• Aucun résultat trouvé

Chapitre 6- Niveau micro : Les étudiants autochtones du Cégep Régional de Lanaudière à

6.2. Enjeux associés à la scolarisation postsecondaire des étudiants autochtones

6.2.2. Manifestations d’ordre social

Parmi les manifestations de la situation néocoloniale vécues par les Autochtones qui désirent poursuivre leurs études postsecondaires, le ACCC identifie celles d’ordre social. Elles comprennent les responsabilités familiales, le manque de modèles autochtones, la discrimination sociale, le chômage et la pauvreté. Voici autant d’éléments qui peuvent inévitablement interférer avec des études à temps plein, ne serait-ce qu’en rapport avec un horaire d’études exigeant.

Les étudiants autochtones rencontrés lors de ma recherche au cégep de Joliette vivent des réalités extrascolaires qui peuvent les amener à négliger leurs cours. Ainsi, ils doivent parfois négocier avec diverses responsabilités familiales. L’une des étudiantes s’absentait quelques fois de ses cours afin de rejoindre son grand-père hospitalisé. Elle devait traduire en langue atikamekw les différentes directives des médecins pour son ainé qui parlait difficilement le français65. De plus, cette même

étudiante s’occupait de son petit frère avec l’aide de sa sœur, elle aussi aux études. Désirant offrir une meilleure éducation à son jeune fils, la mère de famille (qui vit à Manawan) avait effectivement

65 La méconnaissance vis-à-vis les réalités autochtones se reproduit aussi dans les dynamiques de relations au niveau des institutions de

santé à Joliette. En effet, selon certains informateurs autochtones et non-autochtones vivant à Joliette, les intervenants en milieu hospitalier sont souvent peu ouverts aux accommodements. Par exemple, les Atikamekw qui ne sont pas locuteurs francophones n’ont pas accès à un traducteur à l’hôpital de la ville, alors qu’il existe des interprètes pour les autres usagers non francophones.

108

accepté de l’envoyer compléter son primaire à Joliette. Le petit garçon vivait donc avec ses grandes sœurs durant la semaine. Cette situation n’est pas unique. Les étudiants du CRLJ connaissent plusieurs proches qui ont dû arrêter leur scolarisation collégiale, la conciliation famille-étude étant trop difficile.

Comme les deux parents allaient à l’école, ils pouvaient pas travailler et devaient combler tous les besoins de leur famille et ça devenait compliqué […] surtout qu’ils sont partis à Trois- Rivières seuls, ils avaient pas d’aide. (Antony, novembre 2017)

Le manque de modèles de personnes autochtones ayant fait des études postsecondaires doit aussi être pris en compte. Ainsi, les étudiants du cégep de Joliette doivent chercher des figures inspirantes dans leur réseau élargi. Pour une des étudiants autochtones, c’est le chirurgien Stanley Vollant qui jouait ce rôle modèle de persévérance et de réussite. De plus, l’une des motivations principales est de devenir eux-mêmes les modèles inspirants pour les jeunes des communautés et de contribuer au développement de celles-ci. Pour une étudiante, c’était d’ailleurs sa principale motivation à poursuivre ses études. Elle considérait que la diplomation apporte un pouvoir politique :

Je trouve ça important [d’avoir un diplôme collégial] justement pour pouvoir avancer avec la culture, aider les autochtones. Plus il y a de diplômes chez les Autochtones plus […] les Autochtones ont du pouvoir. (Alexandra, décembre 2017)

La présence d’une figure d’inspiration est sans conteste primordiale pour la motivation quotidienne des étudiants. Pour Bryan, candidat à la maîtrise originaire de Mashteuiatsh, c’est son oncle et le parcours scolaire de celui-ci qui l’ont motivé à poursuivre ses études et à persévérer dans le système scolaire.

Parmi les obstacles d’ordre social, l’ACCC relève les défis liés à la discrimination sociale. La discrimination sociale vécue par certains étudiants autochtones est le résultat du racisme systémique et individuel à l’égard des membres des Premières Nations, des Métis et des Inuits. Vivre ces différentes formes de racisme de manière quotidienne a été un élément déterminant dans le parcours scolaire de certains étudiants du CRLJ. Une ancienne graduée s’exprimait ainsi sur le sujet :

La discrimination faite aux Autochtones aussi ça j’ai trouvé ça ben dur, de devoir traverser les préjugés, tous les regards, toutes les messages indirects ou directs. Que ce que les gens disaient de nous autres. Pas juste de moi, mais de nous autres en général (Suzy, septembre 2017)

Un étudiant du cégep de Joliette affirmait que le racisme dont il avait été victime dans son enfance avait contribué à complexifier sa relation à l’institution scolaire. Ainsi, il a choisi de cacher ses origines autochtones (étant issu d’un mariage mixte, soit une mère innue et un père québécois) afin

109

de passer inaperçu dans l’école allochtone et ne pas être victime des stéréotypes et des propos racistes de la part des autres élèves. Ceci lui permettait de naviguer plus facilement dans le milieu majoritaire. Cette expérience est semblable à celle d’une autre étudiante autochtone, elle aussi d’origine métissée66, qui a préféré à plusieurs reprises dans son adolescence ne pas mentionner ses origines par

peur de discrimination. Cette stratégie, utilisée ici en contexte académique allochtone, relève de l’agencéité des jeunes étudiants. Dans certaines circonstances, la décision de cacher ou de mettre en valeur ses origines peut relever d’une stratégie qui s’apparente à une logique de biculturalité. Les étudiants sont des agents biculturels dans le sens où, par leur socialisation familiale et communautaire, ils ont acquis les codes sociaux propres à l’identité autochtone, mais par leur socialisation scolaire, ils ont aussi acquis ceux associés à la culture majoritaire. Tel que défini par Schwimmer (1972 [1968]), ils ont accès à une « pleine citoyenneté » et participent à la vie scolaire et politique, sans avoir à renoncer totalement à la culture et à l’identité autochtone. Bien que ceci soit vrai en théorie, les étudiants doivent parfois, de manière pratique, faire fi des savoir-être autochtones afin d’en acquérir de nouveaux, soit ceux de la société majoritaire; ce processus ne se fait pas sans un certain conflit identitaire. Ces savoir-être ne sont pas pour autant détruits, mais plutôt inhibés. À travers leur identité à multiples facettes, ces jeunes autochtones ont acquis deux types de codes sociaux selon lesquels ils pourront moduler leurs interactions. Puisqu’ils sont des agents actifs, ils peuvent s’adapter et mettre en valeur certaines facettes de leur identité, selon le cas, et ce, afin de prendre avantage du milieu. Dans d’autres contextes, ces étudiants ont désiré ne pas mettre en valeur leur identité autochtone et se sont adaptés aux comportements normalisés de l’univers scolaire allochtone afin d’éviter la discrimination.

Documents relatifs