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Une première approche prend en compte les différents types d’habitats dans lesquels se trouve une espèce donnée. Ce type d’approche postule que l’habitat d’une espèce intègre nombre de facteurs biotiques et abiotiques, reflétant la niche de l’espèce. Ainsi, en regardant le nombre d’habitats dans lesquels une espèce est présente, il devient possible d’estimer son degré de spécialisation. On peut en effet s’attendre à ce qu’une espèce présente dans de nombreux habitats ait des exigences assez souples pour de nombreux paramètres du milieu (luminosité, hygrométrie, interactions biotiques), par rapport à une espèce présente dans un seul habitat. Un certain nombre d’auteurs ont donc quantifié la spécialisation des espèces via le nombre d’occurrences d’une espèce dans un habitat donné. C’est ainsi que Rooney et al. (2004) ont développé un indice de largeur d’habitat (« habitat breath index ») pour étudier l’homogénéisation fonctionnelle touchant les communautés de plantes de sous-bois du Wisconsin. Cet indice est basé sur le nombre d’habitats dans lesquels une espèce donnée a été répertoriée. Une autre étude sur les araignées (Entling, Schmidt, Bacher, Brandl, & Nentwig, 2007) a évalué leur niche en extrayant les deux premiers axes d’une ACP obtenue avec des données d’occurrence collectées dans la littérature pour 70 habitats. Ces approches présentent l’avantage de permettre de classer les espèces sur une échelle de spécialisation croissante, sur une base objective, à partir de données généralement disponibles dans la bibliographie.

Figure 20 : Exemples tirés des analyses de la base de donnée FLORA montrant deux espèces présentes dans tous les habitats étudiés, mais avec des densités très différentes. En considérant le coefficient de variation d’abondance entre habitats, le SSI (Species Specialization Index) permet de tenir compte de ces variations de densité, et de distinguer une espèce spécialiste (Iris Pseudacorus L.) d’une plus généraliste (Urtica dioica L.). Photographies de l'auteur.

Toutefois, une faiblesse de ces méthodes est qu’elles ne tiennent pas compte du fait que des espèces peuvent être présentes au sein de nombreux habitats avec des abondances très variables. La Figure 20 présente ainsi l’abondance relative de deux espèces de plantes dans les sept habitats les plus répandus d’Île-de-France : bien que les deux espèces se trouvent dans tous les habitats, il apparaît clairement que leurs variations d’abondances entre habitats sont très différentes. L’Ortie dioïque est abondante dans tous les habitats, tandis que l’Iris faux-acore n’est abondant que dans un seul habitat, et présent occasionnellement dans

Partie IV : Occupation humaine et homogénéisation biotique

87 les autres. Au vu de ce qui a été dit précédemment on s’attend à ce que l’Ortie soit une espèce ayant une niche assez large, car capable de maintenir des populations dans une grande variété de conditions environnementales, tandis que l’Iris faux-acore semble être une espèce spécialiste ne parvenant à maintenir un grand nombre de populations que dans un type d’environnement particulier. Dans le cadre d’une mesure de la spécialisation fondée sur la distribution dans les habitats, il apparaît donc nécessaire de tenir compte des variations d’abondance entre habitats, d’autant que le cas de figure décrit précédemment se rencontre souvent dans la nature, en raison notamment de la dynamique source-puits de certaines populations, qui explique qu’une espèce peut être présente dans nombre d’habitats, mais ne constituer des populations abondantes que dans un seul (Julliard, Clavel, Devictor, Jiguet, & Couvet, 2006). Pour prendre en compte ces variations d’abondance, deux méthodes peuvent être envisagées :

(1) Julliard et al. (2006) ont mis au point un indice de spécialisation, le SSI (Species Specialization Index) basé sur le coefficient de variation de l’abondance des espèces entre habitats. Cet indice calculé sur les populations d’oiseaux d’après les données récoltées dans le cadre du Suivi Temporel des Oiseaux Communs (STOC) a déjà permis de mettre en évidence des phénomènes d’homogénéisation fonctionnelle des communautés d’oiseaux (Devictor, Julliard, Couvet, Lee, & Jiguet, 2007; Devictor et al., 2008; Devictor, Julliard, & Jiguet, in press). La Figure 20 présente un exemple de calcul du SSI pour deux espèces de plantes, sur un jeu de données décrit plus bas.

(2) La méthode IndVal, développé par Dufrêne et Legendre (1997) sur les plantes permet de calculer si une espèce donnée peut être considérée comme indicatrice d’un milieu. Bien que cette méthode se propose de quantifier le caractère indicateur des espèces, et non leur spécialisation à proprement parler, nous nous y sommes néanmoins intéressés car ces deux notions sont souvent confondues dans des études d’écologie végétale (en particulier en phytosociologie). La méthode Indval génère des valeurs permettant de classer les espèces comme plus ou moins indicatrices d’un milieu. Le caractère indicateur d'une espèce dépend de deux critères: sa spécificité, qui est maximale lorsqu’elle n’est présente que dans un seul type de milieu, et sa fidélité, qui est maximale lorsqu’elle est présente dans tous les relevés de ce milieu. La spécificité se rapproche des mesures de spécialisation telle celle mise au point par Rooney et al. (2004), tandis que la fidélité permet de différencier les espèces se trouvant en abondance dans un habitat de celles s’y trouvant occasionnellement. La valeur indicatrice

de l'espèce, qui combine ces deux paramètres, est à son maximum lorsque la spécificité et la fidélité sont les plus fortes (Dufrêne & Legendre, 1997).

Dans certaines conditions, calculer un indice de spécialisation en se basant sur les habitats peut se révéler problématique. Tout d’abord, il peut être difficile dans certains cas de lier de façon certaine un habitat à un relevé ; c’est le cas, par exemple, lorsqu’un inventaire est effectué en limite de deux habitats, ou lorsqu’il est nécessaire de descendre à un niveau de résolution très fin dans la détermination des habitats. Il est alors probable que l’on observe un manque de reproductibilité dans la détermination de l’habitat entre observateurs. De plus, lorsqu’on s’intéresse aux communautés végétales, calculer des indices sur les espèces composant une communauté à partir de l’habitat où se trouvent ces espèces peut se révéler circulaire. En effet, la plupart des nomenclatures utilisées pour délimiter les habitats (Bissardon, Guibal, & Rameau, 1991) sont précisément basées sur l’aspect de la végétation, et sur la présence de quelques espèces indicatrices de ces habitats. Ainsi, si au vu de son indice de spécialisation, un arbre forestier est considéré comme spécialiste, il y a de bonnes chances que ce soit pour la simple raison qu’il se trouve dans un habitat qu’il sert lui-même à définir.