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Une méthodologie à risques

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 110-123)

PARTIE PRÉAMBULE : Penser les trajectoires de résilience à partir des récits de vie. Enjeux éthiques

4- Une méthodologie à risques

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Choisir de s’appuyer sur les récits de populations ayant vécu des catastrophes naturelles pose de nombreux problèmes méthodologiques et éthiques.

4-1- Dépasser la collection d’expériences individuelles

Les récits de vie, les traces laissées par les catastrophes, sont forcément subjectifs : ils touchent des individus dans leur vie quotidienne et leur intimité. Les dégâts matériels, après le passage d’un cyclone sur une île, peuvent bien sûr être mesurés, quantifiés, chiffrés. Si on prend l’exemple du passage du cyclone Hugo à la Guadeloupe en septembre 1989 (Figure 21 et Figure 22), des centaines d’articles scientifiques, de presse, des rapports d’organismes publics, etc. décrivent les dommages qu’il a causés au sein de l’île (Pagney, 1991 ; Saffache et al., 2003). L’approche par les impacts ne donne en revanche aucune information sur les capacités à faire face que les Guadeloupéens ont mises en œuvre. Pour identifier, décrire, caractériser ces capacités à faire face, je devais donc reconstruire autrement le déroulement de ces catastrophes et des périodes de relèvement post-crise qui ont suivi. Les récits de vie ont pour avantage de raconter des trajectoires individuelles de résilience aux catastrophes, mettant en jeu les capacités développées pour y faire face. Ils me permettaient donc de passer du territoire aux individus et de montrer les dissonances.

Travailler sur ces récits pose en revanche la question de la mémoire et de la déformation propre à toute narration. Mon expérience de l’entretien infirmier m’a montré à quel point tout récit est une reconstruction a posteriori. Néanmoins, lorsque les personnes livrent un témoignage, il s’agit de leur vérité. Le fait qu’un événement catastrophique soit raconté de telle ou telle manière par un individu, et différemment par un autre, correspond à un matériel scientifique exploitable. La subjectivité de ces récits traduit précisément une vérité individuelle, personnelle, qu’il faut prendre en compte dans l’étude des capacités à faire face

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des personnes confrontées à ces catastrophes. Elle donne en outre de nombreux éléments sur le contexte environnemental au sein duquel l’individu a dû (ou su) faire face.

Mais comment interpréter ces récits subjectifs et en tirer des éléments permettant une montée en généralité ? La difficulté est ici de ne pas se limiter à une collection d’expériences individuelles, mais d’essayer de dégager des convergences, des points communs. Ceci a supposé un travail de recoupement entre les récits et les autres données que j’ai pu récolter par le travail d’archives et d’observation participante, mais également grâce à la littérature caribéenne (Césaire, 2000 ; Chamoiseau, 1992, 1996 ; Confiant, 1988, 2004, 2010 ; Laferrière, 2012, Vieux-Chauvet, 2015), et au travers d’une analyse de la lecture grise (rapports, thèses etc.).

Figure 21 : Dommages causés par le cyclone Hugo en Guadeloupe quelques jours après son passage (Source : photographies de M. et Mme Pujol)

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Figure 22 : Exemple de dégâts occasionnés par le cyclone Hugo (Sources : France Antilles et photographies de M. et Mme Pujol Marcel et Danièle51)

51 M. et Mme Pujol sont les beaux-parents d’une de mes amies, Annie, qui vivent 6 mois de l’année en Guadeloupe. Ils avaient, durant leur activité professionnelle, déjà séjourné en Guadeloupe durant plusieurs années. Ils étaient notamment à Pointe-à-Pitre lors du passage du cyclone Hugo en 1989. Quelques jours après, ils ont sillonné l’archipel afin de prendre des photographies de la catastrophe.

4-2- Le travail à partir de l’intime

Les récits de vie touchent à l’intime et vont bien au-delà de la simple description des comportements, avant, pendant et après la crise. Les entretiens, qui pouvaient durer plus de quatre heures, posent la question du rapport à l’intime chez les personnes interrogées, et donc de mon positionnement pendant l’entretien.

Pour illustrer ce problème à la fois méthodologique et éthique, j’ai choisi de reproduire, avec son accord, un extrait d’entretien réalisé auprès de Mme Pierre-Léandre, 91 ans, qui vit seule chez elle en Martinique (Figure 23). Elle est originaire de Soissons et est venue vivre en Martinique en 1975 afin d’épouser Romuald Pierre-Léandre. Elle a la particularité d’avoir rédigé ses mémoires, mémoires dont elle m’a confié le manuscrit :

« F. B. : La vie en Martinique vous a plu de suite ? (Sourires).

Jacqueline : Ben c’est-à-dire que j’étais attachée à Romuald (son mari)… Ça va vous amuser mais c’était vraiment un mariage d’amour… Au départ, c’est lui qui s’est attaché à moi et puis je euh… j’étais vraiment attachée à lui. [...] Mais faut dire qu’il y avait ce complexe chez lui… Le refus du blanc et en même temps son attirance pour moi…

F. B. : C’était difficile pour lui que vous soyez blanche ?

Jacqueline : Euh… Non, je ne pense pas… Pour moi, non. Et franchement, il a reconnu que quand il est allé en France, il n’a jamais eu de problèmes. C’était quelqu’un de tellement bien élevé, tellement gentil… Que partout où il allait, il avait un comportement qui faisait que les gens ne pouvaient pas être mauvais avec lui. Ça a toujours été plus facile pour lui là-bas que moi ici. Mais bon, j’ai accepté les choses, petit à petit, mais je pense que ça a été plus dur pour lui de voir quand j’étais refusée, repoussée par sa famille. Par sa fille, justement qui vivait chez moi. Elle m’avait dit à moi directement « que tu sois sa maîtresse, je veux bien mais que tu sois sa femme, non ». Elle n’a pas accepté ça. [...]

F. B. : Ça a été une souffrance pour vous et votre mari ?

Jacqueline : Euh... Oui, peut-être je me demande si ce n’était pas plus pour lui que pour moi. Parce que moi je comprenais la situation… 52».

52 Entretien Mme Pierre-Léandre, 25 mai 2016, Martinique, p.8.

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Cet entretien est représentatif du degré d’intimité que les personnes interrogées ont accepté de dévoiler, et des incursions fréquentes en dehors des questions de risques et de crises. Je reste profondément reconnaissante de ce qu’ils ont bien voulu m’accorder en me racontant leurs

« bouts de vie », leurs souvenirs les plus personnels et parfois les plus douloureux. Ces souvenirs et les émotions exprimées interrogent ma posture de chercheuse, et les émotions que j’ai à mon tour pu ressentir au moment de recueillir leurs paroles.

Figure 23 : Jacqueline et son mari Romuald (Photographies prises par la famille de Mme Pierre-Léandre)

4-3- Faire avec les émotions

Recueillir les récits de personnes ayant vécu un traumatisme implique de travailler dans un contexte émotionnel particulier. Les émotions de la personne interrogée, qu’il s’agisse des émotions racontées (et souvent re-vécues au moment où elle parle), ou encore de celles exprimées pendant la discussion, deviennent à la fois un outil et un matériau de recherche.

Parallèlement, ma position d’empathie au cours de l’entretien m’expose non seulement à recevoir les émotions de mon interlocuteur, mais à les ressentir moi-même et à exprimer ce ressenti. Se posent alors plusieurs questions. Quelle est la « bonne distance » à adopter lors d’un entretien ? Comment ne pas être intrusif tout en cherchant à soulever et à recueillir des émotions ? Que faire des émotions recueillies et plus largement des confidences faites ? Mon expérience passée de l’entretien infirmier m’a beaucoup aidée. J’ai tissé avec les personnes que j’ai interrogées un lien qui ne peut pas être neutre. Lorsqu’elles me racontent des détails très intimes de leur vie, je ne peux pas faire preuve d’objectivité, et ce n’est pas le

but. En revanche, j’ai toujours à l’esprit le contexte et les objectifs de l’entretien, afin de pouvoir saisir les éléments utiles pour l’identification et l’analyse des trajectoires de résilience.

La confiance tissée entre nous implique plus largement un respect du témoignage, de la parole donnée et des règles énoncées en amont.

Certaines personnes m’ont donné spontanément l’autorisation de donner leur vrai nom dans la thèse. D’autres ont préféré que je ne mette que leurs initiales. Pour être honnête, à certains moments, j’ai moi-même fait le choix de taire les patronymes. Avec le recul, j’ai eu le sentiment que certaines informations devaient rester entre nous, que certaines situations n’avaient pas besoin d’être attribuées à telle ou telle personne en particulier pour être comprises ; j’ai donc fait le choix de maintenir cet anonymat.

J’ai notamment à l’esprit deux exemples de situation où la prise de recul et l’arbitrage entre les besoins de la recherche et une implication personnelle qui dépassait le cadre de cette recherche, ont été nécessaires.

J’ai ainsi rencontré en Guadeloupe Rose-Marthe, 78 ans, qui m’a proposé, lors de notre première rencontre à la maison des aînés de Basse-Terre, de me raconter son expérience personnelle des différents cyclones ayant touché son logement familial situé face à la mer dans la commune de Pigeon. Elle a commencé par me parler de Betsy (11 août 1956), qui a détruit la maison construite par son père, puis d’Inez en 1966 (27 septembre 1966), où la maison, cette fois-ci reconstruite en bois, perdit son toit. Enfin, elle m’a longuement parlé du passage de Lenny, (18 novembre 1999), où la maison était occupée par un de ses fils, sa belle-fille enceinte et leur petit garçon.

Durant notre discussion, déjà très riche en émotions, Rose-Marthe se met à me parler de plusieurs blessures de vie : du décès de son père, de ses obsèques, etc. Au détour d’une anecdote sur le décès de son père, elle me raconte qu’elle a perdu un fils dans un accident de la route quinze ans auparavant, et se met à pleurer. À ce moment précis, nous ne sommes plus dans une relation chercheur-personne interrogée : elle me perçoit comme une confidente. Je n’ai rien à répondre, juste laisser ce moment d’émotion passer, être là et accompagner la douleur que ravive son témoignage. Rose-Marthe terminera l’entretien en me remerciant d’avoir « bien voulu écouter ses petits secrets53 ».

53 Entretien de Rose-Marthe, 7 avril 2017, Guadeloupe, p. 20.

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La technique de l’entretien infirmier nécessite de savoir respecter les silences. Cet exemple témoigne des différents problèmes éthiques auxquels j’ai été confrontée. En effet, en ayant choisi d’appliquer cette technique d’enquête, je savais que je pouvais potentiellement me retrouver dans des situations compliquées, mais que je pourrais m’appuyer sur mon expérience pour m’aider et me poser des garde-fous. Il a fallu, à plusieurs reprises, prendre du recul pour définir la meilleure réponse à apporter, quitte à laisser parler mes propres sentiments. Travailler sur les capacités à faire face d’individus ayant vécu des catastrophes passées, suppose de travailler avec des êtres humains. En tant que chercheuse, je considère que travailler sur les émotions et les souvenirs d’individus qui acceptent de nous livrer leurs

« bouts de vie », ne peut pas se faire uniquement au travers de questionnaires et d’indicateurs qualitatifs et quantitatifs. Le recueil des souvenirs et des récits traumatiques s’impose, mais il soulève inévitablement des questions éthiques qu’il est important d’interroger en amont, le plus possible, et demande de se remettre en question au cours du terrain, en fonction des situations rencontrées. L’émotion de Rose-Marthe et cette incursion dans ses souvenirs intimes les plus douloureux, qui n’ont rien à voir a priori avec le sujet des catastrophes naturelles, mais qui leur font écho, sont des moments d’authenticité pure, qu’il est bien sûr impossible de prévoir et encore moins d’interrompre. Le discours ne trouvant plus sa place à ce moment précis, l’empathie reste la seule réponse adaptée. Elle se traduit le plus souvent par des silences bienveillants, parfois accompagnés de manifestations physiques.

L’exemple de ma rencontre avec Mme Pierre-Léandre en mai 2016 en Martinique est aussi éclairant. Elle m’a été présentée par Sylvie Sainte-Agathe. Mme Pierre-Léandre est une dame de 91 ans aujourd’hui, qui a vécu plusieurs vies : originaire de Normandie, elle a habité successivement à Soissons, Gentilly, Paris où elle a travaillé à la fois dans la couture, le dessin animé, les décors d’abat-jour, la création de tissu, pour finir, à 40 ans, par faire une formation d’infirmière psychiatrique, afin de subvenir aux besoins de sa fille, après son divorce. En 1975, elle quitte tout par amour pour venir s’installer en Martinique et épouser Romuald Pierre-Léandre aujourd’hui décédé. Désormais, elle vit seule dans sa maison isolée au pied du morne à la sortie du Carbet.

Notre première rencontre a eu lieu chez elle. Dès mon arrivée, elle m’a fait faire le tour de sa maison et de son jardin, en me montrant toutes ses créations. Notre entrevue a duré 3h30, durant lesquelles elle m’a raconté sa rencontre avec son mari, leur vie commune en Martinique, les difficultés pour elle d’être acceptée en tant que femme blanche au sein de sa belle-famille, les tentatives de quimbois (vaudou martiniquais) de la belle-famille pour

essayer de la faire partir, sa relation avec sa fille partie vivre en Polynésie, la maladie puis le décès de son mari quelques années auparavant, la manière dont elle vit seule aujourd’hui, son quotidien etc. Elle m’a aussi offert « ses mémoires », qu’elle avait écrites quelques années plus tôt, me posant à son tour des questions sur ma vie, sur mon expérience d’infirmière (nous nous sommes rendu compte que nous avions travaillé dans le même hôpital psychiatrique). En discutant avec elle, quelques réflexes d’infirmière revinrent et j’osais lui demander comment s’organisait la logistique du quotidien (courses, etc.). Elle me raconta qu’elle allait faire ses courses à Saint-Pierre : qu'à l'aller, elle prenait le bus à la sortie du Carbet, mais qu’au retour, elle prenait un taxi, car elle était chargée. Puis, tout en continuant la discussion sur la thématique des risques naturels, elle me fit part de son inquiétude face au risque tsunami :

« Jacqueline : Mais bon… Si c’est le tsunami, il faut que je sois prévenue à temps pour essayer de m’en aller !!!

F. B. : Et à votre avis, comment on peut vous prévenir ?

Jacqueline : Ben je ne sais pas ! Peut-être en voiture. Là, je ne sais pas, je pense qu’ils passeront avec les voitures.

F. B. : Vous n’avez jamais entendu parler d’une alerte ou d’une sirène qui pourrait être déclenchée ?

Jacqueline : Non, jamais. Il faudrait quand même que je téléphone à la mairie pour savoir54 ».

L’ensemble de ces éléments me fit lui proposer de l’accompagner la semaine suivante à la mairie, afin qu’elle puisse se renseigner. Je lui dis qu’elle pourrait profiter de ma voiture, en même temps, pour faire quelques courses et passer au cimetière, voir la tombe de son mari.

Jusqu’à la fin de mon séjour en Martinique, j’ai pris des nouvelles de Mme Pierre-Léandre et suis passée la voir. Aujourd’hui encore, je reçois régulièrement de ses nouvelles par mail, dans lesquels elle m’envoie des photographies de ses créations de calebasses ou encore de fleurs.

54 Entretien Mme Pierre-Léandre, 25 mai 2016, Martinique, p.19.

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Les récits qu’ont pu me livrer ces deux femmes m’ont été précieux et m’ont permis d’avancer dans mes recherches. J’ai analysé leurs propos avec la rigueur que demande une recherche doctorale mais en parallèle, j’ai établi avec elles une relation bien plus profonde et personnelle, fondée sur la confiance et le respect de l’intime ; il en reste encore aujourd’hui des traces.

C. R. Rogers55 explique dans son ouvrage Le développement de la personne, qu’il faut accepter « d’éprouver de l’intérêt pour autrui » (Rogers, 1998, p.38). Accepter de travailler avec pour matériau l’humain renvoie implacablement à ce constat : il faut aimer recevoir la parole de l’autre. Ici, ma double étiquette « infirmière-chercheuse » m’a été d’une aide incontestable : pouvoir recevoir et gérer l’émotion de l’autre, savoir tenir la « bonne distance » et garder le silence, tout en laissant travailler l’œil et l’oreille de la chercheuse.

Cela n’a pas toujours été facile et il m’est arrivé de me retrouver « piégée » par l’émotion d’un récit, ou encore de repenser longtemps à un témoignage ; mais je considère que ce travail de recherche devait passer par là, pour pouvoir faire ressortir toute son authenticité et sa particularité.

Les considérations éthiques ont toujours été présentes à mon esprit, avec pour priorité absolue de protéger la parole des personnes qui ont accepté de me répondre. Choisir quoi dire et quoi taire résulte d’une longue réflexion, nourrie de plusieurs discussions avec mes directrices de thèse. Bien qu’étant autorisée par chaque personne interrogée à utiliser nos conversations, je suis partie du principe que la confidence obtenue dans un contexte particulier propice à la confiance et l’intime (paradoxalement, souvent lorsque la personne nous est inconnue ou que l’on sait que l’on ne la reverra jamais), pouvait être regrettée par la suite. J’ai donc décidé que tant que la reconstruction des trajectoires de résilience individuelle n’était pas empêchée par une amputation de l’histoire, je pouvais me permettre de taire certains passages de récits. Une forme d’engagement me lie vis-à-vis de ces personnes et c’est aussi une manière de leur rendre ce qu’elles m’ont donné.

55 Carl Ransom ROGERS : Psychologue américain (1902-1987) qui a principalement travaillé dans les champs de la psychologie clinique, de la psychothérapie, de la relation d’aide, de la médiation et de l’éducation.

4-4- Infirmière-chercheuse blanche et métropolitaine

Il me semble important de revenir sur cette double étiquette d’« infirmière-chercheuse » évoquée précédemment, et du rôle que ce statut hybride a pu jouer auprès des personnes interrogées. J’ai pris le parti assez rapidement d’expliciter ma situation en préambule des entretiens. Face à mes interlocuteurs, il me paraissait important d’annoncer avec honnêteté mon parcours, et les raisons pour lesquelles j’effectuais ces recherches. Néanmoins, j’ai conscience aujourd’hui que cette manière de me présenter a très probablement influencé leur attitude envers moi, créant ainsi un biais pas toujours conscient. Le métier d’infirmière est généralement positivement connoté, laissant sous-entendre une plus grande faculté d’écoute et de communication, d’empathie ou encore de confiance. Mon ancien statut professionnel a été pour moi une aide, mais il m’impose aussi un devoir de respect et de rigueur encore plus grand vis-à-vis des propos que je rapporte.

Ma fonction d’« infirmière-chercheuse » n’a pas été le seul statut interrogé durant cette thèse.

Ma position de « blanche métropolitaine » a également été questionnée lors de plusieurs situations et pour différentes raisons (Guinard, 2010, 2015). En effet, j’ai dû, à plusieurs reprises, devoir expliquer quelles étaient mes origines, et « prouver » que je connaissais bien le « monde antillais », avant que l’on n’accepte de me répondre. Je pense notamment à une rencontre faite en Martinique en 2016, où un homme avait refusé de répondre à, je cite, « des questions de blancs colonialistes ». Cette référence au colonialisme revient assez régulièrement dans les entretiens, sans pour autant être associée à une connotation raciste, mais plutôt en faisant référence à des inégalités encore présentes aujourd'hui : « mais si vous regardez bien, dans les postes haut placés à la préfecture ou au conseil régional, ce sont des blancs. Il n’y a pas de noirs » (extrait d’un entretien anonyme martiniquais). Gilbert Larose, fondateur de la maison aux esclaves aux trois-Îlets, y faisait également référence lors de notre entretien :

« Gilbert : Ma grand-mère, elle a ta couleur. J’ai des enfants qui sont métis, ils sont comme toi dans la couleur56. J’ai quatre métis. Mais les anciens de ma mère qui étaient bretons, ils se sont mélangés avec des indiens après l’esclavage […].

En moi y’a déjà trois personnes : africain/indien et européen. [...] Alors tu vois que si le caribéen est raciste, c’est qu’il ne connaît pas sa vraie histoire et qu’il a seulement entendu que le blanc a fait du mal en donnant les coups de fouets. Moi,

56 Il sous-entend ici que ses enfants possèdent la même couleur de peau que moi au moment de l’entretien, ils

56 Il sous-entend ici que ses enfants possèdent la même couleur de peau que moi au moment de l’entretien, ils

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