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146 Table des matières

V. 2.2 Microstructure/architecture et propriétés mécaniques macroscopiques 2.2.1 Préambule

Le phénomène de plasticité, comme on l’a vu au chapitre I, est le résultat de la propagation et/ou de la multiplication des dislocations sous l’effet de contrainte. La limite d’élasticité d’un matériau parfait (absence de défauts et de sources de défauts) devrait donc, sous l’effet d’une contrainte externe, atteindre la valeur théorique prédite pour la limite d’élasticité. La notion de matériau parfait est plutôt idéaliste, car les matériaux utilisés dans les systèmes sont fabriqués et la plupart des techniques de fabrication induisent des modifications microstructurales qui vont impacter les propriétés macroscopiques de la pièce finale. Ces modifications ne sont pas toujours néfastes ; certaines d’entre elles sont souvent recherchées pour l’optimisation de propriétés de la pièce. Par exemple, la création d’obstacles au mouvement des dislocations permet de retarder l’écoulement plastique du matériau et donc, d’augmenter sa limite d’élasticité. Par analogie au libre parcours moyen électronique on peut définir le libre parcours moyen L, lié au mouvement des dislocations (L est alors la distance que doit parcourir une dislocation de longueur unitaire pour introduire une longueur unitaire supplémentaire de dislocation dans le cristal). Ce libre parcours moyen des dislocations est défini par (selon Gil Sevillano,rapportée dans [1]) :

𝐋 = 𝛂𝟐 𝐛𝛍𝟐

𝟐𝛉𝟎𝛕 (1)

où b est le module du vecteur de Burgers de la dislocation ; μ est le module de cisaillement du matériau ; 0 est le durcissement𝑑𝜏

𝑑𝛾 ; est la contrainte de cisaillement résolue dans le plan de glissement des dislocations ; la constante est égale à 0.35.

Dans la référence [1], on retrouve les valeurs des paramètres de la relation (1) ci-dessous pour du cuivre et du niobium très déformés (stade IV de la déformation plastique : voir § II.3.1 chapitre II). A ce stade de la déformation, le réseau de dislocations s’organise en structure stable caractérisée par des cellules dont les parois ont des tailles de l’ordre de 10ℓ, ℓ étant la distance moyenne entre dislocation [1].

𝛉𝟎𝐈𝐕/ 𝛍 𝛕𝐈𝐕/ 𝛍 b (nm) L (µm) ℓ=1/√𝛃 (nm)

Cu 4x10-4 2,5x10-33,6 x10-3 0,256 1116 2536

Nb 5x10-4 3x10-410-2 0,286 3,512 1034

Tableau V. 1 : Ordre de grandeur du libre parcours moyen L des dislocations et leur distance moyenne ℓ dans le cuivre et le niobium au stade VI de la déformation à 300K [1]. 𝛃 est la densité de dislocations présente dans la microstructure.

Dans [1], le libre parcours moyen L des dislocations a été comparé aux dimensions microstructurales di des matériaux i pour prédire le comportement mécanique de ces derniers :  si di est très supérieur à L, le comportement de chaque phase est celui d’un matériau massif ; les

mécanismes de la déformation sont classiques. Le composite composé des i matériaux est décrit par la loi des mélanges classique (Rule of Mixture, ROM).

 si di est compris entre 10ℓ et L, l’interaction entre les dislocations et les interfaces intervient, entraînant un stockage des dislocations aux interfaces aussi important que celui ayant lieu dans le volume.

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 si di est inférieur à 10ℓ, l’effet des interfaces devient prépondérant, les dislocations ressentent essentiellement ces dernières. Il y a alors un effet de taille : le stockage de dislocations dans le volume décroît fortement jusqu’à devenir théoriquement impossible dans le cas limite où di est inférieur à ℓ.

Ces hypothèses seront utilisées dans la discussion autour des résultats des essais de traction uniaxiale des conducteurs micro-et (nano)-composites Cu/Nb-F.

V.2.2.2- Résultats

L’évolution de la contrainte maximale de traction (UTS) en fonction du diamètre des échantillons (N = 852 et N = 853) est présentée à la figure 5.4. La figure 5.4a présente les résultats des essais à 293K et ceux réalisés à 77K sont présentés sur la figure 5.4b. L’erreur sur les résultats se situe autour de 5%. Pour un composite Cu/35%vol. Nb écroui, la loi des mélanges classique (ROM) prévoit une valeur de 780MPa à 293K. On observe déjà un écart relatif de l’ordre de 3% entre l’UTS de l’échantillon de diamètre 1,023mm et la valeur prédite par la loi des mélanges ; cet écart atteint plus de 20% pour l’échantillon de diamètre 0,547mm. La valeur de contrainte supérieure des micro-et (nano)-composites Cu/Nb par rapport aux prédictions de la loi des mélanges pour des composites écrouis s’interprète par la présence d’un effet de taille associé à la réduction de la microstructure.

Une comparaison rapide des résultats à 293K (figure 5.4a) et à 77K (figure 5.4b) met en évidence, pour des diamètres équivalents, des valeurs d’UTS plus élevées à 77K. Cette augmentation de l’UTS est probablement due à l’augmentation du frottement de réseau dans les renforts de Nb (structure CC) à basse température. On observe aussi, pour les deux types d’essais, une rupture de pente lorsque le diamètre des fils est d’environ 1mm (frontière des domaines I et II). Pour les échantillons de l’étage n = 852 et dans tous les fils de diamètre supérieur 1mm environ (domaine I sur les graphes), les renforts de Nb et les différents canaux de cuivre ont plutôt des dimensions supérieures ou proches de celle du libre parcours moyen L des dislocations (LCu = [11µm – 16µm] et LNb = [3,5 µm – 12µm]). On s’attend donc, pour ces conducteurs, à un comportement similaire à celui d’un matériau massif écroui : le domaine I présente bien un UTS constant, indépendant du diamètre du fil (et donc de la taille de la microstructure). En revanche, pour les diamètres en dessous de 1mm, correspondant au domaine II, les renforts de niobium ont des dimensions comprises entre L et 10ℓ (ℓNb = [10nm – 34nm]) et les diamètres les plus fins ont des canaux de cuivre (Cu-0 et Cu-1) de dimensions inférieures à L, voire même des dimensions inférieures ou proches de 10ℓ. Le changement de pente traduisant l’augmentation des valeurs d’UTS pour les diamètres en dessous de 1mm peut être attribué à une combinaison d’un effet d’écrouissage et d’un début d’effet de taille.

Concernant les échantillons de l’étage n = 853, on remarque une augmentation modérée des valeurs de l’UTS dès le domaine I (dfil˃ 1mm). En effet, pour ces échantillons, tous les filaments de niobium ont des dimensions inférieures au libre parcours moyen des dislocations (voir tableau II.2, chapitre II). Cette augmentation modérée de l’UTS dans le domaine I peut être en partie attribuée au stockage des dislocations aux interfaces Cu-Nb. On note aussi une plus faible valeur

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d’UTS pour l’échantillon de diamètre 2mm par rapport à celui de l’étage n = 852, au même diamètre. Cette diminution, en dépit de la microstructure plus fine de l’échantillon N = 853, semble provenir de la contribution des 10% de cuivre en plus de l’échantillon N = 853 (55% de Cu dans les N = 852 et 65% Cu dans les N = 853). L’augmentation de l’UTS dans le domaine II est la signature d’un effet de taille accru puisque, dans ce domaine, en plus des dimensions sub- micrométriques/nanométriques des renforts de Nb, tous les canaux de cuivre Cu-0 sont de taille nanométrique, dont une majorité est inférieure à 10ℓ. Cet effet de taille prononcé explique que la pente du domaine II observée pour les échantillons N = 853 soit supérieure à celle du domaine II associé aux échantillons N = 852.

Figure 5. 4 : Contrainte maximale de traction des conducteurs Cu/Nb-F en fonction du diamètre des fils. (a) essais à 293K, (b) essais à 293K. Les lignes pointillées marquent les changements de pente et la ligne continue verticale sépare les deux domaines.

De façon similaire à ce qui a été fait à la section II.10 du chapitre II, pour rendre compte de l’effet de taille pouvant apparaître dans les échantillons de l’étage n = 853, nous allons négliger la

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contribution de la matrice de cuivre dans les propriétés mécaniques des composites Cu/Nb-F. Cette hypothèse a en effet déjà été proposée par F. Dupouy-Lecouturier et lui a permis de mettre en évidence le comportement whiskers des filaments de niobium pour des taux de déformation correspondant au stade IV de la déformation [4] ; la plasticité est supposée contrôlée par la nucléation de nouvelles dislocations. Elle a alors proposé un modèle (voir équation 2) permettant de dissocier les contributions de l’écrouissage et de l’effet de taille dans les nanocomposites Cu/Nb.

𝝈(𝑵𝒃) = 𝑼𝑻𝑺(𝑪𝒖 𝑵𝒃⁄ ) − 𝝈é𝒄𝒓𝒐𝒖𝒊−𝑹𝑶𝑴 (2)

Les valeurs de cette équation, tracées en fonction du diamètre des filaments de niobium, a mis en évidence une dépendance exponentielle de la contrainte des filaments en fonction de leur diamètre. L’interpolation empirique des courbes par F. Dupouy dans [4] a donné l’équation suivante à 300K ;

𝐔𝐓𝐒(𝐍𝐛) = 𝟏𝟗𝟕𝟎 + 𝟔𝟔𝟖𝟎 𝐞𝐱𝐩(− 𝐝𝐍𝐛𝟏𝟏𝟏) (3)

UTS (Nb) étant en MPa et dNb en nm.

Lorsque le diamètre des filaments tend vers zéro, l’équation (3) donne une valeur de 8650MPa à 300K pour σ (Nb). Cette valeur correspond à une contrainte de cisaillement résolue de μ/11, dans les filaments de niobium texturés <110> [1]. Le terme constant de l’équation (3) doit correspondre à l’UTS du niobium massif écroui, soit 1400MPa. D’après [1], l’écart observé entre cette constante et l’UTS du niobium écroui s’explique par la non prise en compte par le modèle de la contribution des canaux fin de cuivre fins dans le durcissement mécanique des Cu/Nb. Une loi des mélanges modifiée (MROM), prenant en compte la contribution des canaux de cuivre fins, a alors été établie durant les travaux de thèse de L. Thilly [1].

Ce modèle, utilisé avec succès, a permis d’établir la relation empirique ci-dessous traduisant la dépendance exponentielle de σ(Nb) en fonction de dNb.

𝐔𝐓𝐒(𝐍𝐛) = 𝟏𝟑𝟑𝟎 + 𝟔𝟏𝟎𝟎 𝐞𝐱𝐩(− 𝐝𝐍𝐛𝟏𝟏𝟎) (4)

La figure 5.5 présente l’évolution de l’UTS des filaments de niobium en fonction de leur diamètre pour les échantillons de l’étage n =853. Ces résultats sont extrapolés en utilisant l’équation (2) qui découle de la loi des mélanges ne prenant pas en compte la contribution des canaux de cuivre fin. On retrouve, à partir des filaments de diamètre d’environ 600nm, la dépendance exponentielle de l’UTS des filaments en fonction de dNb qui témoigne du caractère whiskers des renforts de niobium, aux très forts taux de déformation. La contribution des filaments de niobium au durcissement mécanique des Cu/Nb est sans doute surestimée par ce modèle. Mais, il permet de mettre en évidence l’effet de taille qui apparait lorsque le diamètre des filaments de niobium devient sub-micrométrique. La comparaison des valeurs extrapolées d’après l’équation (2) avec la simulation à partir de l’équation (4) présentée à la figure 5.6 confirme bien l’hypothèse de la surestimation de la contrainte des filaments en négligeant la contribution des canaux de cuivre fin. En effet, les données extrapolées et simulées sont en bon accord pour les filaments micrométriques.

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En revanche, on observe un écart entre les valeurs simulées et extrapolées pour les filaments de diamètre sub-micrométrique.

Figure 5. 5 : Evolution de la contrainte maximale des filaments de niobium, extrapolée d’après l’équation (2), en fonction de leur diamètre pour les échantillons de l’étage n = 853.

Figure 5. 6 : Comparaison de l’évolution des UTS, à 293K, des filaments de Nb extrapolées (sans prise en compte de la contribution des canaux de cuivre fin, d’après l’équation (2)) et simulées avec le modèle de l’équation 4 qui tient compte de la contribution des canaux fins de cuivre.

En plus des données UTS, l’analyse des courbes de traction nous a permis de déduire la limite d’élasticité macroscopique, en appliquant le critère E/3 défini dans [5] (où E représente le module d’Young du composite). La figure 5.7 présente simultanément les évolutions de l’UTS et celles de la contrainte macro-plastique (σM), en fonction du diamètre des fils. Les courbes UTS et σM ontdes évolutions similaires en fonction du diamètre des fils. Par ailleurs, la contrainte macro- plastique et l’UTS ont, pour un même diamètre, des valeurs très proches, signe que le domaine

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plastique est relativement restreint. Cette observation est assez classique pour des matériaux très écrouis.

Figure 5. 7 : Comparaison de l’évolution de la contrainte macroplastique (σ

M) et de l’UTS en fonction du diamètre des fils : (a) N =

852 et (b) N = 853