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4.3 La notion d’effort, et son application à la conception d’objets de type poignée

4.3.3 Les méthodes de mesure les plus courantes pour l’évaluation de la force

Spielholz (2001) insiste sur l’importance de la méthode utilisée en termes d’adéquation et de fiabilité, lors d’une mesure dans le champ de l’ergonomie. Evaluer la force nécessaire au port d’une charge que représente un objet (qu’il soit un outil ou non), exige de qualifier l’interaction entre la main et l’objet considéré.

Koppelaar & Wells (2005) identifient quelques grandes approches pour qualifier la force de la main :

1. Décrire la force de contact entre l’objet et la main : une force se décompose en deux composantes. La composante normale (perpendiculaire à l’objet), et la composante tangentielle (parallèle à l’objet). Nous verrons ultérieurement le rôle de ces composantes, mais il est important de savoir si l’on souhaite mesurer la composante normale ou la composante tangentielle compte tenu du geste et du type de tâche représentés.

2. Décrire la modalité de saisie : cette description s’avère être un facteur important pour l’analyse de la force et de ses composantes. Celles-ci peuvent varier en sens, en direction et en norme selon le positionnement de la main sur l’objet.

3. Décrire le type de force en relation avec sa localisation sur la main : selon que l’on cherche à mesurer un effort à l’extrémité des doigts ou la répartition de la force sur la surface de la main, l’outil de mesure sera développé en conséquence.

4. Décrire la masse de l’objet porté : a-t-il une masse élevée ? Cette masse implique-t-elle la production d’un effort important ? Les réponses à ces questions ont un intérêt par rapport au choix du système de mesure et à sa calibration.

Auparavant, Kadefors (1993) écrivait que « l’évaluation des outils à main est une tâche extrêmement complexe, où il n’y a pas que les propriétés fonctionnelles, les aspects de qualité et de fiabilité qui comptent, mais aussi les attentes des utilisateurs et leur appréhension, notamment concernant la professionnalité de l’objet », ce qu’il décrivait en termes d’effets sur l’opérateur (fig. 40).

Figure 40 : Contraintes sur l’opérateur liées aux caractéristiques de l’objet

Source : Kadefors & al. (1993).

On s’aperçoit que le choix de la méthode d’évaluation n’est pas neutre dans ce type de mesure. Nous présenterons ici les méthodes les plus usitées dans la littérature, avant de présenter quelques unes de leurs applications sur les objets du quotidien.

Caractéristiques de l’objet :

Contraintes mécaniques externes de l’objet (force, torsion, accélération…)

Masse de l’objet et centre de gravité, Dimensions de l’outil et caractéristiques de la saisie,

Possibilité d’utiliser différentes fonctions.

Effets sur l’opérateur : Posture de travail,

Flexion et angles de déviation du poignet, Charge musculaire et fatigue,

Type de saisie employée, Pression locale sur la main. Caractéristiques de l’objet :

Contraintes mécaniques externes de l’objet (force, torsion, accélération…)

Masse de l’objet et centre de gravité, Dimensions de l’outil et caractéristiques de la saisie,

Possibilité d’utiliser différentes fonctions.

Effets sur l’opérateur : Posture de travail,

Flexion et angles de déviation du poignet, Charge musculaire et fatigue,

Type de saisie employée, Pression locale sur la main.

Les méthodes d’étude directes (ou techniques) ont pour objectif de recueillir des valeurs objectives de la force de saisie en fonction des postures ou activités musculaires requises pour réaliser la tâche.

Le dynamomètre est l’un des outils de mesure les plus employés dans ce cadre. Il est régulièrement utilisé pour mesurer des forces de saisie, que l’on parle de pic de force ou de force moyenne après plusieurs essais. Ce système est couramment employé dans les études conduites sur la transmission de vibrations au couple main – avant-bras (Welcome & al., 2004), ou pour acquérir des données utiles à la conception d’objets à usage industriel (Eksioglu, 2004). La plupart du temps, le dynamomètre se présente sous la forme d’un cylindre simulant une poignée que le sujet (l’opérateur) doit saisir. Ce dispositif présente l’avantage de pouvoir travailler avec des diamètres et des formes différents, variant par exemple de 4 à 10 cm dans le cas de cylindres. Par ailleurs, la position de la poignée peut être variable selon le degré de sollicitation articulaire recherché, et les sujets peuvent travailler assis ou debout selon les caractéristiques de la tâche à effectuer.

La figure 41 ci-dessous illustre des dispositifs utilisant un dynamomètre, dont la taille et la forme peuvent par ailleurs varier.

Figure 41 : Quelques exemples de dispositifs fondés sur l'utilisation d'un dynamomètre

Sources : Grant & al. (1992) ; Sande & al. (2001) ; Jung & Hallbeck (2004).

Les formes et les modes d’utilisation de l’outil restent variables, puisque adaptés à la tâche requise. Koppelaar et Wells (2005) présentent deux façons d’utiliser un dynamomètre. Soit il est seul employé pour recueillir les données (méthode directe), soit il est employé comme outil de mesure dans le cadre d’un protocole dit de « force matching », où le sujet réalise la tâche puis reproduit l’effort exercé sur le dynamomètre afin d’obtenir des mesures chiffrées. Au final, le principal avantage du dynamomètre reste selon nous la possibilité d’adapter sa taille, sa forme et sa masse à la mesure recherchée, aux contraintes de faisabilité technique près.

D’autres auteurs s’intéressent moins à la force exercée qu’à la répartition des pressions lors de la réalisation de la tâche (fig. 42). Pour ce faire, une grille de pression (ou nappe de capteurs) est utilisée et permet de préciser, en fonction de la position de la main lors de la saisie, la localisation des pressions sur le couple main-objet (Aldien & al., 2004).

Figure 42 : Exemple de recherche sur la répartition des pressions sur la main lors d’un effort de saisie

Source : Aldien & al. (2004).

Différentes études, qui se focalisent plus précisément sur la répartition des pressions sur la main, utilisent un dispositif lui aussi équipé de capteurs positionnés sur des zones précises d’un gant dont le sujet se sert pour réaliser la tâche (Kong & Freivalds, 2004). Dans ce cas, les contraintes portent essentiellement sur le gant lui- même, d’une part au niveau de l’adéquation de ses dimensions aux mains des sujets, et d’autre part au niveau de sa réalisation technique pour la pose des capteurs (fig. 43).

Figure 43 : Gant muni de capteurs pour la localisation des pressions sur la main

Source : Kong & Freivalds (2004).

Outre les problèmes de fiabilité de la mesure, essentiellement dus à la sensibilité et la densité des capteurs, se pose le problème de l’interface entre le matériau et la main qui saisit l’objet. Dans le cas d’un matériau non rigide, la force nécessaire à son utilisation peut varier selon son degré de rigidité.

Un quatrième système de recueil de données, souvent couplé à un dynamomètre par exemple, consiste à effectuer des relevés électromyographiques sur différents muscles des sujets, souvent au niveau des avant- bras ou du poignet pour les expérimentations concernant les objets de type poignée (Duque & Masset, 1995 ; Aarus & Ro, 1997).

Dans le cas d’une mesure réalisée sur les doigts, par exemple si l’on veut savoir comment se répartit la force entre eux, Radwin et Oh (1992) précisent que la mesure pratique de la force est limitée à des efforts statiques et à des postures fixes, et n’est pas spécifique aux doigts individuellement ou à des localisations précises sur la main. Elle n’est donc pas pratique pour la mesure des contributions des forces individuelles de chaque doigt. Par ailleurs, les muscles moteurs de la main s’insérant dans l’avant-bras, le nombre de capteurs nécessaires peut se révéler important et donc méthodologiquement contraignant.

La contribution des doigts à un effort réalisé lors de la saisie d’une poignée est très présente dans la littérature (Keller & al., 2001 ; Zatsiorsky & al., 2003 ; Pataky & al., 2004). Ces contributions sont souvent présentées en pourcentage de la force totale pour un doigt donné (Hazelton & al., 1975 ; Amis, 1987 ; Kinoshita & al., 1995). Pour des efforts réalisés en condition statique, les auteurs soulignent régulièrement les contraintes de conception liées au positionnement des capteurs mesurant la force sur chacun des doigts.

La figure 44 ci-dessous présente quelques uns de ces dispositifs.

Figure 44 : Exemples de dispositifs de mesure de la contribution des doigts lors d’un effort de saisie

Ces trois dispositifs illustrent des systèmes de mesure de l’effort produit au niveau de chaque doigt, et sa contribution à l’effort total. Chaque doigt se positionne sur un capteur qui lui est destiné.

Sources : Radwin & Oh, 1992 ; Keller & al., 2001 ; Zatsiorsky & al., 2003.

Le recueil de données objectives peut se faire dans certains cas sous la forme de compilations de traces objectives au niveau des mains. L’intérêt est de faire une évaluation des zones de contact entre la main et l’objet pour :

• Connaître leur localisation, et en déduire les parties de la main impliquées dans la modalité de saisie étudiée,

• Connaître les variations de cette localisation pour une gamme d’objets donnée (par exemple, pour un objet

de même forme mais de dimensions variables),

• Connaître la variation d’intensité sur les différentes zones de la main.

Pheasant et O’Neill (1975) s’intéressent également à ces relevés des positions de la main lors de l’utilisation de l’objet, afin de la corréler avec les résultats des mesures. Un exemple de ces « relevés d’empreintes » illustre ce type de travaux (fig. 45).

Figure 45 : Relevé des empreintes de main liées à la manipulation d’objets

Ces empreintes ont été prises sur six sujets, enroulant leur main directrice autour d’un cylindre dont le diamètre varie de 1 à 7 cm.

Source : Pheasant & O’Neill (1975).

Parmi la littérature explorée à ce jour, les méthodes objectives sont les plus couramment utilisées. Le recueil de traces objectives directement sur la main a l’avantage de pouvoir être couplé avec des protocoles de mesures subjectives. Par exemple, après avoir récolté les traces sur la main d’un sujet, celui-ci peut se voir demander d’évaluer subjectivement les zones de contact qu’il a perçues au moment de sont interaction avec l’objet. Les méthodes subjectives d’évaluation s’appliquent également à la mesure de l’effort. Elles peuvent être employées par l’intermédiaire d’échelles sémantiques, comme le propose Eksioglu (2004), en utilisant une échelle d’évaluation de l’effort issue des travaux de Natarajan (1984). Ce type d’évaluation est assez courant, et est repris récemment par Koppelaar et Wells (2005) qui utilisent la méthode d’auto-évaluation par échelle visuelle analogue, fondée sur la capacité des sujets à classer les forces perçues exercées. Pour des efforts de plus grande intensité, certains auteurs utilisent l’échelle de Borg, qui mesure l’intensité subjective d’un effort pouvant aller jusqu’à la douleur (Spielholz, 2006).

Autre méthode, utilisée dans tous les aspects de la recherche et de la pratique en ergonomie pour l’évaluation de la charge de travail, le « self-report » (auto-évaluation de la charge) permet à l’évaluateur de s’appuyer sur la capacité du sujet à classifier les forces perçues exercées au travail (Wiktorin & al., 1996). Les échelles de

classement, les questionnaires ou la méthode du « force-matching15 » sont aussi employés.

Enfin, l’analyse d’un geste ou d’une posture, dont le déroulement fait souvent l’objet d’un découpage en séquences, peut être faite par différentes méthodes comme la grille d’observation ou l’analyse vidéo (ces deux méthodes étant complémentaires). Elle présente aussi l’avantage de « […] donner à l’analyste la possibilité d’utiliser le ralenti et de revoir la vidéo, autorisant une évaluation détaillée et reproductible. Les résultats issus des méthodes d’observation sont obtenus à partir d’interprétations des observateurs expérimentés pour observer les individus au travail » (Spielholz & al., 2001).

L’intérêt de la mesure d’effort en ergonomie devient donc évident pour les recherches où sont mis en jeu les objets les plus variés à saisir et à manipuler (par exemple de type poignée), nécessitant la réalisation d’efforts fréquents et/ou importants (par exemple l’ouverture d’emballages). Ces mesures d’effort, fréquentes sur les outils à main, s’appliquent aussi à certains objets de la vie quotidienne.

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