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Partie 1 : Hyperphosphorylation et aggrégation de Tau

A. Caractérisation par RMN des Arg209 et Arg211

i. Etude des Arg209 et Arg211 dans le modèle peptidique AT8 [192- 212]

Pour des questions de simplicité d’analyse, nous avons dans un premier temps abordé la question des arginines dans le modèle peptidique AT8 [192-212] synthétisé par le Dr Cillian Byrne (UPMC université Paris 6, CNRS UMR 7203) dans le cadre de l’étude du profil de phosphorylation induisant l’agrégation. Durant celle-ci, nous avions observé une variation du déplacement chimique de 0,3 ppm du proton amide porté par l’Arg209 dans le cas du peptide AT8-2P par rapport au déplacement chimique du même résidu dans le peptide non-phosphorylé (figure 57). Ceci s’explique par la stabilisation du tournant autour de la Gly207 induit par la double phosphorylation. En effet, l’interaction entre le groupement phosphate porté par la chaine latérale de la pThr205 et l’Arg209 stabilise ce tournant, ce qui se traduit par un changement de son environnement électronique et donc une perturbation de son déplacement chimique (Gandhi et al., 2015). Mais on peut aussi légitimement supposer que cette variation de déplacement chimique est simplement induite par la phosphorylation de la Thr205, voisine de l’Arg209.

Figure 57 : Implication des résidus Arg209 et Arg211 dans la formation du tournant AT8 sur le peptide AT8-2P. Superposition des spectres 2D 1H-15N HSQC et 2D 1H TOCSY du peptide AT8-0P non modifié (bleu) et doublement phosphorylé AT8-2P (rouge). On remarque constate la variation de déplacement chimique du proton amide de la Gly207 dans le cas doublement phosphorylé ce qui indique la formation du tournant. De plus, aussi bien sur l’HSQC 1H-15N que sur le TOCSY (zoom), on observe une forte perturbation des déplacements chimiques des Arg209 et Arg211 en présence des résidus phosphorylés.

Pour rappel, l’introduction de la mutation G207V est incompatible avec la formation du tournant et permet donc la déstabilisation du motif observé dans le cas du peptide AT8-2P (Bah et al., 2015). L’analyse du peptide AT8-2P-G207V révèle une perturbation du déplacement chimique de 0,1 ppm du proton amide de l’Arg209, nettement inférieure à celle observée sur le peptide AT8-2P (figure 58). On peut donc dire que lorsque la formation du tournant est compromise par la mutation G207V, la phosphorylation de la Thr205 est ressentie par l’Arg209 mais n’entraine pas une variation de déplacement chimique comparable au peptide non muté doublement phosphorylé (AT8-2P). Ainsi, l’analyse du peptide AT8-2P-G207V nous permet de découpler les variations de déplacement chimique du proton amide de l’Arg209 de la phosphorylation voisine (pThr205) et de prouver qu’au-delà de cette phosphorylation l’environnement électronique de l’Arg209 est modifié. Néanmoins,

on note que la simple analyse des déplacements chimiques reste délicate dans ce contexte du fait de la proximité des sites de modifications et des sites mutés. D’autres expériences seront donc nécessaires pour prouver le lien entre les arginines et les résidus phosphorylés.

Figure 58 : La phosphorylation des résidus Ser202 et Thr205 n’induit pas de variation de déplacement chimique des protons amides des Arg209 et Arg211 dans le modèle peptidique AT8- G207V incompatible avec le tournant. Superposition des spectres 2D 1H-15N HSQC et 2D 1H TOCSY du peptide AT8-G207V non modifié (noir) et doublement phosphorylé, AT8-2P-G207V (violet).

De manière logique, l’étude s’est donc poursuivie par l’analyse du dernier peptide de la série, l’AT8-3P porteur de la pSer208 étant à l’origine de la déstabilisation du tournant et du déclenchement de l’agrégation. De la même manière, nos observations se sont concentrées sur l’analyse des déplacements chimiques des arginines voisines du motif. Par rapport au peptide natif, on constate une variation du déplacement chimique du proton amide de l’Arg209 de 0,1 ppm, probablement induit par le site de phosphorylation supplémentaire (figure 59). En revanche, comme dans le cas du peptide muté G207V, cette perturbation est nettement inférieure à celle observée dans le cas du peptide AT8-2P (figure 57)

caractérisé par le tournant. On peut donc affirmer que l’environnement électronique des résidus Arg209 et Arg211 du mutant G207V est comparable à celui du peptide AT8-3P, triplement phosphorylée. Ces premiers résultats confirment une nouvelle fois l’implication des résidus arginines dans l’établissement du tournant AT8 et suggèrent leur exposition potentielle par déstabilisation du tournant lorsque l’épitope AT8 est triplement phosphorylé, permettant ainsi l’interaction intermoléculaire avec d’autres molécules de Tau phosphorylées.

Figure 59 : La triple phosphorylation du peptide AT8 induit une perturbation du déplacement chimique des protons amides des Arg209 et Arg211 globalement comparable au peptide AT8-G207V. Superposition des spectres 2D 1H-15N HSQC et 2D 1H TOCSY du peptide AT8-0P non modifié (bleu) et triplement phosphorylé AT8-3P (vert).

Les résultats obtenus sur ce modèle peptidique AT8 confirment la formation du tournant induit par la double phosphorylation pS202/pT205 et stabilisé par les arginines voisines démontré par Gandhi et collaborateurs. De plus, ils renforcent l’hypothèse selon laquelle la 3ème phosphorylation de la Ser208 entraine la

déstabilisation du tournant mais surtout l’exposition des résidus Arg209 et Arg211. Une nouvelle fois, ces premiers résultats basés sur l’observation des déplacements chimiques doivent être confirmés. Nous pourrions par exemple réaliser des expériences RMN de type NOESY qui permettrait de mettre en évidence ou non d’éventuels proximités spatiales (couplages dipolaires) entre les chaines latérales des Arg209/Arg211 et les résidus phosphorylés.

ii. Etude des Arg209 et Arg211 dans le modèle TauF8 [192-324]

Suite à l’obtention de ces premiers résultats dans le modèle peptidique, nous avons donc décidé de réaliser la même étude dans le contexte du fragment fonctionnel TauF8, phosphorylé par ERK2 ou par l’extrait de cerveau de rat. Pour mémoire, ces deux protocoles induisent respectivement la phosphorylation des résidus S202/T205 et S202/T205/S208 au niveau de l’épitope AT8. Par superposition des spectres 2D 1H-15N HSQC de TauF8 phosphorylés avec le spectre de TauF8 natif, on constate des variations de déplacement chimique des protons amides des Arg209 et Arg211 similaires à celles observées dans le modèle peptidique (figure

60). En effet, dans le cas d’une double phosphorylation de l’épitope AT8, une

variation de déplacement chimique de 0,3 ppm est observée pour les protons amides des résidus Arg209 et Arg211, ce qui implique une modification de l’environnement électronique (figure 60-A). A l’inverse, lorsque l’épitope est triplement phosphorylé, peu de perturbations sont observées (figure 60-B). En d’autres termes, dans le cas du modèle doublement phosphorylé, les résidus arginines ressentent la phosphorylation au voisinage (pSer202/pThr205), ce qui n’est pas le cas dans la situation AT8-3P. Par analogie avec le modèle peptidique, nous pouvons affirmer que la phosphorylation de TauF8 par ERK2 induit la formation du tournant qui est déstabilisé dans le modèle TauF8 phosphorylé par l’extrait de cerveau de rat. On note que l’acquisition du spectre 2D 1H-15N HSQC de TauF8 phosphorylé par l’extrait de cerveau de rat est réalisée après phosphorylation de l’échantillon. Or nous avions précédemment démontré une agrégation massive durant l’étape de modification de la protéine. De ce fait, la fraction caractérisée par RMN correspond au résidu non- agrégé post-phosphorylation. Contre toute attente, le profil de phosphorylation reste tout à fait normal : triple phosphorylation de l’épitope AT8 (pSer202/pThr205/pThr208), des résidus Thr217/231 et de la Ser235. On peut

supposer que cette fraction n’a pas agrégé en raison d’un temps d’incubation trop court : une étape de phosphorylation plus longue aurait probablement induit la perte totale de l’échantillon.

Figure 60 : Superposition des spectres 2D 1H-15N HSQC du fragment fonctionnel TauF8 natif

(bleu) et TauF8 phosphorylée par ERK2 (rouge, A) ou par l’extrait de cerveau de rat (vert, B). A- On constate la perturbation de déplacement chimique des protons amides des Arg209 et Arg211 induite par la double phosphorylation de l’épitope AT8. B-La triple phosphorylation d’AT8 n’induit qu’une faible perturbation du déplacement chimique qui s’explique par la proximité séquentielle des arginines avec le groupement phosphate porté par la Ser208.

Pour finir nous avons tenté d’analyser les perturbations de déplacement chimique à l’échelle de la protéine Tau441. Toutefois sur l’HSQC 1H-15N, en raison de la faible dispersion des signaux en dimension 1H, beaucoup de résidus se

retrouvent dans la région d’intérêt ce qui n’a pas permis l’identification claire des résidus Arg209 et Arg211.

8.5 8.5 8.4 8.4 8.3 8.3 8.2 8.2 8.1 8.1 8.0 8.0 124.5 124.5 124.0 124.0 123.5 123.5 123.0 123.0 122.5 122.5 122.0 122.0 Q307 D314 I277 I308 L284 Q288 L253 M250 K281 K280 K225 K290 K259 D283 E264 R211 Q269 A262 L282 V300 V248 V226 L266 I260 L243 E222 R209 R211 K321 K234(pS235+pT231) R209 8.5 8.5 8.4 8.4 8.3 8.3 8.2 8.2 8.1 8.1 8.0 8.0 124.5 124.5 124.0 124.0 123.5 123.5 123.0 123.0 122.5 122.5 122.0 122.0 Q307 D314 I277 I308 L284 Q288 R209 L253 M250 K281 K317 K280 K225 K290 K259 D283 E264 R211 Q269 A262 L282 V300 V248 L243 L266 R209 V226 I260 R211 E222 K321 K234 K224 K234(pS235+pT231) K317

A

B

1H (ppm) 1H (ppm) 15N (ppm) 15N (ppm)

Pour conclure, même si ces résultats préliminaires doivent encore être confirmés par d’autres types d’expériences, l’observation des variations de déplacement chimique des protons amides des Arg209 et Arg211 par RMN semble être un bon indicateur de l’état conformationnel de l’épitope AT8. La formation du tournant induit par la double phosphorylation de l’épitope AT8 (pSer202/pThr205) perturbe grandement le déplacement chimique des protons amides des Arg209 et Arg211 par rapport au contrôle non phosphorylé, ce qui n’est pas le cas lors de la triple phosphorylation, à l’origine de la déstabilisation du tournant AT8. Dans ce dernier cas, on peut donc supposer que les dites arginines n’interagissent plus avec les groupements phosphates à proximité et seront donc disponibles pour tout autre interaction intermoléculaire ce qui corrobore en partie notre hypothèse initiale.

B. Conséquence de la mutation des Arg209/211 en Ala209/211 sur