• Aucun résultat trouvé

La première année de vie avec un enfant : le vécu des femmes d'immigration récente de la Ville de Québec

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "La première année de vie avec un enfant : le vécu des femmes d'immigration récente de la Ville de Québec"

Copied!
155
0
0

Texte intégral

(1)

La première année de vie avec un enfant :

le vécu des femmes d’immigration récente de la Ville de Québec

Mémoire

Christine Dufour-Turbis

Maîtrise en santé communautaire

Maître ès sciences (M.Sc.)

Québec, Canada

(2)
(3)

Résumé

Cette étude cherche à comprendre le vécu des femmes d’immigration récente en période postnatale, en explorant, par un devis qualitatif, leurs représentations du rôle maternel, leurs difficultés et stratégies pour les surmonter. Quinze femmes d’immigration récente et mère d’un enfant âgé de trois ans ou moins furent rencontrées lors d’entrevues individuelles semi-dirigées. Les données indiquent que ces femmes perçoivent leur rôle de mère comme une grande responsabilité et une source d’épanouissement. En période postnatale, loin de leur famille, les femmes développent une grande autonomie, mais souffrent aussi d’un isolement immense et n’ont souvent que leur conjoint sur qui compter pour les soutenir. La maternité en contexte d’immigration leur fait vivre des émotions variées : bonheur, anxiété, tristesse. Pour assurer leur équilibre, elles contrôlent leurs pensées, s’informent, recherchent le contact d’autres mères, gardent contact avec leur milieu d’origine et ont recours aux services offerts.

(4)
(5)

Table des matières

Résumé ... iii

Table des matières ... v

Liste des tableaux ... ix

Liste des figures ... xi

Liste des abréviations et acronymes ... xiii

Remerciements ... xv

Introduction ... 1

Chapitre 1 : Problématique ... 3

1.1 L’immigration au Canada et au Québec ... 3

1.2 Émigrer puis immigrer : tout rebâtir, mais différemment ... 5

1.3 La santé des immigrants : du passé au présent ... 8

1.4 La femme d’immigration récente et la première année de vie de son enfant ... 9

1.4.1 Nouvellement arrivée, nouvellement mère : une double transition qui génère du stress ... 10

1.4.2 Nouvellement arrivée et isolée : le soutien social et les services de périnatalité en période postnatale ... 11

1.5 Synthèse de la problématique et but de l’étude ... 13

Chapitre 2 : Recension des écrits ... 15

2.1 Le sens du rôle maternel ... 16

2.1.1 Chez les femmes occidentales ... 16

2.1.2 Chez les femmes immigrantes ... 18

2.2 Les difficultés et facteurs de vulnérabilité chez la mère immigrante ... 22

2.3 Le recours au soutien social en période postnatale ... 26

2.4 Le recours aux ressources disponibles ... 31

2.4.1 Ailleurs au Canada ... 31

2.4.2 Dans la Ville de Québec ... 33

2.5 Synthèse de la recension des écrits ... 34

2.6 Les objectifs et questions de recherche ... 36

2.7 La pertinence de l’étude ... 37

Chapitre 3 : Cadre conceptuel ... 39

3.1 L’expérience sociale ... 39

3.2 Le soutien social ... 43

3.3 Synthèse du cadre conceptuel ... 45

Chapitre 4 : Démarche méthodologique ... 47

(6)

4.2 Sélection des participantes ... 47

4.2.1 Population à l’étude et échantillonnage ... 48

4.2.2 Critères d’inclusion et d’exclusion ... 49

4.2.3 Recrutement ... 50

4.3 Collecte des données ... 51

4.3.1 Déroulement des entrevues ... 51

4.3.2 Schéma d’entrevue ... 52

4.3.3 Prise de notes personnelles ... 54

4.3.4 Conditions de collecte des données ... 54

4.4 Traitement et analyse des données ... 56

4.5 Critères de rigueur ... 58

4.6 Considérations éthiques ... 59

Chapitre 5 : Description des résultats ... 61

5.1 Profil général des femmes ... 61

5.2 Devenir maman ... 63

5.2.1 De femme à mère : de « je » à « nous » ... 64

5.2.2 « C’est énorme, ça! » : l’ampleur de la tâche ... 66

5.2.3 Être mère : un travail qui s’apprend ... 69

5.3 Être loin ... 70

5.3.1 Être libre et autonome ... 70

5.3.2 Être seuls ... 71

5.3.3 Isoler les enfants de la famille ... 72

5.4 Refaire sa vie ailleurs : le Québec ... 73

5.4.1 Un milieu qui aide les jeunes familles et les enfants ... 73

5.4.2 Mais, c’est pas comme chez nous : l’adaptation ... 74

5.5 Être mère ailleurs : le meilleur et le pire ... 77

5.5.1 Le plus beau côté : amour, joie, émerveillement ... 77

5.5.2 Le moins beau côté : anxiété, tristesse, oppression ... 78

5.6 Agir : les actions et stratégies mises en place ... 79

5.6.1 Trouver la force de se battre pour ou contre soi-même : les stratégies personnelles. 79 5.6.2 La gestion des finances ... 81

5.6.3 Profiter des proches et des moins proches : le recours au soutien social ... 82

5.6.4 Profiter des services : le recours aux ressources ... 84

Chapitre 6 : Interprétation des résultats et discussion ... 89

6.1 Être mère : un travail intense, qui en vaut la peine ... 89

6.2 Ici plutôt que là-bas : une expérience difficile, mais enrichissante ... 90

6.3 Garder la tête hors de l’eau ... 92

6.3.1 Le soutien social et ses fonctions ... 92

6.4 Les mères immigrantes : similitudes et dissimilitudes ... 94

6.4.1 Les mamans totales ... 95

(7)

6.4.3 Les mamans pourvoyeuses ... 99

6.5 Forces et limites de l’étude ... 100

6.6 Pistes de réflexion ... 101

Conclusion ... 103

Références ... 107

Annexe I : Principaux organismes communautaires œuvrant auprès des personnes

immigrantes ou réfugiées et communautés ethnoculturelles en matière de santé et de

services sociaux dans la Ville de Québec ... 117

Annexe II : Principaux organismes communautaires œuvrant auprès des familles en

période postnatale dans la Ville de Québec ... 121

Annexe III : Questionnaire sociodémographique et schéma d’entrevue semi-structuré

... 127

Annexe IV : Message pour recrutement ... 131

(8)
(9)

Liste des tableaux

(10)
(11)

Liste des figures

Figure 1 : L'expérience sociale d’être mère chez la femme d'immigration récente ... 42

Figure 2 : L'expérience sociale de la maman totale épanouie... 96

Figure 3 : L'expérience sociale de la maman totale oppressée... 97

Figure 4 : L'expérience sociale de la maman entourée ... 98

(12)
(13)

Liste des abréviations et acronymes

ASSS Agence de la santé et des services sociaux

CIC Citoyenneté et Immigration Canada CLSC Centre local de services communautaires CSSS Centre de santé et de services sociaux INSPQ Institut national de santé publique du Québec

MICC Ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles MIDI Ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion MSSS Ministère de la Santé et des Services sociaux

OLO Œuf-lait-orange

SAAI Service d’aide à l’adaptation des immigrants et immigrantes SIPPE Services intégrés en périnatalité et pour la petite enfance

(14)
(15)

Remerciements

J’aimerais offrir mes remerciements sincères aux nombreuses personnes qui ont contribué à ce que ce projet soit mené à terme.

J’offre un premier merci tout spécial aux 15 femmes qui ont participé à cette étude. Merci de m’avoir laissée entrer chez vous, merci d’avoir participé avec autant d’enthousiasme et de m’avoir permis d’entrer dans votre univers. Chacun de vos récits m’a touchée à sa façon. J’admire votre force et votre persévérance.

J’aimerais remercier aussi toutes les personnes qui ont participé, peut-être sans le savoir, au recrutement, en faisant circuler mon message. Je suis encore émerveillée par la rapidité avec laquelle j’ai reçu des réponses. Merci à toutes les femmes qui ont répondu à mon annonce avec empressement; même si je n’ai pas pu toutes vous rencontrer, j’apprécie votre intérêt pour mon sujet. Merci aux intervenants des organismes communautaires qui ont participé au recrutement. Merci à l’équipe des Services communautaires Jeffery Hale pour votre gentillesse et votre accueil.

J’enchaine avec un autre merci tout spécial pour ma directrice Louise Hamelin-Brabant, qui m’a soutenue du début à la fin, qui s’est montrée disponible, constructive, compréhensive et empathique. Merci pour vos conseils et mots d’encouragement dans les meilleurs comme dans les pires moments. Je remercie également Ginette Lazure, qui a pris soin d’examiner mon protocole afin d’y apporter des critiques et conseils constructifs, ainsi que Sophie Dupéré et Nancy Leblanc, mes correctrices, dont les commentaires m’ont permis d’améliorer la version finale de ce mémoire. Merci aussi à Mélissa Dubé-Quenum, dont l’excellent mémoire (2013) m’a servi de modèle et de référence pour structurer le mien et en nommer les sous-titres. J’offre également mes remerciements à ma chère amie Gabrielle Marchand, qui a effectué mes transcriptions avec soin et efficacité. Merci à Amélie Grace pour avoir traduit en catastrophe tous mes documents de recrutement et de consentement et à mon frère Simon pour m’avoir aidée à traduire le schéma d’entrevue. Finalement, j’aimerais remercier mon réseau de soutien familial et social pour m’avoir accompagnée pendant ces années. Un merci à mon père Louis pour son soutien silencieux au cours de la réalisation de ce projet et, de même, à ma mère Josée pour sa lecture patiente de chacune des parties de ce mémoire avant remise à ma directrice. Merci maman pour tes mots d’encouragement et ta correction des petites coquilles. Merci à Benoit, que j’ai rencontré pendant cette aventure, pour ton soutien, ton regard empreint d’empathie et, surtout, pour savoir me changer les idées efficacement. Merci à ma collègue et amie Gabrielle Bureau, avec qui j’ai pu partager mes difficultés et tracas quotidiens. Et, pour terminer, merci au personnel de la Brûlerie Limoilou, où j’ai passé de longues heures à formuler, à reformuler et à corriger ce qui suit.

(16)
(17)

Introduction

De par son histoire coloniale, le Canada a toujours constitué une terre d’accueil pour de nouveaux arrivants; la province de Québec n’y fait pas exception. De ce fait, la grande majorité des Canadiens et Québécois, qu’ils soient francophones, « de souche », anglophones ou allophones, comptent parmi leurs ancêtres des personnes qui furent des migrants (Rachédi, 2008).

L’origine géographique des immigrants qui s’installent au Québec a toutefois varié selon les époques. Actuellement, les nouveaux arrivants proviennent des quatre coins de la planète (Rachédi, 2008). Ainsi, depuis quelques années, le Québec accueille annuellement environ 50 000 nouveaux arrivants (Ministère de l'Immigration, de la Diversité et de l'Inclusion, 2014). Ces personnes immigrantes, souvent issues d’un milieu et d’une culture très différents de ceux que leur offre le Québec, doivent s’adapter à la nouvelle réalité et réapprendre à vivre dans ce nouveau milieu. À son tour, le Québec, sa population, ses politiques et ses services, doivent également s’adapter à l’arrivée de ces immigrants, notamment en adaptant ses services aux besoins des populations immigrantes.

Les femmes constituent, chaque année, la moitié de ce groupe de personnes qui, un beau jour, quittent leur pays, leur communauté et leur milieu connu et viennent s’installer au Québec. Ces femmes immigrantes doivent, une fois arrivées ici, adapter leur façon de vivre aux nouvelles réalités de la vie quotidienne que devient la leur. Lorsque, pendant cette période de transition entre l’ancienne vie dans un milieu socialement et culturellement connu et la nouvelle vie dans une société inconnue, une femme met au monde un enfant, elle entre dans un processus double de « nouvelle vie ». Cette période nécessite une double adaptation, soit à un nouveau milieu, leur terre d’accueil, et à un nouveau rôle, celui de mère.

De plus en plus, les immigrants choisissent de s’installer dans la région de la Capitale-Nationale et y fondent leur famille (MIDI, 2014). Or, peu d’études traitent de la réalité des mères d’immigration récente au Québec et, particulièrement, dans la Ville de Québec. Cette étude se propose donc d’améliorer la compréhension de leur expérience maternelle pendant la première année de vie de leur enfant. Pour ce faire, le sens du rôle maternel, les difficultés vécues au cours de cette période, de même que les stratégies qu’elles mettent en place pour s’adapter et relever les défis du quotidien seront explorés.

Ce mémoire sera divisé en six chapitres. Dans le premier chapitre, le contexte de l’immigration au Québec, les défis inhérents au fait de migrer, l’effet de la migration sur la santé des personnes, la problématique à l’étude et le but du présent mémoire seront exposés. Au deuxième chapitre, les résultats des études portant sur l’expérience de la maternité chez les femmes immigrantes recensées seront d’abord décrits, puis les objectifs et questions de recherche, de même que la pertinence de l’étude seront évoqués. Les cadres conceptuels qui

(18)

ont orienté notre questionnement et nos analyses seront présentés au chapitre trois, tandis que le quatrième chapitre sera consacré à la description et à la justification de la méthodologie de recherche employée afin d’atteindre nos objectifs de recherche, de même qu’à la description des critères de rigueur respectés et des considérations éthiques dont nous avons tenu compte. Le chapitre cinq consistera en une description des résultats obtenus grâce à la collecte de données et, finalement, le sixième chapitre traitera de l’interprétation de ces résultats à la lumière des cadres conceptuels employés, des résultats obtenus par d’autres chercheurs ayant exploré des sujets similaires et des forces et limites de notre étude.

(19)

Chapitre 1 : Problématique

La problématique de recherche de la présente étude sera précisée tout au long de ce premier chapitre. Dans un premier temps, le contexte de l’immigration au Canada, au Québec et, plus précisément, dans la Ville de Québec sera expliqué. Nous verrons ensuite comment le fait d’immigrer marque un tournant dans la vie d’un adulte, dont la vie sociale et professionnelle, dans le nouveau contexte, doit souvent repartir de zéro. Nous verrons quel impact l’immigration et le parcours migratoire peuvent avoir sur le fonctionnement familial et sur la santé des membres de la famille. Nous expliquerons par la suite comment la vie d’une femme peut être doublement bouleversée, lorsqu’elle devient mère dans un contexte d’immigration récente. Pour terminer le chapitre un, le but de la présente étude sera décrit et explicité à la lumière de la problématique énoncée.

1.1 L’immigration au Canada et au Québec

[D]epuis le milieu du XIXe siècle et le milieu du XXe siècle, on constate qu’il y a une planétarisation des

migrations internationales, dont les plus importantes adviennent pour des raisons économiques (mondialisation de l’économie, libre circulation des marchandises et des personnes, etc.). Les vagues actuelles de migration (des pays du Sud vers le Nord) révèlent donc de manière frappante les inégalités économiques existant entre les pays pourvoyeurs et les pays récepteurs d’immigrants. (Rachédi, 2008, p. 9)

La société multiculturelle qu’est le Canada traduit bien ces mouvements migratoires internationaux. En effet, depuis la découverte de cette terre, « le profil ethnoculturel [du Canada] a été façonné au fil du temps par les immigrants et leurs descendants » (Statistique Canada, 2013a, p. 6). En 2011, 6 775 800 personnes vivant au Canada, soit 20,6% de la population, étaient nées à l’étranger. De ce nombre, 1 162 900 personnes étaient arrivées au Canada entre 2006 et 2011. Au cours de cette période, la plus forte proportion des immigrants arrivait d’Asie (Statistique Canada, 2013a).

Les Québécois ont choisi de faire de leur société une société de droit, respectant la pluralité culturelle. De plus, ils ont choisi d’avoir peu d’enfants, mais de tout de même maintenir une croissance économique et un bon niveau de vie. Ces choix ont mené le Québec vers des politiques favorables à l’immigration (Bouchard et Taylor, 2008). Ainsi, pour la période de 2009 à 2012, le Québec a accueilli un nombre annuel croissant d’immigrants, passant d’environ 49 500 en 2009 à 55 000 en 2012, puis à 52 000 en 2013. De ce nombre, 70% des immigrants étaient issus de la catégorie de l’immigration économique (MIDI, 2014), c’est-à-dire qu’ils avaient été choisis pour leur capacité à contribuer à l’essor de l’économie canadienne (Citoyenneté et Immigration Canada, 2012), un sur cinq était issu de la catégorie du regroupement familial (MIDI, 2014), donc était venu rejoindre des membres de sa famille (CIC, 2012) et près d’un sur dix provenait de la catégorie des réfugiés. Ce mouvement d’immigration permanente nous a amené autant de femmes que d’hommes. Ces immigrants étaient jeunes, 38% d’entre eux étant âgés de 25 à 34 ans à leur arrivée et seulement un sur dix, de 45 ans et plus. Ces immigrants arrivés au Québec entre 2009 et 2013 étaient nés, en ordre décroissant de

(20)

nombre, en Afrique, principalement Afrique du Nord, en Asie, en Amérique, principalement latine, et en Europe. Les pays de naissance les plus communs étaient la Chine, l’Algérie, le Maroc, la France, Haïti, la Colombie, le Cameroun, l’Iran, l’Égypte et le Liban (MIDI, 2014).

Bien que, pour la période 2009 à 2013, seulement 4,9% des personnes ayant immigré au Québec aient choisi la région de la Capitale-Nationale comme lieu de résidence (MIDI, 2014), on compte de plus en plus d’immigrants parmi la population locale. En effet, en 2011, on comptait à Québec 32 880 personnes nées à l’extérieur du Canada, dont le tiers était arrivé depuis 2006 (Statistique Canada, 2013a). Déjà, entre 2001 et 2006, la population avait connu une augmentation de 33% de son nombre d’immigrants (Ville de Québec, 2009).

Lors du recensement de 2006, près de la moitié des répondants immigrants ont affirmé être arrivés à Québec alors qu’ils avaient entre 25 et 44 ans. Ces immigrants étaient aussi plus scolarisés que la moyenne des gens vivant dans la ville, mais gagnaient un salaire médian de 22% inférieur à celui de la population de la ville (Ville de Québec, 2009). En 2011, les immigrants vivant à Québec provenaient, en ordre décroissant, de l’Europe, des Amériques, de l’Afrique, de l’Asie et de l’Océanie (Statistique Canada, 2013b). Les principaux pays d’origine étaient la France (20%), la Colombie et la Chine (Statistique Canada, 2014). De 2008 à 2013, la Ville de Québec s’est démarquée en accueillant 1058 des 5000 réfugiés népalo-bhoutanais qui se sont installés au Canada pendant cette période (Porter, 2013).

Alors que la vision fédéraliste du multiculturalisme incite à la préservation de l’identité culturelle des immigrants et au maintien de la diversité, au Québec, depuis les années 90, les orientations gouvernementales visent plutôt à intégrer les individus dans le but de créer une identité québécoise commune (Battaglini, 2000). Ainsi, au Québec, la dualité entre la majorité culturelle « fondatrice » et les minorités issues de l’immigration récente ou de longue date est bien reconnue (Bouchard, 2012). La société québécoise étant elle-même une minorité à l’échelle du Canada et du continent, l’intégration des nouveaux venus constitue une condition nécessaire à son développement et à sa survie.

C’est pourquoi la dimension intégratrice constitue une donnée centrale de l’interculturalisme québécois. Selon les descriptions qu’on trouve dans la documentation scientifique, l’interculturalisme s’efforce de concilier la diversité ethnoculturelle avec la continuité du noyau francophone et la préservation du lien social. Il assure ainsi une sécurité aux Québécois d’origine canadienne-française comme aux minorités ethnoculturelles, tout en protégeant les droits de tous suivant la tradition libérale. (Bouchard et Taylor, 2008, p. 19-20)

Ainsi, l’interculturalisme québécois tient compte autant de la culture majoritaire que des minorités culturelles et prône le développement et le maintien d’une identité, d’une appartenance et d’une culture québécoise commune qui respecte les droits de tous et la diversité (Bouchard, 2012). Dans cette optique, la politique

(21)

d’immigration québécoise favorise la sélection d’immigrants qui vont assurer la survie de la langue française et des retombées économiques maximales.

D’un point de vue législatif, les étrangers désirant immigrer au Québec de façon permanente entrent sur le territoire en appartenant à l’une des catégories suivantes : catégorie de l’immigration économique, catégorie du regroupement familial ou catégorie des réfugiés et des personnes en situation semblable (Ministère de l'Immigration et des Communautés culturelles, 2007). Les immigrants économiques incluent, entre autres, les travailleurs qualifiés et gens d’affaires. On les choisit en fonction de leurs compétences et de leur capacité à contribuer à l’essor de l’économie canadienne (CIC, 2012). L’immigrant issu de la catégorie du regroupement familial a été parrainé par un citoyen ou un résident permanent du Canada avec qui il a un lien familial ou conjugal. Le parrain de cet immigrant devient garant de ce dernier et s’engage à pourvoir à ses besoins. Finalement, la catégorie des réfugiés et des personnes en situation semblable concerne la personne qui se trouve en dehors de son pays et qui craint, pour une raison ou une autre, d’être torturée ou persécutée si elle y retourne. En obtenant sa résidence permanente, l’étranger acquiert du gouvernement du Canada le droit de vivre de façon permanente sur le territoire canadien (MICC, 2007). Il bénéficie dès lors, et de façon permanente, des mêmes droits que les citoyens canadiens, à l’exception du droit de vote (CIC, 2012).

1.2 Émigrer puis immigrer : tout rebâtir, mais différemment

En tant qu’adulte, le migrant doit passer à travers un processus d’adaptation, de rupture identitaire, qui peut « correspondre à une perte de référents, voire un effondrement de repères, qui permettaient aux personnes de s’inscrire dans un ordre du monde social » (Desgroseillers et Vonarx, 2010, p. 89). Ainsi, la personne immigrante arrive avec son appartenance ethnique, religieuse et sociale, mais aussi avec son expérience migratoire, qui peut être aussi bien un départ et une arrivée planifiés et souhaités qu’une fuite imposée par les circonstances (Cohen-Émérique, 1993).

La migration représente une des expériences les plus marquantes de la vie d’un individu. Le fait d’émigrer, de quitter des personnes importantes, de quitter un environnement social, physique et culturel connu, constitue un ensemble de deuils que le migrant doit réaliser. Ces deuils sont par ailleurs vécus en situation d’immigration, c’est-à-dire où tout est à rebâtir, comme le réseau social et professionnel, où tout est à découvrir, comme un environnement, des institutions, une langue et une culture souvent inconnus. (Battaglini, 2000, p. 34-35)

La catégorisation légale du statut d’arrivée des résidents permanents décrite à la section précédente peut servir de base pour expliquer trois différents types généraux de parcours migratoires. Le premier est l’immigration économique : « partir pour le commerce, ou pour fuir la misère et croire en l’avenir » (Rachédi, 2008, p. 9). Pour l’immigrant économique, le départ était prévu et a été souvent longuement planifié, mais il est tout de même accompagné d’inévitables séparations et ruptures. Et, bien qu’il entretienne des espoirs d’ascension sociale, il arrive souvent que l’immigrant vive plutôt une déqualification professionnelle en arrivant

(22)

dans son nouveau pays, qui ne reconnaît pas systématiquement la formation et l’expérience professionnelle des nouveaux arrivants. L’immigrant issu de la catégorie du regroupement familial, quant à lui, vient rejoindre des membres de sa famille, après une séparation plus ou moins longue. Cette période de séparation peut causer certaines tensions au sein de la famille, chaque membre s’adaptant au nouveau pays à son rythme (Battaglini, 2000). Le troisième type de parcours migratoire peut être résumé de la façon suivante : « les migrations politiques ou de refuge : partir pour sauver sa vie » (Rachédi, 2008, p. 10). Les réfugiés arrivent d’un pays où sévissent généralement des conflits armés ou civils, de la famine ou des catastrophes environnementales (Rachédi, 2008), qu’ils ont quitté de façon involontaire, précipitée et non planifiée, en laissant leurs proches derrière eux. Dans leur pays d’origine, ils peuvent avoir subi de la persécution ou de la torture (Battaglini, 2000) ou avoir vécu un certain temps en camp de réfugiés, dans des conditions parfois très difficiles (Rachédi et Legault, 2008).

En arrivant au Québec, ces adultes se voient dans l’obligation de s’adapter au nouveau milieu, qui leur est encore inconnu. Selon le dictionnaire de français Larousse, le verbe adapter signifie « modifier la pensée, le comportement de quelqu'un pour le mettre en accord avec une situation nouvelle […] » (Larousse, s.d.a). L’adaptation, pour l’immigrant, réfère aussi à ses capacités à s’inclure dans les structures de la société d’accueil, adaptation qui « peut être analysée sous l’angle de l’intégration et de l’acculturation » (Battaglini, 2000, p. 35). Le concept d’acculturation fait référence aux changements culturels survenant lorsque des individus ayant vécu précédemment dans un contexte culturel donné sont mis en contact avec des personnes issues d’un contexte culturel distinct. Ce contexte nouveau deviendra celui des premiers. Ainsi, la population d’accueil aussi bien que la population immigrante devront déterminer de quelle façon ils vont s’acculturer. Ces deux groupes devront déterminer dans quelle mesure ils vont maintenir leur culture et dans quelle mesure ils vont tenter de s’inclure dans d’autres groupes culturels. On parle de stratégie d’assimilation lorsque les individus du groupe non dominant ne désirent pas garder leur culture d’origine et, au contraire, essaient d’interagir avec d’autres cultures. À l’autre bout du spectre, on parle de séparation lorsque des individus tiennent à leur culture d’origine et évitent les contacts avec les cultures autres. On parle d’intégration lorsque des individus tentent à la fois de maintenir leur culture d’origine et de participer à la culture du groupe dominant. Finalement, on parle de marginalisation lorsque des individus démontrent peu d’intérêt aussi bien envers leur culture d’origine qu’envers les contacts avec des individus du groupe dominant (Berry, 1997). L’intégration n’est possible que lorsque la société dominante se montre inclusive et ouverte aux autres cultures (Berry, 1997). Or, la notion d’interculturalisme, que défend la société québécoise, accorde une grande importance à l’intégration de tous les citoyens. En ce qui concerne les nouveaux venus, la responsabilité de leur intégration est partagée entre eux et la société d’accueil; ceci nécessite des efforts constants de la part des deux partis (Bouchard, 2012).

(23)

Avec les années qui passent en terre d’accueil, l’identité de l’immigrant évolue; à la rencontre d’un immigrant, il faut tenir compte de tous ces facteurs et non seulement de la culture d’origine (Cohen-Émérique, 1993). La perception qu’a l’immigrant de sa migration, perçue soit comme une migration temporaire ou comme un fait irréversible, influencera également son degré d’ouverture à la société d’accueil, de même que la profondeur de son adaptation et de ses prises de conscience (Battaglini, 2000). Le niveau d’acculturation atteint est à considérer, étant donné qu’il peut avoir une influence sur l’efficacité des interventions visant les populations immigrantes (Bermudez-Parsai, Mullins Giger, Marsiglia et Coonrod, 2012).

L’adaptation à la terre d’accueil est difficile, particulièrement pour les femmes, qui doivent « faire face aux stress de l’immigration, incluant les préoccupations financières, l’isolement social ainsi que la séparation d’avec la famille élargie, la discrimination, la difficulté à communiquer dans la langue du pays d’accueil et l’ignorance des pratiques médicales locales » (Zelkowitz, 2007, p. 22). Par ailleurs, les femmes sont plus souvent issues de la catégorie du regroupement familial que les hommes. Lorsqu’elles s’installent au Québec, celles-ci se retrouvent bien malgré elles dépendantes économiquement de leur « parrain » (Vissandjé et Battaglini, 2010). L’intégration professionnelle leur est particulièrement difficile et elles sont nombreuses à vivre une déqualification professionnelle (Chicha, 2009; Giroux, 2011) et ce, même si elles ont obtenu leur diplôme ici; elles sont surreprésentées dans les emplois précaires (Chicha, 2009). De plus, elles sont proportionnellement moins nombreuses à connaître le français que les hommes et l’écart est encore plus grand lorsqu’on aborde la connaissance à la fois du français et de l’anglais (MIDI, 2014).

La déqualification professionnelle, la dépendance économique et l’isolement social que vivent les femmes immigrantes les poussent bien malgré elles plutôt vers la marginalisation que vers l’intégration harmonieuse (Vissandjé et Battaglini, 2010).

[L]a vulnérabilité d’une femme immigrante varie tout au long de la trajectoire de vie, par exemple, selon le type d’emploi, l’accès ou non à un logement adéquat et sécuritaire, le degré de connaissance de la langue du pays d’accueil et la capacité de prendre une décision pour soi et son ménage. La vulnérabilité de ces femmes et leur capacité d’agir sur les inégalités auxquelles elles font face évoluent au fur et à mesure qu’elles acquièrent les aptitudes et les connaissances requises dans leur nouveau contexte de vie. (Vissandjé et Battaglini, 2010, p. 290).

En ce qui concerne l’unité familiale, le processus d’immigration lui fait subir des modifications, qui peuvent être considérables. En effet, en « s’occidentalisant », la famille immigrante se voit obligée de rééquilibrer sa structure même. L’immigrant, qui provient peut-être d’une famille très large, se retrouve seul avec sa famille nucléaire, ce qui entraine non seulement « une réduction numérique mais toute une modification des réseaux de solidarité et de prise en charge à l’intérieur de la famille » (Émérique, 1979, citée par Legault et Fronteau, 2008, p. 56). La relation du couple, qui se retrouve seul et isolé de la famille élargie et dans un contexte occidental, doit être renégociée. En effet, l’homme, habitué à détenir une bonne part de l’autorité au sein de la

(24)

famille, peut souffrir de perdre ce pouvoir en raison des nouvelles normes sociétales alors que, de son côté, la femme, en migrant, perd son réseau familial féminin et obtient la possibilité de s’émanciper. Les deux parents se retrouvent seuls devant la tâche de devoir élever leurs enfants; la différence entre la façon d’éduquer les enfants dans le pays d’origine et dans le pays d’accueil peut être très marquée et entrainer des conflits intergénérationnels entre les parents et leurs enfants qui sont constamment en contact avec la société d’accueil (Legault et Fronteau, 2008).

Les difficultés éprouvées par les parents immigrants à s’intégrer au marché du travail sont source de pauvreté dans cette population (Legault et Fortin, 1996) en plus d’entraver l’intégration des adultes dans la société d’accueil (Bérubé, 2004). L’adaptation du rôle parental d’un parent immigrant serait même associée de façon positive à son intégration socioéconomique. Ainsi, un parent qui s’intègre bien professionnellement dans son nouveau pays risque davantage d’accepter les pratiques éducatives du pays d’accueil, tandis qu’un parent qui n’est pas valorisé socialement tendra davantage à se replier sur les valeurs éducatives de son pays d’origine. Cette situation peut créer des tensions dans la relation parent-enfant, surtout si l’enfant immigrant ne se sent pas accompagné par son parent dans sa quête d’identité (Bérubé, 2004; Vatz-Laaroussi, 2008).

1.3 La santé des immigrants : du passé au présent

Définie non plus comme absence de maladie mais plutôt en tant que ressource de la vie quotidienne ou comme « capacité physique, psychique et sociale des personnes d’agir dans leur milieu et d’accomplir les rôles qu’elles entendent assumer d’une manière acceptable pour elles-mêmes et pour les groupes dont elles font partie » (Gouvernement du Québec, 2014), la santé est désormais généralement considérée dans une perspective dynamique plutôt que statique. À cet effet, en un temps donné et pour une population définie, des facteurs individuels, sociaux, économiques et environnementaux, qu’on appelle les déterminants de la santé, peuvent être associés à l’état de santé de cette population en ce temps donné (Jobin, 2012). Ainsi, entre autres facteurs, le contexte social, économique, politique et culturel de même que les conditions de vie matérielles et sociales dans lesquelles les gens vivent constituent des déterminants sociaux qui ont une influence positive ou négative sur leur santé.

En ce qui concerne les personnes immigrantes, elles sont passées d’un contexte social, économique, politique et culturel à un autre. Les personnes réfugiées constituent le groupe des migrants dont l’état de santé est le plus affecté négativement par l’environnement social passé. Ayant connu la guerre, la violence et l’oppression par le gouvernement, la torture, la vie en camp de réfugiés ou la perte des membres de sa famille, le réfugié arrive dans son nouveau pays avec un passé qui le prédispose à divers problèmes de santé mentale (Centers for Disease Control and Prevention, 2012; Hyman, 2001).

(25)

Par ailleurs, à Montréal, du point de vue psychosocial, les immigrants présentent, entre autres, des problèmes liés à la pauvreté, aux difficultés d’adaptation et d’intégration, à l’isolement, de même que divers problèmes psychologiques. Ces problèmes découlent notamment de leur expérience migratoire. De plus, leur intégration difficile peut exacerber d’autres problèmes tels que des dysfonctionnements familiaux et de la violence conjugale (Battaglini, 2010).

Finalement, au Canada, certaines études montrent un « effet de l’immigrant en santé », ou, en anglais, un « healthy immigrant effect ». Cette expression réfère à la tendance des immigrants à être, à leur arrivée, en meilleure santé que les gens nés au Canada. À mesure que la période vécue au Canada s’allonge, de façon générale, l’état de santé des immigrants se détériore pour converger vers celui de la population canadienne de naissance (Hyman, 2001, 2007; McDonald et Kennedy, 2005; Newbold, 2005; Ng, 2011), quoique cette notion d’immigrant en santé ne soit pas acceptée de façon unanime (McDonald et Kennedy, 2005; So et Quan, 2012). Après 10 ans de vie au Canada, cette détérioration de l’état de santé semble particulièrement marquée chez les femmes (Vissandjé, Desmeules, Zheynuan, Abdool et Kazanjian, 2004). Il apparait également que le risque de développer une maladie chronique dépende de la modification dans les déterminants de la santé en lien avec l’acculturation, tels que le revenu, l’emploi, les habitudes de vie et le réseau social (Hyman, 2001). Les femmes d’immigration récente, tel que vu précédemment, sont nombreuses à souffrir de déqualification professionnelle, de problèmes financiers et d’isolement. Cette situation sociale, selon le modèle des déterminants de la santé, peut nuire à leur santé, comme nous allons le voir dans ce qui suit.

1.4 La femme d’immigration récente et la première année de vie

de son enfant

Dans toute famille, la naissance d’un enfant entraine une modification des rôles de ses membres, soulève des questions identitaires (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2007) et apporte des changements affectifs, sociaux et économiques. Cette transition nécessite une adaptation importante pour la famille, qui se retrouve dans une situation de plus grande vulnérabilité (Battaglini, Gravel, Boucheron et Fournier, 2000). Pour une femme, peu importe son origine culturelle ou ethnique, le passage vers le statut de mère représente, en plus d’un processus biologique, une des plus grandes transformations sociales qu’une femme connaitra dans sa vie (Kitzinger, 1995), un voyage vers l’inconnu (Oakley, 1979), un plongeon vers un monde nouveau épuisant (Nyström et Öhrling, 2004). Le passage vers la parentalité et la découverte du rôle de mère s’avèrent déstabilisants, intenses, et génèrent de nombreux besoins nouveaux (Hamelin-Brabant et al., 2013) qui seront décrits plus en détail au chapitre deux.

(26)

1.4.1 Nouvellement arrivée, nouvellement mère : une double transition qui génère

du stress

Pour une femme d’immigration récente, la naissance d’un enfant survient en pleine période d’adaptation au nouveau milieu. En plus de devoir, comme toutes les personnes immigrantes, s’adapter à un nouvel environnement social et culturel, elle doit apprendre ou réapprendre à s’occuper d’un nouveau-né dans cet environnement inconnu. Cette double transition vient poser un défi supplémentaire dans la formation de l’identité de la femme (Tummala-Narra, 2004) et peut représenter une période extrêmement stressante (Barclay et Kent, 1998).

Nous avons vu plus haut que les personnes immigrantes, notamment les femmes, vivent une déqualification professionnelle en arrivant au Québec, ce qui peut entrainer des problèmes financiers au sein de la famille (Battaglini et al., 2000; Gravel, Brodeur, Champagne et Vissandjé, 2005). Or, de par ses effets sur le stress, les conditions de vie et son lien avec les habitudes de vie, le revenu constitue « sans doute le plus important des déterminants sociaux de la santé » (Mikkonen et Raphael, 2011, p. 12). De ce fait, au Québec, en 2004, les personnes ayant immigré au Canada depuis moins de 10 ans présentaient une plus faible prévalence de sécurité alimentaire que les autres Québécois (Blanchet et Rochette, 2011). Le revenu vient également influencer le choix du logement, dont la qualité constitue un autre déterminant social de la santé (Mikkonen et Raphael, 2011); or, trouver un logement adéquat pour elles et leur famille est une autre des difficultés principales auxquelles les femmes d’immigration récente ont à faire face (Battaglini et al., 2000). De plus, lorsqu’un nouveau membre se joint à la famille, les dépenses augmentent et le revenu familial peut devenir insuffisant. Tous ces facteurs, si présents, contribuent au stress de la femme immigrante nouvellement mère (Mikkonen et Raphael, 2011).

Cette période de stress peut nuire de façon importante à la santé mentale de la femme immigrante en période postpartum. En effet, les femmes immigrantes (Collins, Zimmerman et Howard, 2011; Kingston et al., 2011), faisant partie d’une minorité visible (Mechakra-Tahiri, Zunzunegui et Séguin, 2007; Urquia, O'Campo et Heaman, 2012) et ayant immigré au Canada depuis moins de 10 ans (Urquia et al., 2012) constitueraient le groupe le plus à risque de dépression postpartum. Le stress vécu en période prémigratoire aurait également un impact sur le risque de présenter une dépression en période postnatale (Zelkowitz et al., 2008), ce qui explique en partie que les femmes réfugiées soient plus à risque que les femmes immigrantes issues des autres catégories (Stewart, Gagnon, Saucier, Wahoush et Dougherty, 2008). Le stress vécu par les femmes au statut de demandeur d’asile, en période postnatale, est particulièrement élevé, étant donné qu’elles vivent avec la menace que leur propre demande d’asile soit rejetée et que leur enfant soit autorisé à rester. Cette situation les met face à une décision difficile à prendre concernant leur propre avenir et celui de leur enfant (Gagnon et al, 2013).

(27)

Des symptômes dépressifs peuvent influencer de façon négative la durée de l’allaitement (Hatton et al., 2005) et sont aussi associés à l’inobservance des rendez-vous médicaux pédiatriques (Flynn, Davis, Marcus, Cunningham et Blow, 2004). Même en l’absence de symptômes dépressifs, une indisponibilité et une indifférence de la mère envers son bébé pourraient nuire au développement d’un lien d’attachement sécure de son enfant envers elle (Egeland et Farber, 1984). Un niveau élevé de stress, en période postnatale, pourrait donc nuire tant à la santé de la mère qu’au rôle qu’elle joue auprès de son enfant.

En effet, les femmes immigrantes étaient moins nombreuses, en 2011, à déclarer leur état de santé ou celui de leur enfant comme étant « excellent » que les femmes canadiennes de naissance (Kingston et al., 2011). Il semble également que, en période postnatale, les femmes immigrantes et leur bébé présentent plus de besoins de nature psychosociale tels qu’identifiés par des infirmières de visite à domicile que les femmes canadiennes de naissance et que ces problèmes soient moins pris en charge par le système de santé (Gagnon et al., 2013).

De plus, les bienfaits de l’allaitement sont bien documentés dans la littérature scientifique (MSSS, 2001). Bien que, par rapport aux femmes nées au Québec, les femmes immigrantes de provenance non européenne soient statistiquement plus nombreuses à opter pour l’allaitement maternel et à le poursuivre (Dubois, Bédard, Girard et Beauchesne, 2000), il n’en demeure pas moins que les femmes immigrantes ont moins tendance à allaiter leur enfant dans leur nouveau pays industrialisé que les femmes demeurées dans leur pays d’origine (Côté, Loiselle, Gastaldo, Semenic et Sissoko, 2003; Groleau, Soulière et Kirkmayer, 2006; Sarwar, 2002). Cette réalité semble être due en partie aux contradictions et incohérences auxquelles elles ont à faire face par rapport à l’allaitement dans leur nouveau pays, de même qu’au peu de soutien social auquel elles ont accès (Schmied, Olley, Burns, Duff, Dennis et Dahlen, 2012).

1.4.2 Nouvellement arrivée et isolée : le soutien social et les services de

périnatalité en période postnatale

Le soutien social constitue un autre déterminant social de la santé reconnu par l’Organisation mondiale de la santé (Wilkinson et Marmot, 2004), le Canada (Mikkonen et Raphael, 2011) et le Québec (Jobin, 2012). Or, la littérature démontre clairement que l’isolement social fait partie des principaux problèmes rencontrés par les femmes immigrantes qui accouchent au Québec et qui se retrouvent loin de leur famille et du réseau de soutien dont elles auraient besoin en période postnatale (Battaglini et al., 2000; Lazure et Benazera, 2006). La séparation d’avec la famille et le manque de soutien social constituent chez elles d’importantes sources de stress (Higginbottom, Bell, Arsenault et Pillay, 2012).

(28)

Comme l’ont mentionné les répondantes lorsqu’elles étaient questionnées sur d’autres aspects de leur vie, l’isolement apparaît comme un élément majeur de leur expérience migratoire. La description des réseaux social et familial confirme cette perception et tend même à renforcer cette idée d’isolement qui marque non seulement leur immigration, mais aussi leur expérience de l’accouchement au Québec. (Battaglini et al., 2000, p. 82)

Tel que mentionné précédemment, au Québec, les femmes immigrantes sont nombreuses à connaître des problèmes de communication avec la société d’accueil, en raison notamment d’une méconnaissance du français (Sherpa, 2013). Qu’elles soient à l’aise ou non avec la langue, l’interaction difficile avec les Québécois fait partie des principaux problèmes qu’elles rencontrent à leur arrivée ici (Battaglini et al., 2000). Pour une femme d’immigration récente qui vient d’avoir un enfant, la nécessité de rester à la maison pour en prendre soin peut signifier également de devoir interrompre les cours de francisation, de retarder le moment d’entrée sur le marché du travail et, ainsi, de remettre à plus tard son intégration dans la société d’accueil (Lazure et Benazera, 2006).

Pour briser l’isolement et favoriser l’intégration des personnes immigrantes, de nombreux organismes communautaires de la Ville de Québec offrent des services spécialisés à cette population. Une description de certains de ces organismes figure en annexe I du présent mémoire. Parmi ceux-ci, mentionnons brièvement le Centre international des femmes de Québec, le Centre multiethnique de Québec, la Maison pour femmes immigrantes et le Mieux-Être des immigrants (Agence de la santé et des services sociaux de la Capitale-Nationale, 2006). De plus, l’organisme Service d’aide à l’adaptation des immigrants et immigrantes offre des services aux personnes immigrantes en général. Notamment, cet organisme organise des rencontres et un suivi pré- et postnatals adaptés à la réalité des futures et nouvelles mères immigrantes (SAAI, 2006).

En période postnatale, des services publics et communautaires sont offerts à toutes les familles. Pour bien des mères d’immigration récente, ces services professionnels constituent la porte d’entrée sur la société québécoise et leur offrent une opportunité de briser temporairement leur isolement (Battaglini et al., 2000; Lazure et Benazera, 2006). Voici donc une brève description des services accordés d’emblée par le réseau de la santé et des services sociaux du Québec aux nouvelles mères et à leur famille.

En l’absence de complications, la mère et l’enfant qui vient de naitre par un accouchement normal obtiennent leur congé du centre d’accouchement 48 heures ou moins après la naissance. Pour un enfant né par césarienne, le congé est donné 96 heures ou moins après la naissance. Au cours des 24 à 72 heures suivant le congé, une visite à domicile est systématiquement effectuée par une infirmière ou une sage-femme (MSSS, 2008). Dans la Ville de Québec, ces services sont offerts en français, par l’entremise des Centres locaux de services communautaires (CLSC), et en anglais, par les Services communautaires de langue anglaise Jeffery Hale. Info-Santé, un service d’intervention téléphonique en matière de santé physique et psychosociale offert à tous, fait également partie des services offerts dans la région (Centre de santé et de services sociaux de la

(29)

Vieille-Capitale, s.d.; CSSS de Québec-Nord, s.d.; Jeffery Hale, 2014). Au besoin, un service d’interprétariat linguistique et culturel est mis à la disposition des personnes allophones qui consultent le réseau de la santé et des services sociaux (ASSS de la Capitale-Nationale, 2006).

Pour les familles vivant en contexte de vulnérabilité, des services intégrés en périnatalité et pour la petite enfance (SIPPE) sont offerts par le réseau de la santé et des services sociaux. Ces services consistent en l’accompagnement des familles par des visites à domicile d’une intervenante et des activités favorisant le développement d’un environnement favorable à la santé autour de l’enfant. Ces services débutent en période prénatale et se poursuivent jusqu’au cinquième anniversaire de l’enfant (MSSS, 2007).

Divers organismes de la région, par exemple le groupe les Relevailles, Mères et monde et le collectif « Les Accompagnantes », offrent des services spécialisés aux nouvelles mères de toute provenance. De plus amples informations sur ces organismes communautaires sont présentées en annexe II. Malheureusement, plusieurs mères immigrantes de la Ville de Québec interrogées en 2007 ne connaissaient pas ces organismes communautaires de périnatalité et leurs services (Rinfret, 2007).

En ce qui concerne la documentation écrite remise aux parents, l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) publie à chaque année une nouvelle version de son guide Mieux vivre avec notre enfant de

la grossesse à deux ans : Guide pratique pour les mères et les pères. Une version imprimée est remise

gratuitement en début de grossesse à tous les futurs parents du Québec. On y retrouve des informations sur la grossesse, l’accouchement et les deux premières années de vie de l’enfant, appuyées par données scientifiques et mises à jour à chaque année depuis plus de 30 ans. Ce guide se veut un outil pratique et compréhensible par tous les parents du Québec (Landry et Richardson, 2011). À ce jour, on ignore si le guide convient aux femmes immigrantes, aucune évaluation n’ayant encore été faite auprès de cette population.

1.5 Synthèse de la problématique et but de l’étude

Pour résumer le contenu du présent chapitre, l’immigration au Québec est un phénomène important, qui a pris de l’ampleur au cours des dernières années. Les immigrants qui s’installent au Québec proviennent de pays diversifiés; la Ville de Québec, en tant que milieu d’accueil, ne fait pas exception à cette tendance.

L’immigration en soi constitue une expérience hors du commun. Quitter son pays d’origine, ses proches et son milieu connu implique des deuils importants. Arriver dans un nouveau pays duquel on ne connait rien, parfois même pas la langue, repartir à neuf et reconstruire sa vie, son identité, son statut social et économique n’est pas une mince affaire, particulièrement quand la société d’accueil ne nous reconnaît pas l’expérience de travail passée. Pourtant, c’est la situation que vivent de nombreuses femmes immigrantes qui prennent la décision de venir vivre au Québec. Dans ce monde inconnu, où leur statut professionnel et social n’est pas

(30)

reconnu, où elles sont bien souvent économiquement dépendantes du mari qu’elles sont venues rejoindre, elles se retrouvent bien isolées.

Lorsqu’au cours des premières années dans ce pays d’accueil, elles mettent au monde un enfant, un nouveau défi s’ajoute à celui de l’adaptation au nouveau milieu. En effet, elles doivent dorénavant s’occuper d’elles-mêmes et répondre aux besoins d’un petit enfant. Cette situation peut être très stressante pour une femme. Notamment, les mères d’immigration récente sont nombreuses à développer des symptômes de dépression en période postpartum et elles ont moins tendance à allaiter leur enfant que les femmes de leur pays d’origine qui vivent la période périnatale là-bas. Mais, au-delà de la tâche qu’implique le rôle de mère, la famille, peut-être déjà en situation économique précaire, se retrouve avec un nouveau membre qui a, lui aussi, des besoins matériels à remplir. Cette situation peut engendrer encore plus de stress pour une nouvelle mère immigrante. Face aux contraintes décrites ci-haut, il est plausible de croire que l’expérience de la maternité des femmes d’immigration récente puisse être différente de celle des femmes originaires du Canada qui mettent au monde un enfant au Québec. Le présent mémoire a donc pour but d’améliorer la compréhension de l’expérience des mères d’immigration récente vivant dans la Ville de Québec. Le Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (2008) définit la période périnatale de la manière suivante : « [elle] s’étend du moment de la prise de décision d’avoir un enfant ou […] du moment de la conception, jusqu’à ce que l’enfant atteigne l’âge de un an » (p. 8). La présente étude s’intéressera à une portion de la période périnatale, soit à la période postnatale. En d’autres mots, nous nous attarderons à mieux comprendre le vécu de la mère immigrante vivant dans la Ville de Québec pendant la première année de vie de son enfant né au Québec.

Dans cette optique, nous avons cherché à mieux connaître la littérature scientifique portant sur le sujet des mères immigrantes. Le fruit de nos recherches est présenté au chapitre suivant.

(31)

Chapitre 2 : Recension des écrits

Dans le présent chapitre seront présentés les résultats d’études réalisées sur l’expérience de la maternité auprès de femmes immigrantes dans le monde, au Canada et au Québec. Cette recension des écrits intégrative vise d’abord à nous renseigner sur l’état actuel des connaissances dans le domaine.

Pour cette recension des écrits, des études utilisant divers devis méthodologiques ont été incluses, de façon à nous donner une vision plus complète de la thématique de la maternité chez la femme immigrante (Whittemore et Knafl, 2005). Afin de couvrir les objectifs de notre recherche, qui seront présentés à la fin du présent chapitre, les études correspondant aux critères suivants ont été incluses dans cette recension : 1) s’intéresse à la période qui suit la naissance de l’enfant; 2) inclut des données collectées auprès des mères; 3) publiée en 1998 ou après; et 4) publiée en français ou en anglais. Puisque notre étude est consacrée à la période postnatale, les études portant exclusivement sur la grossesse ou l’accouchement ont été rejetées. De plus, nous cherchons à connaître l’expérience de la maternité du point de vue de la femme qui la vit; c’est pourquoi nous avons recensé uniquement les études ayant été effectuées auprès de mères, et non celles qui tiennent compte exclusivement de la perspective des intervenants et professionnels. De même, dans le but de tenir compte du contexte contemporain de la maternité et de la migration, nous avons retenu seulement les études publiées depuis 1998. Pour des raisons de faisabilité, seuls les articles publiés en français ou en anglais ont été retenus.

Nous avons exclu de notre recension les études portant uniquement sur des femmes immigrantes de deuxième ou de troisième génération, étant donné que le but de notre étude est de documenter l’expérience de la maternité combinée au fait d’avoir immigré récemment et non d’un point de vue ethnique ou culturel particulier. Nous avons également exclu les articles portant uniquement sur des femmes réfugiées ou sans statut, celles-ci ne faisant pas partie de notre population à l’étude, comme il le sera discuté au chapitre quatre. Nous avons retenu une minorité d’études effectuées auprès de mères occidentales, afin d’apporter des aspects complémentaires à ce chapitre; toutefois, la grande majorité des études recensées s’intéressent aux mères immigrantes.

Pour effectuer cette recension, nous avons utilisé les bases de données suivantes : Pubmed, Embase,

PsycNET, CINAHL, Family and Society Studies Worldwide, Social Sciences Full Text, Web of Science, Google Scholar et Repère. Les mots-clés recherchés ont été choisis en tenant compte du but de notre étude,

soit de comprendre l’expérience maternelle des femmes d’immigration récente pendant la première année de vie de leur enfant. Les mots français immigration, immigrant et immigrante ont été utilisés. Ces mots ont été croisés avec les mots périnatal, postnatal, postpartum, mère, maternité et enfant. Ces mots-clés ont été

(32)

traduits en anglais par immigrant, emigrants and immigrants et newcomers qui ont été jumelés aux mots

postnatal care, postnatal, infant care, perinatal period, maternal care, mother, motherhood, mothering, mother and child, maternity et child care dans les différentes banques de données énumérées plus haut. Cette

première étape a généré plusieurs centaines de résultats. La grande majorité des articles n’étaient pas pertinents et ont été éliminés à la seule lecture du titre. D’autres ont été exclus après qu’on en ait lu le résumé. La liste des titres des thèses et mémoires de l’Université Laval disponibles en ligne a été parcourue afin de recenser les recherches effectuées dans la Ville de Québec auprès de la population immigrante. De même, des livres disponibles dans les différentes bibliothèques de l’Université Laval ont été utilisés pour connaître l’état actuel des connaissances au sujet des femmes immigrantes au Québec. La liste de références de chacun des ouvrages et de chacun des articles a été scrutée attentivement afin de trouver les articles internationaux, canadiens et québécois les plus pertinents pour cette recension des écrits.

Tel que mentionné précédemment, ce chapitre vise à nous renseigner sur l’état actuel des connaissances concernant la période postnatale chez la femme immigrante. Pour ce faire, dans un premier temps, nous relèverons les résultats des études portant sur le sens du rôle maternel chez les femmes immigrantes. Dans un deuxième temps, les résultats d’études identifiant des facteurs de vulnérabilité propres aux mères immigrantes seront discutés. Finalement, nous verrons de quelle façon les auteurs ont traité la question du soutien social en période postnatale chez la femme immigrante et de l’utilisation des services disponibles.

2.1 Le sens du rôle maternel

Pour introduire cette section portant sur le sens de la maternité, les résultats de quelques études s’intéressant au vécu des femmes occidentales en période postnatale seront présentés. Par la suite, les résultats d’études portant sur le sens et la perception que se font les femmes immigrantes de leur rôle maternel suite à la naissance de leur enfant seront relevés.

2.1.1 Chez les femmes occidentales

En 2004, Nyström et Öhrling ont effectué une revue de littérature sur l’expérience de la parentalité du point de vue du père et de la mère pendant la première année de vie de leur enfant. Les articles retenus, parus dans des revues scientifiques occidentales, relèvent les thèmes suivants du discours des nouvelles mères quant à l’expérience de la première année de maternité : l’amour total pour son enfant et la satisfaction d’être devenue mère, le stress et la fatigue causés par le fait d’être la principale responsable de l’enfant, la difficulté à trouver du temps pour soi et la sensation d’être toujours fatiguée et vidée de toute énergie. De concert avec le discours des pères, le thème général des études était « vivre dans un nouveau monde exténuant » (p. 327, traduction libre).

(33)

Dans la région d’Ottawa, Moreau (2011) a voulu « recueillir et […] analyser le témoignage de primipares sur leurs représentations de la maternité avant et après l’arrivée de l’enfant » (p. 26-27). Pour ce faire, elle a interrogé à trois reprises 12 femmes francophones, soit au huitième mois de grossesse puis à deux mois et six mois après la naissance de l’enfant. Les résultats de ces entrevues semi-dirigées suggèrent que les femmes sont frappées par l’exigence de la tâche de devoir s’occuper d’un enfant et par la fatigue et le manque de sommeil qui en résulte. Elles sentent une pression énorme pour allaiter et, si elles n’y parviennent pas, croient qu’elles seront perçues comme de « mauvaises mères » (p. 32). En effet, il semble que, pour plusieurs, l’allaitement constitue l’épreuve la plus difficile dans l’apprentissage de la maternité, expérience que l’auteure qualifie de « culpabilisante » (p. 35).

À Toronto, l’étude de Mamisachvili et al. (2013) suggère que la perception des difficultés liées à la première année de vie avec un enfant pourrait être différente selon que la mère a elle-même immigré d’un autre pays ou qu’elle soit née ici de parents immigrants. Ces auteurs ont comparé, par une étude qualitative, l’expérience des « problèmes de l’humeur postpartum » (traduction libre) des immigrantes de première et de deuxième génération. Ils ont opté pour l’entrevue individuelle semi-dirigée pour interroger leurs 17 participantes, qui ont toutes rapporté avoir des problèmes de l’humeur nuisant à leur fonctionnement. Bien que les immigrantes de première et de deuxième génération aient toutes des attentes envers leur façon de gérer leur nouveau rôle de mère, la nature des attentes a influencé les problèmes de l’humeur de façon différente au sein des deux groupes. Les immigrantes de deuxième génération, qui s’attendaient à être capables de tout gérer seules, ont connu la détresse lorsqu’elles ont pris conscience qu’elles ne pourraient pas correspondre à l’image sociale de la mère indépendante qui ne compte que sur elle-même. Au contraire, les immigrantes de première génération s’attendaient à avoir de l’aide à la naissance de leur enfant et ont connu la détresse lorsqu’elles ont pris conscience qu’elles allaient devoir se débrouiller seules. De la même façon, les immigrantes de deuxième génération ont principalement associé leurs symptômes au fait qu’en devenant mères, elles ont perdu leur identité d’avant. Au contraire, les immigrantes de première génération ont associé leur nouveau rôle de mère à une façon de rehausser leur identité; la transition vers la maternité n’a pas été difficile pour elles.

Cette dernière étude laisse entrevoir que la perception de la maternité et des difficultés qui y sont associées peut être très différente selon qu’une femme soit citoyenne canadienne de naissance ou qu’elle ait grandi ailleurs. Moreau (2011) dit que « [l]a représentation personnelle de la maternité est une façon intime de concevoir et d’imaginer le rôle de mère influencée par la famille d’origine et le milieu social de la future mère » (p. 27). Dans la sous-section suivante, nous irons donc voir ce que le rôle maternel pendant la première année de vie d’un enfant signifie pour les mères immigrantes, dont la famille d’origine et le milieu social actuel ne sont pas issus du même milieu.

(34)

2.1.2 Chez les femmes immigrantes

Quelques chercheurs internationaux se sont penchés sur la question du sens et de la perception de la maternité chez les femmes immigrantes. Des études effectuées en Europe (Babatunde et Moreno-Leguizamon, 2012; Barona-Vilar, Mas-Pond, Fullana-Montoro, Giner-Monfort, Grau-Munoz et Bisbal-Sanz, 2013) en Australie (Liamputtong, 2006; Liamputtong et Naksook, 2003a), aux États-Unis (Guendelman, Malin, Herr-Harthon et Vargas, 2001; Pollard, Nievar, Nathans et Riggs, 2014; Taniguchi et Magnussen, 2009), en Asie (Tsai, Chen et Huang, 2011) et au Québec (Lazure et Benazera, 2006) seront présentées ici.

D’abord, en Asie, Tsai et al. (2011) se sont intéressés à l’expérience de la maternité des femmes originaires d’Asie du Sud-Est habitant à Taiwan et mariées, pour la grande majorité par un mariage arrangé, à un conjoint taïwanais. En faisant appel à l’approche photovoice, ils ont exploré le vécu de 18 mères sud-asiatiques ayant vécu leur maternité à Taiwan. Les participantes étaient invitées à prendre des photos faisant référence aux thèmes de la transition vers la maternité et de l’immigration; quelques-unes de leurs photos ont servi de point de départ à la discussion de groupe de la rencontre suivante. Leur étude révèle que les participantes considèrent le fait de devenir mère comme faisant partie du rôle de la femme et donc, faisant naturellement partie de leur parcours de vie. La naissance de leur premier enfant a procuré un nouveau sens d’identité et de sécurité et la présence de leurs enfants les remplit de joie et leur offre une vision plus positive d’elles-mêmes. Avoir un enfant, particulièrement un fils, permet à ces femmes d’obtenir plus de pouvoir et un meilleur statut auprès de leur conjoint et de leurs beaux-parents.

En Europe, Barona-Vilar et son équipe (2013) ont étudié la perception de la parentalité chez les mères nées en Bolivie et en Équateur vivant en Espagne. Les chercheurs ont interrogé 26 femmes et 24 sages-femmes dans le cadre de focus groups pour mieux comprendre la parentalité et la perception des soins de santé maternelle. L’étude révèle que le rôle de mère est le principal rôle de la femme, ce qui lui permet de se réaliser. Elle se perçoit comme la meilleure personne pour s’occuper des enfants et celle qui doit favoriser le bien-être de la famille plutôt que son propre bien-être. La mère est pleinement responsable du soin et de l’éducation des enfants.

Sur le même continent, Babatunde et Moreno-Leguizamon (2012) ont étudié la dépression postpartum telle que perçue par des nouvelles mères africaines ayant accouché et vécu le début de leur maternité dans le Sud-Est de Londres. Par des focus groups, ils ont exploré le vécu de 17 femmes africaines. Leur étude révèle que la maternité est perçue comme une bonne chose pour toute femme africaine mariée ou vivant en couple; conséquemment, en période prénatale, l’annonce de la grossesse était généralement considérée comme quelque chose de positif. Cependant, après la naissance, bien qu’elles fussent heureuses d’être devenues mères, elles auraient eu besoin de repos à la suite de la grossesse et de l’accouchement. Malheureusement,

(35)

la réalité de devoir s’occuper seules d’un bébé qui a constamment besoin de soins les a frappées. Elles ont vécu une grande déception due au fait que leur expérience de mère était plus difficile qu’attendu; même avec leurs plus proches parents, elles n’osaient pas partager leurs émotions, de peur d’être jugées comme ayant échoué dans leur rôle de mère.

Liamputtong (2006) a interrogé 21 femmes originaires du Laos, 21 provenant du Vietnam et 25 ayant immigré du Cambodge qui ont accouché et vivent en Australie. Par les entrevues en profondeur de cette étude de type phénoménologique, la chercheure a cherché à connaître les perceptions qu’ont ces femmes de ce que qu’est « une bonne mère », les impacts de la maternité sur leur vie et leur expérience de « devenir mère ». Les résultats révèlent que la maternité est perçue comme une preuve du bon fonctionnement biologique de leur corps, comme une responsabilité sociale qu’une femme doit remplir en tant que membre de la société et comme une façon de rapprocher une femme et son mari. De plus, en mettant un enfant au monde, une femme vient compléter la famille et permettre au nom des ancêtres de survivre; cet enfant pourra s’occuper d’elle quand elle sera âgée, lui assurant ainsi la sécurité pour ses vieux jours. Par ailleurs, pour ces femmes, être mère constitue un honneur auquel toutes n’ont pas droit, qui procure joie à celles qui ont la chance de le devenir, en plus de leur permettre de briser leur isolement quotidien par la présence d’un petit être qui leur tient compagnie au jour le jour. Cette expérience a également permis à certaines de mieux comprendre leur propre mère et de se rapprocher de celle-ci. L’auteure décrit le fait de devenir mère comme une transformation sociale de l’identité d’une femme, qui vient avec d’innombrables responsabilités. La prise de conscience qu’elle est capable d’assumer ces responsabilités génère chez la femme un sentiment de maturité, une grande fierté. En ce sens, la maternité peut être perçue comme une occasion de développement personnel. Selon les résultats de cette étude, pour bien remplir son rôle, pour être « une bonne mère », une femme doit répondre aux besoins physiques de son enfant (alimentation, vêtements, sommeil, jeux), répondre à ses besoins émotionnels (lui donner amour et affection) et bien l’éduquer, c’est-à-dire lui apprendre à différencier le bien du mal, faire de lui un être responsable dans la société et lui transmettre de bonnes valeurs morales et religieuses. De plus, une bonne mère est perçue comme celle qui inculque à ses enfants le respect des parents, leur donne accès à une bonne éducation, qui les mènera vers un bon emploi, et les guide vers le succès. Pour assumer ce rôle, une mère doit donner du soutien à son enfant, de l’attention, du temps, de la compréhension, se comporter en modèle, être brave et parfois se sacrifier pour lui. « [D]evenir mère est expérimenté comme une transformation morale du soi et les femmes sont poussées à performer dans leur carrière morale » (Liamputtong, 2006, p. 47, traduction libre).

Dans le même pays, Liamputtong et Naksook (2003a) ont procédé à des entrevues ethnographiques avec 30 mères d’origine thaïe vivant à Melbourne ainsi qu’à l’observation des participantes. Pour ce faire, elles ont

Figure

Figure 1 : L'expérience sociale d’être mère chez la femme d'immigration récente
Tableau 1 : Les principales fonctions de soutien  Soutien affectif ou émotif
Figure 2 : L'expérience sociale de la maman totale épanouie
Figure 3 : L'expérience sociale de la maman totale oppressée
+3

Références

Documents relatifs

Pourtant son activité, au point de vue de la Fédération horlogère, n'est pas ter- minée encore ; cette société, grâce à la place honorable qu'elle occupe et à l'uti- lité

A l’inverse, résider dans un logement social incite moins souvent à la mobilité résidentielle (55,6% des mères résidant en logement social quittent leur logement au

Cet investissement nécessite une prise de conscience et une approbation collectives, qui devront être guidées par les données disponibles en matière de

 Se sentir compris : Surtout si leur langue maternelle est une langue autochtone, les enfants autochtones ont besoin, pour se sentir compris par l’enseignant et leurs camarades

Dire aux élèves qu’une famille se prépare à partir vers la ligne de trappage pour y passer deux semaines dans une cabane.. Ils devront emporter tout ce dont ils

1-CO-CC-010 démontrer qu'elle ou il est conscient de la diversité des personnes, des langues et des modes de vie au sein de sa communauté 1-CO-CC-011 donner des exemples

Il étudiera les cartes et les globes, apprendra à se situer dans sa communauté, au Manitoba et au Canada, et découvrira différents aspects de sa communauté, entre

Combien y a-t-il de pattes d’animaux Note comment tu as fait... Combien de doigts montre-t-il