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Lorsqu’on s’intéresse aux caractéristiques des espèces gagnantes et perdantes, il s’avère que certaines caractéristiques intrinsèques de ces espèces — dans un contexte environnemental donné — permettent d’expliquer leurs différences de succès : mode de dispersion, degré de nitrophilie, type biologique chez les plantes (Smart et al., 2005; Wiegmann & Waller, 2006), habitude de nidification et période de migration chez les oiseaux (Clergeau, Croci, Jokimäki, Kaisanlahti-Jokimäki, & Dinetti, 2006; Jenni & Kéry, 2003), ou encore taille corporelle chez les mammifères (Cardillo et al., 2005). L’étude de la distribution des tels traits entre communautés permet de détecter des phénomènes d’homogénéisation biotique fonctionnelle, en mettant en évidence la convergence de différentes communautés vers les mêmes « syndromes fonctionnels » (Smart et al., 2006). La mesure de l’homogénéisation biotique fonctionnelle consiste donc à calculer la similarité entre communautés en termes fonctionnels, sans tenir compte de l’identité des espèces. La nécessité de considérer les communautés dans leur aspect fonctionnel, en n’hésitant pas à faire abstraction de l’identité des espèces, est d’ailleurs fréquemment soulignée, comme une condition essentielle à la compréhension de certaines lois régissant les communautés (McGill, Enquist, Weiher, & Westoby, 2006). Ainsi, envisager les communautés comme des assemblages d’organismes caractérisés par certains traits, et étudier la distribution de ces traits

le long d’un gradient environnemental, peut être un moyen de comprendre comment ces communautés sont susceptibles de réagir à un changement de l’environnement (par exemple un réchauffement climatique).

Jusqu’ici, l’étude de l’homogénéisation des communautés de plantes s’est souvent limitée à l’étude de l’homogénéisation taxonomique (Kühn & Klotz, 2006; McKinney, 2004; Olden, Poff, & McKinney, 2006; Py!ek et al., 2004; Schwartz et al., 2006; Vellend et al., 2007), peu d’études s’étant intéressées à l’homogénéisation fonctionnelle (Rooney et al., 2004; Smart et al., 2006). Il est pourtant largement admis que la diversité fonctionnelle des communautés de plantes est un élément essentiel de la stabilité des écosystèmes et la base de la qualité des services qu’ils peuvent rendre (Diaz, 2001; Tilman, 2001).

Dans le cadre de ce travail, nous avons cherché à quantifier l’impact de l’occupation humaine — mesurée via la fragmentation et la stabilité du paysage — sur les communautés de plantes communes, en utilisant les données collectées en 2006 dans le cadre de notre suivi des plantes communes à l’échelle régionale (Vigie-Plantes), décrit au chapitre 1. Notre idée de départ était de tester si on observait une homogénéisation taxonomique et fonctionnelle au sein des assemblages de plantes communes en réponse à ces pressions. Très vite, il est apparu que l’homogénéisation fonctionnelle pouvait être évaluée d’une multitude de façons. Dans un premier temps, nous exposerons différentes manières d’évaluer la diversité fonctionnelle des espèces, ce qui nous conduira à évoquer la notion de spécialisation. Nous présenterons ensuite les résultats obtenus sur l’homogénéisation des communautés de plantes communes sous forme d’un manuscrit en préparation.

Partie IV : Occupation humaine et homogénéisation biotique

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B. Mesurer l’homogénéisation fonctionnelle

1. Notion de spécialisation des espèces

Mesurer l’homogénéisation fonctionnelle requiert classiquement de disposer d’informations sur la niche des espèces. La niche écologique d’une espèce reflète l’ensemble des interactions de cette espèce avec son environnement (Hutchinson, 1959) : elle est constituée par l’ensemble des conditions environnementales — biotiques comme abiotiques — permettant le maintien de populations viables d’une espèce donnée (par exemple : hygrométrie, acidité, présence de pollinisateurs, de prédateurs, etc.). En vertu du principe d’exclusion compétitive de Volterra et Gause (Gause, 1934), deux espèces ne peuvent jamais occuper la même niche dans un écosystème. Ainsi, on observe une modulation de la largeur des niches entre espèces (Figure 19), conduisant les espèces à posséder des niches plus ou moins étroites. La largeur de niche d’une espèce correspond à une mesure de son degré de spécialisation ; les espèces étant d’autant plus spécialistes que leur niche est étroite.

Figure 19 : Schéma comparant la valeur sélective d’espèces généralistes et spécialistes en fonction d’un gradient environnemental. Les espèces spécialistes ont une très bonne valeur sélective sur une gamme étroite de conditions environnementales alors que les espèces généralistes ont une valeur sélective moyenne sur toute la gamme de conditions environnementales. Photographies de l'auteur.

Le degré de spécialisation d’une espèce est considéré comme un compromis entre sa capacité à exploiter différentes ressources et ses performances à les exploiter ; ainsi une espèce spécialiste sera capable d’exploiter une gamme restreinte de ressources, mais sera en contrepartie capable de les exploiter d’une manière très efficace, tandis qu’une espèce généraliste sera capable d’utiliser un large éventail de ressources mais de manière moins performante. Cette prédiction a déjà pu être vérifiée in vivo sur différents poissons de récifs coralliens (Caley & Munday, 2003) et en laboratoire sur des populations de bactéries (Cooper & Lenski, 2000).

Lorsqu’on s’intéresse aux processus d’homogénéisation biotique fonctionnelle touchant les communautés, il s’avère que les espèces gagnantes et perdantes se distinguent souvent par leur degré de spécialisation; les espèces les plus généralistes (gagnantes) étant favorisées aux dépens des spécialistes (perdantes) (McKinney & Lockwood, 1999). Ce fait a pu être vérifié au sein de nombreux groupes taxonomiques : insectes (Warren et al., 2001), oiseaux (Julliard et al., 2004), ou plantes (Rooney & Dress, 1997). La quantification du degré de spécialisation des espèces semble donc être un bon moyen d’étudier le processus d’homogénéisation fonctionnelle.

2. Quantification de la spécialisation des espèces

La quantification du degré de spécialisation des espèces s’est souvent faite suivant une dichotomie, les espèces étant considérées comme spécialistes ou généralistes. Lorsqu’un tel classement n’est pas établi simplement sur un avis d’expert (Batary et al., 2007), la spécialisation est alors considérée par rapport à une composante particulière de la niche de l’espèce, en fonction du type d’espèces considérées : par exemple le degré de nitrophilie (Smart et al., 2005), le type d’habitat (Helm et al., 2006), les pollinisateurs (Ashworth, Aguilar, Galetto, & Aizen Adrian, 2004) chez les plantes, ou la longueur des pièces buccales (Goulson, Hanley, Darvill, Ellis, & Knight, 2005), et le spectre des plantes hôtes (Warren et al., 2001) chez les insectes.

Un classement des espèces le long d’une échelle spécialiste-généraliste refléterait plus fidèlement la niche écologique qu’un simple classement en spécialistes ou généralistes, car il existe tout un continuum entre ces deux pôles (Clavel, 2008). Un tel classement impliquerait toutefois de mesurer les performances d’une espèce donnée le long de nombreux gradients environnementaux (Devictor et al., 2008), ce qui s’avère en pratique extrêmement difficile, notamment car toutes les dimensions de la niche d’une espèce sont rarement connues

Partie IV : Occupation humaine et homogénéisation biotique

85 (Fridley, Vandermast, Kuppinger, Manthey, & Peet, 2007). Face à ce constat, un ensemble de méthodes a été mis au point pour calculer des indices de spécialisation, intégrant l’ensemble des dimensions de la niche, en utilisant des données de relevés d’espèces. Nous allons passer en revue, puis comparer certaines de ces méthodes.