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Maladie, apprentissage et développement : le cas de l’éducation thérapeutique

CHAPITRE 2 LA CONSTRUCTION DE LA MALADIE COMME OBJET DE RECHERCHE

2.2.8 Maladie, apprentissage et développement : le cas de l’éducation thérapeutique

Il existe une définition internationale de l’éducation thérapeutique publiée et diffusée par

l’organisation mondiale de la santé dans un rapport de 1998 : « L’éducation thérapeutique du

patient a pour but de former les patients à l’autogestion, à l’adaptation du traitement à leur propre

maladie chronique, et à leur permettre de faire face au suivi quotidien… Elle est essentielle pour

une autogestion efficace et pour la qualité des soins des maladies de longue durée…L’éducation

thérapeutique du patient doit être réalisée par des soignants formés à l’éducation du patient, et

doit être conçue pour permettre au patient (ou à un groupe de patients et aux familles) de gérer le

traitement de leur maladie et de prévenir les complications, tout en maintenant ou en améliorant

leur qualité de vie. Son but principal est de produire un effet thérapeutique complémentaire à ceux

de toutes les autres interventions… » (OMS, 1998, p. 10).

Si ce travail de gestion est commun à toutes les maladies chroniques, il intervient, selon les

maladies, dans des situations très contrastées d’au moins deux points de vue. En premier lieu,

la gravité de la maladie peut être très différente : la survie de la personne peut être menacée

(Insuffisance Rénale Chronique grave, mucoviscidose) ou son autonomie physique (Sclérose

en Plaques, Accident Vasculaire Chronique, Polyarthrite Rhumatoïde). À l’inverse, certaines

affections, peu perturbantes qu’elles soient pour le sujet atteint, ont des conséquences moins

définitives (Hypertension artérielle, mal de dos…). En second lieu, les ressources médicales

mobilisables, pour atteindre un résultat médical, sont dépendantes du travail que mène le

malade lui-même dans l’intimité de sa vie privée.

En fonction des pathologies, des caractéristiques de la maladie, des modalités de leurs

traitements, de leurs complications et leur mode de rétablissement, la dimension éducative

diffère d’une pathologie à l’autre. Certaines maladies chroniques exigent de la part du sujet

malade une modification de ses comportements et un engagement plus ou moins grand. En

miroir avec le travail requis par le sujet en soin, elles mobilisent plus ou moins chez les

soignants l’exercice et la mise en œuvre d’un type de soutien.

La majorité des maladies mobilisent un changement personnel quand le traitement de la

pathologie comprend à la fois un traitement médicamenteux et « un traitement

comportemental ». Qu’elles soient désignées par « éducation du patient » ou par « éducation

thérapeutique », des stratégies éducatives en direction des malades et de leurs proches se sont

largement développées à partir des années quatre-vingt-dix. Elles partagent les mêmes

origines : d’une part, les courants de la prévention de la santé précédemment exposés et

d’autre part la montée en puissance des associations de malades. Concrètement, la façon dont

les malades vivent leurs traitements voire leur maladie a été identifiée comme un moyen de

mieux gérer la prise en charge thérapeutique.

Dans la plupart des pays, des programmes d’éducation aux diverses thérapeutiques ont donc

été développés. Ces approches peuvent être directement liées à une pathologie et à ses

associations de malades, alors que d’autres se revendiquent comme des prises en charge du

bien-être ou de la bonne santé en général. On retrouve dans la description des premiers

programmes d’éducation l’influence d’un courant pédagogique en sciences de l’éducation, à

savoir " la pédagogie par objectifs" (Hameline, 1983), puis on a vu apparaître le courant des

théories socioconstructivistes dans l’apprentissage (Lev Vygotski 1985), lesquelles posent

comme hypothèse centrale qu’une connaissance prend "naturellement du sens" lorsqu’elle

est apprise en action et confrontée à des savoirs antérieurs. Connaître est un processus

actif, la connaissance se vit et se conquiert en agissant. Il s’agit alors en éducation

thérapeutique de construire des situations d’apprentissage en partant de ce que vivent les

patients et de ce qu’ils possèdent comme connaissances.

La majorité des recherches conduites sur l’éducation thérapeutique depuis la fin des années

quatre-vingt-dix est composée de travaux relatifs aux attendus médicaux de l’éducation, au

sens où il s’agit de démontrer si la variable "éducation" est une variable d’ajustement ou non.

Ces travaux se subdivisent en deux grandes catégories : ceux relatifs à l’évaluation des

résultats de l’éducation thérapeutique sur la santé des patients, et ceux concernant les

dispositifs d’intervention utilisés dans les programmes. L’introduction explicite d’une activité

éducative dans l’activité de soin soulève des questionnements épistémologiques. D’une part,

il s’agit de comprendre la manière dont est attribuée la légitimité de concevoir et de mettre en

œuvre une action d’éducation en direction d’un public exposé à une " vulnérabilité

biologique ".

Quelles sont par exemple les particularités à prendre en compte, chez un

sujet-apprenant-malade exposé à un savoir sur sa maladie ? « Nous faisons l’hypothèse d’une singularité forte

des situations du fait des caractéristiques particulières de l’adulte malade chronique qui

légitime la nécessité de développer un champ de pratique et de recherche autonome sur ces

questions. Le développement de l’action éducative modifie certaines représentations de

l’activité de soin, notamment celles ayant trait aux apprentissages d’autosoin (apprentissage

de l’auto-injection, gestes d’autosurveillance, apprendre aux patients à repérer des

symptômes, anticiper des crises, des poussées). D’autre part, la formation des soignants à

l’ETP pose des questions vis-à-vis des modalités de transpositions des savoirs savants

disponibles en médecine à des savoirs susceptibles d’être mobilisés par les malades. Les

contenus de ces enseignements ne sont pas transposables en tant que tels à un public de

patients dont l’expérience subjective de la maladie peut représenter un obstacle cognitif et

psychique à l’accès à ces enseignements ». (Tourette-Turgis, Pereira-Paulo, 2016, p. 29).

Les publics malades sont les destinataires d’une offre de formation ou d’éducation dans la

mesure où les attendus sanitaires font peser de plus en plus sur les malades eux-mêmes le

choix de s’engager dans des changements comportementaux requérant une modification de

leurs habitudes alimentaires (dans le cas du diabète, obésité), sexuelles (dans le cas de

maladies sexuellement transmissibles). Une grande partie du travail de soin dans la plupart

des maladies chroniques consiste, pour le sujet qui en est affecté, à réussir à introduire dans sa

vie de nouvelles activités, mais aussi des activités d’intervention sur soi comme les activités

de soin. Ces soins exigent une transformation de soi, voire une rééducation de soi difficile à

conduire et à accepter en termes d’image de soi.

« La transmission des savoirs de base, si on prétend à ce que ces savoirs remplissent des

conditions d’opérationnalité – c’est-à-dire soient des savoirs que le patient peut utiliser dans

sa vie quotidienne pour résoudre ou faire face à un ensemble de situations quel que soit la

pathologie concernée, comporte une multiplicité de dimensions. Elles touchent à des concepts

difficiles à apprivoiser comme les styles de vie, les théories du changement et les approches

en termes de projets de vie et de projet thérapeutique du patient. » (Tourette-Turgis, Pereira

Paulo, 2009, p. 90). Les histoires de vie ont intégré le champ de la formation et de la santé

(Niewiadomski, 2009), mais comme le notent E. Jouet et al : « Rétrospectivement, il est même

étonnant que le champ de la maladie et des savoirs des malades n’ait pas été plus tôt un des

chevaux de bataille des tenants des "formations expérientielles". Et de fait, au vu des revues

de littérature, il se confirme qu’alors même que la question des « savoirs de la pauvreté »

sera repérée et étudiée, les savoirs expérientiels des malades vont tarder à être pris en

compte » (2010, p. 61).

Pour Niewiadomski : « la pertinence des modèles que l’on va mobiliser nécessite

d’envisager… lorsqu’il s’agit de personnes malades… la formation, non pas, à partir des

seuls registres expositifs et transmissifs traditionnellement utilisés en pédagogie, mais bien à

partir de modèles plus intégratifs susceptibles de prendre en compte et de valoriser les acquis

expérientiels et existentiels des apprenants au bénéfice d’un processus de formation

impliquant profondément l’existence même du sujet ». (2009, p. 44)

Ce même auteur (Niewiadomski, 2003) a ouvert des voies thérapeutiques de prise en charge

des addictions. Il propose une voie complémentaire au modèle théorique biomédical utilisé en

alcoologie, l’utilisation de la méthodologie des "histoires de vie" proposée à des petits

groupes de patients dans le cadre de leur séjour en institution spécialisée sous la forme

d’activités d’écriture, et de travail collectif sur les énoncés. Son approche se réfère au concept

de biographisation de Christine Delory-Momberger défini comme « la manière dont les

individus biographient leurs expériences, et au premier chef la manière dont ils intègrent

dans leurs constructions biographiques ce qu’ils font et ce qu’ils sont » (2003, p. 6).

Les travaux menés par Delory-Momberger sur le travail biographique représentent une

opportunité à saisir dans le monde du soin et de l’éducation, au sens où la maladie est une

expérience qui mobilise de fait une intense activité biographique spontanée, mais aussi au

sens où les soignants qui pratiquent l’éducation placent souvent les malades en situation

d’avoir à raconter leur histoire, avec les risques encourus à ce que ce récit soit utilisé comme

une forme de contrôle du respect par le patient des normes de soin et de santé qu’on attend de

lui.

La participation des malades à leur maintien en vie a été très nette lors de l’épidémie du SIDA

qui a remis en question l’assignation des rôles et l’assujettissement social des malades à

l’institution médicale et par conséquence aux institutions qui en découlent comme les

institutions de formation des soignants et dans une certaine mesure les grandes institutions

d’éducation pour ne prendre l’exemple que de la santé publique et de l’éducation sur son

versant prévention. La rupture des malades avec leur rôle prescrit leur a permis de sortir de la

contrainte de ces rôles tout en les exposant à une incertitude vitale maximale amenant chacun

d’entre eux à devoir choisir entre différents modèles possibles de conduites et de relations

sachant que les choix dépendaient des possibilités et des contraintes offertes par le contexte

social dans lequel ils essayaient de conduire, de façon isolée ou communautaire, un ensemble

d’activités au service de leur maintien en vie en l’absence de thérapeutiques.

L’apparition du SIDA et du mouvement des communautés concernées par le VIH dans les

années 80-90 ont instauré la figure d’un patient actif et réformateur social. Ces communautés

se sont regroupées en associations et ont bouleversé l’univers de la santé, désignant les

insuffisances du système de santé pour faire face à de nouvelles problématiques, participant

aux processus d’organisation et aux choix d’orientations en santé publique, et conférant aux

associations de malades un rôle dans les politiques de traitement et d’usage des médicaments,

faisant appel au soutien de l’opinion publique. Certaines ont même pris en main les rênes de

la recherche concernant leurs pathologies.

Comme l’écrit Jouet : « Depuis une trentaine d’années, la littérature met de plus en plus en

avant le fait que les malades chroniques construisent des savoirs liés à leurs maladies ; la

reconnaissance de ce phénomène peut être vue comme un fait social attesté par au moins

trois indicateurs : des professionnalisations de nouvelles figures (expert,

patient-ressource, travailleur-pairs, usager-formateur, patients-chercheurs) ; des créations de

diplômes (DU, universités des patients) ; des dispositions législatives et réglementaires ».

(2013, p. 73).

Le patient expert : la reconnaissance des savoirs expérientiels des malades

Les personnes vivant avec une maladie chronique développent, pour certaines d’entre elles,

des savoirs experts complémentaires au savoir scientifique. Ceci les amène à assumer de

nouvelles fonctions au sein du système de santé. Les institutions et les professionnels de santé

ont commencé à intégrer cette nouvelle donne dans leur exercice professionnel. Un numéro

spécial de la revue Pratiques de formation a été consacré en 2010 au thème des «

Usagers-experts : la part du savoir des malades dans le système de santé » (Jouet, Flora et Las

Vergnas). La revue de la littérature menée par ces trois auteurs montre que « la prise en

compte de l’expérience et du savoir des malades se révèle une des caractéristiques

essentielles de l’évolution de la représentation de la santé » (p. 14). L’apparition du terme

« patient-expert » introduite aux États-Unis en 1985 est employée pour « caractériser les

savoirs acquis par les malades » (ibid., p. 64) alors que le qualificatif « expérientiel apparaît

en 1998 à propos du diabète puis d’autres malades chroniques » (ibid., p. 65). Le

patient-expert devient dès lors au niveau conceptuel celui qui a transformé son expérience en savoirs

et en expérience. En ce sens le « patient est de plus en plus souvent reconnu et utilisé comme

expert ayant acquis son expertise par l’expérience » (ibid., p. 68). L’intégration de l’expertise

des malades dans les pratiques médicales et les organisations de soin représente une ressource

en matière de santé qui nécessite des pratiques inclusives visant à donner un statut d’acteur de

santé au sens large aux malades qui désirent contribuer à l’amélioration du système de soin. À

ce titre ce qui se passe dans le secteur de la santé mentale est innovant. La

professionnalisation de pairs-aidants au titre d’intervenants embauchés dans les services de

santé mentale est théorisée comme faisant partie du processus de rétablissement au sens où

ces pairs-aidants développent des approches de soutien complémentaires à celles proposées

par les services de soin. « Le pair aidant a un rôle très spécial et unique à jouer pour

promouvoir et soutenir le paradigme du rétablissement… Grâce à la richesse de leur

expérience, les pairs aidants peuvent transmettre leur savoir expérientiel et l’espoir à leurs

pairs qui se croient condamnés à vie. » (Provencher, 2010, p. 160).

La notion d’expertise profane est l’objet de nombreux débats et Flora (2013) attribue ces

débats au fait que le savoir profane renvoie à des postures différentes dont certaines sont

l’objet de controverses. En effet les patients peuvent utiliser le savoir académique et médical

et « devenir des interlocuteurs crédibles face aux décisionnaires médicaux et politiques »

alors que l’expertise par expérience « suscite… des interrogations, voire des suspicions, de la

part des scientifiques qui tendent à s’opposer à une vision trop perceptive et subjective

impropre à la connaissance médicale et clinique » (Flora, p. 64).