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i. Peptide Aβ et plaques séniles

Le peptide Aβ est la première protéine identifiée comme acteur dans la MA. En effet, en 1984, Glenner et collaborateurs caractérisent les plaques séniles de patients atteints et montrent qu’elles sont en fait constituées d’un peptide de 4 kDa (39 à 42 acides aminés) : le peptide Aβ (Glenner and Wong, 2012). Celui-ci provient du clivage d’une protéine précurseur, la protéine APP (amyloid precursor protein) codée par le gène du même nom localisé sur le chromosome 21. L’épissage alternatif de ce gène entraine la production de 3 isoformes de 695, 751 et 770 acides aminés, la première étant exclusivement retrouvée au niveau neuronal (Rubinsztein, 1997). On note qu’une mutation de ce gène APP est responsable d’une forme rare autosomale dominante de la MA caractérisée par une surproduction de peptide Aβ (Goate et al., 1991). La protéine APP codée par ce gène est une protéine transmembranaire de type 1 comprenant un long domaine N-terminal extracellulaire et une partie C-terminale intracellulaire, le domaine AICD (APP IntraCellular Domain). Elle est la cible des α-, β-, et γ-sécrétases, enzymes protéolytiques impliquées dans le clivage du précurseur en différents fragments. L’action séquentielle de ces enzymes permet de distinguer deux voies : les voies amyloïdogène et non-amyloïdogène (figure 7) qui aboutissent à la production de différents fragments ayant des fonctions biologiques distinctes .

Figure 7 : Représentation schématique des deux voies de clivage de la protéine APP. A gauche est représentée la voie non-amyloïdogène et à droite la voie amyloïdogène aboutissant à la formation du peptide Aβ (Haass et al., 2012).

L’APPsα générée par l’action de l’ α-sécrétase joue un rôle neuroprotecteur et participe au développement cérébral (Hick et al., 2015). En effet, l’augmentation du niveau d’APPsα au niveau cortical (par surexpression d’ADAM-10 qui possède une activité α-sécrétase) entraine une augmentation de la synaptogénèse, étape cruciale du développement du système nerveux (Bell et al., 2008). En revanche, bien qu’elle soit quasi identique à son homologue α, l’APPsβ, plus courte de 16 acides aminés n’est pas impliquée dans les processus de neuroprotection et semble même intervenir dans la voie d’activation de la caspase-3, enzyme impliquée dans le processus neurodégénératif (Nikolaev et al., 2009).

L’AICD, domaine intracellulaire d’APP, est impliqué dans différentes voies de signalisation (Schettini et al., 2010) (interactions avec la protéine Ras, MAPK) mais peut aussi être transloqué au noyau où il exerce un rôle de régulateur transcriptionnel, notamment de gènes impliqués dans la survie neuronal (Multhaup et al., 2015).

Pour finir, le peptide Aβ est généré par la voie amyloïdogène par l’action séquentielle des β- et γ-sécrétases. Dans des conditions physiologiques saines, l’activité α-sécrétase est prédominante (Hick et al., 2015) et limite ainsi la production de peptide Aβ. En revanche, comme évoqué précédemment, dans le processus neurodégénératif des mutations (gène APP ou presenilin-1 et -2) conduisent à une augmentation de la quantité de peptide Aβ générée, par modulation de l’activité sécrétase (Duff et al., 1996; Rubinsztein, 1997). Cette augmentation se traduit donc par une accumulation neurotoxique de peptide aussi bien dans le compartiment extracellulaire qu’au niveau cytosolique et même nucléaire (Multhaup et al., 2015). Le dépôt extracellulaire de peptide Aβ conduit donc à la formation d’oligomères et plaques séniles, lésion cérébrale majeure retrouvée chez les patients atteints par la maladie (figure 8). A ce jour, on estime que les oligomères d’Aβ représentent la forme la plus toxique du peptide et seraient responsables de perturbations du métabolisme calcique aboutissant à l’apoptose (Zhao et al., 2012).

Figure 8 : Immuno-marquage (anticorps anti-Aβ) d’une coupe de cortex temporal d’un patient atteint par la maladie d’Alzheimer. Les plaques séniles apparaissent en marron (Perl, 2010)

Le peptide Aβ joue donc un rôle central dans l’établissement et l’évolution du processus neurodégénératif. A l’heure actuelle, beaucoup de scientifiques s’accordent à dire que ces changements du métabolisme Aβ aboutissant à la formation des plaques séniles seraient l’événement précurseur, initiateur de la maladie : c’est l’hypothèse de « la cascade amyloïde » (figure 9) (Beyreuther and Masters, 1991).Celle-ci met en relation les deux protéines majeures impliquées dans la neurodégénération, le peptide Aβ et la protéine Tau. En formulant cette hypothèse, la communauté scientifique tente de répondre à la question qui demeure toujours sans réponse : « Quel est l’événement initiateur du processus neurodégénératif ? » en d’autres termes « Les perturbations du métabolisme Aβ entrainent-elles l’agrégation de la protéine Tau ou inversement ? »… plus familièrement « qui est l’œuf ? qui est la poule ? ».

Figure 9 : Hypothèse de la cascade amyloïde selon laquelle la formation des plaques séniles et oligomères d’Aβ serait l’élément déclencheur du processus neurodégénératif et précèderait l’agrégation de la protéine Tau. On constate qu’à ce jour beaucoup de questions restent sans réponses (Beyreuther and Masters, 1991)

ii. Tau et dégénérescence neurofibrillaire

En 1963, Kidd observe pour la première fois, en microscopie électronique, des neurones de patients atteints de la maladie d’Alzheimer. Il décrit la présence de neurones normaux et de neurones contenant des amas fibrillaires, la proportion de ces derniers augmentant avec la sévérité des symptômes cliniques. L’analyse de ces amas intraneuronaux permet de déceler la présence de fibres torsadées formant une double hélice : les PHFs (Paired Helical Filaments) (Kidd, 1963). Mais ça n’est qu’en 1985 que le Pr. Jean-Pierre Brion met en évidence la protéine Tau comme constituant majeur des filaments observés chez les patients atteints de la maladie (Brion et al., 1985) par l’utilisation de l’immunohistochimie couplée à la microscopie électronique (figure 10). De plus, par purification et analyses biochimiques des PHFs isolés de cerveaux de patients, d’autres équipes confirment les résultats obtenus par le Pr. Brion (Goedert et al., 1988; Wischik et al., 1988) Ces études marquent le début d’un long périple vers la compréhension du mécanisme d’agrégation de la protéine Tau.

Figure 10 : Immunomarquage sur coupe d’hippocampe de patients atteints de la maladie d’Alzheimer. A-Anticorps « anti-filaments anormaux » marqués à l’or colloïdale et observés en microscopie électronique. On constate que les anticorps reconnaissent les PHFs ; B-Anticorps « anti- Tau » couplés à une enzyme et observés en microscopie optique. C-Contre-coloration de la coupe au rouge-congo permettant de mettre en évidence les PHFs. Par comparaison des clichés B et C, on constate que les anticorps « anti-Tau » reconnaissent les PHFs (figure adaptée de (Brion et al., 1985))

Dans le même temps, Grundke-Iqbal et collaborateurs prouvent que cette forme pathologique de Tau retrouvée dans les PHFs est anormalement phosphorylée (Grundke-Iqbal et al., 1986). Ainsi est proposé l’agrégation de la protéine Tau hyperphosphorylée sous forme de PHFs, ces derniers étant un des marqueurs spécifiques de la maladie d’Alzheimer. A cette époque, aucune hypothèse sur le mécanisme moléculaire d’agrégation de la protéine n’est formulée. Mais face à la recrudescence du nombre de cas déclarés, la nécessité d’un traitement préventif et/ou curatif se fait de plus en plus pressente et c’est pourquoi, au début des années 1990, la communauté scientifique commence à se pencher sur l’étude moléculaire du mécanisme d’agrégation. Ainsi de nombreux travaux sont entrepris sur l’étude in vitro de la protéine Tau, purifiée de cerveau ou produite de manière recombinante. En effet, en 1987, Avila et collaborateurs montrent que la Tau extraite de cerveaux de porc a tendance à agréger dans certaines conditions de pH et salinité (Montejo de Garcini and Avila, 1987). Par la suite, en 1992, Wille et collaborateurs étudient la capacité d’agrégation de différentes constructions de Tau recombinantes et montrent qu’une protéine recombinante se résumant aux segments répétés (Tau K12) est capable de former des fibres semblables aux PHFs isolées de cerveaux de patients malades (figure 11) (Crowther et al., 1992; Wille et al., 1992).

Ces études permettent, d’une part de définir les conditions optimales d’agrégation de la protéine Tau in vitro, et d’autre part identifient le MBD comme région impliquée dans l’agrégation.

Figure 11 : Représentation schématique des différentes constructions de Tau testées par Wille et collaborateurs et fibres obtenues après agrégation de TauK12, observées en microscopie électronique (figure adaptée de (Wille et al., 1992))

Basées sur ces premières études in vitro, d’autres équipes vont s’intéresser au mécanisme moléculaire de l’agrégation de la protéine Tau et l’étau se resserre peu à peu autour de ce domaine de liaison aux microtubules identifié comme impliqué dans l’agrégation. En effet, en 2001, Bhattacharya et collaborateurs mettent en évidence le rôle des cystéines 291 et 322 dans l’agrégation, l’oxydation des cystéines entrainant la formation d’un pont disulfure entre deux protéines Tau indépendantes : c’est la dimérisation, étape cruciale dans la formation des fibres (Bhattacharya et al., 2001). Au même moment, Von Bergen et collaborateurs démontrent la capacité de deux hexapeptides localisés dans ce MBD à former des fibres de manière spontanée (figure 12) : le PHF6* (VQIINK) situé entre les segments répétés 1 et 2 (inter-repeat 1) et le PHF6 (VQIVYK) entre les segments répétés 2 et 3 (inter-repeat 2) (von Bergen et al., 2000). L’interaction de ces hexapeptides se traduit par la formation de feuillets-β caractéristiques du cœur des PHFs (figure 12) (von Bergen et al., 2000). Ces résultats indiquent donc que la formation des PHFs est initiée par l’interaction intermoléculaire de deux protéines

Tau par le biais des résidus cystéines et de deux séquences peptidiques capables de s’auto-assembler in vitro. Pour finir, plusieurs études démontrent que le MBD, contenant les deux cystéines et hexapeptides impliqués dans l’agrégation, est aussi le site d’interaction de divers polyanions, tels que l’héparine, capables de déclencher l’agrégation (Mukrasch et al., 2005; Pérez et al., 1996; Sibille et al., 2006). Sur la base de ces nombreuses études, un modèle d’agrégation in vitro de la protéine Tau est proposé : l’oxydation des cystéines conduit à une dimérisation de la protéine, étape cruciale dans la formation des PHFs puisqu’elle permet d’aligner les PHF6 et PFH6* et donc de déclencher l’agrégation. Ce mécanisme peut-être catalysé par la présence de polyanions extracellulaire tels que l’héparine (Goedert et al., 1996; Pérez et al., 1996) ou intracellulaires tels que les chaines polyglutamate ou l’ARN (Kampers et al., 1996).

Figure 12 : Représentation schématique du modèle d’agrégation de la protéine Tau induite et catalysée par l’utilisation de polyanions (von Bergen et al., 2000)

De nos jours, ce modèle d’agrégation in vitro est encore très utilisé dans l’étude du mécanisme moléculaire d’agrégation de la protéine Tau mais omet un détail non négligeable : le rôle de la phosphorylation dans l’agrégation de la protéine

Tau, celle-ci étant retrouvée hyperphosphorylée dans les PHFs (Brion et al., 1985; Grundke-Iqbal et al., 1986). On note néanmoins que l’implication de la phosphorylation dans le processus d’agrégation pathologique de la protéine Tau reste un sujet controversé. En effet, dès l’aube des années 1990, le Pr. Wischik remet en cause les conclusions des travaux d’Iqbal et collaborateurs (Grundke-Iqbal et al., 1986) en indiquant que le traitement des PHFs par la phosphatase suivi d’une immuno-révélation utilisant l’anticorps Tau-1 (Binder et al., 1985) ne permet pas de conclure quant à la nature hyperphosphorylée des PHFs (Wischik, 1989). Pour mémoire, la reconnaissance de Tau par l’anticorps Tau-1 nécessite une déphosphorylation préalable de l’échantillon. L’hypothèse formulée par Iqbal et collaborateurs repose, entre autre, sur l’observation d’une reconnaissance des PHFs par Tau-1 uniquement après traitement par la phosphatase alcaline (Grundke-Iqbal et al., 1986). Or la même procédure utilisée par Papasozomenos et Binder permet de mettre en évidence une réactivité de Tau-1 pour la protéine Tau extraite de cerveaux de rat et ayant subit le traitement par la phosphatase alcaline, ceci dans un contexte non pathologique donc en absence de PHFs (Papasozomenos and Binder, 1987). De plus, Wischik et collaborateurs démontrent le faible niveau de phosphorylation de la protéine Tau extraite de cerveaux de patients atteints par la maladie d’Alzheimer (Wischik et al., 1995). Sur la base de ces différentes études, ils proposent un mécanisme d’agrégation indépendant de la phosphorylation, reposant sur des interactions Tau/Tau par le MBD permise par les clivages en N- et C-terminaux (Lai et al., 2016; Mena et al., 1996).

iii. Complexité du lien entre le peptide Aβ et la protéine Tau

Comme précédemment évoqué, l’élucidation du lien entre la protéine Tau et le peptide Aβ reste une étape cruciale dans la compréhension de la maladie d’Alzheimer. De nombreux scientifiques s’accordent à dire que l’élément essentiel et initiateur du processus neurodégénératif serait l’accumulation dans le cerveau du peptide Aβ qui, par la suite, induirait la toxicité de Tau : c’est l’hypothèse de la cascade amyloïde (figure 9) (Haass, 2010). Selon celle-ci, l’agrégation du peptide Aβ serait à l’origine des premiers troubles neuronaux et entrainerait une modification du profil de phosphorylation de la protéine Tau aboutissant à la forme hyperphosphorylée agrégée retrouvée dans les PHFs (Haass, 2010). Zheng et

collaborateurs montrent même que l’hyperphosphorylation de Tau est induite par l’activation des kinases GSK-3 et MAPK en présence de peptide Aβ, ceci de manière dose-dépendante (Zheng et al., 2002). Ainsi, de nombreuses études démontrent que la pathologie Tau est induite par la présence de peptide Aβ et soutiennent donc l’hypothèse de la « cascade amyloïde » (Bolmont et al., 2007; Götz et al., 2001a; Pooler et al., 2015).

Néanmoins, en parcourant la littérature et à la vue des avancées dans le domaine thérapeutique, on se rend compte que d’autres études ne valident pas toujours cette hypothèse. En effet, on constate tout d’abord qu’à ce jour, l’efficacité des traitements « anti-plaques » reste modérée voire inexistante : les plaques séniles disparaissent mais les troubles cognitifs persistent (Caselli et al., 2017). De plus, la corrélation positive entre déclin cognitif et accumulation de peptide Aβ reste un sujet très controversé puisque des lésions cérébrales, notamment des plaques séniles, sont observées chez les personnes âgées sans pour autant qu’une démence y soit associée (Nelson et al., 2012). In vitro, par l’utilisation d’un modèle cellulaire neuronale, Rapoport et collaborateurs montrent que la toxicité d’Aβ n’est observée qu’en présence de la protéine Tau, ce qui suggère un dialogue entre ces deux protéines clés dans la dégénérescence neuronale (Rapoport et al., 2002). Pour finir, des études menées chez les primates ont montré que l’accumulation des plaques séniles chez les singes âgés n’étaient pas automatiquement associée à la présence de PHFs, ni à une démence avérée (Heuer et al., 2012). L’identification conjointe des plaques amyloïdes et des PHFs a uniquement été réalisée chez les chimpanzés âgés, espèce phylogénétiquement la plus proche de l’homme (Rosen et al., 2008). Toutes ces études suggèrent donc un développement synergique des deux lésions moléculaires caractéristiques de la maladie d’Alzheimer.

En conclusion, les critères diagnostiques caractéristiques de la maladie d’Alzheimer étant définis comme l’identification conjointe des plaques séniles et des fibres intraneuronales (Hyman et al., 2012), ceci amène la communauté scientifique à reconsidérer le rôle de la protéine Tau dans le déclenchement de la maladie.