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3. Maintien des éléments

3.1 Maintien dans la cellule réceptrice

Le maintien d’un ICE repose dans la majorité des cas sur son intégration dans un réplicon de la cellule réceptrice par recombinaison site-spécifique après réplication ou non de l’élément.

3.1.1 Intégration par recombinaison site–spécifique

L’intégration de l’élément est une des étapes limitantes du transfert. Lors d’un événement d’intégration, l’intégrase catalyse une recombinaison site-spécifique entre le site attB porté par le chromosome de la cellule réceptrice et le site attI de l’ICE. Une variation au niveau de la séquence de recombinaison pourrait entraîner une baisse d’efficacité de l’intégration de l’ICE et sa perte. Le site attB putatif correspondant à

l’extrémité 3’ du gène codant un ARNtLysCTT d’E. faecalis diverge de 36% comparé à

celui trouvé chez S. agalactiae, ce qui pourrait expliquer l’absence de transfert vers cette espèce. Tous les autres sites attB des souches réceptrices utilisées lors de ces expériences ne diffère pas de plus d’un nucléotide (sur les 11 identiques entre les sites). Cette divergence explique difficilement l’absence de conjugaison. En effet, ICE_515_tRNALys se transfère vers S. pyogenes dont le site attB potentiel diffère d’un nucléotide comparé à celui présent chez S. agalactiae. Ainsi, les divergences observées

au niveau du site attB peuvent expliquer une diminution de la fréquence de transfert

mais ne semblent pas être la cause unique de son absence.

De plus, bien que les promoteurs et RBS des firmicutes soient très similaires, les protéines de la cellule réceptrice pourraient ne pas se fixer de manière optimale sur ces derniers et entraîner une plus faible expression des gènes impliqués ou l’intégration de l’élément.

Au moins 2 mécanismes peuvent constituer des barrières à l’intégration des éléments : l’immunité de cible et l’immunité de sur-conjugaison.

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Immunité de cible

Lors de la réalisation de ces expériences de conjugaison, aucune souche de

S. agalactiae sans élément n’a pu être isolée. Les transferts conjugatifs ont donc été réalisés vers des souches de S. agalactiae déjà porteuses d’un élément intégré dans l’extrémité 3’ du gène codant un ARNtLys CTT. Ainsi, la souche Nem316 porte un

CIME, la souche COH1 un ICE et la souche A909 un IME. ICE_515_tRNALys se

transfère vers deux de ces souches : Nem316 et COH1, mais non vers la souche A909. La fréquence de transfert est environ 4 fois plus élevée vers la souche Nem316 que vers la souche COH1. ICE_FSL S3-026_tRNALys ne se transfère que vers la souche Nem316 avec une fréquence de conjugaison 5 fois plus faible que celle

d’ICE_515_tRNALys. De même, deux souches utilisées lors des expériences de

transfert inter-spécifique réalisées lors de ces travaux portent un élément intégré dans l’extrémité 3’ du locus considéré. En effet, S. salivarius JIM8777 porte un IME et

S. thermophilus LMG18311 un élément composite CIME-IME (Guédon com. pers.).

La fréquence de transfert d’ICE_515_tRNALys est 10 fois plus faible que celle d’ICESt3 et d’ICE_6180_RD.2. Celle d’ICE_FSL S3-026_tRNALys est environ 50 fois

plus faible. Toutefois, les fréquences de conjugaison d’ICESt3 et de d’ICE_6180_RD.2

ont été calculées lors de transfert vers une souche réceptrice sans élément. Or la

fréquence de transfert d’ICESt3 vers une souche portant un élément résident

(CIMEL3catR3) est 8 fois plus faible que celle où le site attB est vide (Bellanger et al. 2011). De même, ICEclc s’intègre avec une plus grande efficacité dans un site attR

tronqué d’une majeure partie de son bras que dans un site attR complet (Sentchilo et

al. 2009). Ce mécanisme d’immunité de cible reposerait sur le fait que les sites attR et

attL bordant l’élément résident porteraient des sites de liaison de l’intégrase, de l’excisionase et/ou de co-facteurs de l’hôte, absents du site attB, qui interféreraient avec l’intégration de l’élément entrant. De même, la fréquence de transfert est

différente suivant la cellule réceptrice utilisée. Les sites att portés par

CIME_Nem_tRNALys et IME_A909_tRNALys sont différents de ceux portés par

ICE_515_tRNALys, ICE_FSL S3-026_tRNALys et ICE_COH1_tRNALys. Cette divergence pourrait entraîner une immunité de cible plus ou moins importante suivant les sites

172 d’intégration aboutissant à des fréquences d’intégration et donc de transfert différentes.

L’immunité de cible pourrait donc expliquer les faibles fréquences de transfert

d’ICE_515_tRNALys et d’ICE_FSL S3-026_tRNALys ainsi que les différences observées

entre les différentes cellules réceptrices utilisées, lors des transferts intra- ou inter- spécifique.

Immunité de surconjugaison

Un autre mécanisme d’immunité de surconjugaison par répression de l’élément entrant a été caractérisé chez les prophages, plus particulièrement chez les phages λ et TP901-1 (Madsen et al. 1999; Oppenheim et al. 2005). Ces phages, via leur régulateur central de type cI ou cI-like, répriment les phages étroitement apparentés et leur intégration dans le chromosome. Ce phénomène est également décrit pour ICEBs1 de B. subtilis. Dans ce cas, le régulateur central de l’ICE, ImmR, prévient l’acquisition d’un nouvel ICE lorsqu’une copie est déjà présente dans la cellule réceptrice. Ce régulateur réprime l’expression de l’intégrase du nouvel élément entrant, et donc le maintien de l’ICE par intégration (Auchtung et al. 2007). Les

éléments intégrés dans l’extrémité 3’ du gène codant un ARNtLys utilisés lors de cette

étude portent tous des gènes codant des régulateurs cI-like putatifs, homologues au gène immR de B. subtilis. Ces régulateurs pourraient donc jouer un rôle dans l’immunité de surconjugaison.

3.1.2 Réplication

Des études récentes montrent que la réplication peut être impliquée dans la stabilité et le maintien des ICE (Lee et al. 2010; Guerillot et al. 2013). Ainsi, sous certaines conditions, telle qu’une exposition à un agent endommageant l’ADN, les ICE sous forme circulaire se répliqueraient ce qui limiterait leur perte lors des divisions cellulaires. La réplication permettrait également d’augmenter le succès du transfert d’un ICE, celui-ci se répliquant dans la cellule réceptrice, permettant l’apparition de nouvelles copies de l’élément et une dissémination plus efficace dans

la population (Lee et al. 2010). Les deux ICE, ICE_515_tRNALys et

ICE_FSL S3-026_tRNALys, se transfèrent par conjugaison. Ils se maintiendraient ensuite dans la cellule réceptrice par intégration site spécifique. Toutefois, les

173 nombreuses tentatives de curages de souches, par surexpression de l’intégrase ou exposition des souches à un agent endommageant l’ADN, ont échoué. De même, les nombreux essais de remplacement de gènes n’ont jamais abouti. Il est donc possible

que, comme d’autres ICE, les ICE de type ICE_515_tRNALys se répliquent de manière

intracellulaire dans certaines conditions, ce qui pourrait provoquer l’existence de plusieurs copies dans la cellule et faciliter un retour au phénotype sauvage lors de la construction de mutants.

Pour TnGBS1 et TnGBS2, l’ICE se répliquerait chez la cellule réceptrice, permettant la présence d’un nombre élevé de copies de l’élément et sa dissémination

(Guerillot et al. 2013). Ces éléments, comme ICE_515_tRNALys, possèdent cependant

un spectre de transfert très restreint en conditions de laboratoire bien que des éléments apparentés à TnGBS1 et TnGBS2 aient été identifiés dans de nombreux génomes de streptocoques (Guerillot et al. 2013). Ce spectre étroit reposerait non sur le transfert lui-même mais sur la spécificité d’hôte de la protéine responsable de la réplication de l’élément et donc le maintien après transfert. Toutefois, cette donnée semble difficilement transposable aux éléments de type ICE_515_tRNALys. En effet,

TnGBS1 et TnGBS2 contrairement à tous les autres ICE simple brin connus,

possèdent un module de réplication thêta distinct du module de conjugaison (Guerillot et al. 2013).