• Aucun résultat trouvé

Marquer sa filiation avec Le Mercure de France : une nécessité pour Jarry

PREMIÈRE PARTIE : JARRY ET LA CRITIQUE

III. LA REVUE BLANCHE PRENANT POUR JARRY LA PLACE DU MERCURE ?

2. Marquer sa filiation avec Le Mercure de France : une nécessité pour Jarry

2. 1. Proximité de La Revue blanche et du Mercure de France.

Si la première période littéraire de Jarry correspond de facto au Mercure de France et la seconde à La Revue blanche, l’on peut considérer que Jarry cherchera à remettre en question, de façon sous-jacente, cette séparation.

Ce faisant, il renoue implicitement avec la volonté première de La Revue blanche qui était de se rapprocher du Mercure de France. En effet, les deux petites revues sont loin de s’affirmer entre elles dans un rapport d’opposition.

Le Mercure de France a accueilli avec bienveillance la reparution de La Revue blanche sous la houlette des frères Natanson en 1891 : « Voici reparaître La Revue blanche (19 rue des Martyrs. – Un an : 7 fr. ; le n° : 60 cent.), avec M. Alexandre Natanson pour Directeur, et au Secrétariat de la Rédaction M. Lucien Muhlfeld. Cette nouvelle série, format in 8° carré, 64 pages, se présente le mieux du monde, aussi bien au point de vue littéraire qu’à celui de la typographie. Nous parlerons bientôt plus longuement de cette intéressante publication sous notre rubrique Journaux et Revues, supprimée du présent numéro. 1» Si la qualité de la typographie est soulignée, c’est parce que,

« [c]ontrairement aux autres revues », La Revue blanche « se caractérise par sa grande simplicité, sa sobriété, le soin apporté à l’impression. 2»

Cet accueil fut précisé sous la plume d’un ami de Jarry, collaborateur du Mercure de France, Pierre Quillard, et ce l’année suivante. L’on peut dire que Quillard rebondit véritablement sur l’annonce louangeuse publiée l’année passée dans Le Mercure de France, plus précisément sur ce qui en constitue l’essentiel du propos très resserré, à savoir la mention qui est faite du soin apporté à la typographie et à la qualité des textes, précisant alors (le terme « seul » est parlant), de façon circonstanciée, le propos liminaire du Mercure de France : « La nouvelle série de La Revue blanche (trois numéros depuis le 15 octobre 1891) n’est point supérieure aux précédentes par le seul charme de la typographie, mais aussi par la qualité des articles qu’on y peut lire. La revue […]

invita successivement des poètes comme Gustave Kahn, Stuart Merrill, Paul Verlaine, Francis Vielé-Griffin […]. Mais les rédacteurs habituels se suffiraient fort bien à eux-mêmes et l’hospitalité qu’ils offrent à leurs amis de lettres est toute désintéressée […] 3».

Les liens reliant Le Mercure de France à La Revue blanche sont ainsi bien des liens d’admiration réciproque. Il faut remarquer que ces deux revues « sont suffisamment différent[e]s pour ne pas

1 Le Mercure de France, n° 19-24, op. cit., p. 373.

2 Geneviève Comes, op. cit., p. 5.

3 Le Mercure de France, n° 25-28, tome IV, janvier-avril 1892, p. 181.

118

entrer en concurrence frontale » : existe entre elles « un décalage d’une demi-génération 1», et

« rien n’affectera la connivence entre les deux maisons 2», bien que Géraldi Leroy et Julie Bertrand-Sabiani utilisent le terme « rivaliser » pour caractériser les liens qui unissent ces deux petites revues, écrivant : « Alfred Natanson, avec l’approbation de ses deux frères Alexandre et Thadée, ne tarda pas à concevoir pour La Revue blanche une ambition plus haute : il s’agissait de la hisser au niveau d’un grand organe littéraire s’imposant à tous par la qualité de sa rédaction, visant en somme à rivaliser avec Le Mercure de France. 3»

Et La Revue blanche y parvient avec éclat puisque dès 1901, Henri Avenel note, dressant implicitement la cartographie des ambitions affichées du Mercure de France, que La Revue blanche a acquis sa réputation « sans nulle concession aux habitudes du public, en défendant les idées libérales dans leurs conséquences les plus hardies, en mettant en valeur, dès le moment de leur verdeur première, les manifestations d’art vraiment novatrices, en s’astreignant à traiter tout sujet avant qu’il se soit banalisé dans la discussion publique. 4»

2. 2. Prédominance du Mercure sur La Revue blanche.

2. 2. 1. Jarry apparemment entièrement tourné vers La Revue blanche mais en réalité secrètement tourné vers Le Mercure.

À première vue, Jarry semble vouloir faire en sorte que tout son travail journalistique soit entièrement tourné vers La Revue blanche, puisqu’il veut que le maigre volume prévu chez Sansot : Siloques, superloques, soliloques et interloques de pataphysique, soit la réunion de chroniques (presque exclusivement) parues dans La Revue blanche et étant donné surtout qu’il écrit à Thadée Natanson le 30 juin 1907 : « Quant à la Chandelle Verte (nos anciennes Spéculations et Gestes, augmentées de beaucoup d’autres), vous savez mon estime et [un mot raturé] mon amitié pour vous et vos frères, je serais très heureux que vous me permettiez de dédier le livre, en souvenir de la revue blanche : / A mm. [sic] Alexandre, Thadée et Alfred Natanson. 5»

Certes, si rendre compte d’ouvrages permet à Jarry de vivre, cet acte lui permet également de s’inscrire en force dans l’univers d’une petite revue, en l’occurrence celui de La Revue blanche, au

1 BOURRELIER, p. 246.

2 Ibid.

3 LEROY BERTRAND-SABIANI, p. 202.

4 Henri Avenel, La Presse Française au vingtième siècle, « préface de M. Jules Claretie de l’académie française. Opinions sur l’avenir de la Presse de MM. Henry Maret, Yves Guyot, Hector Depasse, Lucien Victor-Meunier, Pascal Grousset, Albert Quantin, Portraits et biographies », Flammarion, 1901, p. 384.

5 Propos cité par Edouard Graham, Passages d’encre, échanges littéraires dans la bibliothèque Jean Bonna, envois, lettres et manuscrits autographes, 1850-1900, Gallimard, 2008, p. 511.

119

vu de notre corpus : Jarry semble en outre s’être de facto « éloign[é] petit à petit du Mercure, où il avait tant rêvé écrire 1».

Mais, en réalité, l’auteur du Surmâle cherchera paradoxalement par cet acte, non pas, à proprement parler, à se détourner de La Revue blanche, mais à réaffirmer sans cesse sa filiation avec Le Mercure de France.

En premier lieu, il rend compte souvent d’ouvrages émanant d’amis. Or, c’est « [d]ans l’équipe si diverse du Mercure (on y croise aussi Jules Renard, Francis Jammes, Claudel, Gide, Valéry…) dont il est le cadet [que] Jarry rencontre presque tous ses proches et familiers ; nombre d’entre eux, peu connus aujourd’hui, ont régulièrement nourri les sommaires du Mercure, surtout dans son austère partie critique : Henry D. Davray, A.-Ferdinand Herold, Eugène Demolder, sans compter Vallette et Rachilde. 2»

Le travail de critique littéraire devient ainsi pour Jarry la possibilité de continuer de tisser une filiation avec Le Mercure de France, d’enraciner son individualité littéraire et son idiosyncrasie (puisque ses bibliographies sont d’abord et avant tout la marque et la résultante d’un goût) dans cette institution littéraire, qui est d’abord pour Jarry le groupe qu’il reconnaît comme le plus proche de son identité littéraire et au travers duquel il a construit celle-ci semble-t-il (il s’agit pour Jarry, pour reprendre la formulation d’Albert Samain, de défendre « une littérature qui s’avis[e]

manifestement l’unique 3» : cette formule dit tout de la volonté de Jarry de s’enfermer dans une identité littéraire précise, en liens insécables et féconds avec le symbolisme, celui-ci fût-il en crise4) mais également l’endroit où il se sent le mieux.

2. 2. 2. Le Mercure de France : un foyer pour Jarry.

D’où l’importance des mardis de Rachilde, rencontre hebdomadaire. C’est elle qui va permettre tout d’abord au Mercure de France d’apparaître comme le lieu de vie de Jarry. C’est par elle qu’il va l’habiter sinon l’occuper. Le phalanstère de Corbeil n’en sera, en un certain sens, que le prolongement. Que Jarry puisse se sentir si bien au Mercure de France tient également au fait que

« Le Mercure de France est une entreprise de famille. 5» C’est autour des époux Vallette, dont Jarry sera extrêmement proche jusqu’à la fin de sa vie, que se cristallise tout à la fois l’aventure éditoriale mais également les modalités de réception des mardis, qui donnent à la réunion d’un

1 Dir. Collège de pataphysique, op. cit., p. 126.

2 BESNIER, p. 84.

3 OC III, p. 531.

4 Voir Michel Décaudin, La Crise des valeurs symbolistes, Vingt ans de poésie française, 1895-1914, Toulouse, Privat, 1960.

5 BOURRELIER, p. 246.

120

petit groupe la possibilité de s’exprimer loin de convenances, dans la plus stricte intimité consolidée par le socle familial.

Du reste, avec les Vallette (et leur fille Gabrielle née en 1890), Jarry trouve « un foyer très précisément », une « véritable famille pour lui », Le Mercure de France devenant ainsi pour lui « une demeure 1». L’on imagine à quel point la chaleur des échanges a pu colorer la « triste[sse] » du lieu austère donnant aux mardis l’occasion de se déployer, et le transcender au point qu’il devienne, face aux réceptions de la rue de Rome, l’un des lieux forts du milieu intellectuel parisien : « Au Mercure c’était, en principe, Rachilde qui recevait ; cependant la grande assemblée se tenait dans le vaste et triste bureau du patron ; le vaste et triste bureau où se pouvaient remarquer moins d’instruments de littérature que de comptabilité, le Grand Livre écrasant les beaux livres dont très peu se proposaient à une curiosité souvent épuisée ainsi que des « échantillons ». 2»

Du reste la configuration du lieu n’avait-elle que peu d’importance, puisque, comme le remarque Gide, pour les auteurs participant aux mardis de Rachilde, « le Mercure, en ce temps, […] [était] le seul lieu de rencontre possible, en dehors de quelques salons, peut-être, et des cafés. 3»

Jarry s’imposa dans le salon du Mercure de France au point d’y apposer son empreinte, sa marque ayant trait tout à la fois à l’aspect métronomique de sa gestuelle et de son phrasé, et aux particularités langagières qui faisaient le parler du Père Ubu : ce salon fut ainsi « avec ses habitués » pour « Jarry un lieu amical et pour ainsi dire théâtral, où il jouait [véritablement] son personnage de « Père Ubu ». 4» Gide écrit que l’auteur des Minutes « exerçait au Mercure […] une sorte de fascination singulière. 5»

2. 2. 3. Dialogue sous-jacent tissé avec Gourmont et Rachilde.

En second lieu, le dialogue que Jarry continue de tisser, même invisiblement, avec deux des plus grandes figures du Mercure de France, au cours de sa collaboration régulière à La Revue blanche, à savoir Gourmont et Rachilde, est exemplaire de sa volonté de fondre son identité dans celle du Mercure de France, du moins dans celle du Mercure de France qu’il fantasme et qui était celui de ses débuts littéraires, alors organe ouvert pleinement au symbolisme.

1 BESNIER, p. 133.

2 André Salmon, op. cit., p. 251.

3 André Gide, « Le Mercure de France », « Souvenirs littéraires et problèmes actuels », Souvenirs et voyages, édition présentée, établie et annotée par Pierre Masson, avec la collaboration de Daniel Durosay et Martine Sagaert, Gallimard, collection Bibliothèque de la Pléiade, 2001, p. 928.

4 BESNIER, p. 84.

5 André Gide, « Le Mercure de France », op. cit., p. 927.

121

En effet, il ne fait aucun doute que pour Jarry la plus grande figure du Mercure de France est Remy de Gourmont. Et force est de constater que malgré la brouille survenant entre Jarry et Gourmont, « [l]e dialogue qui s’établit entre [eux] […] dès 1894 se poursuit […] sous diverses formes jusqu’à la mort de Jarry. Né d’une collaboration directe, il devient uniquement textuel suite à leur rupture, mais il n’en est que plus riche et plus fécond 1». Henri Bordillon écrit ainsi :

« Comment ne pas comprendre alors qu’au-delà de leur rupture, Jarry et Gourmont n’ont pas cessé, par textes interposés, d’échanger opinions ou idées ? 2» Ce dialogue est bien évidemment sensible dans les textes spéculatifs de Jarry, mais également dans ses critiques littéraires, et avec force, ce que Henri Bordillon n’indique pas et ce que notre annotation cherchera notamment à montrer.

Une autre figure toutefois symbolise également Le Mercure de France pour Jarry : c’est celle de Rachilde. Et du reste Rachilde est, fin 1889, « à l’exception peut-être de Remy de Gourmont, l’auteur le plus connu du groupe. 3» Or, cette perception qu’a Jarry de l’auteur de Monsieur Vénus est bien fondée sur des faits et non sur l’attachement qu’il pouvait lui porter : « Les contemporains ont reconnu à la « patronne du Mercure », Rachilde, l’épouse de Vallette, une contribution non négligeable dans la marche de la maison 4». Entre Rachilde et Vallette s’est opéré en effet un véritable « partage du travail. Il […] est revenu [à Rachilde], à travers son salon du mardi, fréquenté par le monde des arts et des lettres, de tenir un rôle de médiation entre le Mercure et la société littéraire de son temps et, d’autre part, de contribuer à la cohésion du groupe formé par des collaborateurs aux tempéraments divers. 5»

Et l’auteur de La Chandelle verte ne cessera, là encore, d’établir un dialogue avec elle, par l’intermédiaire des chroniques tout d’abord mais également des comptes rendus, comme notre édition annotée cherche systématiquement à le montrer. Ce dialogue s’établissant le plus souvent sous couvert de l’implicite, il demeure ainsi privé jusque dans la sphère publique. Et du reste Rachilde fera-t-elle perdurer ce dialogue textuel au travers de sa rubrique des « Romans », sous couvert également de l’implicite, comme nous le verrons, fût-ce épisodiquement, ce qui prouve qu’elle se prend au jeu instauré par Jarry, jeu dont elle a bien pris conscience.

Le fait que Rachilde et Jarry rendent parfois compte des mêmes ouvrages quasiment au même moment nous permet de penser que ce dialogue a très certainement existé en amont de

1 Alexia Kalantzis, « De la dissociation à la Pataphysique : lumières d’Alfred Jarry et de Remy de Gourmont sur les choses du temps », L’Etoile-Absinthe, tournées 111-112, Société des amis d’Alfred Jarry, 2006, p. 23.

2 OC II, p. 790.

3 LEROY BERTRAND-SABIANI, p. 132.

4 Ibid.

5 Ibid.

122

l’écriture, dans la sphère privée (les deux rédacteurs parlant de leurs lectures, échangeant leurs opinions… ; et Rachilde pouvant plus précisément encore conseiller Jarry, parmi la pléthore de romans qu’elle lisait), contrairement à celui, uniquement textuel, qui s’est perpétué entre Jarry et Gourmont.

Cette remarque doit être toutefois légèrement nuancée par le fait que Rachilde rendait compte de très nombreux ouvrages : « Elle lisait », constate Philippe Kerbellec, « au même rythme effréné qu’elle écrivait, passant en revue une quarantaine de titres par mois, jusqu’à ce que, épuisée, elle demandât assistance à Henriette Charasson en 1914, avant de laisser définitivement la place à John Charpentier en 1924. 1»

Et la force, extrême, de la réalité de ce dialogue constant entre Jarry et Rachilde, qui se perpétue suivant toutes les modalités possibles (les loisirs, les mardis, la correspondance…), n’a pas échappé à Charlotte, qui a peut-être été la personne la plus proche de Jarry à la fin de sa vie, puisque celle-ci ira jusqu’à écrire à Rachilde et à Vallette le 28 mai 1908 : « ... Madame Rachilde pourrait peut-être, pour elle, seul écrivain assez fort, faire quelque chose de la Dragonne. 2»

2. 2. 4. Un hommage attendu à Vallette.

Si Gourmont demeure sans doute, ainsi que nous l’avons suggéré, la figure la plus notable du Mercure de France pour Jarry (et nous reviendrons quelque peu sur le sens de cette prédominance par la suite), l’auteur de Messaline n’en oublie pas pour autant Alfred Vallette (1858-1935) qui semble-t-il « choisi[ssait] » avec l’aide de Van Bever « les manuscrits », « les met[tant] en forme pour l’édition 3», secondé probablement par Louis Dumur, « secrétaire général et rédacteur en chef 4» : le « rôle éminent 5» de Vallette face à Gourmont ne doit absolument pas être minoré6, Vallette demeurant la « cheville ouvrière de la revue 7», permettant que soient perpétués « en premier lieu le sérieux et la stabilité de l’équipe administrative » qui sont à « l’origine du

1 Mercure de France, anthologie 1890-1940, édition établie par Philippe G. Kerbellec et Alban Cerisier, Mercure de France, 1997, p. XII. Voir aussi LEROY BERTRAND-SABIANI, p. 132.

2 Propos cité dans Cahiers du Collège de Pataphysique, « dossier de la Dragonne déchiffré et provisoirement commenté par Maurice Saillet avec la collaboration de J.H Sainmont », dossier 27, 21 décervelage XCII, p 118.

3 LEROY BERTRAND-SABIANI, p. 133.

4 Ibid.

5 Id., p. 131.

6 Voir Ibid., Id., p. 133 ; Elisabeth Parinet, « L’édition littéraire, 1890-1914 », Dir. Henri-Jean Martin et Roger Chartier, en collaboration avec Jean-Pierre Vivet, Le livre concurrencé, 1900-1950, Histoire de l’édition française, tome IV, Promodis, 1986, p. 165 ; Louis Forestier, Revue d’Histoire littéraire de la France, n° 1, 92° année, Armand Colin, janvier-février 1992, p. 4.

7 Elisabeth Parinet, op. cit.

123

développement du Mercure » et dont le « comportement tranchait avantageusement avec la fantaisie qui préside souvent à la gestion des jeunes revues littéraires 1». Vallette assura ainsi « la sagesse d’une entreprise que l’enthousiasme ou l’insouciance de quelques-uns eussent sans doute conduite à sa perte 2 ».

Gourmont lui-même, « dans le Deuxième livre des Masques et dans la 4° série des Promenades littéraires, évoque l’homme et l’écrivain. Sur ce dernier point, il présente avec délicatesse une analyse, tout ensemble sympathique et réservée, de l’unique roman de Vallette, Le Vierge. 3» Jarry s’inscrira dans ce même élan d’hommage initié par Gourmont concernant Vallette en mettant également en avant ses talents d’écrivain, dans Albert Samain, talents qu’il a pourtant délaissés pour mener à bien l’entreprise éditoriale du Mercure de France, s’y vouant totalement. Il s’agit, semble-t-il, pour Gourmont, comme à sa suite pour Jarry, de séduire Vallette en adoptant l’attitude louangeuse inverse de celle ordinairement attendue : prendre le contre-pied dans la louange (ce qui, en un certain sens, est le propre de la séduction).

Remarquons ainsi que Jarry lui-même, a posteriori, mettra en avant l’importance de Vallette en ce qui concerne Le Mercure de France, dans Albert Samain, et ce doublement puisqu’en évoquant Le Scapin il parlera implicitement du Mercure de France et de Vallette, les reliant ainsi indéfectiblement, puisque celui-ci fut « le secrétaire de rédaction 4» de cette revue : « [d]u Scapin comme de toutes les minces revues qui s’évanouirent, sans doute parce qu’elles ne suffisaient plus, en dimension, à contenir l’expansion de talents grandissants, l’on revoit, en 1890, les meilleurs unis en une phalange qui devait rester cette fois définitive. 5»

Jarry met implicitement en avant la « première réussite de Vallette » qui est d’abord d’avoir voulu « rassembler des efforts éparpillés à travers quelques revues dont la vitalité avait décliné et qui disparurent dans les dernières années de la décennie 1880 6» ; c’est pour cette raison, peut-on penser, que Vallette ne s’offusqua nullement « devant la diversité d’expression de ses collaborateurs et ne voulut […] donner d’abord » au Mercure de France « que le nom de recueil, plutôt que celui de revue 7» et si Le Mercure de France finit aux yeux de Vallette par devenir une véritable revue, notamment par le biais de « la Revue du mois », il faut remarquer que Vallette ne

1 LEROY BERTRAND-SABIANI, p. 131.

2 Louis Forestier, op. cit.

3 Ibid.

4 LEROY BERTRAND-SABIANI, op. cit.

5 OC III, p. 534.

6 Louis Forestier, op. cit., p. 5.

7 Ibid.

124

se préoccupera jamais de gommer « les contradictions éventuelles pour mettre en évidence », au sein de la revue, « une « ligne » [éditoriale] qui lui aurait paru artificielle. 1»

Si Jarry choisit de rendre hommage à Vallette, c’est, peut-on penser, afin de faire en sorte de pouvoir, et ce jusqu’à la fin de sa vie (puisque la publication de Albert Samain épouse ce moment), se tourner ostensiblement, avec admiration, vers Le Mercure de France, puisque Vallette est la figure qui se confond véritablement, en tout point, avec cette revue, plus encore que Rachilde et Gourmont.

2. 2. 5. Jarry : disciple de Gourmont, grande figure du Mercure.

Concernant l’importance, extrême (et déjà signifiée), de ce dernier en ce qui concerne Le Mercure de France et que Jarry a très bien ressentie (ne minimisant ainsi ni celle de Vallette, ni celle de l’auteur de L’Animale), outre le fait que l’auteur des Minutes fut sans doute à ses débuts le protégé de l’auteur des Epilogues, statut privilégié perceptible au travers notamment des modalités de création et d’existence de L’Ymagier, Géraldi Leroy et Julie Bertrand-Sabiani constatent : « Tel collaborateur d’une revue peut très bien ne pas y être titulaire de fonctions officielles et pourtant y exercer à titre d’inspirateur plus ou moins discret, une forte influence. Remy de Gourmont tint ce rôle au Mercure. Cet érudit à l’esprit curieux et à la fécondité inépuisable participa, dès le second numéro et avec une grande constance, à la rédaction de la revue. 2»

Concernant l’importance, extrême (et déjà signifiée), de ce dernier en ce qui concerne Le Mercure de France et que Jarry a très bien ressentie (ne minimisant ainsi ni celle de Vallette, ni celle de l’auteur de L’Animale), outre le fait que l’auteur des Minutes fut sans doute à ses débuts le protégé de l’auteur des Epilogues, statut privilégié perceptible au travers notamment des modalités de création et d’existence de L’Ymagier, Géraldi Leroy et Julie Bertrand-Sabiani constatent : « Tel collaborateur d’une revue peut très bien ne pas y être titulaire de fonctions officielles et pourtant y exercer à titre d’inspirateur plus ou moins discret, une forte influence. Remy de Gourmont tint ce rôle au Mercure. Cet érudit à l’esprit curieux et à la fécondité inépuisable participa, dès le second numéro et avec une grande constance, à la rédaction de la revue. 2»