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Chapitre 6 : Interprétation des résultats et discussion

6.3 Garder la tête hors de l’eau

Force est de constater qu’en dépit de l’absence de la famille et de la présence de difficultés, les mères immigrantes réussissent à passer à travers la première année de leur enfant. Voyons donc maintenant de quelles façons elles s’y prennent et à quel soutien elles ont recours. Dans la présente section, les stratégies les plus couramment utilisées seront d’abord analysées, puis le réseau social des femmes sera revu selon le cadre des fonctions de soutien social de Boucher et Laprise (2001).

En ce qui concerne les stratégies personnelles, nombreuses sont celles qui ont appris à contrôler leurs pensées et leurs inquiétudes relatives au bien-être de l’enfant et aux tâches domestiques. Sortir de la maison, aller marcher et rencontrer d’autres mères, a été identifié comme facteur de bonne santé mentale dans la littérature portant sur la dépression postpartum chez les femmes immigrantes (Ahmed et al., 2008). Or, notre étude révèle que les femmes mettent en pratique la stratégie qui consiste à « sortir de la maison », mais, faute de réseau social sur qui compter dans leur nouveau milieu, elles le font généralement seule avec leur enfant. Sortir à l’extérieur des murs de leur logis leur permet peut-être de briser l’isolement physique qui existe entre elles-mêmes et la société et ce, même si elles ne parlent à personne. Finalement, le maintien d’un contact avec la famille permet à plusieurs de se sentir moins seules et perdues dans leur nouveau monde. Téléphone, Internet, visite des parents ici ou voyage de quelques semaines vers ce milieu connu avec l’enfant sont des moyens utilisés par les mères immigrantes pour rester proches des leurs. En ce sens, même loin, la famille demeure une ressource précieuse pour elles. En période périnatale, l’importance des communications pour garder un étroit contact avec la famille restée au pays a été documentée chez les immigrantes de la Ville de Québec (Lazure et Benazera, 2006) et chez les Cambodgiennes vivant en Australie (Hoban et Liamputtong, 2013).

6.3.1 Le soutien social et ses fonctions

Les mères immigrantes, en l’absence du réseau familial pour les aider et les guider dans l’apprentissage de leur nouveau rôle, ont recours à diverses ressources de leur réseau social et des institutions pour arriver à assumer leurs responsabilités. Leur bien-être dépendant en partie du fait qu’elles se reconnaissent elles- mêmes comme une « bonne mère » et que leur petit se porte bien, les stratégies mises en place pour arriver à remplir leur rôle sont primordiales.

Rappelons donc, pour commencer, les six fonctions du soutien social selon Boucher et Laprise (2001). Le soutien émotif fait référence aux gens qui permettent à la femme de se confier, d’exprimer ses émotions et d’être réconfortée. Le soutien matériel réfère aux prêts et aux dons tangibles reçus (accessoires de bébé, nourriture, aide financière, etc.). Le soutien instrumental se manifeste par des services rendus dans la maison ou auprès de l’enfant et permettent à la femme de trouver une solution aux petits problèmes quotidiens. Le

soutien informatif est constitué des conseils qu’elle reçoit et desquels elle apprend son rôle. Le soutien de type normatif est celui qui permet à la mère de recevoir de la rétroaction positive et d’être reconnue comme « une bonne mère ». Finalement, le soutien de compagnonnage fait référence aux moments de plaisir partagés avec les autres lors d’activités sociales.

Notre analyse du réseau de soutien des femmes révèle d’abord la place capitale qu’occupe le conjoint dans la vie de la mère immigrante. En effet, il ressort de nos analyses que les femmes perçoivent leur mari comme un allié pour les aider à traverser les difficultés liées au rôle de mère et à l’immigration. L’homme, arrivé au pays en même temps que sa femme ou non, est bien placé pour comprendre les bouleversements émotifs qu’elle vit. Il s’implique dans la maison et auprès de l’enfant, qui lui, ne connait aucune autre famille. Cette implication de l’homme a été relevée dans de nombreuses études, dont les auteurs décrivent le père immigrant comme beaucoup plus présent auprès de sa famille qu’il ne l’aurait été dans son pays d’origine (Battaglini et al., 2000; Guendelman et al., 2001). De plus, selon nos analyses, le père immigrant joue également le rôle de pourvoyeur de la famille, que ce soit par le salaire qu’il gagne ou par les prêts et bourses du gouvernement qu’il perçoit pour lui et sa famille. En résumé, le conjoint constitue, pour les mères immigrantes, la principale, et souvent la seule, source de soutien instrumental. Il a également été nommé comme soutien émotif principal en plus de soutenir matériellement la famille. Certaines études recensées abondent dans le même sens (Liamputtong et Naksook, 2003a; Taniguchi et Magnussen, 2009), tandis que d’autres ont révélé que la renégociation des rôles de genre pouvait entraîner des tensions au sein des couples immigrants (Lazure et Benazera, 2006; Rinfret, 2007), ce qui n’a pas été démontré dans le cadre de notre étude.

La moitié des participantes a reçu la visite de ses parents. Celles-ci ont pu profiter, pendant ce court laps de temps, de beaucoup de soutien instrumental et informatif de leur part. Cependant, tel que rapporté en 2000 par Battaglini et al., pour la mère immigrante qui vit au Québec, la parenté ne constitue pas la principale source d’aide. En l’absence de la famille, le cercle d’amis et de connaissances fournit souvent aux mères du soutien de types matériel, informatif et de compagnonnage. Rarement, et lorsqu’elles n’ont aucune autre option, les femmes interrogées peuvent faire appel à leurs connaissances pour garder l’enfant quelque heures.

Tout comme les femmes occidentales (Hamelin-Brabant et al., 2013), les mères immigrantes ont de grands besoins d’information en ce qui concerne la façon de prendre soin d’un enfant. Pour assouvir ce besoin de soutien informatif, les femmes se tournent beaucoup vers la documentation écrite et l’Internet. Notamment, le guide Mieux-vivre ensemble, de la grossesse à deux ans a été utilisé fréquemment par plusieurs et apprécié de la majorité. Soulignons également leur appréciation de la visite à domicile de l’infirmière de périnatalité, qui leur permet de se sentir appuyées dans leur rôle de mère. Selon Lazure et Benazera (2006), celle-ci

représenterait, dans le système de santé et de services sociaux, la figure la plus proche de l’aide familiale féminine traditionnelle. En plus d’avoir aimé l’attitude de la personne, les femmes ont apprécié avoir reçu de celle-ci une panoplie de références publiques et communautaires pertinentes. La ligne Info-Santé a été utilisée à maintes reprises par les mères immigrantes qui cherchent à être rassurées ou informées. Au contraire de ce qu’a relevé Rinfret en 2007, la majorité des mères que nous avons interrogées ont rapporté bien connaître les ressources communautaires disponibles pour elles. Celles qui ne les ont pas contactées l’ont fait pour des raisons telles que le manque de confiance en des inconnus ou le doute par rapport au fait que des étrangers puissent leur offrir ce dont elles ont besoin. Le haut niveau d’éducation des femmes interrogées et leur maîtrise de la langue française ou anglaise peuvent possiblement influencer cette tendance générale de nos participantes à se montrer intéressées à bien connaître ces ressources et à y parvenir aisément. De même, l’étude de Rinfret (2007) ayant été effectuée il y a déjà sept ans, il est possible qu’entre temps, les infirmières de périnatalité aient commencé à donner plus d’information concernant les ressources communautaires aux femmes immigrantes. De plus, au contraire de ce que cette auteure a fait ressortir de son étude, il ne nous est pas apparu évident que l’apprentissage du rôle parental devait être fait de manière traditionnelle; au contraire, la plupart des participantes ont apprécié le fait que les recommandations qu’elles reçoivent ici soient basées sur des évidences scientifiques plutôt que sur des traditions; leur appréciation du guide Mieux-vivre avec notre

enfant de la grossesse à deux ans en témoigne. Encore une fois, le fait que nos participantes aient, pour la

plupart, reçu une éducation de niveau universitaire pourrait influencer positivement leur jugement concernant la valeur des données scientifiques par rapport à la façon de s’occuper de leurs enfants. Ainsi, nos résultats vont davantage dans le sens de l’hypothèse de Liamputtong (2006), qui affirme que, de façon individuelle, les mères immigrantes « modifient leurs façons de jouer leur rôle et d’élever leurs enfants dans un nouvel environnement » (p. 31).

Mentionnons pour terminer que l’aspect soutien normatif n’est pas ressorti de nos entrevues indépendamment du soutien informatif. Nous ne les avons donc pas différenciés dans l’analyse.