• Aucun résultat trouvé

Dialogue et compétition entre modifications post-traductionnelles

Ces notions de dialogue et de compétitions entre modifications post- traductionnelles ont émergé dans les années 2007 par l’analyse du « code des histones ». En effet, ces protéines impliquées dans la compaction de l’ADN doivent être extrêmement bien régulées et vont donc présenter un large panel de modifications telles que l’acétylation, méthylation, ubiquitination, phosphorylation etc…(Latham and Dent, 2007). Il est proposé que les diverses combinaisons possibles représentent le « code histone » qui sera lu par différents acteurs impliqués dans la modulation de la structure de la chromatine se traduisant donc par une activation/inhibition de la transcription. Deux cas de figure peuvent se présenter selon que la présence d’une modification sur un résidu X influence de manière positive ou négative la modification d’un résidu Y : on parle respectivement de dialogue positif ou négatif. La notion de compétition est un troisième cas de figure particulier puisque deux ou plusieurs modifications vont directement cibler le même résidu. Quel que soit le cas considéré, dialogue ou compétition, le panel de modifications post-traductionnelles peut et doit évoluer dans le temps afin de réguler l’activité des protéines-cibles ce qui ajoute un degré de complexité supplémentaire dans la compréhension des mécanismes de régulation par ces modifications.

Dans cette partie, nous allons donc présenter les principaux dialogues et compétitions entre modifications post-traductionnelles ciblant la protéine Tau et conduisant à des modifications des propriétés de celle-ci en relation directe ou non avec la pathologie Alzheimer.

i. Phosphorylation et O-GlcNAcylation : l’exemple-type

Le lien entre ces deux modifications post-traductionnelles se situe à mi- chemin entre le dialogue et la compétition. En effet, bien que la phosphorylation soit nettement plus abondante que l’O-GlcNAcylation, ces deux modifications vont cibler les sérines et thréonines de Tau : on peut donc parler de la balance phospho/O- GlcNAc. En 2003, Lefebvre et collaborateurs démontrent que celle-ci affecte directement la localisation cellulaire de Tau : la protéine Tau O-GlcNAcylée et peu phosphorylée est préférentiellement transférée au noyau (Lefebvre et al., 2003). De plus ils montrent qu’une protéine Tau O-GlcNAcylée est peu phosphorylée et inversement, ce qui renforce donc cette notion de dialogue et compétition. Dans la foulée, Liu et collaborateurs prouvent que cette balance est impliquée dans la maladie d’Alzheimer. En effet par l’utilisation d’un modèle cellulaire PC12 surexprimant Tau, les auteurs prouvent qu’une augmentation de l’O-GlcNAcylation par inhibition de l’OGA (streptozocine et PUGNAc) entraine une diminution de la phosphorylation des sites Ser199, Ser202, Thr205, Thr212, Ser214, Ser262 et Ser396. L’O-GlcNAcylation étant directement liée à la quantité de glucose disponible, ils ont ensuite fait varier les apports en glucose et montré qu’à faibles concentrations une augmentation de la phosphorylation est observée sur les résidus Ser199, Ser202, Thr205 et Ser396 uniquement (figure 39) (Liu et al., 2004). Cette condition est à mettre en parallèle avec l’hypométabolisme glucidique cérébral observé chez les patients atteints de la maladie d’Alzheimer et suggère donc qu’une diminution de l’O-GlcNAcylation entrainerait une augmentation de la phosphorylation, notamment de l’AT8, phospho-épitope caractéristique de la maladie. Ces résultats ont été confirmés in vivo par utilisation d’un modèle de souris. Afin d’observer les conséquences de la diminution d’O-GlcNAcylation sur la phosphorylation, les souris n’ont pas été nourries durant 48h ce qui se traduit par une diminution des apports glucidiques. Suite à cette période, les auteurs ont constaté une nette augmentation des sites de phosphorylation précédemment cités dans le cas carencé par comparaison avec les souris contrôle ayant été nourries normalement (figure 39-B). On peut ici parler d’antagonisme entre phosphorylation et O-GlcNAcylation de la protéine Tau : la diminution de l’O-GlcNAcylation entraine l’augmentation de la phosphorylation.

Figure 39 : Etude in vivo de la balance O-GlcNAcylation/phosphorylation. Afin d’observer les conséquence d’une diminution de l’O-GlcNAcylation sur la phosphorylation, les souris n’ont pas été nourries durant 48h (groupe Starved). A-Niveau d’O-GlcNAcylation global des lysats de cerveaux de souris analysés par Western blot. B-Analyse par Western blot du profil de phosphorylation de Tau extraite des cerveaux des souris contrôles et carencées. On constate une augmentation globale de la phosphorylation lorsque l’O-GlcNAcylation est diminuée (Liu et al., 2004).

L’étude menée sur des peptides de Tau par Smet et collaborateurs (Smet- Nocca et al., 2011) met en évidence l’existence d’un dialogue entre O-GlcNAcylation et phosphorylation. En effet, la phosphorylation des résidus Ser396 et Ser404 diminue l’O-GlcNAcylation de la Ser400 qui, pour mémoire, reste le site principal identifié sur la protéine Tau (Morris et al., 2015). Mais la réciproque est vraie : l’O- GlcNAcylation préalable de la Ser400 diminue l’activité kinase de GSK3 pour les deux autres sérines adjacentes. Une nouvelle fois cette étude pose la question du rôle protecteur de l’O-GlcNAcylation puisque, dans ce cas, elle inhibe la phosphorylation du phospho-épitope PHF-1 impliqué dans la maladie d’Alzheimer. Nous sommes donc ici dans le cas d’une régulation locale puisque les 3 sites d’intérêt (Ser396/Ser400/Ser404) sont voisins. Nous pouvons tout à fait transposer cela à l’étude de Liu et collaborateurs précédemment citée qui montrent une augmentation de la phosphorylation du phospho-épitope AT8 et proposer une

potentielle régulation négative de la phosphorylation par l’O-GlcNAcylation du résidu adjacent, la Ser208, faiblement O-GlcNAcylée par l’OGT (Smet-Nocca et al., 2011).

ii. Phosphorylation, ubiquitination et SUMOylation

En 2014, Luo et collaborateurs ont démontré un lien entre phosphorylation, SUMOylation et ubiquitination (Luo et al., 2014). Tout d’abord, par surexpression de SUMO-1 dans des cellules HEK293 exprimant Tau 2N4R, les auteurs ont montré une augmentation de la phosphorylation des sites Thr205, Ser214, Ser262, Ser396, Ser404. De plus, le traitement des cellules à l’acide okadaïque (inhibiteur de PP2A), induit une augmentation de la SUMOylation ce qui suggère donc une stimulation réciproque entre ces deux modifications post-traductionnelles aboutissant donc à une protéine Tau SUMOylée et hyperphosphorylée au niveau de certains phospho- épitopes pathologiques tels que le PHF-1 ou l’épitope 12E8. Outre cela, il s’avère que cette espèce Tau doublement modifiée n’est plus ubiquitinée et n’emprunte donc plus la voie de dégradation protéasomale (Luo et al., 2014). Tout ceci conduit donc à une accumulation de protéine Tau dont la solubilité est diminuée, ce qui se traduit donc par un potentiel démarrage de l’agrégation. Pour finir, l’analyse par immunomarquage anti-AT8 et anti-SUMO-1 de coupes de cerveaux de patients atteints de la maladie d’Alzheimer révèle une co-localisation de ces deux modifications post-traductionnelles, ce qui renforce donc l’idée d’une régulation réciproque de celles-ci.

iii. Phosphorylation et clivage peptidique

A plusieurs reprises, la phosphorylation de la Ser422 a été identifiée comme phospho-épitope pathologique caractéristique de la maladie d’Alzheimer (Augustinack et al., 2002; Hanger et al., 1998). L’étude menée par Guillozet- Bongaarts et collaborateurs démontre un lien potentiel entre le site de clivage Asp421 de la caspase 3 (Basurto-Islas et al., 2008) et la phosphorylation de la Ser422. Le lien entre ces deux modifications est étudié par phospho-mimétique, la Ser422 étant mutée en acide glutamique. In vitro, il a été démontré que cette pseudo-phosphorylation en position 422 inhibe l’activité caspase-3 et réduit donc la production de fragments Tau propices à l’agrégation (Guillozet-Bongaarts et al.,

2006). Cette étude suggère donc un rôle protecteur de la phosphorylation. Or Mondragon-Rodriguez et collaborateurs démontrent in vivo que l’hyper- phosphorylation de Tau précède le clivage dans l’établissement de la maladie d’Alzheimer (Mondragón-Rodríguez et al., 2008). En effet l’étude immunologique de coupes de cerveaux de patients atteints par la maladie à différents stades révèle la présence de structures préfibrillaires porteuses de l’épitope AT8 mais pas de l’épitope Tau-C3 (site de clivage de la caspase-3 en D421). En revanche, dans des stades plus tardifs de la maladie, espèces tronquées et phosphorylées sont retrouvées au niveau cérébral. Cette étude suggère donc que le clivage interviendrait dans les étapes de maturation des fibres, après la phosphorylation ce qui contredit partiellement les observations réalisées in vitro. Tout ceci révèle donc la complexité du lien entre phosphorylation et clivage peptidique. Un autre problème est soulevé par cette étude : l’étude de la phosphorylation par des techniques de phospho- mimétisme. En effet, une sérine phosphorylée n’a pas les mêmes propriétés chimiques qu’un acide glutamique notamment en terme d’affinité électronique. Or de ceci découlent directement les interactions électrostatiques. Le groupement phosphoryle (PO32-) a plus tendance à s’engager dans des liaisons que le

groupement carbonyle (COO-). Ainsi même si le phospho-mimétisme s’est avéré efficace dans de nombreuses études, aux vues des difficultés à appréhender et comprendre le lien entre phosphorylation, autres modifications post-traductionnelles et agrégation, il me semble risqué de se limiter à des espèces phospho-mimées. Dans le cas présent, l’inefficacité de la mutation S422E n’est pas à exclure.

iv. Phosphorylation et méthylation

L’étude menée par Thomas et collaborateurs suggère un dialogue entre phosphorylation et méthylation. En effet, l’analyse par spectrométrie de masse en tandem de Tau purifiée de PHFs de patients malades (LC-MS/MS) révèle la présence d’un peptide [258-267] porteur des deux modifications, la pSer262 et la metK267 (Thomas et al., 2012). La quantification des différentes espèces modifiées de ce peptide met en évidence le lien entre phosphorylation et méthylation. De la plus abondante à la plus rare les auteurs ont identifié : [258-267]-metK267, [258- 267]-pS262-metK267, [258-267]-pS262, [258-267] natif. La phosphorylation serait donc favorisée par la méthylation sans que le mécanisme ne soit connu et démontré.

v. Méthylation, acétylation et ubiquitination

Ces trois modifications ciblent les lysines de la protéine Tau. Pour mémoire, l’acétylation est la modification post-traductionnelle visant les lysines la plus abondante des trois, une vingtaine de sites potentiels ayant été identifiés (Min et al., 2010), contre 7 pour la méthylation (Thomas et al., 2012) et 3 pour l’ubiquitination (Cripps et al., 2006). Dans certains cas, une même lysine va donc être la cible de plusieurs enzymes de modifications. C’est notamment le cas de la lysine K254 qui peut être acétylée, ubiquitinée et méthylée. Thomas et collaborateurs démontrent même que la méthylation de cette lysine est la modification la plus abondante retrouvée au niveau des PHFs (Thomas et al., 2012). On constate aussi par comparaison des profils de méthylation et d’acétylation de la protéine Tau que six des sept sites potentiellement méthylés sont aussi la cible des acétyl-transférases (seule la lysine K44 n’est pas acétylée). Pour finir, la lysine K353 peut aussi bien être acétylée qu’ubiquitinée. Même si théoriquement tout est possible, à ce jour aucune donnée n’établit un lien clair entre ces trois modifications post-traductionnelles dans le processus neurodégénératif et l’agrégation de la protéine Tau.