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Introduction

Les déplacements des populations occupent une place de plus en plus importante dans les politiques des Etats et des organisations communautaires telle que l’Union Européenne (UE). Pour Jean-Pierre Guenguant, la plupart des migrants internationaux et des réfugiés sont désormais vus avant tout comme des « problèmes »21 (Guenguant, 1996). Tous les pays de la planète sont concernés par cette question, qu’ils soient des pays pourvoyeurs d’immigrés ou des pays récepteurs.

L’Afrique participe aux mouvements migratoires mondiaux. Si de nombreux Africains quittent le continent pour chercher un mieux-être ailleurs, il n’empêche que les mouvements au sein du continent sont les plus importants : l’Afrique demeure « la première destination

des migrants internationaux africains » (Ela ; Zoa, 2006 : 125). L’Afrique a toujours été un

espace de déplacements, de transhumance, de nomadisme. L’histoire du continent noir est marquée depuis longtemps par les mobilités de ses populations. Joseph Ki Zerbo souligne à cet effet que « cette capacité de toujours partir ailleurs est une des lois les plus importantes

de l’évolution des établissements humains en Afrique » (Ki Zerbo, 2003 : 41)22.

Lorsqu’on parle des migrations au sein du continent africain, on évoque souvent le phénomène d’exode rural qui a poussé très fortement à l’urbanisation du continent durant le siècle dernier. Les migrations ailleurs qu’au sein des Etats africains ne sont évoquées que rarement. Quand nous écoutons les médias, ou que nous lisons la presse occidentale par exemple, l’impression qui se dégage est que les seules migrations africaines qui existent ne sont que celles qui vont de ce continent vers l’Occident. Les images des barques qui échouent au large des côtes européennes transportant des Africains voulant rallier l’Europe

21 Ils sont vus comme des problèmes dans la mesure où très souvent les immigrés sont au cœur des problèmes

d’emploi, d’insécurité ou de banditisme. Ils deviennent de ce fait des enjeux de politiques intérieures. Mais aussi, la crise financière actuelle montre que dans beaucoup de pays, les immigrés ont été accusés de prendre les emplois des nationaux. C’est le cas récemment de l’Italie.

22 Sur ce point, Jean-Marc Ela et Anne-Sidoine Zoa soulignent que le peuplement de nombreux territoires

africains rend compte des multiples brassages des groupes humains à travers la formation des Etats. Il suffit pour cela, disent-ils, d’étudier le passé de l’occupation actuelle du continent pour montrer les pérégrinations de ces groupes.

Joseph Ki Zerbo, pour sa part, affirme que cette tradition migratoire africaine n’avait pas que des bienfaits mais qu’elle a eu aussi des conséquences lourdes. Il explique par exemple qu’à cause de la mobilité, les Africains n’avaient pas perçu la nécessité de construire en dur puisque les gens étaient amenés à se déplacer. Ces déplacements ont fait que les institutions n’ont pas pu se fixer en Afrique. C’est ce même état de chose qui n’a pas favorisé l’écriture. Pour lui, l’écriture et la géométrie ont été rendues possibles en Egypte antique grâce à la sédentarisation des populations car, tant qu’elles étaient au Sahara, il n’y avait aucune nécessité de noter quoi que ce soit à cause de la profusion de l’espace. Mais, lorsque les gens se sont regroupés dans la vallée du Nil à cause de la désertification, la densité a augmenté et à partir de là, il a fallu s’organiser pour savoir qui était installé à quel endroit. Dès lors, pour garder les traces des propriétés, il a fallu créer des outils comme l’écriture, le dessin et la computation.

clandestinement sont diffusées presqu’au quotidien. En revanche, on parle peu des migrants allant de l’Europe vers l’Afrique. Or, cette migration existe depuis les grandes navigations du XVe siècle23. L’histoire actuelle de l’Afrique du Sud l’atteste clairement. Cette immigration s’est poursuivie durant la colonisation avec l’arrivée des agents de l’administration coloniale, celle des exploitants miniers et forestiers, et enfin avec l’arrivée des missionnaires catholiques et protestants.

Après les indépendances africaines, ces expatriés européens ne sont pas tous revenus en Europe. Certains sont restés en Afrique. Aujourd’hui encore, d’autres continuent d’y aller pour des raisons familiales, économiques, professionnelles, etc24. En mars 2008, André Mba Obame, alors ministre gabonais de l’Intérieur, déclarait dans les médias que sur environ 10000 Français vivant au Gabon, près de 10%25, c’est-à-dire 1000, seraient en situation irrégulière. Ce chiffre ne représente pas grand-chose mais, 10% de personnes en situation irrégulière dans une communauté cela paraît non négligeable. Dans le contexte gabonais, en prenant en compte le fait que ce pays n’a que 1,5 millions d’habitants, 1000 individus se révèlent considérable. Ainsi, ce qui est décrié en Occident, c’est-à-dire la vie clandestine des immigrés africains dans les pays occidentaux, n’est pas l’apanage des seuls Africains.

A côté de ces mouvements, l’Afrique a également son lot de déplacés internes et de réfugiés. Jean-Luc Mathieu indique que « le mot « réfugié » a été forgé pour désigner les

protestants chassés de France au XVIIe siècle, mais jusqu’à la fin du XIXe siècle les mots « émigré » et « exilé » ont plus volontiers été utilisés, et ce n’est qu’ensuite que le mot réfugié l’a emporté sur les autres, pour décrire des phénomènes de plus en plus massifs » (Mathieu,

1991 : 11). La dislocation de l’empire Ottoman et la chute de l’empire russe ont été les premiers évènements ayant envoyé en masse les populations hors de leurs pays26. Mais, la multiplication des guerres et des dictatures dans le monde, les famines et les changements climatiques ont poussé, durant tout le siècle dernier, les gens à chercher asile loin de leurs pays d’origine.

Le début de ce siècle n’a rien changé. L’Afrique centrale n’échappe pas aux phénomènes de réfugiés et de déplacés. Cette mobilité contrainte active sur cette partie de l’Afrique s’inscrit dans l’ensemble des mouvements de populations qui caractérisent cet espace géographique dont le Gabon fait parti. Alors, comment ont évolué les mouvements de

23 Les navigations des Espagnols et des Portugais qui ont été suivi par les Français, les Hollandais et les Anglais. 24 En 2010, il y a 4500 Belges et 2300 Français en RDC (Jeune Afrique, n° 2566, Mars 2010).

25Le Monde du 6 mars 2008.

populations en Afrique centrale en général, et au Gabon en particulier ? Quelles sont les raisons de l’afflux des réfugiés congolais au Gabon ?

Cette partie, qui comporte trois chapitres, apporte des réponses à ces questions. Nous examinerons premièrement l’arrivée des réfugiés congolais au Gabon et la situation nouvelle qu’elle a engendrée dans leur accueil et leur gestion. Puis, nous replacerons ces déplacements des réfugiés congolais dans le contexte général des migrations au Gabon. Ensuite, nous nous pencherons sur l’évolution des réfugiés au Gabon depuis l’arrivée des enfants biafrais jusqu’à l’afflux des réfugiés congolais dans les années quatre-vingt-dix pour retracer la genèse de la politique d’asile au Gabon. Enfin, nous verrons comment s’est construite la notion d’asile pour parvenir à son utilisation actuelle. Cela permettra également de parler de l’encadrement des réfugiés au Gabon aussi bien sur le plan juridique que sur le plan des organismes de gestion des réfugiés.