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Même si toutes les tauopathies précédemment citées sont cliniquement et biochimiquement bien caractérisées, il n’en reste pas moins que les causes ainsi que le(s) élément(s) déclencheur(s) de la pathologie ne sont pas connus. Pendant longtemps, la communauté scientifique se demandait même si l’agrégation de la protéine Tau était une cause ou une conséquence de la maladie. Le problème fut résolu lorsqu’en 1998, plusieurs scientifiques décrivirent des mutations du gène MAPT (Hutton et al., 1998; Poorkaj et al., 1998; Spillantini et al., 1998).A ce jour, 59 mutations ont été recensées au niveau de ce gène entrainant des perturbations des propriétés d’agrégation et de liaisons au microtubules (mutations touchant l’exon10) mais aussi des mutations affectant l’épissage de l’ARNm ayant comme conséquence directe le déséquilibre du ratio 3R/4R (mutations touchant les introns) (Hong et al., 1998). Par exemple, la mutation P301L provenant d’une mutation de l’exon10 entraine une agrégation plus rapide que la forme non mutée (von Bergen et al., 2000; Goedert et al., 1999)et une liaison plus faible aux microtubules (Hong et al., 1998). Ainsi toutes ces études démontrent clairement que la génétique est un facteur étiologique responsable des FTDP-17… mais qu’en est-il des « Tauopathies sporadiques », telles que la maladie d’Alzheimer, qui subviennent sans prédisposition génétique?

La maladie d’Alzheimer, maladie neurodégénérative la plus étudiée, est unique car caractérisée par deux lésions cérébrales majeures. Suivant l’hypothèse de la cascade amyloïde, la MA ne serait qu’une pathologie cérébrale entrainée par une accumulation de peptides Aβ neurotoxiques et les PHFs n’apparaitraient qu’à des stades très avancés de la maladie. Au départ, de nombreux chercheurs et

industriels ont tenté de développer des traitements sur la base de cette hypothèse mais se sont heurtés à une réalité plus compliquée. En effet, l’accumulation d’études sur la dégénérescence neurofibrillaire et la progression de la maladie a peu à peu changé la perception de la pathologie et inclut dans l’équation globale la protéine Tau. En 1991, le neuropathologiste allemand Heiko Braak observe l’évolution des deux lésions, plaques et fibres, au cours du temps et propose ainsi de découper l’évolution de la maladie en plusieurs stades allant de I (initial) à VI (sévère) (figure

15) (Braak and Braak, 1991). Par ses observations, il met en évidence la progression

de la dégénérescence neurofibrillaire suivant un chemin bien précis, le point de départ étant la région transentorhinale. Jusque-là, le diagnostic de la MA reposait uniquement sur le nombre de plaques amyloïdes observées (Khachaturian, 1985) mais en 1997, les travaux menés par Heiko Braak sont finalement inclus dans les critères diagnostiques. Ainsi la MA n’est déclarée qu’après observation des fibres intraneuronales et des plaques amyloïdes, lésions observées 90 ans auparavant par le Dr Alois Alzheimer.

Figure 15 : Immunohistomarquage de coupes de cerveaux de patients atteints par la MA aux différents stades décrits par le Dr. Braak (utilisation de l’anticorps AT8, marqueurs spécifiques de la forme pathologique de Tau). On constate la progression de la dégénérescence neurofibrillaire depuis la région transentorhinale vers le striatum (Alafuzoff et al., 2008).

Ainsi, en 1997, le paramètre dégénérescence neurofibrillaire impliquant Tau est pris en compte dans l’établissement du diagnostic de la MA mais ça n’est pas pour autant que les facteurs étiologiques de la maladie sont déterminés : les acteurs principaux sont connus mais toujours pas les causes et la relation existant entre les deux. Même si depuis 40 ans de nombreuses études ont été menées sur ces deux acteurs moléculaires caractéristiques de la MA, à l’heure actuelle aucun lien clair n’est établi entre la protéine Tau, le peptide Aβ et le déclenchement de la pathologie. Des études montrent qu’une accumulation de peptide Aβ a pour conséquence une hyperphosphorylation de la protéine Tau (Grueninger et al., 2010) et qu’un traitement contre la neurotoxicité induite par Aβ diminue la phosphorylation de Tau (Song et al., 2008) ce qui suggère donc que ce peptide Aβ soit l’élément déclencheur de la maladie. D’autres études ont montré qu’un neurone exprimant Tau dégénère en présence d’Aβ mais qu’en absence de Tau (KO), la cellule survit (Rapoport et al., 2002). De plus, l’atrophie synaptique retrouvée non seulement dans la MA mais aussi dans d’autres tauopathies est directement liée au dysfonctionnement de la protéine Tau (Lipton et al., 2001). Ces résultats posent donc le peptide Aβ comme précurseur de la maladie. On peut donc dire que la toxicité induite par le peptide Aβ et la protéine Tau n’est plus à prouver mais qu’en 2017 aucun lien clair n’est établi. Concernant la protéine Tau, sujet central de ma thèse, il apparaît clairement que la phosphorylation joue un rôle, aussi bien dans le processus d’agrégation (Brion et al., 1985; Goedert et al., 1992; Grundke-Iqbal et al., 1986) que dans le lien pathologique (éventuel) avec le peptide Aβ (Song et al., 2008). Cette phosphorylation est même devenue un marqueur spécifique dans la détection post-mortem de la maladie d’Alzheimer par l’utilisation d’anticorps reconnaissant des épitopes phosphorylés tel que l’AT8 (pS202+pT205) (Alafuzoff et al., 2008). Outre le rôle joué par la phosphorylation, on peut légitimement se demander quels sont les rôles joués par d’autres modifications post-traductionnelles (MPTs) telles que l’acétylation, la O- GlcNAcylation… toujours dans le but de comprendre le processus d’agrégation pathologique impliquant la protéine Tau.

III. Tau et modifications post-traductionnelles (MPTs)

De manière générale, les protéines peuvent subir des modifications durant ou après leur synthèse : on parle respectivement des modifications co-traductionnelles

(MCTs) et des modifications post-traductionnelles (MPTs). Quelque soit le type de modifications considéré, celles-ci peuvent jouer des rôles différents : modifications locales ou globales de la structure, modulation de l’activité, localisation cellulaire…

Par sa nature intrinsèquement désordonnée (IDP), Tau est une cible privilégiée pour les enzymes de modifications. En effet, l’absence de structures secondaires et tertiaires définies facilite l’accès aux différents sites de modifications possibles : sérine, thréonine, lysine... (figure 16). Les principales modifications étudiées dans le cadre de ma thèse sont la phosphorylation des résidus sérines et thréonines, l’acétylation des lysines et pour finir l’O-GlcNAcylation des sérines et thréonines. On note qu’il existe d’autres modifications telles que la méthylation, l’ubiquitination, la polyamination, le clivage peptidique… qui vont cibler spécifiquement certaines régions de la protéine. Ceci sera abordé de manière plus précise dans la suite du manuscrit.

Figure 16 : A-Représentation schématique des modifications post-traductionnelles principales (liste non exhaustive) retrouvée sur la protéine Tau isolée de cerveau de souris saine. B et C- Modifications post-traductionnelles ciblant spécifiquement les lysines (B) et les sérines/thréonines (C) (figure adaptée (Morris et al., 2015))