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146 Table des matières

V. 2.3 Microstructure/Architecture et propriétés mécaniques « locales »

Les micro- et (nano)-composites Cu/Nb-F, comme nous l’avons vu au chapitre III, sont constitués d’une double texture <111> et <100> pour la matrice multi-échelle de cuivre et d’une texture unique <110> pour les renforts de niobium. Les analyses locales de la texture par EBSD ont mis en évidence une variation des proportions des composantes du cuivre en fonction de l’étage considéré. Nous avons aussi observé un comportement mécanique qui évolue en fonction de l’étage

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pour la famille {200} du cuivre à travers les résultats des essais de déformation in-situ présentés au chapitre IV. Dans cette section, nous allons discuter essentiellement de cette différence de comportement mécanique de la famille {200} du cuivre en essayant d’établir le lien avec la microstructure, par le biais des analyses locales de la texture.

Le tableau V.2 présente un résumé des analyses locales de la texture. Ces figures de pôles inverses ont été obtenues par des scans sur la section transverse des fils ; on y retrouve notamment l’inversion des fractions volumiques entre les canaux Cu-0/852 et Cu-0/853.

Tableau V. 2 : Résumé des résultats des analyses de la texture locale des conducteurs Cu/Nb-F par EBSD.

La figure 5.8 regroupe les principaux résultats des essais de déformation in-situ couplés à la diffraction des neutrons et des rayons X (rayonnement synchrotron).

Pour les trois échantillons testés, le niobium reste purement élastique ; ce résultat est en très bon accord avec les précédents essais de déformation in-situ réalisés sur les conducteurs Cu/Nb [5 - 7] au cours desquels le niobium a toujours été observé comme restant dans le domaine élastique malgré les transferts de charge qu’il subit, la matrice de cuivre entrant progressivement dans le régime plastique. Il est aussi intéressant de noter que cette observation est compatible avec les niveaux de limite d’élasticité obtenus par extrapolation pour le Nb, dans la section précédente (paragraphe V.2.2.2) : en effet, les figures 5.5 et 5.6 montrent que les filaments de Nb présentent une contrainte maximale de 1400MPa dans l’état « massif », cette contrainte augmentant jusqu’à 1600MPa/2000MPa pour les filaments les plus fins (extrapolation prenant en compte, ou pas, la contribution des canaux de cuivre fins). Ces niveaux de contrainte n’étant vraisemblablement pas

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atteints dans le Nb durant les essais in-situ (même avec transfert de charge depuis la matrice), il semble normal que les renforts restent dans le régime élastique.

Pour la matrice de cuivre, la famille {111} met en évidence un comportement élasto- plastique avec une transition vers 450-500MPa, quel que soit l’échantillon. En revanche, la famille {200} a un comportement qui évolue en fonction de l’étage : elle a un comportement élasto- plastique dans l’échantillon N = 852 et un comportement purement élastique dans les échantillons N = 853 (d= 2mm et d = 0,3mm). Rappelons que le domaine labellisé « II » dans la figure 5.8 (d), et observé sur les courbes correspondant à la famille {200}, se réfère au domaine élastique, l’accroissement de pente étant provoqué par un transfert de charge des zones plastifiées vers les zones élastiques (voir § IV.6.2 du chapitre IV). Nous allons nous concentrer par la suite uniquement sur cette famille car elle seule a un comportement mécanique qui varie avec les échantillons. Notons, cependant, que la plastification de la famille {111} avant la famille {200}, pour l’échantillon N = 852, en dépit d’un facteur de Schmid plus élevé pour cette dernière (m

{111}≈ 0,27 et m{200}≈ 0,4), s’explique par le fait que les composites filamentaires Cu/Nb se déforment en mode « iso-déformation » : la déformation totale appliquée au fil global est identique à celle appliquée à chaque phase, les phases se déformant en parallèle. Cette hypothèse, comme nous le verrons par la suite, a été vérifiée par la modélisation du comportement mécanique par Tang Gu. La conséquence de ce mode « iso-déformation » est que, pour une même déformation élastique imposée, la famille {111} atteint rapidement une contrainte élevée puisque son module élastique est 2,865 fois plus élevé que celui de la famille {200} (E111 = 192GPa, E200 = 67GPa) : ce rapport 2,865 sur les modules d’Young ne peut être compensé par le rapport 1/1,48 = 0,675 sur les facteurs de Schmid. Tout autre paramètre étant par ailleurs identique, il est donc logique que la famille {111} plastifie avant la famille {200}, en mode « iso-déformation ».

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Figure 5. 8 : Résultats des essais de déformation in-situ couplée à la diffraction des neutrons et des rayons X. Ces résultats concernent uniquement les familles de plans perpendiculaires à l’axe de traction des fils et correspondant aux 3 composantes majoritaires de texture dans les Cu/Nb. (a) et (b) diffraction des neutrons pour N = 852 et 853/d=2mm, (c)  diffraction des rayons X

pour N = 853/d=0,3mm, (d) familles (200) des deux échantillons au diamètre 2mm.

Nous avons vu, à travers les analyses locales de la texture, que la composante <100> des canaux Cu-0 évoluait avec le nombre de cycles ADB. Nous allons, dans cette section, essayer d’établir le lien entre les différences de comportement mécanique de cette famille {200} et les variations microstructurales des différents échantillons. La figure 5.9 (a) et (b) présente un résumé des résultats EBSD pour les canaux Cu-0/852 et Cu-0/853. Les courbes de déformation in-situ couplée à la diffraction des neutrons de la famille {200} du cuivre des échantillons (diamètre 2 mm) N = 852 et N = 853 sont reportées en figure 5.9 (c).

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Figure 5. 9 : Résumé des résultats EBSD des canaux Cu-0 : (a) échantillon N = 852 ; (b) échantillon N = 853. En (c), déformation élastique en fonction de la contrainte appliquée des échantillons N = 852 et N = 853. Pour une meilleure visualisation des différents

domaines, la courbe correspondant à l’échantillon N = 853a été volontairement décalée de 0,5% sur l’axe des déformations.

Comme mentionné précédemment, le retard affiché par la famille {200} à atteindre le régime plastique, par rapport à la famille {111}, dans l’échantillon N = 852, s’explique par le mode « iso-déformation » dans lequel se déforme les fils. Cependant la différence de comportement de la famille {200} dans les deux échantillons N=852 et N=853 doit provenir d’une différence microstructurale. Pour rappel, les résultats EBSD de la figure 5.9 (a) et (b) ont mis en évidence une inversion de la fraction volumique de grains texturés <100> dans les canaux Cu-0 de l’échantillon N = 853 (72% de <100>) par rapport à l’échantillon N = 852 (30% de <100>). Ainsi, lors de la déformation in-situ de l’échantillon N=852, les neutrons qui diffractent sur les plans {200} sondent indistinctement les grains texturés <100> dans tous les canaux de cuivre. Dans cet échantillon, tous les canaux de cuivre peuvent être considérés comme « larges » : la famille {200} présente donc un comportement élasto-plastique « classique ». En revanche, dans l’échantillon N=853, les grains texturés <100> sondés par les neutrons proviennent majoritairement des canaux Cu-0 : ces grains sont beaucoup plus petits que dans l’échantillon précédent (taille moyenne de 0.5µm, contre 3µm dans le cas N=852, cf figure 5.9) ; ils peuvent donc être considérés comme « fins » et vont donc présenter une limite d’élasticité augmentée. Le résultat est alors qu’un effet de taille vient s’ajouter au retard à atteindre le régime plastique. Cet effet de taille est encore plus flagrant dans l’échantillon N = 853 de diamètre 0,3mm, testé en déformation in-situ sous rayonnement

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synchrotron (voir figure 5.8 (c)) : la famille {200} reste élastique jusqu’à la contrainte macroscopique de 1100MPa

Revenons quelques instants sur l’inversion de texture observée dans les canaux Cu-0 de l’échantillon N=853: l’augmentation de la fraction volumique de la composante de recristallisation <100> des canaux Cu-0/853 peut être attribuée au même phénomène de « recristallisation confinée », tel qu’observé dans les composites Cu/Nb multicouches fabriqués par ARB [8] (cf. § I.5 chapitre I). Sur la figure 5.9 (b), on peut remarquer que les canaux Cu-0/853, de largeur théorique d’environ 400nm, contiennent un ou deux grains. Ces grains qui étaient majoritairement orientés <111> à l’étage n = 852, se sont réorientés selon la direction <100>, par recristallisation lors de l’étape d’extrusion à chaud permettant le passage à l’étage n = 853. Les étapes d’étirage à froid ayant suivi cette extrusion à chaud n’ont pas pu transformer toute la texture de recristallisation <100> en texture de déformation <111>, car ces grains sub-micrométriques sont géométriquement confinés entre les renforts de niobium. La présence des interfaces Cu-Nb empêche ces grains d’évoluer vers la texture de déformation <111>, classiquement observée dans les autres canaux de la matrice et dans les canaux Cu-0 des étages précédents : la texture <100> est stabilisée dans les canaux fins Cu-0. Nous trouvons là un effet indirect de l’architecture.

Rajoutons qu’un autre paramètre, qui pourrait apporter une contribution au durcissement mécanique de la famille {200}, est la mise en place d’interfaces spécifiques Cu-Nb observées sur les cartographies EBSD des coupes longitudinales de l’échantillon N = 853 (figure 3.30 § 5.5.3 chapitre III). Ces interfaces spécifiques peuvent potentiellement modifier localement les propriétés de co-déformation des zones Cu-Nb, comme observé dans les composites multicouches Cu/Nb fabriqués par ARB [9 - 11]. Une étude plus poussée des interfaces est cependant nécessaire pour étudier plus précisément cet effet dans les fils Cu/Nb-F.

V.3- Confrontation expériences/simulation

D’une manière générale, les matériaux polycristallins présentent des hétérogénéités qui peuvent se manifester depuis l’échelle du grain jusqu’à l’échelle de la pièce complète. Dans le cas des conducteurs Cu/Nb, comme nous l’avons vu tout au long de ce mémoire, ces hétérogénéités s’accentuent du fait même du caractère cyclique de la technique de fabrication ADB : en plus de la microstructure de chacune des phases, l’architecture (l’agencement des phases) est un paramètre important. Modéliser les propriétés de tels matériaux nécessite donc des modèles qui peuvent prendre en compte les différentes hétérogénéités microstructurales et l’architecture des phases en présence. Dans le cadre des travaux de thèse effectués par Tang Gu sur la simulation des micro-et nano-composites Cu-Nb-F, deux approches sont utilisées : une approche dite « champ moyen » et une autre dite « champ complet ». Dans cette partie, consacrée à la synergie entre les résultats expérimentaux et les simulations, nous allons présenter succinctement ces deux approches avant d’entamer la confrontation expériences/simulations.