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CHAPITRE 4 : LES REFUGIES DANS LES ZONES FRONTALIERES

2. Frontières et réfugiés en Afrique

Le HCR a prérogative de prendre en charge plusieurs catégories de gens cherchant une protection. En plus des exilés, victimes de déplacements souvent liés aux guerres, les réfugiés, il existe les « apatrides », les « déplacés » ou les « demandeurs d’asile ». Ces catégories juridiques sont définies par les Conventions internationales en fonction de la position géographique de la personne concernée. Cette section apporte une distinction sur les catégories de réfugié et de déplacé à partir de l’analyse de la frontière qui joue un rôle important dans l’attribut du statut de réfugié.

A. De citoyen à réfugié au-delà de la frontière étatique

Les guerres civiles et les crises humanitaires déclenchent des flux migratoires transfrontaliers massifs des populations. Ces mouvements transfrontaliers mettent en avant la frontière par le rôle qu’elle joue à l’attribution du statut de réfugié. Le troisième chapitre a

montré que la construction de l’asile moderne au XVIe siècle à l’époque de la constitution des monarchies entraînant le développement des frontières, a donné un cadre protecteur aux exilés. Le caractère inviolable des frontières affirmé et admis par tous a aidé les gens persécutés à trouver refuge dans un autre pays puisque l’asile hors de son pays est devenu le moyen le plus sûr d’échapper à une exaction dans son propre pays.

Dans le droit international, « la frontière politique (géographique) permet de

distinguer un réfugié d’un déplacé » (Cambrézy, 2001 : 136). La notion de réfugié est

fortement attachée à celle de frontière parce que tant qu’on n’a pas franchi la frontière, on n’est pas considéré comme réfugié mais plutôt comme déplacé. Rémy Bazenguissa-Ganga dit que « réfugiés et déplacés se distinguent en fonction du pays d’origine. Déplacés se rapporte

à la situation des personnes ayant subi une mobilité forcée à l’intérieur de leur propre pays (…). Par contre, les réfugiés traversent la frontière nationale pour se cacher à l’étranger »

(Bazenguissa-Ganga, 2004 : 258). Cette démarcation géographique montre que nommer le réfugié reste lié à la frontière. Le statut de réfugié, plus que la reconnaissance juridique, tient à la limite géographique du lieu où il vient chercher asile en considérant qu’asile et réfugié sont à la fois distincts et liés (Clochard, 2007). Raison pour laquelle il n’aurait pas été possible de ne prendre en compte dans cette étude que les réfugiés conventionnels congolais installés à Lébamba, parce que Lébamba leur offre tous l’asile puisque « l’asile est un espace, le réfugié

est une personne. Ce qui fait qu’un espace peut offrir un asile, provient de l’exclusivité de la compétence qu’y exerce un sujet et fait obstacle aux entreprises d’un autre sujet sur un ou plusieurs individus. (…). Le réfugié, quant à lui, est un individu qui, contraint de vivre en dehors de son Etat d’origine, n’est pas regardé dans l’Etat qui l’accueille comme un étranger ordinaire parce qu’il jouit d’un statut spécial, le « statut de réfugié » »121.

Le franchissement de la frontière par toute personne fuyant une guerre ou des persécutions de tout genre dans son pays l’établit comme réfugié, même si la loi ne lui accorde pas cette reconnaissance. Ainsi, même si pour le HCR et les autorités politiques, le statut de réfugié est un statut juridique, son attribution reste liée au franchissement de la frontière, donc dépend de la position géographique. Dans un des questionnaires, un réfugié, monsieur M., d’une trentaine d’année, n’ayant jamais été recensé comme réfugié conventionnel dit à ce propos ce qui suit : « Mais qu’est-ce que tu veux ? Lorsque je suis

venu, j’ai tellement subi des horreurs que je ne vois pas comment je pouvais partir m’inscrire au HCR. Quand tu vois dans les autres pays comment le HCR est complice avec le

gouvernement pour vous livrer aux miliciens. J’ai préféré me cacher. Beaucoup de gens pensaient que je vivais à Malinga depuis longtemps. C’est après que les gens ont su que je suis venu à cause de la guerre. Quand j’ai voulu partir pour m’inscrire au HCR parce qu’on disait qu’on allait installer les réfugiés aux Etats-Unis, je suis parti me faire recenser, mais on a refusé parce qu’on m’a dit qu’on ne prenait plus les gens qui sont venus après 2001. Mais moi je suis venu en 1999 et en plus c’est le mensonge parce que j’ai vu des personnes qui sont parties du Congo après 2001 qui ont le statut de réfugié. Mais ce n’est pas grave, je vis et c’est le plus important ».

L’exemple de monsieur M. montre que le statut de réfugié est loin d’être simplement un état juridique. Etant donné qu’il est bien parti du Congo pour fuir la guerre et se retrouve à Lébamba, il est réfugié, quand bien même à son arrivée, il n’a pas voulu se déclarer auprès des autorités. Les raisons qu’il évoque de n’être pas parti se déclarer dès son arrivée sont recevables. Chez plusieurs réfugiés, cette méfiance envers les agents du HCR est constamment présente. Pour plusieurs réfugiés, le HCR est un organisme au service des hommes politiques et même s’il leur est venu en aide, il reste aussi un moyen de contrôle à leur égard. De ce fait, il est mieux, pensent-ils, de se reconstruire et de s’insérer dans son espace d’accueil soi-même en se mettant en marge des circuits officiels. Si cette solution leur est peut-être convenable, il reste qu’elle soulève deux situations.

La première c’est que vivre dans la clandestinité ne leur garanti pas une protection, puisqu’ils sont dans l’illégalité, et qu’à la moindre difficulté, ils ne sont pas certains d’être secourus par les autorités. Un exemple le démontre. Un réfugié non reconnu par le HCR et la CNR avait adressé une demande d’aide au maire de la commune de Lébamba pour aller assister son frère qui devait subir une opération chirurgicale à Port-Gentil. Madame le maire lui a répondu négativement alors que dans le même temps, elle donnait de l’argent à un autre qui voulait compléter son fond de commerce. Cherchant à comprendre cette différence de traitement, elle avait alors expliqué qu’elle ne pouvait pas laisser le réfugié clandestin sortir de la ville parce qu’il pouvait être arrêté sur la route pour défaut de document de réfugié. Cet exemple montre deux choses. Premièrement, les autorités n’ignorent pas la présence des réfugiés clandestins dans leur ville mais la tolèrent parce qu’elles reconnaissent les motifs de leur présence et donc de fait leur statut spécial qui est celui de réfugié. Deuxièmement, elles admettent par la même occasion que cette tolérance est en réalité précaire parce qu’en dehors de leur ville ou face à une situation difficile, cette illégalité ne peut pas être défendue.

Le deuxième élément que soulève la clandestinité des réfugiés concerne leur suivi statistique. Etant donné que ces réfugiés clandestins ne sont recensés ni par le HCR, ni par la

CNR, il est alors évident que les chiffres sur les réfugiés que tiennent ces administrations sont loin de rendre compte de la réalité du nombre des réfugiés qui sont au Gabon. Cet état de fait pose, par voie de conséquence, des questions sur la gestion et l’évaluation des politiques de cette communauté puisque leur nombre est sous-évalué.

Pour revenir sur les notions de réfugiés et de déplacés, il faut dire que ces deux catégories servent à nommer le migrant forcé. Elles diffèrent par le caractère international du réfugié qui franchit la frontière internationale. En réalité, cette distinction soulève « la

question sous-jacente de la formation des Etats, de la légitimité du tracé des frontières (…). Plus fondamentalement, elle conduit à la problématique de la nation et de son enracinement dans une portion d’espace à la surface du globe » (Cambrézy, 2001 : 179) parce que

lorsqu’on parle de frontière internationale, quel maillage doit-on considérer pour définir le réfugié ? En Afrique, où les frontières ont été définies sans tenir compte des « blocs » ethniques et culturels, la frontière internationale doit-elle guider la démarcation entre réfugié et déplacé ? Entre un Nzèbi de Divenié au Congo, ayant franchi une frontière internationale en fuyant la guerre pour se rendre à Lébamba où il retrouve des gens partageant la même ethnie que lui, parfois des parents, et un autre qui se déplace dans le nord du Congo où il se retrouve au milieu des personnes d’autres ethnies, quelle différence d’accueil existera-t-il sur le terrain ? Mais, si le réfugié est celui qui a réussi à trouver refuge au-delà de la frontière de son pays, est-ce que la frontière est-elle véritablement un cadre de protection pour les réfugiés ?

Les différentes Conventions internationales reconnaissent à toute personne persécutée dans son pays le droit de trouver refuge dans un autre pays parce que le principe d’intangibilité des frontières se présente comme un gage de protection des réfugiés. La frontière devient alors une zone propice de refuge lors des guerres. Les exemples dans ce sens sont foisonnants mais nous citerons ici quelques uns. Le premier exemple dans ce sens est celui du Togo. Le 5 février 2005, le président Gnassingbé Eyadéma qui dirige ce pays depuis 38 ans meurt. Deux heures après sa mort, le général Zakari Nandja, chef d’Etat-major de l’armée annonce la nomination à la présidence du fils du président défunt, Faure Gnassingbé122 alors que la constitution prévoit que c’est le président de l’Assemblée nationale qui doit assurer la transition123. Cette nomination engendre une crise politique. Des manifestations naissent, opposant l’armée à une partie de la population. Les représailles des militaires conduisent un grand nombre de Togolais à fuir le pays pour se réfugier chez le

voisin béninois. Au Tchad, les attaques récurrentes des rebelles voulant chasser Idriss Déby du pouvoir poussent des milliers de personnes à partir hors des limites nationales. Ainsi, les images des populations tchadiennes s’agglutinant au nord du Cameroun sont constamment diffusées. C’est par cette même logique que les réfugiés congolais se sont déplacés massivement sur le territoire gabonais et vers celui de la RDC. Mais si la RDC a reçu plusieurs réfugiés du Congo-Brazzaville, le Gabon s’est présenté comme une solution propice de refuge pour bon nombre d’entre eux dans la mesure où la situation politique également instable en RDC ne suscitait pas la sérénité.

Toutefois, si incontestablement la frontière est un outil essentiel de protection des réfugiés, elle ne le demeure pas toujours. La dimension géopolitique de la question des réfugiés pose parfois la frontière comme un élément de leur fragilité. Le réfugié se retrouvant parfois au cœur des enjeux de relations internationales entre les Etats dont ils sont issus et ceux qui les accueillent parce que « la dimension géopolitique est inhérente à la question des

réfugiés » (Pourtier, 2006 : 61). Cependant, même si quelques exemples peuvent permettre de

douter de l’efficacité de la protection apportée aux réfugiés grâce au franchissement de la frontière, ils ne remettent pas en cause fondamentalement le fait que la frontière soit protectrice pour les réfugiés. C’est pour cette raison que les réfugiés congolais sont venus au Gabon pour fuir la guerre dans leur pays. Mais, comment a été gérée la frontière gabonaise avec le Congo lors de l’arrivée massive des réfugiés congolais ? Quelles mesures ont été prises pour assurer sa sécurité ?

B. Les réfugiés en zone frontalière et la question de la menace subversive et de la sécurité nationale des Etats

La Convention de l’OUA sur les réfugiés en son article 3 et en son alinéa 2 stipule que

« les Etats signataires s’engagent à interdire aux réfugiés établis sur leur territoire respectif d’attaquer un quelconque Etat membre de l’OUA par toutes activités qui soient de nature à faire naître une tension entre les Etats membres, et notamment, par les armes, la voie de la presse écrite et radiodiffusée ». Pour Williams Nyama, « le droit d’asile africain, en introduisant des considérations politiques dans la prise en charge des réfugiés africains, a de

facto imposé une distinction au sein de cette catégorie d’individus. Une différenciation qui a

isolé deux types de réfugiés : les normaux qui doivent être protégés, et les subversifs déclarés comme danger public » (Nyama, 2005 : 95). Mais, qu’est-ce que la subversion ?

Le Robert définit la subversion comme étant toute « action subversive » et l’adjectif

subversif renvoie à ce « qui renverse ou menace de renverser l’ordre établi, les valeurs

reçues ». Le dictionnaire de terminologie en droit international de Michel Ndoh nomme la

subversion « comme étant le renversement de l’ordre politique, juridique et social d’un Etat,

orchestré de l’extérieur ou de l’intérieur en s’appuyant sur des groupes d’individus nationaux ou étrangers à l’Etat »124. Ces deux définitions ont en commun de noter que la subversion est

d’abord un acte de déstabilisation d’un ordre établi qui est perpétré par un individu ou un groupe d’individus qui ne respectent pas la légalité mais se servent d’autres moyens pour renverser un pouvoir en place pour ce qui est d’un Etat. C’est cet acte de renversement des pouvoirs en place que l’article 3 de la Convention de l’OUA veut prévenir en interdisant toute activité subversive et appelle « tout réfugié (…) [à] s’abstenir de tous agissements

subversifs ». Il n’est pas inutile de préciser ici que la Convention de l’OUA n’interdit pas

l’asile aux réfugiés subversifs, mais ce n’est que l’activité subversive qui est frappée du coup de l’interdiction. Le Gabon aurait-il pu devenir le centre de perpétuation d’activités subversives envers le nouveau pouvoir de Denis Sassou-Nguesso au Congo ?

Un adage bien connu en Afrique dit que « lorsque le feu brûle dans la maison du

voisin, il vaut mieux l’aider à l’éteindre avant qu’il n’arrive chez toi ». C’est en prenant en

compte cette philosophie qu’Omar Bongo a toujours justifié son activisme dans la médiation et l’apaisement des conflits en Afrique. L’instabilité du voisin congolais ne pouvait donc laisser les autorités gabonaises sans réaction. Les autorités politico-administratives et militaires gabonaises décident donc, dès le début des arrivées massives des populations gabonaises au Gabon, de mettre en place l’opération « Koubia ». Cette opération, comme l’a dit un gendarme à Lébamba, ayant requis l’anonymat, n’avait pour but que de sécuriser la frontière gabonaise. Il le dit en ces termes : « Tu sais, le rôle premier des autorités et des

forces de défense c’est d’assurer la sécurité des populations. Il est impératif que les forces de défense soient toujours en alerte en permanence et en alerte maximum quand cela le recommande. Depuis que je suis dans la gendarmerie, l’arrivée des réfugiés congolais a été une période de tension pour nous. Personnellement, je travaillais dans le Haut-Ogooué à cette époque, mais je ne dormais plus à la maison, mes enfants ne me voyaient que par période parce qu’il fallait faire son métier de militaire. « Koubia » n’était rien d’autre que la sécurité du territoire, raison d’être de tous les militaires, de tous les corps habillés. Mes collègues de l’armée nous disaient qu’ils avaient clairement reçu les instructions de trier les

réfugiés qui rentraient, pour ne pas se retrouver envahis par des combattants. Aussi, ils fouillaient les gens pour voir s’il n’y avait pas des armes qui rentraient. Fallait pas s’immiscer dans les affaires des autres et fallait pas qu’ils viennent préparer la riposte chez nous ».

Ce passage soulève quelques commentaires. Le premier concerne la question de la gestion des frontières. La surveillance de la frontière fait partie des missions de tout Etat. Il est de ce fait nécessaire lors d’un flux important de personnes qui entrent sur le territoire de mettre en place des opérations spéciales pour le sécuriser. Cependant, ces opérations mettent en évidence la difficulté de contrôle de ces frontières par les autorités gabonaises. La faiblesse des effectifs militaires de contrôle des frontières met en exergue les limites de cette surveillance. Les opérations ponctuelles ne permettent pas d’avoir une observation suivie des mouvements de populations au niveau des frontières terrestres gabonaises. Concernant la sécurité, il est alors difficile pour les quelques gendarmes et militaires affectés dans les postes de contrôle frontalier d’assurer une surveillance générale de leurs zones. La sécurisation des frontières qui relève de l’action militaire pourrait peut-être intégrer les rapports sociaux que les militaires peuvent développer avec leurs collègues des autres pays et les populations qui vivent dans ces zones frontalières.

Après la période de cette arrivée massive, il a été instauré l’opération « Koubia 2 » qui consiste à envoyer de façon rotative à la frontière pour deux semaines les militaires. La gendarmerie a, quant à elle, des brigades aux frontières. Il est possible de relever pour ce fonctionnement que dans le premier cas, deux semaines ne suffisent pas pour créer le véritable lien social et que dans le second, l’effectif des gendarmes dans ces brigades est faible. Les dérapages connus au cours de cette opération « Koubia », à l’instar de celui subi par cette réfugiée, le montrent : « Lorsque je suis arrivée à la frontière, les militaires de « Koubia »

étaient là. Ils fouillaient les gens et nous empêchaient de passer. Il fallait négocier avec eux. Il y a des gens qui donnaient de l’argent qui passaient ou bien des femmes qui couchaient avec les militaires pour passer. Mais il y a aussi des gens qui vivaient à la frontière qui connaissaient les gendarmes ou les Gabonais, on les laissait passer aussi. Mais vraiment, certains militaires étaient méchants, ils faisaient des choses horribles que je ne peux même pas te dire. Ce que j’ai vécu moi-même pour passer a été terrible ». Loin d’affirmer que si les

militaires connaissaient mieux la vie à la frontière, ces dérapages n’existeraient plus, il semble qu’ils pourraient être moindres.

Le deuxième commentaire sur les propos du gendarme concerne les combattants que les militaires avaient reçu l’ordre de trier. Comment auraient-ils fait pour savoir au sein des

réfugiés lesquels avaient été combattants ? Et même, est-il envisageable pour des gens qui fuient la guerre de choisir quelle vie faut-il sauver ? Il serait peut-être intéressant maintenant de savoir le pourcentage des combattants que les militaires ont repoussé et les méthodes employées pour y parvenir. Toujours est-il que certains combattants sont bien rentrés au Gabon et leur gestion a été au centre des questions des réfugiés congolais au Gabon. Le quotidien L’Union du 7 mars 2001 annonçait un recensement d’environ 200 ex-militaires congolais recensés. Cette catégorie de réfugiés était sommée de rentrer au Congo par le ministre gabonais de l’intérieur de l’époque qui déclarait : « Que ceux qui ne désirent pas

repartir dans leur pays sachent dès à présent qu’ils ont obligation de trouver un autre pays d’accueil ». Quelques jours plus tard, dans le numéro de L’Union du 15 mars, il justifiait cette

décision en affirmant que : « Notre pays ne peut pas accepter aussi longtemps la présence

d’autant de militaires étrangers sur son sol ». Lorsque le ministre demandait aux réfugiés ex-