, trouvait insuffisante l’approche de la discontinuité culturelle. Les recherches s’inscrivant dans ce paradigme proposaient alors une lecture plus sensible de la dimension sociohistorique de la situation et abordaient les cheminements scolaires en tant que traces du rapport conflictuel séculaire entre les Autochtones et les Euro-canadiens (Gauthier 2005 : 21). Selon celles-ci, la scolarisation et ses expériences s’insèrent dans un rapport de force historique et néocolonial dont l’enjeu est la domination économique, idéologique, sociale et culturelle d’un groupe sur un autre (Gauthier 2005 : 44).

1.3. L’eurocentrisme scolaire et les défis des Autochtones

De telles lectures portées à l’égard de la scolarisation suscitent inévitablement des réflexions quant aux forces du colonialisme (et du néocolonialisme) appliquées sur les structures internes des institutions scolaires actuelles et des discours dominants en lien avec la scolarisation des jeunes autochtones. La prochaine section tentera de réfléchir à ces pressions eurocentristes et à la manière dont la jeunesse autochtone est maintenant comprise dans ces dynamiques scolaires.

1.3.1. L’eurocentrisme scolaire

Afin de porter un regard critique sur l’école et afin de formuler une réflexion sur les milieux scolaires formels en contexte autochtone, nous devons considérer que l’école continue à être perçue comme un espace conflictuel entre le paternalisme perdurant et l’autonomisation tardive des

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Figure I – Population ayant une identité autochtone dans la ville de Joliette et  l’arrondissement de Joliette durant les dix dernières années
Figure II: Différence entre intégration et inclusion scolaires (issue de Lachapelle 2017: 187)
Figure III : Commentaire sur les réseaux sociaux : territorialité et identité (janvier 2018)

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