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Chapitre II. – Les critères d’inscription au compo

2. L’élaboration de la table d’estimation et les mesures utilisées

2.2. La mesure du finage

Parallèlement à l’estimation des terres du finage en degrés d’allivrement, l’arpentage est conduit selon l’usage du lieu en utilisant l’arpent et ses subdivisions – séterée, mesure et boisseau. Bien que la table d’estimation de 1661 prescrive d’employer l’arpent selon la coutume de Montesquieu420, les superficies des biens fonciers recensés dans le finage sont indiquées en

séterées. La séterée, qui représente un tiers d’arpent, est subdivisée en 8 mesures et 32 boiseaux. Elle se définit originellement comme la surface sur laquelle peut être semée un setier421. Il s’agit

donc d’une mesure concrète articulée à une mesure abstraite, l’arpent, ce qui paraît difficilement conciliable à moins d’admettre que les contemporains cherchaient plus à évaluer l’importance que

419 Sur la hiérarchie des biens inscrits au compoix, cf Chapitre III. 2. Le finage.

420 « De plus, ledit Sr d’Escat a dit que les degrés du fonds des vignes seront estimés : le premier à trente-deux

florins, le second à vingt-quatre florins, le troisième à seize florins, le quatrième à huit florins, le cinquième à six florins et dernier à quatre florins l’arpent, et quant aux degrés du reste du fonds, le premier sera estimé à vingt-quatre florins l’arpent, le second à vingt florins, le troisième seize florins, le quatrième douze florins, le cinquième huit florins, le sixième quatre florins, le septième à trois florins et le huitième et dernier à deux florins l’arpent, et les jardins de l’île de la Mole et ceux de dehors la Porte Neuve seront à quatre florins le loc » (c’est nous qui soulignons).

421 Mireille Mousnier cite l’exemple de la charte de coutumes d’Escazeaux, où la perche, mesure de côté, est « établie à partir de la séterée semée par un paysan assermenté. Cette notation rend vraisemblablement compte de la manière de procéder pour les surfaces évaluées en mesures de grains, et la pratique risque d’en avoir été très largement répandue, quoique de manière silencieuse dans la documentation » (« Mesurer les terres au Moyen Âge. Le cas de la France méridionale », Histoire et Sociétés rurales, 2004, p. 51).

la surface d’un bien. Ils pouvaient dès lors se contenter d’approximations et « avaient une connaissance intuitive des mesures de leur temps dans le petit espace qui les concernait en dépit de leur complexité »422.

La valeur mathématique de l’arpent utilisé à Montesquieu n’est d’ailleurs explicitée que tardivement, au XVIIIe siècle, à partir de mesures de second degré, le progrès des conceptions

mathématiques autorisant alors le passage à l’utilisation de mesures au carré : en 1744, une enquête de l’intendance diffusée à toutes les communautés du diocèse de Rieux consacre une question au système métrologique. Ainsi apprend-on qu’à Montesquieu-Volvestre, « l’arpent de terre est composé de 576 petites perches, qui font 144 perches carrées, la perche est composée de sept pans »423. Cette mesure paraît être largement utilisée dans le diocèse civil de Rieux424 : il était

d’usage de donner à une bastide nouvellement créée les mesures de la ville voisine425, et celles de

Rieux ont pu servir de modèle à Montesquieu. La formulation de la valeur de l’arpent en perches carrées est à ce moment-là relativement récente : en 1734, le subdélégué qui enquête sur les compoix et brevettes du diocèse de Rieux ne parvient pas le plus souvent à obtenir de réponse satisfaisante sur ce point. Cette équivalence est-elle réellement conforme à la coutume ? Cédric Lavigne a montré que, dans le cas des bastides du Midi aquitain, l’identification de la valeur de la perche médiévale d’après les tables de conversion de la fin du XVIIIe siècle est impossible426. En

1661, une délibération consulaire ordonne à l’arpenteur de prendre la « mesure à quatre pans »427

alors que l’enquête de 1744 fonde le calcul de l’arpent sur une perche composée de sept pans. L’administration royale marque sa préférence pour les mesures au carré qui, comme l’écrit Pierre Charbonnier, « offraient notamment un dénominateur commun pour les diverses natures de fonds dans les zones ‘concrètes’, rôle tenu jusqu’alors par la séterée, mesure qui ne convenait

422 Pierre Charbonnier, « Mesures de l’espace, espaces des mesures dans la France d’Ancien Régime », L’Historien

en quête d’espaces, Clermont-Ferrand, 2005, p. 372. On se réfère ici aux idées d’Édouard Gruter sur les campagnes du

Beaujolais à la fin du XVIIe siècle : La Naissance d’un grand vignoble. Les seigneuries de Pizay et Tanay en Beaujolais au XVIe

et au XVIIe siècle, Lyon, 1977. Les travaux de Cédric Lavigne, fondés sur les sources écrites mais aussi sur la mesure

des parcelles elles-mêmes à partir des cadastres du XIXe siècle, tendent à démontrer la grande cohérence du système des mesures mis en œuvre dans les parcellaires agraires planifiés des bastides gasconnes : grâce au logiciel APER, il a mis en évidence l’existence de trois unités fondamentales (16,41 mètres, 21,09 mètres et 37,5 mètres) et leurs multiples qui procèdent d’une même logique (elles se rapportent toutes à un dénominateur commun, 9,375, et la somme des deux premières est égale à la troisième). Ces unités sont repérables dans plusieurs parcellaires de fondation du Midi aquitain dont les chartes de paréage ou de coutumes définissent l’arpent comme mesure agraire et comme base pour le calcul des redevances seigneuriales (Cédric Lavigne, « L’arpent et le journal en Gascogne au Moyen Âge : acquis et perspectives », Métrologie agraire antique et médiévale, actes de la table ronde d’Avignon des 8 et 9 décembre 1998, Besançon, 2003, p. 115-140).

423 ADHG, 1 C 1925, Réponse de Montesquieu-Volvestre à l’enquête sur l’état des communautés, 29e question, 3 juin 1744.

424 Voir notamment les procès-verbaux des communautés de Bax, Bérat, Cazères, Gaillac-Toulza, Mailholas, Palaminy, Lagrâce-Dieu, Montaudet, Peyssies, Rieux (ADHG, 1 C 1925).

425 Hervé Leblond, « Recherches métrologiques sur des plans de bastides médiévales », Histoire et Mesure, 1987, p. 69.

426 Cédric Lavigne, « L’arpent et le journal en Gascogne au Moyen Âge : acquis et perspectives », Métrologie agraire

antique et médiévale, Besançon, 2003, p. 129-130.

pourtant bien qu’aux terres labourables »428. À l’inverse, si l’on se place du point de vue de la

communauté d’habitants qui commande un compoix et de l’arpenteur qui le met au net, ainsi que de celui des notaires et de leurs clients à Montesquieu-Volvestre au milieu du XVIIe siècle et au-

delà, les contemporains se montrent surtout préoccupés de conserver les usages du lieu, sans se soucier d’indiquer les équivalences avec d’autres mesures, et tout en plébiscitant dans leur pratique quotidienne la séterée et ses subdivisions au détriment de la mesure coutumière – l’arpent –, apparemment tombée en désuétude.

En revanche, le journal qui est très présent dans les minutes des notaires de Montesquieu- Volvestre aux XVIIe et XVIIIe siècles pour déterminer la superficie des vignes est totalement

absent du compoix : les vignes ont été arpentées en séterées, mesures et boisseaux. Le journal est généralement défini comme la surface qui peut être labourée en un jour par une paire de bœufs : cette mesure agraire est donc fondée sur sur le temps de travail, mesure subjective dépendant à la fois de la puissance de travail de l’attelage et de la facilité de labour du terrain (c’est-à-dire la résistance du sol)429. À Montesquieu, le journal ne s’applique pas aux terres labourables mais aux

vignes : les notaires emploient fréquemment la formule « journal d’homme à fouir » ou « journal d’homme », ce qui indique que le journal n’est pas fondé sur le temps de travail du laboureur mais sur celui du travailleur – qui désigne le vigneron dans nos minutes notariales – cultivant la vigne à bras430. Il ne s’agit cependant pas d’une mesure coutumière dans la mesure où les rédacteurs du

compoix, qui respectent scrupuleusement les prescriptions du « sentouran », semblent l’avoir délibérément exclue de leur travail : son utilisation dans les minutes notariales indiquerait plutôt que cette mesure concrète devait permettre, aux côtés de la séterée utilisée pour les terres labourables, de tenir compte de la pluralité de la qualité du terroir et des façons de le travailler et offrait plus de facilités pour les transactions foncières.

428 Pierre Charbonnier, « Mesures de l’espace, espaces des mesures… », p. 378.

429 D’après Gaston Roupnel, « le journal de faible contenance se rencontre dans les terroirs lourds, les régions de terre forte et difficile » (Histoire de la campagne française, Paris, 1932, p. 179, n. 2). Le problème que peut poser cette mesure est bien connu dès l’époque d’Olivier de Serres : « Les mesures des terres n’estans pas tout semblables, ny les proprietez des terroirs generalement d’une sorte, font qu’on ne peut justement ordonner, ne de la semence, ne du temps qu’on a à employer au remplage et à la culture de chacun arpent de terre » (Le théâtre d’agriculture et mesnage des

champs, Rouen, éd. 1646, p. 95).

430 Jean-Auguste Brutails, ancien archiviste de la Gironde, signale d’autres cas en Guyenne : « des actes authentiques innombrables mentionnent ces ‘journées d’hommes’ ; on en trouvera, par exemple, dans un terrier de l’église Saint-Seurin [Bordeaux] pour 1668-1670, où sont analysées des reconnaissances plus anciennes » (« Réponse à M. de Manthé », Société archéologique de Bordeaux, t. XIX, 1894, p. XLVIII).