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PREMIÈRE PARTIE : JARRY ET LA CRITIQUE

II. LA CRITIQUE POUR JARRY, OBLIGATION POUR ASSURER LA MATERIELLE ?

1. La critique théâtrale

1. 1. Le choix nécessaire d’une édition non exhaustive.

Un grand nombre de textes critiques de Jarry concernent le théâtre, que ce soient des ouvrages publiés ou des représentations.

Nous avons choisi d’écarter une grande part de ces textes, au cours de cette édition critique et commentée (ce qui ne sera bien sûr nullement le cas lors de notre édition des « Textes critiques et divers », à paraître aux éditions Classiques Garnier), pour la raison suivante (outre le fait qu’il nous a fallu faire des choix, notre propos n’étant pas ici l’exhaustivité, et ce afin de faire en sorte que l’ampleur de notre travail se situe quelque peu dans les limites du raisonnable) : c’est essentiellement cette forme de critique qui paraît répondre chez Jarry avec le plus d’empressement à la définition que l’on peut dresser d’un travail alimentaire.

Ainsi Jarry, d’une part, semble moins s’impliquer dans leur rédaction : ce n’est pas uniquement le cas des comptes rendus qu’il dresse de représentations mais aussi de certaines critiques d’ouvrages de théâtre comme en témoigne de façon exemplaire le compte rendu des tomes III et IV du Théâtre de Meilhac et Halévy inséré dans La Revue blanche le 1er mai 1901, qui ne consiste qu’en un montage semble-t-il laconique de citations, Jarry allant jusqu’à citer non d’après l’ouvrage original mais d’après La Revue d’art dramatique et musical, recopiant une citation qu’elle met elle-même en avant. Mais ce n’est pas à nous de nous prononcer sur ce sujet (puisque cela nous amènerait, même en creux, à énoncer un jugement sur la valeur du texte, ce qui excéderait absolument le positionnement exégétique que l’on veut adopter ici) ni même de tirer partie de cette constatation au sein de notre raisonnement et des choix sur lesquels il s’opère.

D’autre part, et c’est là l’essentiel, Jarry dans ces textes développe le plus souvent à un bien moindre niveau l’esthétique du raccourci qui nous occupe fortement ici, puisque notre propos est notamment de montrer comment l’auteur du Surmâle, loin de l’apparent distinguo très net que l’on peut faire entre sa période d’écriture correspondant grosso modo à son implication dans Le Mercure de France et celle épousant sa participation à La Revue blanche, notamment au travers de l’écriture du Surmâle (qui manifeste absolument un choix radical de clarté stylistique) et de la rédaction, incessante, des chroniques, fait perdurer, mais en creux, de façon presque insoupçonnable, une autre forme d’obscurité, et ce afin d’une part de ne pas renoncer aux concepts esthétiques très forts sur lesquels il a construit intégralement toute son écriture, et

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d’autre part de tisser incessamment une filiation avec Le Mercure de France (également par des renvois et allusions incessants à cette maison d’édition), et ce au sein même de La Revue blanche, – puisque les moments par lesquels l’obscurité de Jarry se dégage avec le plus de force, au travers des Minutes et de César-Antechrist, sont rattachés inéluctablement à la présence du Mercure de France, alors très ouvert au symbolisme, notamment grâce à la présence tutélaire (en ce qui concerne Jarry, mais également un certain nombre de jeunes auteurs) de Remy de Gourmont.

L’on pourrait nuancer cette affirmation en remarquant que Jarry dès sa participation à L’Art littéraire fonde une écriture chevillée à l’obscurité au point que celle-ci s’affirme, trace d’une exceptionnalité de l’idiosyncrasie suivant le précepte gourmontien autant que terreau inépuisable pour le lecteur quant au déchiffrement du sens, dans les textes qu’il livre à L’Art littéraire, avec la grande liberté que lui offre sa participation financière (relativement abondante) au bon fonctionnement de la revue, déjà suivant une très grande force, mais ce serait oublier que publier dans L’Art littéraire, c’est pour Jarry, déjà, se tourner entièrement vers Le Mercure de France.

Ces caractéristiques concernant les comptes rendus de pièces (principalement en ce qui concerne les représentations – mais également, parfois, en ce qui concerne les drames publiés1) nous amènent non pas à écarter de notre corpus tout ce pan de son travail car il en sera fait mention à plusieurs reprises, mais à ne pas offrir spécifiquement d’édition critique et commentée de ces textes critiques en lien avec la représentation théâtrale. L’on ne peut ainsi que renvoyer le lecteur à notre édition future chez Garnier.

1. 2. La critique des théâtres : un travail essentiellement alimentaire ?

1 L’importance de cette dernière constatation devant être minimisée étant donné le fait qu’un petit nombre d’autres comptes rendus concernant d’autres ouvrages qui ne sont pas en lien avec le théâtre est également écarté, du fait du principe de non exhaustivité qui conduit ce travail, principe qui amène en toute logique à un choix lequel s’articule sur la pertinence des textes quant à notre raisonnement, à savoir notre volonté de faire affleurer, ainsi que nous l’avons déjà souligné, d’une part la façon dont se fait jour l’esthétique du raccourci au sein de ces textes apparemment alimentaires (ce qui permet de montrer qu’il ne peut y avoir de distinguo entre l’œuvre, romanesque ou poétique, de Jarry d’une part et d’autre part son œuvre journalistique apparemment la moins investie) mais aussi, avec une grande force, le détournement de l’usage habituel de la citation, qui porte en creux une critique corrosive du statut de critique, Jarry devenant un critique qui ne s’exprime le plus souvent que suivant l’absence totale de propos critique (un critique dont la présence se confond avec l’absence, ou plus exactement s’exprime au moyen de l’absence, paradoxale, car non comprise comme telle, sauf exégèse poussée) – puisque lorsqu’il s’agit d’énoncer des jugements, c’est en fait pour continuer de tisser une filiation avec une communauté d’auteurs desquels il se sent proche et ainsi, principalement, avec le lieu du Mercure de France.

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Si Jarry tient « la chronique des théâtres dans les huit dernières livraisons 1» de La Revue blanche, c’est bien du fait de l’amitié de Fénéon qui veut l’aider de toutes les façons possibles, et pour ne pas rompre la clause de confidentialité qu’il a nouée avec La Renaissance latine, quant aux chroniques, et contre quoi il a pu fixer le prix souhaité à sa contribution. Jarry écrit ainsi au secrétaire de La Revue blanche en décembre 1902 : « Mon cher ami, Merci encore pour […] la complaisance avec laquelle – je dois vraiment en abuser ! – vous m’avez conféré les Théâtres. Cela me fait un grand plaisir, mais il va sans dire que si André Picard s’en plaint, je suis prêt à n’avoir été qu’un intérim. S’il n’y a pas d’inconvénient, j’aime mieux faire cela que les Gestes, pour la raison que je vous ai dite, et m’arrangerai pour voir les pièces sans causer trop d’embarras. 2»

Voir les pièces demeure ainsi la condition sine qua non pour pouvoir en rendre compte.

Néanmoins, Jarry va ouvertement à l’encontre de ce principe dans un post-scriptum, laissant en outre pointer de façon candide la façon qu’il a de naturellement rendre compte d’ouvrages émanant d’amis, ce qui sera sensible dans tout le corpus de ses comptes rendus, et pas seulement en ce qui concerne le théâtre bien évidemment : « P.S. J’ai été si long sur les Nèfles parce que : I°

c’était la seule pièce que j’eusse vue ; 2° l’auteur était un de mes amis et en outre la pièce surtout est vraiment drôle. 3» Jarry transforme la faiblesse paraissant d’emblée inhérente à son travail de critique quant à sa non présence aux représentations des pièces qu’il doit chroniquer en force, en déclarant que « [c]e mode d’appréciation des pièces » qui consiste à ne point y assister « paraît le meilleur, épargnant un temps précieux et étant le seul qui garantisse l’absolue impartialité. 4»

Cette remarque apparemment humoristique et cynique cache en réalité une série de principes esthétiques. Ce faisant, outre le fait qu’il transforme le miséreux de l’existence en magnificence, suivant une logique qui ne lui est pas uniquement propre, exactement comme il le fera lorsqu’il s’inventera, contre toute vraisemblance, une généalogie noble5 (Villiers de l’Isle Adam agira de même, cherchant, tout comme Jarry, à faire en sorte, notamment, que sa généalogie épouse une noblesse réelle, vérifiable dans les faits, noblesse qu’il veut matérialiser, la ressentant dans son âme, du fait de ses écrits), Jarry met à mal la figure du critique en considérant que l’impartialité est impossible puisqu’elle ne saurait de fait survenir de la méconnaissance de la représentation de la pièce à chroniquer, lorsque la visée du propos du critique est justement de cerner par le biais des attraits du langage et de la dialectique cette représentation, sa légitimité, son originalité, ses forces, ses faiblesses.

1 Alfred Jarry, La Chandelle Verte, lumières sur les choses de ce temps, édition établie et présentée par Maurice Saillet, Le livre de poche, 1969, p. 18.

2 OC III, p. 566.

3 Id., p. 567.

4 L’Étoile-Absinthe, n° 5-6, Rennes, Société des amis d’Alfred Jarry, juin 1980, p. 13.

5 Voir BESNIER, p. 21 et la lettre que Jarry envoie à Rachilde le 28 mai 1906 (OC III, p. 617).

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1. 3. Haine alors commune pour le théâtre représenté portant en creux une apologie du poème.

1. 3. 1. Un refus du théâtre représenté.

En outre, cette façon qu’a Jarry de ne point assister à la représentation des pièces, si elle témoigne d’une impossibilité ou d’un refus de quitter son lieu de vie pour Paris, comme le montre sa correspondance à plusieurs reprises, s’affirme également ostensiblement, au travers d’un refus des représentations, comme un refus du théâtre. Du moins d’une certaine forme de théâtre, le théâtre que défend Sarcey qui témoigne d’une « attention soutenue à la technique dramatique et en particulier à l’art de susciter l’intérêt du spectateur et de le maintenir par des

« préparations » 1», et notamment le théâtre bourgeois, que Jarry a stigmatisé à de nombreuses reprises – et il est vrai que nombre de pièces qu’il est amené à chroniquer relèvent de cette forme particulière (mais alors prépondérante) de théâtre.

Dans son compte rendu de la représentation à la Comédie-Française de L’Autre Danger de Maurice Donnay inséré dans La Revue blanche le 1er janvier 1903, l’auteur de Messaline écrit : « [l]a scène où la mère force la serrure de l’album de sa fille […] est indécente, sans plus. » Il fait alors allusion à la scène III de l’acte IV, au cours de laquelle « Madame Chenevas rentre avec le journal de Madeleine 2» : « Madame Chenevas. Puisqu’elle ne veut pas parler. Tu es sa mère… Tu as tous les droits et tous les moyens te sont permis. Claire. Tu as raison ; mais ce livre ferme à clé… nous n’avons pas la clé… je tremble de l’ouvrir. Ah ! tant pis ! (Elle prend sur un meuble à côté d’elle un petit coupe-papier en métal et fait sauter la serrure. – Elle lit.) 3» Maurice Donnay cherche à augmenter l’intensité propre à cette scène en faisant en sorte que Madeleine puisse y assister :

« Madeleine a ouvert tout doucement la porte du salon et […] maintenant sa fille est derrière elle, enveloppée dans une toute blanche matinée et très pâle 4». L’on peut penser que Jarry commente plus précisément – en minimisant ainsi toute sa portée, et sous cette atténuation implacable (« sans plus ») se lit de façon sous-jacente une critique virulente de la pièce – cette réplique de Madeleine à sa mère, au cours de la scène IV de l’acte IV, lorsqu’elle s’aperçoit du forfait : « Je

1 Jean-Thomas Nordmann, « La « relation critique », La « relation critique » au XIX° siècle », Histoire de la France littéraire, tome 3, Modernités, XIX°-XX° siècle, Presses universitaires de France, collection Quadrige, 2006, p. 476.

2 Maurice Donnay, L’autre danger, « comédie en quatre actes, en prose, représentée pour la première fois à la Comédie-Française, le 22 décembre 1902 », Fasquelle, 1903, p. 210.

3 Id., p. 210-211.

4 Id., p. 212.

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parle à celle qui a pénétré avec effraction dans mes plus intimes pensées, à celle qui a violé mon âme. 1»

Ce refus du théâtre amène Jarry à une critique froide et elliptique, ainsi que nous venons de le voir, ou à ne point rendre compte des pièces mais à se servir de celles-ci comme prétextes, suivant les détails qu’il en connaît, en somme à une liberté d’écriture qui ne ressortit pas totalement au genre du compte rendu : ainsi, Jarry préfère user des pièces comme d’un tremplin, comme pourrait l’être n’importe quel fait, pour que puisse se déployer son écriture si spécifiquement spéculative. Comme l’écrit Patrick Besnier, « [n]’avoir pas vu les pièces devient alors un stimulant, une matière à spéculation […]. La critique devient alors une fiction, un travail d’imagination […] 2».

Jarry quitte ainsi très véritablement les rives de la critique pour aborder celles de la spéculation, ce qui est particulièrement sensible dans son compte rendu de « Gymnase : Le Secret de Polichinelle, de M. Pierre Wolff. – [Gestes] : Le Secret de Polytechnique, de M. Hinstin » paru dans La Revue blanche le 15 janvier 1903 et dans la lettre qu’il adresse à Fénéon le 6 janvier 1903 : « Mon cher ami, Je vous enverrai les Théâtres – avec quelques lignes d’enclave gesticulante – demain dans la journée. (Bien entendu, ça ne compte que comme Théâtres). 3»

L’on voit ici comme Jarry cherche à transformer l’écriture propre au compte rendu en spéculation (la formule « [Gestes] », de la main de Jarry, fait référence à la série des « Gestes » parue dans La Revue blanche en 1902), ce qu’il ne peut malgré tout faire, au moins ouvertement, devant enserrer son propos spéculatif dans les strictes apparentes limites du compte rendu puisqu’il s’est engagé à ne pas continuer la série des « Gestes » au-delà de décembre 1901, de par le contrat d’exclusivité qu’il a signé avec La Renaissance latine, ainsi que nous l’avons déjà évoqué : en cela, la formulation « [b]ien entendu, ça ne compte que » (nous soulignons) « comme Théâtres » est très parlante.

Mais il ne faut en outre pas minimiser le désintérêt exprimé avec force concernant les représentations, l’auteur de César-Antechrist n’y allant précisément pas, alors qu’il s’était d’abord engagé à voir les pièces et que ce travail de critique littéraire lui assure en partie l’irremplaçable subside grâce à quoi il peut alors survivre (d’où, au moins pour cette raison, son extrême importance, à ses yeux). Jarry, par ce faire laconique, pouvant mettre ainsi dangereusement en péril cette ressource financière indispensable (quand bien même l’indéfectible amitié de Fénéon est bien présente), on est d’autant plus enclin à soupçonner ici la preuve d’un désintérêt vis-à-vis du théâtre (du moins d’une certaine forme de théâtre, comme nous le verrons), désintérêt qui

1 Id., p. 213.

2 BESNIER, p. 511.

3 OC III, p. 569.

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doit, bien évidemment, être longuement interrogé afin de comprendre dans quelle mesure il peut s’exprimer (s’il s’exprime toutefois).

Ce refus du théâtre représenté (cette nuance a toute son importance, comme nous venons de le suggérer) se fait jour de façon implicite au travers, en premier lieu, d’un refus d’assister aux pièces dont il rend compte (refus qui souffre néanmoins des exceptions) et, en second lieu, de l’écriture propre au compte rendu d’une nature étrangère au propos de la pièce autour duquel elle se construit malgré tout.

1. 3. 2. Une haine problématique.

L’auteur du Surmâle partage avec les auteurs de sa génération une haine pour le genre théâtral, haine problématique toutefois car elle se mêle constamment, tout au long de son existence, à un intérêt profond et constant pour celui-ci. Comme l’écrit Patrick Besnier, « Jarry aime trop le théâtre, ses schématismes et ses excès, pour ne pas vouloir l’incarner ; il appartient trop à sa génération pour y renoncer d’emblée. 1»

Néanmoins, il ne faut pas occulter une assertion émanant de sa plume par laquelle il exprime de fracassante façon son dédain pour le théâtre, rejoignant l’avis de celui qui fut son alter ego au début de sa carrière littéraire : Léon-Paul Fargue, celui-ci déclarant dans Refuges : « Je ne suis pas ce qu’on appelle un homme de théâtre, ni même un homme qui va beaucoup au théâtre. Voilà une matière à laquelle j’ai toujours hésité à mettre la patte, un monde dont je ne suis guère. 2» Jarry écrit en effet, semblable assertion ne devant être passée sous silence : « Nous ne savons pourquoi, nous nous sommes toujours ennuyé à ce qu’on appelle le Théâtre. 3»

Le dédain, le mépris ou même la haine, à certains égards (du fait de la foule qui y est inéluctablement rattachée), exprimés vis-à-vis du théâtre font toujours sens car ils naissent d’un désir profond déçu, toujours problématique, pour ce genre. Désir inavouable aussi en ce sens qu’il se conjugue avec un désir de reconnaissance du public que Jarry définit comme « l’âme de la foule 4» dans sa chronique « Le droit de critique » parue dans La Revue blanche du 1er août 1902.

1. 3. 3. Le théâtre comme accès à la reconnaissance de la « foule » du public.

1 BESNIER, p. 195.

2 Léon-Paul Fargue, Refuges, Gallimard, collection L’imaginaire, 1966, p. 138.

3 L’Étoile-Absinthe, op. cit., p. 45.

4 OC II, p. 367.

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En quoi le théâtre, au travers de la représentation, permet-il (en la faisant surgir) la reconnaissance ?

« [L]e théâtre, à qui s’impose directement la sanction immédiate du public bourgeois, de ses valeurs et de ses conformismes, procure, outre l’argent, la consécration institutionnalisée des Académies et des honneurs officiels. 1» Si le théâtre est à cette époque le genre bourgeois par excellence, il demeure (pour cette raison aussi) le principal moyen (avec le roman « mondain », mais dans une moindre mesure) d’être reconnu par la « foule » du public.

À Mallarmé – le « maître estimé et aimé entre tous 2» selon Le Mercure de France qui prononce une injonction à le lire – qui écrit : « Le Théâtre est la confrontation du Rêve à la foule et la divulgation du Livre, qui y puise son origine et s’y restitue. Je crois qu’il demeurera la grande Fête humaine ; et ce qui agonise est sa contrefaçon et son mésusage 3», Jarry répond : « Qu’est-ce qu’une pièce de théâtre ? Une fête civique ? Une leçon ? Un délassement ? Il semble d’abord qu’une pièce de théâtre soit une fête civique, étant un spectacle offert à des citoyens assemblés 4».

Il faut ainsi entendre par foule un concept très flou qui réunit tout à la fois, et comme indifféremment, le peuple et la bourgeoisie, comme l’explicite Bourdieu : « Les rapports que les écrivains et les artistes entretiennent avec le marché, dont la sanction anonyme peut créer entre eux des disparités sans précédent, contribuent sans doute à orienter la représentation ambivalente qu’ils se font du « grand public », à la fois fascinant et méprisé, dans lequel ils confondent le « bourgeois », asservi aux soucis vulgaires du négoce, et le « peuple », livré à l’abêtissement des activités productives. 5» Le rejet du théâtre s’exprime ainsi également en réaction à la démocratie montante qui s’attache à l’illusion théâtrale et aux nombreux artifices novateurs, par le biais de la foule, de plus en plus nombreuse, d’un public avide d’évasion6 et friand de pittoresque1.

1 Pierre Bourdieu, Les règles de l’art, Genèse et structure du champ littéraire, Seuil, collection Libre examen politique, 1992, p. 167.

2 Le Mercure de France, n° 29-32, tome V, mai-août 1892, p. 88.

3 Mallarmé, op. cit., p. 672.

4 OC I, p. 411.

5 Pierre Bourdieu, op. cit., p. 89.

6 Comme l’écrit Guy Ducrey dans Tout pour les yeux, Littérature et spectacle autour de 1900 (PUPS, 2010, p. 9) : « Le théâtre du XIX° siècle est une prodigieuse machine à fabriquer des images. Pour attirer un public de plus en plus vaste et divers, les scènes rivalisent d’inventions, influencées bien souvent par la féerie dont elles s’approprient les techniques. De son fauteuil parisien, ou londonien, le spectateur peut ainsi, dès les années 1830, mais surtout à partir des années 1860, se laisser éblouir par les plus extravagantes visions. Des galères égyptiennes descendent lentement des Nils de toile bleue, et s’arrêtent pour laisser descendre des Cléopâtres rutilantes ; des

6 Comme l’écrit Guy Ducrey dans Tout pour les yeux, Littérature et spectacle autour de 1900 (PUPS, 2010, p. 9) : « Le théâtre du XIX° siècle est une prodigieuse machine à fabriquer des images. Pour attirer un public de plus en plus vaste et divers, les scènes rivalisent d’inventions, influencées bien souvent par la féerie dont elles s’approprient les techniques. De son fauteuil parisien, ou londonien, le spectateur peut ainsi, dès les années 1830, mais surtout à partir des années 1860, se laisser éblouir par les plus extravagantes visions. Des galères égyptiennes descendent lentement des Nils de toile bleue, et s’arrêtent pour laisser descendre des Cléopâtres rutilantes ; des