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5. Mécanismes de maintien des ICE

5.1 Maintien des ICE dans la cellule réceptrice et sa descendance

5.1.3 Barrières au maintien et au transfert d’ADN

5.1.3.2 Dégradation de l’ADN entrant

46 5.1.3.2.1 Système de restriction modification

Les systèmes de restriction-modification ou systèmes RM sont très répandus chez les bactéries et les archées. Ils sont généralement codés par des modules de 2 à 3 gènes adjacents. Plusieurs types de système RM existent. Les systèmes RM de type I sont constitués de protéines multimériques composées de trois polypeptides un assurant la spécificité, un autre la modification (méthylation) et le dernier possédant une activité endonucléasique. La méthylation va rendre l’ADN résistant à l’endonucléase (Wilson and Murray 1991; Chen et al. 2005; Ishikawa et al. 2005). Les systèmes RM constituent un mécanisme de défense cellulaire clivant l’ADN étranger double brin non modifié. La majorité des éléments conjugatifs se transfère sous forme simple brin, l’ADN entrant est donc protégé de la restriction. Par la suite, l’ADN est ensuite répliqué et peut alors devenir la cible d’un système RM. Toutefois, les ADN exogènes peuvent occasionnellement être méthylés après leur entrée dans la cellule, les protégeant ainsi de la restriction (Korona et al. 1993; Murray 2000; Kobayashi 2001).

Les phages, les plasmides conjugatifs et les ICE ont développé de nombreuses stratégies pour échapper aux systèmes RM. Ainsi, certains ICE comme Tn5252 de

S. pneumoniae codent une méthyltransférase à large spectre. Cette enzyme, méthylant de nombreux sites, pourrait protéger l’élément contre diverses endonucléases (Ayoubi et al. 1991; Sampath and Vijayakumar 1998).

Beaucoup de plasmides conjugatifs ou d’ICE codent une protéine d’anti-restriction ou Ard (« alleviation of d’anti-restriction of DNA »). Ainsi, Tn916 code une protéine ArdA (Serfiotis-Mitsa et al. 2008). De même, de nombreux ICE apparentés à Tn916 et plusieurs ICE de S. agalactiae, intégrés dans l’extrémité 3’ du gène codant un ARNtLys, codent une protéine ArdA putative (Rice et al. 2007; Brochet et al. 2008a;

Roberts and Mullany 2009). Les gènes ardA sont très souvent situés à proximité de

l’origine de transfert de l’élément et font de ce fait partie des gènes transférés en premier chez la cellule réceptrice lors de la conjugaison (Chilley and Wilkins 1995). De plus, ils sont contrôlés par un promoteur créé dans une structure secondaire qui ne se forme que lorsque l’ADN est sous forme simple brin. L’expression de la protéine ArdA est ainsi rapide et transitoire et a lieu lors du transfert conjugatif (Althorpe et al. 1999; Bates et al. 1999). Les protéines ArdA inhibent spécifiquement les systèmes RM de type I. Elles se fixent sur l‘enzyme, en mimant une molécule d’ADN. Cette fixation perturbe l’intégrité du complexe protéique et inhibe son

47 activité de restriction (Wilkins 2002; Nekrasov et al. 2007; Serfiotis-Mitsa et al. 2008; McMahon et al. 2009).

Les protéines d’anti-restriction ArdC constituent un autre système d’échappement aux systèmes RM de type I. La protéine ArdC du plasmide pSa présente une homologie avec le domaine N-terminal de la primase TraC1 du plasmide RP4. Ce domaine permet la liaison de la protéine sur l’ADN simple brin. Ainsi, les protéines ArdC sont probablement produites chez la cellule donatrice, puis transportées par le pore de conjugaison chez la cellule réceptrice. Ces protéines protègent l’ADN simple brin (mais non double brin) contre les systèmes RM de type I (Belogurov et al. 2000; Wilkins 2002). Des protéines ArdC putatives sont codées par de nombreux ICE tel que ICEEc1 (E. coli), ICEKpn1 (Klebsiella pneumoniae), ICEMlSymR7A (Mesorizobium loti) ou ICEA (Mycoplasma agalactiae) (Achtman et al. 1977; Sullivan et al. 2002; Schubert et al. 2004a; Marenda et al. 2006; Lin et al. 2008).

5.1.3.2.2 Loci CRISPR

Au moins 90% des génomes d’archées et près de 40% des génomes bactériens contiennent des loci CRISPR (« Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats »). Ces loci, groupés avec des gènes codant les protéines Cas (« crispr associated »), confèrent une résistance aux éléments génétiques mobiles exogènes (Deveau et al. 2010; Marraffini and Sontheimer 2010; Dyall-Smith 2011).

Les loci CRISPR sont composés de répétitions directes (de 21 à 48 nucléotides suivant le locus) séparées par une région variable de longueur constante appelée espaceur (entre 26 et 72 nucléotides suivant le locus étudié). Ils contiennent également, en amont du cluster, une région leader, riche en A-T. qui inclut le promoteur responsable de la transcription du locus (Deveau et al. 2010).

Les loci CRISPR agissent en 3 grandes étapes (Figure 13). Lors de la première étape (immunisation ou adaptation), la cellule acquiert de nouveaux espaceurs dérivant d’ADN étranger. L’ADN étranger, venant de pénétrer dans la cellule, est reconnu puis une nouvelle unité répétition-espaceur est produite et intégrée dans le locus CRISPR. L’intégration a lieu dans la première position du locus, juste en aval de la séquence leader. Ainsi, les espaceurs les plus récents seront transcrits en premiers. Des pertes d’espaceurs sont également observées, ce qui permet une adaptabilité du locus sans croissance infinie. Le mécanisme d’intégration des nouveaux espaceurs est très mal connu. Il implique toutefois des protéines Cas

48 (Deveau et al. 2010; Marraffini and Sontheimer 2010; Bhaya et al. 2011; Wiedenheft et al. 2012).

Lors de la seconde étape, le locus est transcrit à partir du promoteur de la séquence leader sous forme d’un grand ARNm ou pré-ARNcr. Généralement, un niveau basal de protéine Cas et de pré-ARNcr est observé, permettant une défense constitutive. Toutefois, ces niveaux sont régulés, notamment en cas d’infection phagique, ce qui permet une défense accrue lorsqu’elle est nécessaire (Bhaya et al. 2011). Ensuite, le pré-ARNcr est maturé en petits fragments appelés ARNcr. La maturation est effectuée soit par certaines protéines Cas qui sont des endoribonucléases, soit par la RNaseIII et un petit ARN (tracrRNA) divergent du locus et partiellement complémentaire aux répétitions (Deltcheva et al. 2011).

Lors de la dernière étape (interférence), les ARNcr associés à des protéines Cas forment un complexe ribonucléoprotéique. Les ARNcr s’apparient avec des séquences homologues présentes sur de l’ADN étranger (proto-espaceurs) ce qui entraîne la dégradation de l’ADN étranger par les protéines Cas (Bhaya et al. 2011).

De petites séquences flanquant le espaceur, les séquences PAM (« proto-spacer associated motif ») servent de guides pour l’acquisition des espaceurs lors de l’étape d’immunisation. Toutefois, elles ne sont pas intégrées dans le locus CRISPR. De ce fait, en plus de leur implication dans l’acquisition des espaceurs, elles permettent de prévenir toute auto-immunité. En effet, les protéines Cas ne clivent pas sans présence de cette séquence (Bhaya et al. 2011; Lopez-Sanchez et al. 2012).

La majorité des séquences cibles des systèmes CRISPR semble être de l’ADN. Toutefois, certains systèmes CRISPR cibleraient des ARN, notamment chez l’archée

Pyrococcus furiosus (Bhaya et al. 2011). La dégradation des ARNm de la cible empêcherait l’expression des fonctions nécessaires au maintien de l’élément et donc entraînerait sa perte.

Le système CRISPR et le système des ARNpi des eucaryotes possèdent des similitudes mécanistiques. Tous les deux reconnaissent et détruisent le non soi avec une évolution rapide. Toutefois, il existe des différences entre les deux systèmes. Les acteurs protéiques ne sont pas homologues et la construction de la bibliothèque des ARNpi est passive chez les eucaryotes. Contrairement au système CRISPR, les ARNpi développent une boucle d’amplification. Ainsi, lorsque les protéines piwi dégrade l’ARN cible, elles créent des ARNpi dit secondaires qui pourront à leur tour se fixer l’ARN cible. Enfin, le système eucaryote contrôle les éléments déjà présents

49 dans la cellule alors que le système CRISPR protège la cellule contre l’arrivée de nouveaux éléments (Karginov and Hannon 2010; Marraffini and Sontheimer 2010).

Figure 13 : Mécanisme d’action du système CRISPR/Cas (Horvath and Barrangou 2010)

A. Immunisation Lors de l’entrée dans la cellule d’ADN étranger, un complexe formé par des protéines Cas crée et introduit un nouvel espaceur dans le locus CRISPR.

B. Transcription Le locus CRISPR est transcrit en un grand ARNm (pré-crARN), puis traité par un complexe constitué de protéines Cas et clivé au niveau des répétitions pour former de petites unités (ARNcr).

C. Interférence Les ARNcr, liés à des protéines Cas dans un complexe nucléoprotéique, servent de guides. La complémentarité entre un espaceur et un fragment d’ADN entrant aboutira à la dégradation de ce dernier par les protéines Cas. Des séquences particulières PAM (« protospacer associated motif ») préviennent toute auto-immunité.

L : leader ; T : terminateur ; les losanges correspondent aux répétitions et les rectangles de couleur aux espaceurs.