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Structures foncières et mutations sociales : recherches sur le consulat et le marché foncier de Montesquieu-Volvestre entre le milieu du XVIIe siècle et la Révolution

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Academic year: 2021

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Submitted on 8 Dec 2020

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Structures foncières et mutations sociales : recherches

sur le consulat et le marché foncier de

Montesquieu-Volvestre entre le milieu du XVIIe siècle et

la Révolution

Ronan Tallec

To cite this version:

Ronan Tallec. Structures foncières et mutations sociales : recherches sur le consulat et le marché foncier de Montesquieu-Volvestre entre le milieu du XVIIe siècle et la Révolution. Histoire. Université Panthéon-Sorbonne - Paris I, 2013. Français. �NNT : 2013PA010725�. �tel-03046928�

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Université de Paris I – Panthéon-Sorbonne

Doctorat de l’université

Ronan Tallec

Structures foncières et mutations sociales

Recherches sur le consulat et le marché foncier

de Montesquieu-Volvestre entre le milieu du XVII

e

siècle

et la Révolution

Sous la direction de Monsieur le Professeur Wolfgang Kaiser

Soutenance : 27 mars 2013 Membres du jury :

Rosa Congost (Université de Gérone)

Dominique Margairaz (Université Paris I Panthéon-Sorbonne) Gérard Béaur (CNRS-EHESS)

Pierre Bonin (Université Paris I Panthéon-Sorbonne) Élie Pélaquier (CNRS-Université Montpellier III-Paul Valéry)

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Remerciements

Au terme de cette recherche, il m’est agréable de remercier tous ceux qui m’ont accompagné et soutenu durant ces longues années. Wolfgang Kaiser m’a donné une seconde chance et je l’en remercie chaleureusement. Gérard Béaur a toujours répondu avec bienveillance à mes sollicitations parfois désordonnées. Anne Zink m’a donné un sujet de thèse dont je me suis bien vite écarté, j’ai du moins essayé de suivre son exemple. J’ai aussi beaucoup appris de Wolfgang Mager, de sa rigueur, de son érudition mais surtout de son honnêteté. Je n’oublie pas Jochen Hoock à qui j’ai souvent pensé lorsque je m’imaginais écrire ces lignes.

Au sein de ma famille, mes parents m’ont soutenu avec beaucoup de patience. Je pense bien entendu à eux mais aussi à ceux qui sont venus me prêter main-forte en cours de route – Martine et André ont bien vite répondu présent. J’ai rencontré beaucoup de monde au cours de ces sept années mais j’ai surtout pu compter sur quelques amis très chers. Je pense à Bettina, Christina, Philip, Didier, Jacques et Bertrand. Tous m’ont encouragé avec affection. J’ai eu la chance d’être toujours bien accueilli aux Archives départementales de l’Hérault et de la Haute-Garonne et j’ai une pensée toute particulière pour Geneviève Douillard (et son complice Pierre) qui n’ont pas ménagé leur peine pour trouver des réponses à des questions insolubles. Des statisticiens émérites m’ont généreusement donné de leur temps sans compter, je remercie Floriane et Rémy d’avoir tenu bon.

Je dois tout à Francis Despierre qui est devenu un ami fidèle. Mon frère va bientôt achever sa propre thèse et devoir supporter mes recommandations avisées.

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Abréviations

ADH Archives départementales de l’Hérault

ADHG Archives départementales de la Haute-Garonne

AHRF Annales historiques de la Révolution française

AN Archives nationales

Annales ESC Annales, Économies, Sociétés, Civilisations

CHEFF Comité d’histoire économique et financière de la France

HES Histoire Économie Société

HGL Histoire générale de Languedoc (dom Devic et Vaissette)

PUAM Presses Universitaires d’Aix-Marseille

PUM Presses Universitaires du Mirail

PUR Presses Universitaires de Rennes

RGPSO Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest

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Introduction

Lorsque j’ai commencé mes travaux de recherche, mon projet s’inscrivait dans le prolongement des travaux d’histoire rurale qui ont tenté, depuis la thèse pionnière de George

Lefebvre, de sonder les origines paysannes de la Révolution française1. Le débat

historiographique a longtemps porté sur les modalités spécifiques du soulèvement du monde rural à la veille de la Révolution et son effet d’entraînement sur le mouvement révolutionnaire ayant abouti à la chute de la monarchie. Depuis le travail de George Lefebvre sur la Grande Peur, la seule synthèse d’ampleur sur le sujet a été l’œuvre d’un historien russe, Anatoli Ado, qui en a proposé une typologie et une chronologie détaillée à l’échelle du Royaume2. Élargissant la

thématique de « la voie paysanne » de la Révolution explorée en premier lieu par George Lefebvre, la reconstitution minutieuse d’Anatoli Ado a mis en évidence la précocité et le grand nombre des révoltes rurales qui ont alimenté la phase prérévolutionnaire et forcé la convocation des États Généraux. La description des antagonismes sociaux traversant le monde rural, qui est au centre de cette analyse, a été l’occasion de revenir sur la constitution d’une « classe des pauvres » aux aspirations égalitaires opposée à une minorité de rentiers du sol déjà largement intégrée à la bourgeoisie urbaine.

1 Georges Lefebvre, Les paysans du Nord pendant la Révolution française, Paris, 1924.

2 Le travail d’Anatoli Ado a été publié en français en 1996 par la Société des Études Robespierristes sous le titre

Paysans en Révolution. Terre, pouvoir et jacquerie. 1789-1794. Il complète et prolonge les analyses de Georges Lefebvre

publiées dans La Grande Peur de 1789, ouvrage paru en 1732. Les conclusions des ouvrages fondamentaux de Guy-Robert Ikni sur l’Île-de-France, de Florence Gauthier sur la Picardie et de Guy Lemarchand sur le pays de Caux sont reprises dans le corps de l’ouvrage qui est étayé par de nombreux dépouillements inédits effectués dans les dépôts d’archive nationaux et départementaux.

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L’œuvre agraire de la Révolution, qui a été accomplie dans un laps de temps très court – quatre années seulement –, n’est pas sans susciter des interprétations divergentes quant à la consistance réelle des revendications du mouvement paysan. On connaît le titre fameux de l’ouvrage de Käre Tonnesson sur la répression des sans-culottes qui furent sacrifiés sur l’autel du réalisme jacobin et de sa résistance à la poussée démocratique3. Anatoli Ado montre à son tour

que les couches populaires des campagnes ont réussi, pendant un temps, à peser sur le mouvement révolutionnaire avant de se replier, contraintes, sur des positions conservatrices4. Il a

établi que la Révolution a néanmoins permis l’installation pérenne de nombreuses cohortes de petits propriétairesqui ont coexisté avec de riches fermiers jusqu’à une période avancée du

XXe siècle. On a pu parler de la défaite du mouvement paysan en considération du fait que les

motivations égalitaires de la première heure n’ont pas trouvé d’aboutissement. Pourtant, Anatoli Ado a montré que la participation des classes rurales aux événements nationaux ne s’est estompée qu’à partir de 1793 et cela précisément en raison de la poussée réactionnaire qui a suivi la chute de la dictature jacobine. Il y a donc bien un recul des exigences paysannes mais celui-ci accompagne un repli général des ambitions sociales de la Révolution. On ne peut donc pas tirer de conclusions définitives de la fin des luttes rurales à partir de cette date.

Dans cette perspective d’histoire sociale, il n’est pas inutile de rappeler les polémiques ultérieures qui ont opposé Boris Porchnev et Roland Mousnier5. Les positions respectives des

partisans de la transition du féodalisme économique au capitalisme et des tenants d’une société d’ordres ont en effet structuré les débats d’histoire sociale. Alors que les partisans de Boris Porchnev cherchaient à décrire le social en partant de la répartition inégalitaire des moyens de production et d’échange, les historiens proches de Roland Mousnier s’inspiraient davantage d’une conception juridique de l’ordre social où les dignités rendaient compte d’attributions fonctionnelles sans rapport avec la possession de biens matériels. On a pu reprocher une part d’anachronisme aux tentatives d’inspiration marxiste qui cherchaient à identifier les causes réelles des critères d’appartenance sociale. C’est oublier la part d’abstraction de la méthode qui visait justement à mesurer l’écart entre la théorie proposée et l’observation empirique de la réalité. Sans qu’il soit question d’un retour aux vieilles querelles, le problème des clivages traversant la société rurale d’Ancien Régime peut être reposé à la lumière de travaux importants.

3 Käre Tonnesson, La défaite des sans-culottes, Paris-Oslo, 1959.

4 La chronologie des réformes agraires est établie par Anatoli Ado dans Paysans en Révolution. La question particulière de la vente des biens nationaux a été renouvelée par l’ouvrage de Bernard Bodinier et Eric Teyssier,

L’événement le plus important de la Révolution. La vente des biens nationaux, Paris, 2000, où est réalisée la première synthèse

nationale du marché foncier extraordinaire.

5 Résumé des positions en présence par Déborah Cohen, « Ordres et classes sous l’Ancien Régime »,

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Parmi les thèmes abordés par l’auteur des Paysans du Nord, la question de la propriété foncière est celle qui a été le mieux étudiée. On connaît l’importance de cette thématique dans l’œuvre de George Lefebvre mais celui-ci n’a que peu étudié ses transformations avant 1780, hormis dans un article de méthode et de bilan6. Concernant la période prérévolutionnaire, la thèse

complémentaire d’Albert Soboul consacrée à la région de Montpellier a longtemps constitué le seul éclairage disponible pour le sud de la France7. Pour la France du nord, les travaux ont été

plus nombreux. Ils ont aussi atteint une précision et une érudition remarquable à l’instar des recherches de Jacques Dupâquier portant sur la région parisienne8.

Cependant, jusqu’au milieu des années 1980, on en était resté à des tableaux de la répartition de la propriété foncière qui ne rendaient qu’imparfaitement compte de la vigueur des revendications des paysans et de leur soif de foncier. Un des points les mieux documentés de l’historiographie est pourtant celui de la propriété paysanne. À la veille de la Révolution, celle-ci oscille entre 30 % et 40 % de la surface du sol disponible9. Ces évaluations avaient été établies dès

la première moitié du XXe siècle à partir de l’utilisation systématique des rôles fiscaux et

seigneuriaux. Ils n’ont malheureusement été que trop peu souvent mis en rapport avec les études comparables consacrées aux XVIe et XVIIe siècles. Pourtant, dans le sillage de la thèse pionnière

de Pierre Goubert, la question de l’importance de la propriété paysanne d’Ancien Régime a mobilisé l’énergie d’une génération de ruralistes préoccupés de définir des seuils d’autosuffisance paysanne10. Mais, là encore, la réalité des transformations foncières n’était prise en compte que

sous la forme d’instantanés destinés à rendre compte d’une problématique macroéconomique plus large fréquemment liée à l’évolution de la rente foncière. Le lien entre les mouvements sociaux observés à la veille de la Révolution et les états de répartition de propriété patiemment reconstitués n’attira pas toute l’attention qu’elle méritait11.

6 Georges Lefebvre, « Répartition de la propriété et de l’exploitations foncières à la fin de l’Ancien Régime », repris dans Études sur la Révolution française, Paris, 1954, p. 201-222.

7 Albert Soboul, Les campagnes montpelliéraines à la fin de l’Ancien Régime. Propriétés et cultures d’après les compoix, Paris, 1954.

8 Jacques Dupâquier, La Propriété et l’exploitation foncière à la fin de l’Ancien Régime dans le Gâtinais septentrional, Paris, 1956.

9 Gérard Béaur, Histoire agraire de la France au XVIIIe siècle, Paris, 2000, p. 21 et suiv.

10 Voir Pierre Goubert, Beauvais et le Beauvaisis de 1600 à 1730. Contribution à l’histoire sociale de la France du

XVIIe siècle, Paris, 1960, pp. 155 et 189-196, où les possessions foncières moyennes des paysans de l’hinterland de

Beauvais sont établies à partir de terriers et de surtaux.

11 La thèse magistrale d’Abel Poitrineau, La vie rurale Basse-Auvergne au XVIIIe siècle (1726-1789), Paris, 1965, tente par exemple une approche des tendances du marché aux biens-fonds des quatre élections composant son pays à l’aide des archives notariées mais celle-ci est cependant fondée sur un échantillon trop peu représentatif de l’aveu même de son auteur. À sa décharge, et à celle des pionniers de l’histoire rurale des années 1960-1970, il faut mentionner que la plupart des dépôts d’archives départementales n’avaient pas encore initié à cette date la collecte systématique des pratiques notariales d’Ancien Régime et que le recours au Centième denier était encore peu fréquent. Plus proches de nous, les travaux pionniers de Josette Garnier sont aussi restés isolés. Dans le cadre de sa thèse d’histoire du droit, celle-ci a cependant peu traité de l’évolution de la propriété paysanne et n’a pas continué

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Tout change cependant avec la thèse de Gérard Béaur qui mesure pour la première fois, en s’inspirant des suggestions de Pierre de Saint-Jacob12, les flux de propriétés à l’échelle de deux

bureaux du Centième denier dans la Beauce d’Ancien Régime. Les archives du Centième denier, sollicitées d’une façon inédite, l’ampleur des dépouillements et la sûreté de la méthode, font alors passer l’étude de la répartition de la propriété de l’image fixe à l’image animée13. Dans le sillage

des questionnements de Georges Lefebvre, Gérard Béaur a montré que les paysans n’étaient pas exclus du marché des biens-fonds, le marché lui-même ayant tendance à s’accélérer à la veille de la Révolution. De nouvelles perspectives se sont alors ouvertes aux historiens pour apprécier le rôle des transferts de propriétés à l’intérieur de la société rurale de la fin de l’Ancien Régime. On pouvait ainsi espérer identifier les gagnants et les perdants de la gigantesque recomposition foncière qui animait, jour après jour, les campagnes du royaume. Surtout, la recherche d’une explication sociale aux troubles paysans prérévolutionnaire était relancée et la thématique de la dépossession des couches populaires de la paysannerie pouvait être réexaminée. D’autres études plus récentes, le plus souvent centrées sur la France du nord, ont depuis utilement complété notre connaissance des modalités du marché foncier d’Ancien Régime. Celles-ci n’ont cependant pas remis en question les résultats de cette enquête pionnière14.

C’est dans cette perspective thématique renouvelée que nous avons décidé d’étudier le marché foncier d’une communauté de Haut-Languedoc du milieu du XVIIe siècle à la Révolution. La

conjoncture économique du sud-ouest du royaume était déjà bien connue par une série de travaux importants15. Nous avons choisi de porter notre regard sur le consulat de

Montesquieu-Volvestre situé sur les franges occidentales du Languedoc, aux confins du Toulousain et de la Gascogne. Il s’agit de la principale ville du diocèse de Rieux. Elle compte environ 3°500 habitants à la veille de la Révolution et son finage vaste et contrasté était la promesse de résultats

son étude jusqu’aux troubles de la Révolution : Josette Garnier, Bourgeoisie et propriété immobilière en Forez aux XVIIe et

XVIIIe siècles, Saint-Étienne, 1982.

12 Pierre de Saint-Jacob, « La propriété au XVIIIe siècle. Une source méconnue : le contrôle des actes et le centième denier », Annales ESC, 1946, p. 162-166.

13 Gérard Béaur, Le Marché foncier à la veille de la Révolution. Les mouvements de propriété beaucerons dans les régions de

Maintenon et de Janville de 1761 à 1790, Paris, 1984.

14 Sylvain Vigneron, La pierre et la terre. Le marché foncier et immobilier dans les dynamiques sociales du Nord de la France aux

XVIIe et XVIIIe siècles, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2007, 415 p. Fabrice Boudjaaba, Des

paysans attachés à la terre ? Familles, marchés et patrimoines dans la région de Vernon (1750-1830), Paris, PUPS, 2008, 524 p.

Philippe Jarnoux, Les Bourgeois et la terre. Fortunes et stratégies foncières à Rennes au XVIIIe siècle, Rennes, PUR, 1996, 403 p.

On trouvera aussi quelques études sur la France du sud : E. Copstein, « La propriété rurale dans le bureau de Baziège au XVIIIe siècle d’après les registres du Centième denier », Annales du Midi, 1957, p. 77-82 ; Gilbert Larguier, « Le marché immobilier et foncier narbonnais en 1789 : atonie d’une ville, difficultés de la noblesse », Annales du Midi, 1989, p. 375-409 ; Élie Pélaquier, « Les mutations foncières à Saint-Victor-de-la-Coste à travers la pratique notariale (1661-1799) », in Jean-Luc Laffont (éd.), Le notaire, le paysan et la terre dans la France méridionale à l’époque moderne, Toulouse, PUM, 1999, p. 131-159. Dans le même recueil, voir aussi Patrice Poujade, « Les paysans et la terre dans le pays de Foix et la vallée de l’Ariège au XVIIIe siècle », p. 65-99.

15 Notamment l’ouvrage fondamental de George Frêche, Toulouse et la région Midi-Pyrénées au siècle des Lumières (vers

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significatifs. Montesquieu vit de la céréaliculture et de la viticulture, mais pas seulement : le Volvestre a également connu un développement proto-industriel précoce et la coexistence en son sein d’artisans textiles, de marchands fabricants et d’une importante population paysanne, offraient un terrain idéal à l’observation des transformations de la société rurale16.

Le Languedoc étant un pays de taille réelle, nous savions que nous y trouverions des sources cadastrales spécifiques qui permettraient d’enrichir la méthodologie mise au point par Gérard Béaur. Les registres du Centième denier du bureau de Rieux auquel est rattaché Montesquieu-Volvestre se sont révélés particulièrement décevants en raison du caractère défectueux de renvois de bureau à bureau pour les biens aliénés à Montesquieu et de la pauvreté de l’information sur la nature des biens et les qualités des contractants. Nous avons donc adapté le choix des sources documentant la circulation des biens-fonds aux particularités du Sud-Ouest de la France en fondant nos recherches sur les compoix et les minutes notariales. Les premiers permettent de répartir les tailles sur tous les bientenants d’une communauté à proportion de leurs possessions : ils recensent les biens-fonds soumis à l’impôt en précisant leur nature, leur localisation, leur superficie, leur qualité et, au final, définir leur allivrement (c’est-à-dire la proportion des tailles qu’ils auront à porter). Entre deux réfections de cadastre, les mutations foncières sont inscrites dans des registres qui mettent à jour les comptes des bientenants, les « tenets ». Ces documents fiscaux ont fait l’objet d’abondantes études centrées sur la répartition de la propriété17, quitte à

délaisser la critique de la source elle-même. Nous possédons également de nombreuses pratiques de notaires d’Ancien Régime qui constituent une documentation ancienne et abondante dans la province. Dans une perspective d’histoire économique et sociale, Philippe Wolff a montré tout le parti que l’historien pouvait tirer de la consultation de ces séries massives, denses et homogènes18.

Les premières étapes de notre recherche s’engagèrent donc sous les auspices d’un vaste dépouillement d’archives cadastrales et notariales. La prise en main du corpus fut facilitée par la cohérence institutionnelle de l’ensemble : le notaire qui rédigeait les actes des bienstenants tenait également le muancier tout en étant généralement le greffier de la communauté chargé d’enregistrer les délibérations du conseil et de veiller sur ses archives. La décision fut prise de dépouiller en premier lieu le compoix et les muanciers afin de reconstituer un terminus a quo et les transformations successives qui l’affectaient. Le seul cadastre conservé date de 1662 : il comporte la description de 3°690 biens-fonds répartis entre un peu moins de 700 comptes de propriétaires. Nous y avons ajouté 15°000 enregistrements de mutations reportées sur les muanciers. Nous

16 Voir notamment pour une présentation générale les travaux de Jean-Michel Minovez, L’impossible croissance en

Midi toulousain ?, Paris, 1997.

17 Emmanuel Le Roy-Ladurie en a tiré, l’un des premiers, le matériel nécessaire à ses travaux pour Les paysans de

Languedoc, Paris, 1966.

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disposions là du relevé exhaustif des transferts de propriétés advenus dans la juridiction du consulat entre 1662 et 1790.

Il nous manquait cependant la valeur vénale des propriétés transmises afin de pouvoir relier le marché aux indicateurs conjoncturels de la province. En raison de la pauvreté relative des registres du Centième denier et du fait qu’elles ne sont disponibles qu’à partir du début du XVIIIe siècle, les sources notariales se sont imposées d’elles-mêmes, bien qu’il ait fallu prendre

garde à ne pas se perdre dans leur densité : elles ont en effet l’avantage de donner non seulement le prix de l’aliénation, mais aussi beaucoup d’informations sur les modalités de paiement, les circonstances de la passation de l’acte et sur les contractants eux-mêmes. Cela permettait ainsi d’être en ligne avec l’étude sociale qui restait l’objectif de notre recherche.

Nous avons également décidé de prendre en compte les contrats de mariage et les testaments passés chez les notaires de Montesquieu au XVIIIe siècle afin de dresser un tableau de la

hiérarchie des fortunes rurales et d’apprécier le poids des dispositions successorales du pays sur la circulation des biens-fonds. Montesquieu-Volvestre dépend en effet du Parlement de Toulouse et l’on sait que celui-ci s’est fait au XVIIIe siècle le défenseur acharné des traditions de droit écrit

dans un ressort traversé d’influences coutumières. Un rapide sondage dans les minutiers du pays de Volvestre nous rassura vite : les contrats étaient nombreux, explicites et formalisés. Ils complétaient convenablement les indications que nous avions retrouvées dans les muanciers. Au total, notre étude se fonde donc sur le dépouillement d’un peu plus de 7 820 mutations foncières entre 1653 à 1790, 2 550 contrats de mariage et de 1 138 testaments de 1695 à la Révolution ; étant donné la diversité des actes de mutation foncière, nous avons jugé utile d’y ajouter les échanges et les subrogations (un peu plus de 1 200 actes) afin de mieux mettre en perspective l’importance de la vente pure sur le marché foncier. Il n’a pas été possible matériellement de mener des dépouillements dans les études proches de Montesquieu mais nos calculs sur les bureaux du Centième denier montrent que ce sont presque 75 % des actes de la communauté qui ont été atteints en 1785, voire plus pour les périodes antérieures : pour le début du XVIIIe siècle,

le pourcentage est encore plus significatif avec un taux de 85 %.

Une découverte inattendue a également joué un rôle majeur dans l’orientation de nos recherches. Bien vite, il nous est apparu en effet que les documents consulaires conservés pour l’ensemble de la période de notre étude ne pouvaient pas être mis sur le même plan et ne rendaient pas compte des mêmes réalités institutionnelles. Alors que les registres conservés pour le milieu du XVIIe siècle reflétaient sans conteste la vigueur de l’institution consulaire de

Montesquieu qui se comportait comme une « petite république », les documents postérieurs se contentaient pour la plupart d’enregistrer les décisions prises au niveau des échelons supérieurs

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de l’administration de la province, diocèse civil, États provinciaux et, surtout, Intendance de Languedoc. Entre ces deux périodes, la reprise en main des consulats méridionaux avait été la grande affaire de l’intendance et des institutions provinciales : elle a trouvé sa traduction dans le processus de vérification des dettes des communautés qui, mené avec autorité par la commission mi-royale mi-provinciale du 10 mars 1662, visait à liquider l’endettement contracté par les communautés pour financer le logement des gens de guerre et la défense contre les épidémies de peste. Elle a été la réponse apportée par le pouvoir royal à une aspiration générale à la réforme qui a pu s’exprimer, à Montesquieu-Volvestre comme ailleurs, par la réfection des cadastres : il s’agissait en effet d’assurer une répartition plus juste des tailles pour payer les impôts du roi et de la province, mais aussi les charges propres à la communauté. La concomitance de la mise sous tutelle des communautés et les nombreuses procédures de réfections cadastrales observées dans le diocèse nous suggéraient de déplacer notre problématique sur les conséquences sociales de cette transformation radicale. Nous pouvions pour cela nous appuyer sur les travaux de nombreux historiens dont certains n’ont pas hésité à qualifier de révolutionnaire l’œuvre de Louis XIV et de ses ministres19.

La mise sous tutelle de la communauté a presque coïncidé, à Montesquieu-Volvestre, avec une tentative aventureuse de restauration seigneuriale qui divisa la communauté. La lutte de cent ans menée par la communauté contre ses seigneurs, Simon de Laloubère puis son successeur le plus illustre, Antoine-François de Bertrand de Molleville, intendant pourtant éclairé de Bretagne, fut l’occasion pour les anciens notables du consulat et leurs descendants de revivifier les composantes fondamentales de l’identité communautaire et, en premier lieu, son droit d’association et son autonomie. Longtemps affaiblie par les conséquences de la vénalité des offices et les luttes intestines entre clients et opposants au seigneur, la vie politique renaît au sein du consulat à la fin du XVIIIe siècle mais n’a plus ni les mêmes implications, ni le même sens. Le

lien entre les deux termes de notre étude méritait donc d’être revisité à la lumière des bouleversements du contexte institutionnel que nous découvrions. Les éléments fondateurs de l’identité de la communauté justifiaient une description précise de son fonctionnement et des

19 Voir par exemple l’ouvrage récent de Gary McCollim, Louis XIV’s assault on privilege. Nicolas Desmaretz and the tax

on wealth, Rochester, 2012. Michel Antoine est celui qui a le mieux rendu compte du passage de l’État de justice à la

monarchie administrative, de sa chronologie longue et de la dépersonnalisation nouvelle des nouvelles institutions de gouvernement mises en place sous Colbert. Son article bilan « Colbert et la révolution de 1661 », dans Un nouveau

Colbert, Paris, 1985, est un bon point de repère dans le débat historiographique portant sur question des origines de

l’État contemporain. Comme le remarque Jean-Claude Perrot, l’interventionnisme accru de l’État dans la société est le fruit d’une nouvelle maxime, qui sous l’influence des économistes nationaux, soutient que « diriger c’est prévoir ». L’administration de l’État sera donc désormais le fait d’administrateurs spécialisés qui se consacreront aux délicates questions d’économie sociale. Voir Jean-Claude Perrot, « L’analyse dynamique des crises au XVIIIe siècle », dans La

France d’Ancien Régime. Études réunies en l’honneur de Pierre Goubert, Toulouse, 1984, vol. 2, p. 543-551. Michel Foucault a

proposé le concept de gouvernementalité pour unifier l’ensemble des interventions de l’État sur la société dans le dessein de la protéger ou de la transformer qui ont été décrites par les historiens. Cf. Michel Foucault, Sécurité,

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événements qui les avaient ébr anlés de façon à évaluer la nature des transformations qui l’ont affectée. Nous avons privilégié la description de la communauté toujours vivante à la veille de l’instauration de la commission de vérification des dettes de Languedoc de préférence à celle de la

communauté administrée par les bureaux de l’intendance20. Le tableau que nous en avons dressé

fonctionne comme par contraste, avec d’un côté une administration locale et diocésaine toujours très active et, de l’autre, la perte du droit d’initiative désormais dévolu aux bureaux de l’Intendance.

On peut se demander quelles conséquences cette transformation institutionnelle a eu sur la vie sociale. Au milieu du XVIIe siècle à Montesquieu-Volvestre, on se plaisait à vivre, croyait-on,

comme au temps immémorial de fondation de la bastide et de l’inscription de ses privilèges dans la coutume. Le droit de ban était sans cesse rappelé à l’appui des interventions des représentants de la communauté et il n’était alors pas envisageable de se soustraire aux décisions collectives votées par le conseil des habitants. Avec le passage à la centralisation administrative, concomitante des premiers travaux d’expertise sociale, le bouleversement des structures communautaires héritées du Moyen Age central méritait une attention accrue. Au travers de l’observatoire privilégié des transformations de la propriété foncière, nous avons essayé d’appréhender certaines de ses conséquences.

Les institutions foncières de la province, et en premier lieu les cadastres et les archives notariées qui en sont issus, permettent une enquête d’envergure dans cette direction. Ces indicateurs doivent néanmoins être complétés et corrélés avec les révélateurs de la conjoncture économique du diocèse que nous avons patiemment rassemblés dans le dessein de reconstituer une perspective locale aussi précise que possible. Une telle étude ne peut être que quantitative car elle doit prendre en compte le maximum d’indicateurs disponibles pour arriver à la formalisation d’un modèle explicatif général et exemplaire, capable par conséquent de rendre compte des bouleversements constatés à Montesquieu lors de la Révolution, mais aussi de situations semblables ou divergentes, proches ou éloignées. À Montesquieu-Volvestre celle-ci a d’ailleurs été particulièrement virulente : le château du seigneur fut rasé, ses biens vendus comme biens nationaux après son départ en émigration et la chapelle Notre-Dame du Bout du Pont, qui fut longtemps le symbole de la contre-réforme catholique dans notre pays, subit les foudres de la déchristianisation en 1794. Le sens de la Révolution défendue par Georges Lefebvre ne se trouve-t-il pas dans le constat que, parmi les plus humbles des ruraux, certains n’ont pas voulu se

20 Nous disposons déjà pour cela de l’excellente thèse de Stéphane Durand, Pouvoir municipal et société locale dans les

petites villes de l’Hérault aux XVIIIe et XIXe siècles. Le cas de Mèze de 1675 à 1815, Université Paul Valéry-Montpellier III,

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contenter d’un retour aux traditions du passé ? N’est-ce précisément pas là le sens véritable du mot « révolution » qui n’est synonyme ni de réforme ni de restauration21 ?

Avant de commencer notre étude, nous souhaiterions ajouter quelques mots sur les principes méthodologiques qui ont été les nôtres. Au fondement de notre démarche, il y a la conviction sincère qu’une étude quantitative et institutionnelle est susceptible de fournir de bons matériaux à l’historien désirant tester des hypothèses générales ou particulières. Il ne s’agit pas ici de prétendre à l’objectivité. Gérard Noiriel a utilement fait le point sur les principaux acquis des sciences philosophiques qui ont établi la pluralité des points de vue à l’origine du questionnement des spécialistes des sciences sociales22.

Depuis Heinrich Rickert ou Max Weber, il n’est plus possible d’avoir simplement raison, tout juste l’historien peut-il prétendre avancer des explications ou des hypothèses à des constatations qui n’auront pas été démenties par les faits. Cependant, si toutes les hypothèses sont légitimes, toutes les explications ne sont pas vraies. Celles-ci dépendent de vérifications qui doivent pouvoir être menées dans un cadre de référence qui, sans être commun à tous les historiens, puisse être compris par les spécialistes de la discipline et soumis à un travail de validation ou de réfutation. Compte tenu de la spécialisation croissante des disciplines épistémologiques, devenues inaccessibles au simple chercheur, cette vision réaliste du travail de l’historien réhabilite l’idée simple que l’établissement des faits est la première de ses vocations. La critique des sources et de leur construction, le veto qu’elles apportent aux théories que nous leur soumettons, doivent constamment inspirer la démarche de l’historien pour peu qu’il veuille parvenir à un consensus avec les spécialistes de sa discipline.

Nous avons essayé de suivre pas à pas, en fonction de nos moyens, la méthode sans illusion préconisée par Gérard Noiriel. Pour cela, nous n’avons pas hésité à consacrer de longs développements aux modalités de conception du compoix, aux arguments invoqués par les prudhommes de Montesquieu ou les commissaires chargés de la vérification des dettes des communautés afin de les soumettre à un questionnement serré qui tienne compte des principaux résultats de l’historiographie. Des présentations plus synthétiques, chiffrées celles-là, alternent avec des commentaires destinés à les mettre en perspective et à les critiquer. L’utilisation des méthodes statistiques a aussi permis de rendre compte d’une multitude de faits qui autrement seraient restés latents ou inaccessibles. Pierre Goubert lui-même avouait son découragement devant la multitude des actes notariés qu’il lui faudrait dépouiller pour prétendre droit à la construction d’une synthèse fidèle à l’esprit des habitants du Beauvaisis qu’il a pourtant côtoyé

21 Alain Rey, « Révolution ». Histoire d’un mot, Paris, Gallimard, 1989, 376 p. 22 Gérard Noiriel, Sur la « crise » de l’histoire, Paris, Belin, 1996, 343 p.

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pendant des années23. L’ordinateur nous permet d’aller plus vite mais ce sont toujours les

questions que nous lui posons qui décident de l’orientation d’une tendance ou de la construction d’un indice. En ce sens, rien n’a changé.

Nous voudrions, pour conclure ce petit excursus, rappeler les mots lucides que Jean-Marie Martin a placés au centre de son introduction à son ouvrage consacré à la Pouille du Haut Moyen âge même s’ils s’appliquent à des domaines de spécialité un peu différents : « …mettant de côté nos faiblesses propres, il nous semble que le genre même de la monographie régionale soit devenu difficile à bien pratiquer, du fait que les différents secteurs de la recherche historique ont progressivement acquis des méthodes propres de plus en plus pointues. Je ne suis pas sûr qu’on puisse être (et je ne pense pas être) à la fois un bon paléographe (accessoirement épigraphiste) et un bon diplomatiste (latin et grec), un bon spécialiste de l’histoire monétaire, de l’hagiographie, des institutions civiles et ecclésiastiques byzantines et occidentales, de la pédologie, de l’archéologie extensive : cette énumération, volontairement désordonnées, veut montrer qu’il n’est plus possible – sinon à un esprit vraiment supérieur – de maîtriser les différentes disciplines qui fondent l’histoire totale. Et pourtant, celle-ci existe et fait progresser tel secteur en s’appuyant sur tel autre, mais, de plus en plus, elle sera faite en équipes » 24.

Nous partageons son opinion et sollicitons la même indulgence.

Notre travail est articulé autour de trois parties : la première traite de la réfection du compoix de 1662. Après un récit des opérations cadastrales, nous avons décrit le cadre juridique et technique dans lequel elles se fondent puis les critères d’inscription des biens-fonds au compoix. Ainsi pourra-t-on comprendre en quoi consistent exactement les propriétés urbaines et rurales ainsi que les tenets qui composent le mandement.

Le compoix de 1662 exprime un état de la société et des institutions de la communauté dont on s’attachera à mieux comprendre les origines et le fonctionnement dans le chapitre IV. Celui-ci ouvre une deuxième partie consacrée aux transformations induites par la commission de vérification des dettes de 1662 dont traite le chapitre V. Cette partie se conclut sur l’approfondissement à la charnière des XVIIe et XVIIIe siècles de la rupture provoquée par la

mise sous tutelle des communautés.

La troisième et dernière partie est centrée sur l’étude du marché aux biens-fonds de Montesquieu-Volvestre et sa région. On s’attachera dans un premier temps à analyser les conditions matérielles et juridiques de son déroulement avant de poser la question du poids des

23 Pierre Goubert, Beauvais et le Beauvaisis de 1600 à 1730. Contribution à l’histoire sociale de la France du XVIIe siècle,

Paris, 1960 (réimpr. 1982), qui déplore « la silve un peu décevante des minutes notariales, dans laquelle se dissimulent quelques belles essences » (p. XII). Précisions supplémentaires p. XVIII.

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incitations conjoncturelles sur son animation. Enfin, on tentera de déterminer quel rôle il a tenu dans l’évolution de la répartition de la propriété et de la distribution des richesses.

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Sommaire

PREMIERE PARTIE.–LA REFECTION DU COMPOIX DE 1662 Prologue : récit des opérations (1659-1662)

Chapitre premier. La conception du compoix : le cadre juridique et technique Chapitre II. Les critères d’inscription au compoix

Chapitre III. L’objet du compoix : le mandement

DEUXIEME PARTIE.–LA DEPOSSESSION

Chapitre IV. L’héritage médiéval

Chapitre V. La rupture : la vérification des dettes des communautés Chapitre VI. L’approfondissement de la rupture

TROISIEME PARTIE.–LE MARCHE AUX BIENS-FONDS Chapitre VII. Les cadres du marché aux biens-fonds

Chapitre VIII. Les rythmes du marché foncier et la conjoncture

Chapitre IX. Propriété et société à Montesquieu-Volvestre à la fin du XVIIe siècle et au

XVIIIe siècle

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Première partie

La réfection du compoix de 1662

En Languedoc, le compoix reste au XVIIe siècle une des expressions de la capacité de la

communauté d’habitants à se gouverner elle-même : c’est ce que démontre l’exemple de la réfection du compoix de Montesquieu-Volvestre entre 1659 et 1662, depuis la décision prise en assemblée générale du consulat jusqu’à la mise en service du nouveau compoix.

Certes, les institutions provinciales tendent depuis le XVIe siècle à en définir de plus en plus

précisément le cadre d’élaboration. En outre, les compoix du XVIIe siècle ne répondent plus à la

définition médiévale de l’enquête fiscale – les estimes – qui se fondait sur les déclarations des propriétaires : les communautés font désormais appel à des tiers spécialistes pour mesurer, estimer et enregistrer les biens selon une table d’estimation prédéfinie qui est propre à chacune d’entre elles. Mais les enjeux de pouvoir n’en restent pas moins aïgus localement, notamment lorsque le consulat de Montesquieu-Volvestre cherche à élargir l’assiette d’imposition en remettant en cause les exemptions dont bénéficient traditionnellement les biens nobles en Languedoc. C’est donc à l’étude du compoix dans toutes ses dimensions – juridique, technique et sociale – que nous procéderons dans les deux premiers chapitres.

Cette analyse du contexte est en effet un préalable à l’étude du bourg, du finage et de la répartition de la propriété tels que le compoix de 1662 permet de les restituer avec d’autres sources : elle constituera le point de départ à l’examen des caractéristiques du marché foncier et immobilier à Montesquieu-Volvestre jusqu’à la Révolution.

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Prologue. – Récit des opérations (1659-1662)

La décision de procéder à la réfection du compoix de Montesquieu-Volvestre qui datait de 1553 est prise le 13 mai 1659 lors de l’assemblée générale de la communauté. Les départiteurs de la noblesse qui avaient été convoqués pour assister au département de la taille de l’année en cours

sont bien présents25. Curieusement, la mutation consulaire se tient comme de coutume au début

du mois juillet sans que l’on prenne le soin de désigner des estimateurs pour l’année à venir. Le processus de réfection du compoix est cependant enclenché : le 28 septembre 1659, l’assemblée de la communauté décide de demander la permission de la rénovation du cadastre à la Cour des aides de Montpellier pour garantir sa validité juridique26. Celle-ci enregistre un arrêt positif le

7 janvier 166027 que l’assemblée de la communauté reçoit le 23 février suivant. Elle se détermine

ce jour-là à mener des recherches dans ses archives pour retrouver le déroulement de la procédure suivie lors du précédent arpentage en 1553 et en prendre modèle.

En mars 1660, le conseil politique décide de convoquer une nouvelle assemblée générale des habitants et des représentants de la noblesse pour faire le département de la taille conformément

25 ADHG, 2 E 1357, Délibération du 13 mai 1659 : « On fera deux livres compoix au net, l’un desquels sera remis dans les archives pour servir de modèle et l’autre sera remis entre les mains d’un homme de bien pour seul y écrire les chargements et déchargements afin qu’il n’y arrive point d’abus et que, pour faire les arpentements, on demandera permission à nosseigneurs de la cour des aides et finance à cause de la nécessité qu’il y a pour ne plus pouvoir écrire dans le livre compoix qui est à présent pour être tout rempli... ».

26 ADHG, 2 E 1357, Délibération du 28 septembre 1659 : « on tachera d’avoir la permission de nosseigneurs des comptes aides et finances de Montpellier pour la plus grande validité d’iceux ; c’est pourquoi a été délibéré tous d’une commune voix qu’on donne plein pouvoir et puissance au sieur Jean Pierre Brun, syndic de notre communauté, de demander ladite permission et que à sa diligence il envoiera à Montpellier tel procureur qu’il avisera pour en demander ladite permission en forme, promettant avoir pour agréable tout ce que par sondit procureur en sera fait, le tout au dépens de la communauté... »

27 En marge de la délibération du 23 février 1660, il est dit que l’arrêt de permission date du 7 janvier 1660 (mention postérieure du XVIIIe siècle) ; mais la délibération du 7 mars 1660 porte la date du 1er octobre 1659 (« le syndic a présenté requête en ladite Cour par laquelle on a obtenu l’arrêt du 1er octobre dernier par lequel nous est permis de faire nouveau arpentement et nouvelle estime »). Cette dernière date correspond au jour où la Cour des aides a rendu l’arrêt, la première date au jour où l’arrêt est effectivement enregistré sur la demande de la communauté, une fois acquittées les épices.

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à la mande diocésaine reçue au début du mois28. Commence alors un long combat entre la

communauté et certains de ses bientenants au sujet de la nobilité des terres, les seconds cherchant par tous les moyens à échapper à l’arpentage général. Cette opération recouvre en effet un enjeu important puisque l’estimation des biens ruraux en même temps que celle des biens prétendus nobles, sans que ceux-ci soient préalablement reconnus comme tels, aurait décidé de leur incorporation d’office dans l’allivrement général du terroir, les soumettant de fait à l’impôt. Chaque propriétaire sait que la réfection du compoix risque de remettre en cause des positions acquises en interrogeant la nobilité attribuée à certains biens. Car, pour être jugée incontestable, la nobilité d’un bien-fonds doit résulter d’un titre enregistré en bonne et due forme au Bureau des finances dont dépend le bientenant, en l’occurrence le Bureau des finances de Toulouse. Si un seigneur peut réunir à son fief les biens accensés par droit de déguerpissement, il lui appartient néanmoins de faire la preuve de l’ancienne noblesse du bien rétrocédé. En cas de doute, ni l’exonération immémoriale de la taille, ni le défaut d’allivrement au cadastre ne suffisent à attester de la nobilité d’un fonds. Le paiement de l’impôt du roi sur un fonds pendant trente années successives lui fait d’ailleurs perdre la qualité de bien noble. De même, les terres nobles données à cens doivent payer la taille. Cependant, devant la Cour des aides de Montpellier– comme en Provence –, la possession de la justice seigneuriale sur le terroir d’un bien-fonds présume généralement de sa nobilité.

Alors que se profile cette redoutable question des biens nobles, les consuls de Montesquieu lancent le 15 août 1660 un appel d’offre pour l’arpentage général du terroir. Des négociations s’engagent avec Dominique Cavanac, arpenteur de Montesquieu-Volvestre, le 19 septembre 1660, et le choix de la commission consulaire en charge de la réfection du cadastre se porte officiellement sur lui le 17 octobre moyennant la somme de 1 200 livres. Il est décidé à cette occasion que la nomination des estimateurs se fera en accord avec les nobles du consulat ou leurs représentants. Mais déjà se fait jour le problème du financement : « parce que le prix de l’afferme (des émoluments de la ville) n’est pas suffisant pour payer tant l’arpenteur que les estimateurs, on prendra sur les deniers municipaux de l’année prochaine, comme aussi on décharge Étienne Fabry (le syndic de l’année en cours) de l’arrêt de Montpellier portant permission de faire ledit arpentement, lequel les consuls se chargent »29. La Cour des aides a coutume de joindre à l’arrêt

permettant la confection d’un compoix l’autorisation d’imposer une certaine somme – une fois

28 ADHG, 2 E 1357, Délibération du 1er mars 1660 : « a été délibéré par l’assemblée que les sieurs consuls avertiront les messieurs de la noblesse et autres biens tenants et les convoquer pour dimanche prochain en ville pour délibérer à faire le département des deniers royaux et autres et pour nommer des départiteurs pour ce faire, comme aussi pour délibérer à faire le nouveau arpentement suivant la permission que nous avons obtenu de la cour des aides de Montpellier et que cependant les messieurs de consuls syndics et moi nommé et secrétaires procéderont à faire les chargements et déchargements ».

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acquittés les deniers du Roy – pour financer les opérations, en général 300 lt. Mais lorsque les frais atteignent plusieurs milliers de livres, « la Cour ordonne que ceux qui demandent la faction dudit compoix se retireront devers le Roy pour obtenir lettres d’assiette de ladite somme, et cependant leur permet de lever ladite somme, à la charge d’en obtenir lettres de validation de Sa Majesté »30.

À l’automne 1660, les consuls de Montesquieu-Volvestre reportent l’échéance sur l’année suivante, en espérant sans doute que la situation financière de la communauté permettra d’acquitter à ce moment-là les frais du compoix, mais ils ne restent pas inactifs sur ce point. Ce n’est en effet pas un hasard si, dans le cadre plus solennel du conseil général à peine une semaine plus tard, il est délibéré qu’« à la diligence du Sr Fabry, syndic, tous les comptes de l’administration depuis vingt-neuf ans faits en cette communauté seront rendus, et en cas ceux qui auront fait ladite administration ne voudraient rendre leurs comptes pour être revus, ils seront assignés devant Nosseigneurs de comptes, aydes et finances de Montpellier, et pour cet effet, ledit Sieur aura une requête de ladite Cour pour appeler les refusants »31. Comme on le verra au

chapitre V, la communauté engage une tentative de réformation locale dans laquelle l’assainissement financier passe à la fois par la liquidation du passif hérité des administrations passées et par la recherche d’un nouvel équilibre, plus juste et équitable, dans la répartition de l’impôt direct, fondé sur le nouveau compoix. Et dans cette démarche, la juridiction provinciale à laquelle s’adresse naturellement le consulat est la Cour des aides de Montpellier. Mais en attendant, il en est souvent réduit à des expédients pour assumer les frais du cadastre : le 5 janvier 1661, l’argent prévu pour une fondation est utilisé pour le paiement des estimateurs et de l’arpenteur32 ; en juin suivant, on emprunte 500 lt à l’un des principaux notables, monsieur de

Laloubère, « pour payer le second pac aux estimateurs et arpenteurs »33.

Pressentant que les contentieux autour du nouveau cadastre risquent de se développer sur l’estimation autant que sur l’arpentage des biens, la communauté nomme également au cours de cette assemblée générale d’octobre 1660, et non en simple conseil politique, des estimateurs. Sont désignés Guilhem Vignaux, marchand de Latour, Arnaud Ispan de Gensac et Bertrand Merly de Sainte-Croix, trois communautés rurales limitrophes de Montesquieu ; il est prévu qu’ils reçoivent 200 lt chacun, sauf Guilhem Vignaux, qui aura droit à 40 lt de plus car il sait lire et écrire. En

30 Antoine Despeisses, Traité des tailles et autres impositions…, Grenoble, 1657, p. 284-285. 31 ADHG, 2 E 1357, Délibération du 24 octobre 1660.

32 ADHG, 2 E 1357, Délibération du 5 janvier 1661 : « Sy a été délibéré qu’on agré l’obligation passée avec les estimateurs nommés et de leur avoir promis deux cens livres pour chacun et à cause qu’on a donné obligation à Guilhem Vignaux, l’un desdits estimateurs, de la somme de quarante livres…, agréant aussi ladite obligation qui est en particulier ». Puis « encore a été délibéré que les Messieurs Consuls prendront cinq cens livres de la confrérie de la Sainte-Trinité en conséquence de la fondation de l’Avent que la ville s’est obligée par la délibération précédente de le payer annuellement au prédicateur et que ladite somme sera employée au paiement des estimateurs ou arpenteur ».

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novembre, la communauté prévoit que les bientenants qui souhaitent contester l’arpentage disposeront, pour poser les réclamations d’usage, d’un délai de six mois une fois réalisé l’arpentage général du terroir34 ; elle nomme en outre de nouveaux conseillers chargés de

déterminer les degrés d’allivrement qui seront pris en compte pour l’estimation des biens-fonds du finage.

L’arpentage du terroir commence en février 1661, mais les opérations se heurtent à la résistance de certains contribuables, obligeant les consuls à accompagner les arpenteurs pour leur permettre de travailler : déjà se manifeste l’hostilité des sieurs du Barry et de Sarrecane qui prétendent avoir des biens nobles35. En outre, les estimateurs menacent de se retirer, faute de

paiement : « pour acquiescer aux clauses du contrat de bail, (les consuls) ont tiré un mandement de trois cents livres aux arpenteurs, et il n’est question que d’avoir deux cents livres pour les estimateurs, autrement ils sont résolus de quitter »36. Pour contenter les estimateurs, la

communauté demande aux bailes et syndic de l’hôpital de retirer le contrat de vente d’une vigne à Firmin Mesplé moyennant la somme de 900 lt pour que les consuls donnent obligation au syndic de l’hôpital de la somme qu’ils emprunteront à Mesplé.

En mai 1661, un tiers du terroir a déjà été arpenté lorsque Cézar de Hunaud, sieur d’Aubiac, et son cousin Jean de Hunaud, sieur d’Escavaignous, élèvent des protestations pour défendre la nobilité des biens qu’ils possèdent dans la juridiction du consulat. En réponse, le conseil politique réaffirme sa volonté de voir tous les biens du finage estimés et confirme la présence des consuls aux opérations d’arpentage. Le conflit prend un tour violent lorsque, le 25 juillet 1661, une petite troupe à cheval menée par certains des nobles du consulat, en particulier par Jean de Hunaud, sieur d’Escavaignous, et Jean François de Hunaud, sieur de Goueytes et fils du sieur d’Aubiac, s’en prend au syndic du peuple, Bertrand Pailhes, qui est roué de coups de bâtons37. On décide

d’engager des poursuites devant le parlement à Toulouse en vertu de l’autorisation donnée par la

34 ADHG, 2 E 1357, Délibération du 14 novembre 1660.

35 ADHG, 2 E 1357, Délibération du 13 février 1661 : « a été délibéré que les Messieurs de Consuls assisteront à l’arpentement pour faire obéir aux arpenteurs à ceux qui voudront empêché et qu’ils seront spectateurs partout où lesdits arpenteurs iront ».

36 ADHG, 2 E 1357, Délibération du 13 février 1661.

37 ADHG, 2 E 1357, Délibération du 25 juillet 1661, Conseil général : « Par lesdits consuls a été représenté que les Messieurs d’Escavaignous, de Goueytes avec dix ou douze d’autres gentilshommes sont venus aux portes de la ville à cheval armés de pistolets et épées à dessein de tuer ou battre les Messieurs de consuls et autres officiers de la ville, et en effet ayant rencontré Sr Bernard Pailhès, syndic du peuple, on l’aurait assomé et battu à grands coups de bâtons et d’épées, desquels coups il demeure blessé et meurtri ; c’est pourquoi vu que c’est un attentat qui mérite à être vengé et poursuvi en justice, prie l’assemblée d’en vouloir délibérer.

« D’une commune voix et d’un animement général, a été délibéré que vu l’attentat fait par lesdits sieurs d’Escavaignous et de Goueytes et ses adhérents d’avoir battu et blessé ledit Pailhès, syndic du peuple, sous prétexte d’avoir arpenté et estimé leurs biens prétendus nobles, il sera dressé des informations contre eux d’autorité de la Cour de Parlement de Toulouse et les poursuivre civilement et criminellement jusqu’à arrêt, et le tout aux dépens de la communauté, donnant pouvoir auxdits seigneurs consuls et syndic de ce faire le plus tôt qu’il se pourra et que cependant on fera faire relation des blessures que ledit Pailhès, syndic, a sur son corps ».

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Cour des aides de Montpellier de procéder à l’estimation générale des biens-fonds du terroir, et par conséquent des biens prétendus nobles mais l’issue de la procédure n’est pas connue.

Toute cette agitation n’arrête cependant pas l’avancée des travaux d’arpentage puisqu’à la fin de l’année 1661, les mesures du terroir sont achevées aux deux tiers. Il convient désormais de commencer l’arpentage de la ville elle-même et Dominique Cavanac réclame pour cela le « règlement énoncé dans le sentouran »38, c’est-à-dire de la coutume de Montesquieu, dont on ne

connaît pas le contenu. Mais la réponse tarde : l’arpenteur « a requis plusieurs fois de lui donner le modèle comme quoi on doit arpenter les maisons et jardins de l’enclos de la ville, et que autrement il descontinuera l’arpentement et s’en ira travailler ailleurs » ; il est finalement délibéré le 8 décembre que « toutes les maisons et jardins s’arpenteront et que Cavanac prendra la mesure à quatre pans hors les portes foraines tant desdites maisons que jardins tant par le devant que par le derrière, et la même chose se fera aux maisons et jardins qui se rencontreront faisant coin à une rue »39.

Concomitamment, le conflit avec la noblesse semble trouver les voies de l’apaisement : le 27 décembre, ses représentants demandent à la communauté de bien vouloir transiger sur l’inscription au cadastre des biens qu’ils possèdent dans le terroir : une conférence doit avoir lieu à Montpellier en janvier 1662, à laquelle on députe un médecin, Pierre Jean Salinié, et un homme de loi, Bernard Dupin, et la communauté demande une consultation à un avocat spécialisé pour la vérification des actes de nobilité40. Après les événements violents de l’été, il semble que chaque

partie recherche la conciliation. Les deux députés, dont la mission a duré trente-deux jours, font leur rapport au conseil politique le 6 février 1662 et présentent la consultation d’un avocat montpelliérain : s’il exclut les biens des sieurs d’Escavaignous et du Barry, il ne tranche pas la question de la nobilité des biens du sieur de Palays, faute de disposer des documents nécessaires41. Les deux députés disent aussi avoir retiré à la Cour des aides un arrêt relatif aux

biens des Salenques, contraignant les religieuses à payer la taille42.

Entre-temps, au début du mois de janvier, Dominique Cavanac a achevé l’arpentage général du terroir : il convient désormais de conclure l’estimation des maisons et jardins de l’enclos urbain pour la lui confier afin qu’il en fasse l’arpentage ; il est précisé à ce moment-là, pour

38 ADHG, 2 E 1357, Délibération du 21 novembre 1661. 39 ADHG, 2 E 1357, Délibération du 8 décembre 1661. 40 ADHG, 2 E 1357, Délibération du 27 décembre 1661.

41 ADHG, 2 E 1357, Délibération du 6 février 1662 : « Après avoir ouï le récit de leur députation, ils ont porté une consulte du sieur d’Ortoman, avocat de Montpellier, par laquelle il fait voir en quelque façon le bien du sieur d’Escavaignous et Dubarry roturiers et pour celui du sieur de Palais, on ne les en a point su bien éclairer parce qu’il faut chercher quelques transactions passées entre la communauté et les successeurs du sieur de Palais ». Une délibération du 19 février 1662 mentionne des frais engagés pour obtenir d’un notaire de Rieux, Dangès, « l’expédition de la transaction passée avec le sieur de Palais ».

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couper court aux contestations, que « les couverts des maisons qui sont à l’entour de la place s’arpenteront juqu’aux piliers desdits couverts »43.

En mai 1662, la communauté souhaite utiliser le nouveau compoix pour asseoir le

département de la mande diocésaine44. Mais Dominique Cavanac travaille encore à redresser des

erreurs et des nullités qui retardent la confection du nouveau livre de taille et plusieurs nobles s’opposent à cette délibération. Or, l’arrivée du receveur du diocèse, le sieur Jean des Innocents, pour la perception des deux premiers tiers de l’imposition est imminente45. Comme le livre de

taille n’est pas encore prêt, la communauté décide en urgence d’emprunter pour le paiement du premier tiers 1 000 livres à Toulouse aux conditions que le créditeur imposera46.

Le 5 juin 1662, Cavanac semble avoir fini de corriger les erreurs du compoix ; le Conseil politique décide de dresser à part un cahier des biens prétendus nobles en conséquence de l’arrêt rendu par la Cour des aides de Montpellier en janvier 166047. Dès le 18 juin 1662, le livre de taille

est achevé et Maissent, collecteur pour l’année en cours, se trouve en état d’effectuer la levée de la taille à partir du nouveau livre terrier ; cependant, Valentin Bernaduque, qui avait été nommé avec

43 ADHG, 2 E 1357, Délibération du 8 janvier 1662 : « Par lesdits consuls a été représenté que Cavanac, agrimenseur, a parachevé l’arpentement général de tout le terroir et n’est question à présent que de coucher l’estime aux maisons et jardin, et d’autant que les Messieurs de Consuls de l’année dernière avec d’autres députés, par une délibération précédente, ont déjà entré en conférence comme quoi on doit faire l’estime desdites maisons et jardins, ils seront d’avis de lui remettre en main ladite estime pour la mettre sur les maisons et jardins et la coucher sur le livre de l’arpentement.

« De commune voix a été délibéré que les Messieurs qui sont députés à faire l’estime desdites maisons et jardins se rassembleront derechef pour conclure à ladite estime, laquelle sera baillée à Cavanac… »

44 ADHG, 2 E 1357, Délibération du 7 mai 1662 : « Pour faire le département des deniers contenus en la mande, municipaux et intérêts ont été nommés et créés à la pointe Monsieur d’Aubiac, Monsieur François de Sers, sr de Mottes, sieur Nicolas Manaud, Bernard Dubuc, Jacques Caussade et Dominique Cavanac, lesquels susnommés feront le département sur la nouvelle estime et l’arpentement nouveau qui a été fait cette présente année, préalablement vérification faite par les consuls, syndic et départiteurs susnommés et autres tels lesdits consuls nommeront du livre que les estimateurs et arpenteur en ont dressé de nouveau pour faire droit à qui il appartiendra ».

45 ADHG, 2 E 1357, Délibération du 29 mai 1662 : « Par lesdits sieurs consuls a été représenté que le premier pac (terme) de la taille est échu et que le second va échoir dans peu de jours, qu’est cause que le sieur des Innocens, receveur du diocèse, a envoyé qu’il veut argent et de tant que par la précédente délibération est dit qu’on cotisera sur le livre de l’arpentement nouveau, lequel n’est pas en l’état qu’il faut, d’autant qu’il y a quelques erreurs, qu’est cause que le livre de la taille retarde… D’une commune voix a été délibéré que plutôt de faire le livre de la taille que les Messieurs de Consuls feront accommoder les erreurs qui se trouveront dans le livre à Cavanac, agrimenseur, le plus tôt qu’il se pourra, et ce sera dans trois semaines le plus long, dans lequel temps les livres de taille seront en état pour les bailler aux collecteurs et receveurs ».

46 ADHG, 2 E 1357, Délibération du 1er juin 1662 : « Par lesdits consuls a été représenté que Me Jean des Innocents, receveur du diocèse, arriva hier en ville à dessein de prendre l’argent de notre communauté, d’autant que le premier pac de la taille est échu depuis le premier avril, et que le second va échoir ce jourd’huy. C’est pourquoi vu que le livre de la taille n’est pas fait encore à cause des erreurs et nullités qui sont au livre de l’arpentement nouveau… d’une commune voix a été délibéré que lesdits sieurs consuls et syndic emprunteront de telle personne qu’ils trouveront la somme de mille livres aux conditions que le créditeur voudra pour icelle somme être employée au paiement du premier pac de la taille… L’assemblée a prié le sieur Nicolas Manaud de se transporter à Toulouse pour emprunter ladite somme au nom des consuls et syndic… »

47 ADHG, 2 E 1357, Délibération du 5 juin 1662 : « D’une commune voix a été délibéré que le livre et département de la taille se fera aujourd’hui, d’autant que ledit Cavanac a corrigé les erreurs qui étaient dans le livre du nouveau arpentement et qui est à présent en bon état et sur les livres allivrantes qui se trouveront dans les livres sur lesquelles le département sera fait, et sur celles du bien prétendu noble desquelles sera fait un cahier à part ainsi qu’est porté dans l’arrêt que la ville a obtenu de la Cour des aides de Montpellier ».

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lui, refuse cette charge et se retrouve poursuivi par la communauté, tandis que Maissent réclame qu’on lui donne un adjoint48.

Le nouveau livre terrier de Montesquieu entre en vigueur dans des conditions difficiles, alors que tous les conflits, notamment avec la noblesse, ne sont pas éteints. Il n’empêche qu’après un long processus d’élaboration qui aura duré trois ans, il est enfin achevé : il convient par conséquent de s’arrêter sur la forme donnée à ce document essentiel au fonctionnement du système fiscal de la communauté.

48 ADHG, 2 E 1357, Délibération du 18 juin 1662 : « Par lesdits sieurs consuls a été représenté que le livre de la taille est fait et en bon état, et l’ont représenté à Maissent et Valentin Bernarduque, collecteurs pour en faire la levée, lesquels ont répondu : savoir, ledit Maissent, qu’il offre lever la taille et deniers compris dans ledit livre à la charge que la ville lui donne un adjoint pour faire la levée avec que lui, d’autant que ledit Bernaduque refuse de faire la levée desdits deniers… D’une commune voix a été délibéré que ledit Bernaduque sera poursuivi en justice pour lui faire accepter la charge et que cependant un homme sera mis à son lieu et plce par provision pour faire la levée de la taille conjointement avec ledit Maissent et tel même que sera nommé par Mr le Juge de Rieux par un appointement ».

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Chapitre premier. – La conception du compoix :

le cadre juridique et technique

Pour analyser la forme du cadastre de Montesquieu, il faut se poser la question des hommes qui l’ont réalisé et des règles qu’ils ont eu à respecter. Car « pareille entreprise ne saurait être menée à bien que par des spécialistes : hommes de terrain aguerris, ils dominent un savoir et des techniques qu’ils tiennent davantage d’une pratique séculaire que d’une science toute faite »49.

Ils opèrent au sein d’un espace circonscrit – la juridiction du consulat – et doivent respecter, pour garantir la validité du nouveau cadastre, une réglementation qui s’est définie progressivement autour de quelques principes en matière de droit des biens et de droit des personnes. La Cour des aides de Montpellier a joué un rôle fondamental dans la fixation des règles d’élaboration des compoix, surtout à partir du début du XVIe siècle, mais les communautés

ont gardé une marge de manœuvre non négligeable, notamment parce qu’elles seules choisissaient les hommes chargés de la confection de leur compoix.

Ces « hommes du cadastre » mettaient en œuvre des techniques et des savoirs précis, qui allaient de la connaissance de la valeur d’un terroir à l’arpentage des terres et à la mise en forme juridique des livres fiscaux : il est donc nécessaire de prendre en compte leur travail pour évaluer dans quelle mesure la réglementation provinciale relative aux compoix a reçu une application effective et comment ces hommes ont participé à la normalisation de ce type de document fiscal au XVIIe siècle.

49 Albert Rigaudière, « De l’estime au cadastre dans l’Occident médiéval : réflexions et pistes de recherches », De

l’estime au cadastre en Europe, Le Moyen âge, Actes du colloque des 11, 12 et 13 juin 2003 sous la direction scientifique

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