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Une maladie introduite, liée à l’histoire contemporaine de la grande île

PARTIE I LA PESTE FLÉAU DU PASSÉ ET PARFOIS CALAMITÉ DU PRESENT 18

3.1. Une maladie introduite, liée à l’histoire contemporaine de la grande île

Certaines parties du globe qui n’ont pas connu les deux premières pandémies ont été touchées par la troisième pandémie de peste. C’est le cas de l’île de Madagascar. C’est le port de Toamasina, port colonial français, dans le versant est de l’île, commercialement stratégique, qui en a fait les frais, en 1898. Et en suivant la construction de la ligne de chemin de fer, reliant Antananarivo, la capitale de l’île, dans les HTC de l’île, et le port de Toamasina, la Tananarive côte est (TCE), la peste a gagné du terrain et s’est enfoncée progressivement à l’intérieur de l’île.

3.1.1. La peste à Madagascar : Une maladie liée à l’histoire

Selon les archives, la peste aurait été introduite à Madagascar par un navire transportant du riz, en provenance des Indes (Brygoo 1966). Dans le contexte de la troisième pandémie mondiale de la peste au XIXème siècle, provenant d’Asie occidentale (Chine).

Le premier cas de peste déclaré à Madagascar est apparu dans le port de Tamatave, actuel Toamasina, en 1898, dans le contexte de la colonisation française (1896 à 1960).

Le 22 novembre 1898, des morts suspects de peste ont été déclarés dans ce port, selon le rapport du général Gallieni, gouverneur général de Madagascar à l’époque.

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A partir de cette année 1898, à part Tamatave en 1899 et 1900, des épidémies de peste ont été également notifiées dans diverses villes portuaires de la grande île, 1899 à Diego Suarez (Antsiranana), Majunga (Mahajanga) en 1902 et 1907 (Blanchy 1995).

3.1.1.1. Peste et besoins économiques : le rôle des chemins de fer dans la progression historique de la maladie à Madagascar

Avec les besoins d’acheminement des produits et des personnes vers les villes portuaires ainsi que la « pacification » de Madagascar voulue par la puissance coloniale française, les constructions des rails de chemins de fers sont multipliées dès 1901 (Fremigacci 2006), date de la pose du premier rail de chemin de fer et ainsi du premier chantier ferroviaire à Madagascar, qui devra relier Antananarivo et Toamasina, la Tananarive Cote Est (TCE) d’une longueur de 369 kilomètres. Les chantiers de chemin de fer et l’expansion de la peste à l’intérieur de l’île sont alors intimement liés. L’apparition des cas de peste suivant inexorablement la progression des chantiers de chemin de fer, des ports vers les HTC et, Antananarivo, véritable « poumon économique » de la grande île, déjà, durant l’époque coloniale.

La construction du chemin de fer a probablement joué un rôle déterminant dans cette progression de la peste vers l’intérieur de l’île (carte 2).

L’année 1921 est l’année charnière qui annonce la persistance de la peste à Madagascar et son endémicité, jusqu’à nos jours, dans les HTC de la grande île. Effectivement, avant cette année, la peste se présentait sous forme épidémique avec apparition de cas sporadiques dans les villes portuaires de la grande île.

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Source : S.Chanteau et al,2000

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3.1.2. Une maladie importée par l’administration coloniale ?

La peste est une maladie qui a touché à plusieurs reprises les ports de Madagascar depuis 1898, jusqu’à devenir endémique sur les HTC de Madagascar, notamment à partir de 1921 (infection murine de Périnet). La peste atteint la ville d’Antananarivo, le 1er juillet 1921. La peste frappe alors Antananarivo et ses environs et continue progressivement à se propager et à élargir les zones touchées, d’année en année (Brygoo 1966 ; Esoavelomandroso 1981 ; Blanchy 1995).

Esoavelomandroso apporte une analyse sur l’historique de la peste durant l’époque coloniale. L’ouvrage d’Esoavelomandroso dépeint le ressenti des populations durant cette époque lors des épidémies de peste, plus précisément pour les populations merina (ethnie des HTC malgaches).

Selon Esoavelomandroso, la peste est alors associée à l’administration coloniale de l’époque, et elle est synonyme de la ségrégation envers les « indigènes » par les autorités à l’époque. En effet, des mesures préventives et/ou prophylactiques draconiennes ont été prescrites par l’autorité coloniale, dans les zones touchées par les épidémies de peste, dont les plus sévèrement ressenties par les populations de l’époque étaient :

- isolation des malades suspectés de peste ainsi que des personnes contacts - incendie de villages où des décès dû à la peste sont déclarés

- cordons et barrières sanitaires avec interdiction de sortie pour les habitants des zones infectées, aussi bien pour les personnes que pour les marchandises.

- surveillance sévère des déplacements des indigènes au sein des zones infectées - interdiction d’inhumer les défunts suspects de peste

D’autant plus que ces mesures étaient surtout perçues comme étant faites pour les « indigènes » et non pour les vazaha (terme malgache pour désigner les étrangers de couleur de peau blanche). Esoavelomandroso évoque des « mesures discriminatoires » envers les populations locales de l’époque. D’ailleurs, une récupération politique par rapport à cette situation de l’époque a été faite par les nationalistes malgaches. Pour eux, la peste est une maladie imaginaire introduite par les colonisateurs pour exterminer les Malgaches. Ce qui a eu des répercussions négatives dans la lutte contre la peste durant cette époque. Les campagnes massives de vaccination, préconisées par l’autorité coloniale, dont les bienfaits ont été mis en doute par la population malagasy de l’époque, n’ont pas eu les effets escomptés, la peste touchant annuellement des villages entiers et semblant persister à Madagascar.

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3.1.2.1. Après la période coloniale : la peste sévit toujours sur la grande île

Après la période coloniale l’indépendance de 1960 jusqu’à nos jours est marquée par plusieurs épidémies de peste dans plusieurs régions de l’île, outre les régions d’endémicité de la peste des HTC, des régions hors foyer pesteux ont fait l’objet d’apparition sporadique et/ou épisodique de cas humains de peste : Mahajanga, Antsiranana, et plus récemment Midongy du Sud et Befotaka.

Si la peste est ancrée dans la mémoire collective des populations européennes comme étant une maladie grave, la peste à Madagascar est probablement intimement liée à la colonisation et donc l’histoire chez les populations malgaches.

Aujourd’hui encore, cela a été prouvé par l’expérience de l’épidémie de peste pulmonaire urbaine de 2017. L’existence même de la peste est remise en question par les populations, la peste étant assimilée à une « invention » de l’état pour se « remplir les poches », nous le verrons plus tard dans une partie de cette étude où des investigations en population ont été effectuées dans un contexte post-épidémique dans la ville d’Antananarivo en 2018.

3.2. Endémicité de la maladie à Madagascar : des conditions naturelles et sociales