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Chapitre 6 : Interprétation des résultats et discussion

6.4 Les mères immigrantes : similitudes et dissimilitudes

6.4.1 Les mamans totales

La moitié de nos participantes correspond au profil de la maman totale. Pour ces femmes, la première année suivant la naissance a été complètement consacrée à l’enfant, de qui elles ne se sont séparées que rarement. Leur discours, en cours d’entrevue, est centré sur la famille. Elles prennent rarement du temps pour elles. Au Québec, elles apprécient le fait d’avoir la possibilité de prendre un congé de maternité d’une durée d’un an, que certaines ont choisi de rallonger. Ces mères ont également en commun d’être, ou d’avoir été pendant la première année de vie de leur enfant, isolées socialement et ce, pour diverses raisons, dont l’immigration récente, l’absence à Québec d’immigrants de même origine qu’elles, les difficultés à communiquer en français et le manque d’affinités avec les gens rencontrés au Québec jusqu’à présent.

Ce groupe de femmes se subdivise en deux sous-catégories : les mamans totales épanouies et les mamans totales oppressées.

Les mamans totales épanouies

Les mamans totales épanouies, dont fait partie le tiers des femmes de notre échantillon, parlent de façon très positive de leurs enfants et de leur statut de mère actuel. Les mots « bonheur », « épanouissement », « changement positif », « plaisir » sont ceux qu’elles utilisent principalement pour décrire leur expérience. Ce sentiment de renforcement de l’identité qu’apporte le rôle maternel a été décrit dans des études portant sur les mères immigrantes (Barona-Vilar et al., 2013; Mamisachvili et al., 2013). La joie d’être mère se conjugue au souci de bien faire les choses et à la crainte que l’enfant se développe mal ou tombe malade. Les difficultés auxquelles elles ont à faire face au quotidien sont principalement reliées à l’éloignement de la famille et à leurs questionnements par rapport à leurs choix de pratiques parentales.

En étant loin de la famille, elles se trouvent loin de leur source principale de soutien de types informatif, émotif et de compagnonnage. D’une part, leur famille et amis de longue date pourraient les conseiller et les rassurer. D’autre part, avec les membres de leur famille, elles pourraient partager leur joie d’être mère et leur émerveillement quotidien. Elles regrettent de ne pas pouvoir offrir à leurs enfants un environnement familial plus large. La séparation de l’enfant a été ou s’annonce difficile tant pour la mère que pour l’enfant.

Pour résumer l’expérience de ces mères selon notre cadre inspiré de Montandon (1997), les mamans totales épanouies perçoivent leur rôle comme un devoir de donner à leur petit enfant ce qu’il y a de mieux, au point de s’oublier soi-même. Cette perception n’est pas sans créer chez elles une certaine anxiété de ne pas bien « performer » en tant que mère, d’où les préoccupations incessantes. Cependant, ce don de soi qu’une mère fait pour son enfant est également perçu comme un épanouissement personnel, une occasion de se réaliser et de devenir une meilleure personne; en ce sens, elles vivent beaucoup de bonheur et de fierté. En ce qui

concerne les stratégies, les mamans totales épanouies recherchent le contact d’autres mères avec qui partager leur expérience maternelle et qui pourraient contribuer à répondre à leurs besoins en matière de soutien informatif. Elles utilisent diverses ressources, comme l’Internet, la documentation écrite remise par l’infirmière et la ligne Info-Santé, pour remplir leurs besoins d’information et se rassurer quant au bon développement et à la bonne santé de leur enfant.

Figure 2 : L'expérience sociale de la maman totale épanouie

Inspiré de Montandon (1997).

Les mamans totales oppressées

Les mamans totales oppressées, de leur côté, ressentent davantage les pertes et les deuils qu’elles ont eu à vivre en devenant mères. Pour le cinquième de nos participantes, le rôle maternel est surtout décrit comme une succession de « concessions » et de « sacrifices » qu’une femme doit faire pour offrir le meilleur d’elle- même à son enfant. Ce deuil de la vie d’avant rejoint la ligne de pensée de certaines immigrantes de deuxième génération (Mamisachvili et al., 2013) et de mères occidentales (Hamelin-Brabant et al., 2013; Nyström et Öhrling, 2004). La perte de liberté inhérente au rôle maternel a aussi été décrite par des mères immigrantes (Liamputtong et Naksook, 2003a).

Au cours des premiers mois, ces mères se sont senties mal préparées à la tâche qui les attendait. Bien qu’elles aiment beaucoup leur enfant, à certains moments, les responsabilités qui viennent avec la maternité leur ont semblé tellement énormes qu’elles en sont arrivées à croire qu’elles allaient craquer. Des constats

Représentations sociales du rôle

maternel : épanouissement, devoir, don de soi

Émotions : Joie, anxiété Immigration (gains et pertes perçus) : isolement social Stratégies : Recherche le contact d’autres mères, s’informe (Internet, documentation, Info-Santé)

similaires ont été faits dans des études portant sur la dépression postpartum chez les immigrantes (Ahmed et al., 2008; Babatunde et Moreno-Leguizamon, 2012).

Ces mères ont en commun d’avoir vécu beaucoup de culpabilité et de tristesse pendant les premiers mois de la vie de leur enfant. Remises en question et doutes quant à leur capacité d’être mère sont exacerbés par l’éloignement de la famille, qui ne peut pas les relayer et leur offrir le soutien émotif dont elles auraient besoin. Devant l’impossibilité de prendre une pause, le deuil de la vie d’avant est vécu encore plus péniblement. Des constats similaires ont été faits dans des études portant sur la dépression postpartum chez des femmes immigrantes (Ahmed et al., 2008; Babatunde et Moreno-Leguizamon, 2012). Pour cette raison, la migration, dans un contexte postnatal, est perçue plutôt négativement.

L’expérience sociale de mère de ces femmes se résume ainsi. La maman totale oppressée, se percevant elle aussi comme étant la personne responsable d’offrir le meilleur à son enfant, vit du stress par rapport à sa performance. Cependant, pour elle, le don de soi constant et les responsabilités de mère sont perçus comme entrant en compétition avec d’autres activités de la vie nécessaires à son propre bien-être; d’où la notion de « sacrifice ». Ce « deuil » de la liberté d’avant entraîne beaucoup de tristesse. De plus, elle considère qu’elle aurait dû mieux se préparer à la tâche qui s’en venait. Cette perception que, avoir été mieux préparée, elle aurait mieux joué son rôle cause chez elle de la détresse et de la culpabilité. Les stratégies mises de l’avant par ces femmes pour assurer leur bien-être consistent à parler au téléphone avec leurs proches restés au pays, à visiter leur pays d’origine et à confier l’enfant quelques heures à un organisme communautaire. Pour s’informer et se rassurer, elles utilisent les mêmes stratégies que les mamans totales épanouies.

Figure 3 : L'expérience sociale de la maman totale oppressée

Inspiré de Montandon (1997).

Être mère : devoir, don de soi,

perte de liberté

Fierté d’être mère, doute quant à ses

compétences, tristesse Immigration : isolement, absence de soutien instrumental Garde contact avec milieu d’origine, accepte ou non soutien extérieur, s’informe