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Méthodologie des enquêtes .1 Types de données

Outils théoriques et méthodologiques

Chapitre 3 Mise en place de la recherche

3.2 Méthodologie des enquêtes .1 Types de données

Le recueil de données de cette recherche s’est opéré de deux manières principales. J’ai, dans un premier temps, effectué une observation participante. J’ai habité pendant cinq années dans un des bâtiments de l’étude, ce qui ma permis d’avoir un premier accès au groupe de voisinage. Cependant, l’immeuble est un espace fermé où l’accès à ses habitants n’est pas d’emblée donné, si ce n’est au hasard des rencontres dans les parties communes de l’immeuble, ou lors de regroupement chez les uns ou les autres pour célébrer ou commémorer un événement. J’ai donc par ailleurs participé de façon régulière, de septembre 2001 à janvier 2003, aux réunions hebdomadaires (gün) organisées par un groupe de voisines de mon immeuble. Cela m’a permis d’aborder les relations de voisinage et d’observer une partie du réseau de voisinage en action dans sa quotidienneté.

Dans le prolongement de l’observation de la quotidienneté, j’avais pensé faire effectuer le journal de bord hebdomadaire des relations de certains habitants242. J’ai ainsi, dans un premier temps, demandé à une dizaine de voisines que je fréquentais de remplir une sorte de journal de bord comportant toutes les relations sociales entretenues durant une semaine. Elles devaient mentionner le jour et l’heure, la personne avec qui elles étaient entrées en contact et pour quel type de relations. A la fin de la semaine, je devais avoir un entretien avec chacune d’elles afin de discuter de leur journal de bord, éclaircir et développer le type de relations entretenues avec les voisins ayant interagi durant la semaine. Toutefois, une telle méthode s’avère contraignante pour les informateurs : elle demande l’implication des participants dans le processus de la recherche durant toute une semaine, et implique par ailleurs d’être à l’aise avec l’acte d’écrire. Ainsi seules trois des 10 enquêtes distribuées me sont revenues et ont donné lieu à un entretien243, m’incitant à me tourner vers une autre méthode.

Le deuxième aspect de la méthodologie repose sur des entretiens. J’ai ainsi effectué quelques entretiens non-directifs concernant les relations de voisinage, d’une part, et des entretiens plus structurés et plus nombreux concernant l’étude de réseau social proprement dit, d’autre part. Ces derniers entretiens ont ainsi été effectués auprès de 40 personnes ou couples sur 56, permettant d’avoir des données sur les relations de 73 personnes (soit un taux de coopération d’un peu plus de 72%244). Plusieurs moyens m’ont permis d’avoir accès aux habitants. Je me suis, dans un premier temps, adressée aux habitants avec qui j’entretenais moi-même des relations de voisinage fréquentes et qui étaient au courant de mon travail. Dans un deuxième temps, je leur ai demandé de me mettre en contact avec d’autres voisins afin que je puisse discuter avec eux. Ensuite, après chaque entretien, je priais mes informateurs de m’introduire auprès de voisins de leur connaissance qui accepteraient d’avoir une entrevue avec moi. Enfin, certaines personnes n’avaient pas pu être atteintes par cette méthode de « boule de neige », préfigurant déjà d’une certaine façon le réseau, je me suis alors adressée aux concierges des différents immeubles afin qu’ils m’introduisent ou ai frappé directement à la porte. Ces deux dernières méthodes, concernant, de plus, des personnes non joignables par le biais du réseau et par des connaissances communes, ont conduit à plus de refus d’entretiens

242 Méthode notamment utilisée dans l’enquête « Contacts entre les personnes » réalisée par l’INSEE de mai 82 à mai 83 (A. Degenne et M. Forsé (1994), op. cit., p. 26-27 ; P. Mercklé (2004), op. cit., p. 36).

243 On trouvera en annexe la traduction de deux carnets de bord (annexe 4).

244 Ce qui est légèrement supérieur au taux de 67% de Sudman, qui considère ce taux comme typique pour une zone métropolitaine (S. Sudman (1988), « Experiments in Measuring Neighbor and Relative Social Networks »,

que par le biais de voisins, où le taux de refus a été quasiment nul. Sur 56 ménages habitant la résidence, 16 n’ont ainsi pu être interrogés, pour les raisons suivantes : huit ménages ont clairement refusé de participer à la recherche ; quatre ménages n’habitant la résidence que de façon saisonnière et occasionnelle n’ont pu être contactés. C’est notamment le cas des émigrés en Allemagne ou Hollande qui ne reviennent à Adana que pour passer les vacances un mois par an, durant lequel ils sont souvent en visite chez des amis ou parents, voire se rendent quelques jours en bord de mer ou à la montagne. Il s’agit aussi d’une personne qui passe la plupart du temps dans son village et ne vient à Adana qu’occasionnellement. Enfin, il s’agit de quatre ménages, soit parce qu’ils avaient déménagé durant le courant de l’enquête, soit parce que n’ai pas réussi à prendre contact avec eux, notamment en raison de leurs activités professionnelles très prenantes ; j’avais demandé à des voisins de me mettre en rapport mais ceux-ci m’ont dit qu’ils ne les voyaient pas souvent et n’avaient pas réussi à les contacter.

Le tableau ci-dessous récapitule l’occupation des immeubles ainsi que la participation des habitants aux enquêtes qui ont été réalisées (voir dans la section suivante la méthodologie d’enquête suivie).

Tableau 1 Participation aux enquêtes

Bloc A Bloc B Bloc C Bloc D Total

Nombre de logements 12 18 18 14 62

Nombre de logements occupés 11 18 16 14 59

Nombre de ménages interrogés 10 10 8 12 40

Nombre de refus (de ménages) 1 1 5 1 8

Nombre d'incapacité à prendre contact 0 7 3 1 11

Nombre d'habitants (hormis les enfants et visiteurs occasionnels) 20 28 30 23 101

Nombre de personnes interrogées 19 18 15 21 73

Nombre de personnes n'ayant pas pu être interrogées 1 10 15 2 28

J’habitais pour ma part dans le bloc D où se trouvait, ainsi que dans le bloc A, une informatrice privilégiée qui m’a aidée dans toutes les étapes de ma recherche. Cela peut probablement expliquer en partie le taux supérieur de participation aux enquêtes dans ces deux immeubles par rapport aux immeubles B et C. Une autre raison peut être les variations du nombre d’habitants suivant les immeubles, les immeubles B et C étant plus peuplés il était plus difficile de joindre tout le monde. De plus, plusieurs personnes de ces immeubles ne se trouvaient pas sur Adana au moment des enquêtes. Certaines données concernant les personnes que je n’ai pas pu interroger, telles que la profession exercée, la situation matrimoniale ou le fait d’être propriétaire ou locataire ont cependant pu être fournies par les concierges et les voisins.

Si, pour l’étude de réseau complet, le manque de données est un problème important245, le fait que les relations de voisinage prises en compte puissent être considérées comme symétriques permet de pallier ce biais dû au manque de réponses246. Le problème se pose alors au niveau

245 G. Kossinets (2006), « Effects of Missing Data in Social Networks », Social Networks, n° 28, p. 247-268.

246 On considère des relations comme symétriques lorsque la relation qui lie un acteur A à un acteur B est la même que celle qui lie l’acteur B à l’acteur A (cf. définition de la symétrie dans le chapitre précédent). Théoriquement, les relations de voisinage sont symétriques : si A fréquente B ou échange des salutations avec B,

des relations entre les divers absents dont on ne peut connaître les interactions. Ainsi, pour notre réseau de 101 acteurs, le nombre maximal de liens possibles est de 101 x (101 - 1) / 2 = 5050. Si l’on considère que les relations sont symétriques, ce qui permet de déterminer les relations entre les acteurs interrogés et les acteurs manquants, il n’y a que les relations entre les acteurs manquants qui ne sont pas déterminées, soit, pour 28 acteurs manquants : 28 x (28 - 1) / 2 = 378 relations possibles247. Dans notre réseau, 378 relations sur les 5050 possibles, soit 7,5 %, ne sont pas connues en raison du manque de données. Cependant, si l’on considère qu’il s’agit de personnes non joignables par les autres membres du réseau et qui en général n’avaient que peu de relations avec les personnes interrogées, que, de plus, elles se trouvent réparties dans les différents immeubles, on peut supposer que les relations de voisinage de ces personnes entre elles ne doivent pas être importantes et que l’absence de données n’influence que faiblement la représentation générale du réseau.

Dans la mesure du possible, j’essayais de rencontrer les femmes comme les hommes. Les rencontres avaient lieu alors à domicile, dans la soirée. Il est arrivé, cependant, à plusieurs reprises, que les hommes ne désirent pas participer à l’enquête, auxquels cas leur femme donnait en leur nom les informations nécessaires concernant les relations de leurs maris, entraînant par là même un probable risque d’omission de certaines relations. A quelques reprises, les entretiens ont eu lieu sur le lieu de travail des informateurs.

J’étais, dans la majorité des cas, très bien accueillie. Mes différentes casquettes m’ont permis d’avoir les portes ouvertes facilement. D’une part, mon statut d’ancienne voisine (j’ai commencé à mener les entretiens concernant l’étude de réseau plusieurs mois après avoir déménagé du quartier) justifiait le fait que je m’intéresse précisément à cet ensemble d’immeubles-là. De plus, cela me positionnait de l’intérieur, en tant que quelqu’un connaissant le quartier. Par ailleurs, le fait d’avoir déménagé permettait de ne pas avoir à m’inclure dans le réseau, ce qui aurait pu fausser la donne. Cela me donnait de plus la distance nécessaire pour rester neutre : je n’étais plus impliquée. D’autre part, le fait d’être française me plaçait définitivement en tant qu’observatrice extérieure, dont le but était de comprendre un phénomène inexistant dans mon pays et favorisait ainsi l’apport d’explications. Juste à deux reprises, des hommes, un peu méfiants, m’ont demandé si j’avais fait une demande d’autorisation auprès de la préfecture pour effectuer une telle recherche. Cela ne les a toutefois pas empêchés ensuite de participer à l’entretien. Enfin, le fait d’être enseignante à l’université d’Adana me donnait la légitimité nécessaire pour effectuer une recherche.

A quelques reprises, les enquêtés ont dit que ce qu’ils pouvaient m’apprendre ne risquait d’être d’aucune utilité vu qu’ils ne voisinaient pas ou peu. Par ailleurs, pour une femme avec qui j’avais eu l’occasion de voisiner un peu auparavant, ce fut comme un exutoire car elle avait beaucoup à se plaindre de ses voisins. Elle m’a ainsi confié me dire des choses qui lui tenaient à cœur depuis longtemps sans qu’elle n’ait jamais eu l’occasion de le dire à personne.

cela équivaut à dire que B fréquente A ou échange des salutations avec A. L’asymétrie apparaissant dans les réponses dépend uniquement de différences de jugement entre les informateurs. Ainsi, il est possible de pallier un manque de données en considérant les relations comme étant symétriques.

247 Pour les formules utilisées, se reporter à S. Wasserman et K. Faust (1994), Social Network Analysis : Methods

3.2.2 Déroulement des entretiens sur les réseaux

La durée des entretiens a varié de dix minutes (pour des personnes ayant peu de temps à m’accorder et qui s’avéraient de plus avoir très peu de relations avec les voisins) à plus de deux heures. Les entretiens se composaient de deux parties. La première partie consistait à recueillir des informations sur les personnes interrogées afin de déterminer le profil des habitants, notamment : leur âge, le lieu de naissance, l’origine ethnique, le nombre d’enfants et d’enfants à charge, la durée de présence à Adana et dans la résidence248… Ces données individuelles ont ensuite été utilisées afin de savoir si celles-ci pouvaient avoir une influence sur le type et l’intensité des relations de voisinage entretenues. La deuxième partie de l’entretien consistait en un entretien semi directif portant sur le réseau de voisinage proprement dit. J’ai utilisé la méthode de la reconnaissance. Pour cela, j’ai utilisé une liste exhaustive de tous les habitants de la résidence (que j’avais obtenue par l’intermédiaire des concierges) plutôt que de laisser l’enquêté citer les personnes avec qui il a telle ou telle relation. En effet, cette dernière méthode entraîne un risque d’oubli majeur249. De plus, ayant affaire à un réseau complet comprenant relativement peu d’acteurs (101 au total), mettre en place une telle méthode était facilement réalisable.

Ne souhaitant pas influencer les réponses, après avoir présenté mon travail comme une étude portant sur les relations de voisinage dans le quartier, j’ai opté pour la consigne suivante : « pour chaque personne que je vais citer, pourriez-vous me dire quelles relations vous entretenez avec elle ? ». Ne voulant présumer du type de relations, je n’ai pas voulu donner une liste toute faite et exhaustive de ceux-ci, ayant juste donné quelques exemples en début d’entretien sur le type de domaines sur lesquels pouvaient porter les réponses, comme les visites, les conversations, l’entraide, ou autre. Plus qu’un type de relation pouvant lier les deux voisins, je voulais savoir quels étaient leurs rapports, c’est-à-dire, en plus des relations, avoir une idée de leur fréquence et surtout de l’intensité des liens entre les deux acteurs, donnée relative aux sentiments, ce qui m’a permis par la suite d’établir des profils de relations que j’expliciterai plus loin. Au fur et à mesure de l’entretien, je faisais expliciter les réponses et les points me paraissant pertinents dans le cadre de ma recherche et permettant d’enrichir les réponses données.

Presque tous les entretiens ont été enregistrés et intégralement retranscrits. A deux reprises, des problèmes d’enregistrement ont fait que je n’ai pas pu avoir la totalité de l’entretien. Cependant, parallèlement à l’entretien je prenais des notes concernant les types de relations entre les différents acteurs ce qui m’a permis de pallier d’éventuels problèmes techniques. J’étais ainsi sûre d’avoir accès aux données minimales (qui avait quel type de relations avec qui) pour reconstituer le réseau. Les données issues des entretiens, complétées par les observations sur le terrain, m’ont permis d’élaborer des matrices retraçant les diverses relations entre les acteurs qui allaient être à la base de l’analyse du réseau social de voisinage. En outre, j’ai pu obtenir de nombreuses données qualitatives concernant le voisinage dans

248 Voir grille d’enquête en annexe 2.

249 E. Lazega (1998), Réseaux sociaux et structures relationnelles, Paris : PUF, p. 25.

D. D. Brewer et C. M. Webster (1999), « Forgetting of Friends and its Effets on Measuring Friendship Networks », Social Networks, n° 21, p. 361-373. Ces auteurs ont montré, suite à une étude effectuée auprès de 217 résidents d’une résidence universitaire portant sur les liens d’amitié au sein de la résidence, que 20% des amis avaient été oubliés lorsque la méthode de générateur de noms avait été utilisée, alors que les enquêtés ont mentionné leurs relations quand la liste de tous les résidents leur était donnée. Ils ont ensuite démontré que ces oublis influençaient les propriétés structurales du réseau telles que les densités, les cliques, la centralisation du réseau et les centralités des individus.

cette résidence grâce aux entretiens qui étaient à l’origine de discussions avec les informateurs sur leurs pratiques du voisinage.

3.3 Mise en place de l’analyse du réseau de voisinage