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Figure 23 : Relation entre le SSI et l’indice de Fridley. Rappelons que l’indice de Fridley est construit de telle sorte que les espèces sont d’autant plus spécialistes que l’indice est faible. C’est le contraire pour le SSI, de sorte que la relation entre les spécialisations calculées avec les deux indices est négative. À droite sont présentées les relations entre le SSI et chacune des composantes de Fridley, alpha et gamma, représentant respectivement pour une espèce donnée : le nombre moyen d’espèces côtoyées par relevé, et le nombre total d’espèces côtoyées dans l’ensemble des relevés.

La Figure 23 nous montre qu’il existe une corrélation positive entre la spécialisation calculée pour ces deux indices. Il reste alors à déterminer pourquoi malgré la congruence de ces deux indices, ils semblent réagir très différemment au degré de rareté des espèces. Cela peut s’expliquer en examinant les liens entre ces indices et les caractéristiques des espèces.

Tableau 2 : Résultats de l’ANOVA effectuée sur le meilleur modèle explicatif liant spécialisation ou rareté avec les caractéristiques des espèces. Seuls les effets significatifs, impliquant moins de trois facteurs sont représentés.

Partie IV : Occupation humaine et homogénéisation biotique

97 Le Tableau 2 présente les résultats de l’ANOVA sur le meilleur modèle linéaire liant indice de Fridley, SSI ou rareté aux caractéristiques des espèces. Il s’avère que l’on trouve un effet fort du type biologique des espèces. Ainsi, les espèces annuelles sont significativement plus rares que les espèces pérennes. De plus, elles apparaissent plutôt généralistes avec le SSI tandis qu’elles sont considérées comme des spécialistes avec l’indice de Fridley (Figure 24). Cela pourrait expliquer, au moins en partie, que les plantes les plus communes ont tendance à être généralistes pour le SSI, et spécialistes avec Fridley, d’où la différence observée dans le rapport entre rareté et spécialisation pour chacun des deux indices (Figure 22).

Figure 24 : Représentation de la spécialisation et de la rareté en fonction du type biologique (ANN= annuelle ; VIV= vivace).

Nous pouvons formuler l’hypothèse suivante pour expliquer que le degré de spécialisation des plantes annuelles varie en sens inverse avec les deux indices: ces plantes colonisent souvent des milieux récemment perturbés où elles sont les seules à pouvoir se développer, avant d’êtres supplantées par des plantes pérennes colonisatrices. Il est donc probable que — à part d’autres annuelles — ces plantes côtoient peu d’espèces au sein des relevés où elles ont été notées, et apparaissent donc spécialistes avec Fridley. À l’inverse, le calcul du SSI a nécessité de dégrader l’information disponible pour l’habitat, en procédant à des regroupements, afin de disposer de suffisamment de relevés par milieu. Il n’est plus possible dès lors de distinguer les habitats récemment remaniés de l’habitat non dégradé dans lequel ils se situaient, de sorte que les espèces annuelles vont donner l’impression de se trouver dans une large gamme d’habitats, et apparaître ainsi comme des généralistes. Cela illustre le problème posé dans le choix de l’habitat pour le calcul de la spécialisation des plantes avec le SSI.

Figure 25 : Représentation de la spécialisation, calculée avec le SSI ou Fridley, en fonction du statut des espèces. I = indigène; N = naturalisée. La différence observée n’est significative que dans le cas de l’indice de Fridley.

Lorsque l’on s’intéresse aux autres caractéristiques des espèces, on remarque un effet significatif du statut des espèces sur l’indice de Fridley. Les espèces naturalisées apparaissent en effet plus spécialistes que les autres. Ce résultat tranche avec une idée souvent admise, présentant les espèces naturalisées comme des espèces plutôt généralistes (McKinney & Lockwood, 1999). Il n’est toutefois pas si surprenant dans la mesure où les espèces naturalisées se trouvent souvent associées uniquement à des habitats perturbés (Maskell, Firbank, Thompson, Bullock, & Smart, 2006), ce qui fait d’elles des spécialistes. Notons que les espèces naturalisées ne ressortent pas lorsque l’on quantifie la spécialisation avec le SSI, ce qui peut sans doute s’expliquer par les mêmes raisons qu’évoquées précédemment pour les plantes annuelles, les milieux perturbés pouvant se trouver rattachés à des grandes catégories d’habitats très différents, les plantes y vivant paraîtront ainsi plus généralistes qu’elles ne le sont.

Figure 26 : Représentation de la spécialisation, calculée avec le SSI ou Fridley, en fonction du mode de dispersion des graines. ABIO = abiotique ; BIO = biotique.

Partie IV : Occupation humaine et homogénéisation biotique

99 Les deux indices donnent toutefois des résultats similaires sur d’autres traits. C’est le cas de la dispersion des espèces (Figure 26); les espèces à dispersion biotique apparaissent plus spécialistes que les espèces utilisant des facteurs abiotiques. Ce résultat, liant spécialisation et mode de dispersion chez les plantes, à déjà été trouvé dans la littérature (Wiegmann & Waller, 2006). Il semble logique, dans la mesure où la dispersion abiotique (c’est-à-dire le vent) autorise des transports à longue distance permettant aux plantes de se disperser dans des milieux différents et de côtoyer plus d’espèces.

Figure 27 : Représentation de la spécialisation, calculée avec le SSI ou Fridley, en fonction des exigences en humidité. Les chiffres en abscisse indiquent respectivement des exigences xérophiles, mésophiles, mésohygroclines, hygroclines, et hygrophiles.

D’autres traits apparaissent liés à la spécialisation, comme les exigences hydriques qui ressortent avec le SSI et avec Fridley (sous forme d’interaction avec le type biologique). La Figure 27 nous montre que cet effet est attribuable aux plantes hydrophytes, ce qui permet de comprendre pourquoi cet effet est fonction du type biologique avec l’indice de Fridley. Ce résultat était cependant inscrit dans la définition même du type biologique, car les plantes aquatiques caractérisent à elles seules un milieu (d’où les fortes valeurs de SSI) où elles coexistent. Enfin, on peut remarquer que la durée de floraison ressort comme un paramètre significatif avec le SSI, les plantes ayant une période de floraison restreinte apparaissant comme plus spécialistes.

Outre le fait que le SSI et Fridley sont corrélés, il est intéressant de noter que la meilleure relation obtenue a une forme curvilinéaire. Cela signifie que les espèces les plus généralistes avec le SSI ne sont pas forcément les plus généralistes avec Fridley. Pour mieux comprendre cette relation il est nécessaire d’étudier les liens entre le SSI et chacune des deux

composantes de Fridley. C’est ce qui est présenté sur la Figure 23 (partie de droite), et montre que l’on retrouve une relation curvilinéaire, entre le SSI et gamma ou alpha. Ceci nous indique que (1) les espèces les plus généralistes avec le SSI, ne se trouvent pas dans les communautés les plus riches mais plutôt dans des communautés ayant un niveau de richesse intermédiaire, et que (2) ces mêmes espèces généralistes ne sont pas celles côtoyant le plus d’espèces. Reste alors à expliquer pourquoi les espèces les plus généralistes avec le SSI ne sont pas celles côtoyant le plus d’espèces, c’est-à-dire celles considérées comme les plus généralistes avec Fridley. Une hypothèse pour expliquer cela réside dans le fait que les assemblages d’espèces ne sont pas constitués indépendamment de la spécialisation des espèces.

C’est ce qui a été montré sur les oiseaux par Julliard et al. (2006), qui a étudié la structuration des assemblages d’oiseaux communs, et trouvé que ces derniers sont structurées en fonction de la spécialisation des espèces (sensu SSI). Il apparaît ainsi que les communautés d’oiseaux ont tendance à regrouper des espèces ayant des valeurs de SSI proches, de sorte qu’il existe des communautés plutôt spécialistes, généralistes ou intermédiaires. Dans ce cas de figure, on peut s’attendre à ce qu’un calcul de la spécialisation basé sur la co-occurrence entre espèces ait tendance à sous-estimer les degrés de spécialisation des espèces les plus généralistes (qui côtoient surtout d’autres espèces généralistes, sans nécessairement côtoyer plus d’espèces). Il a d’ailleurs été montré, en comparant les deux indices chez les oiseaux (Devictor, non publié) que les espèces les plus généralistes (sensu SSI) ne sont pas celles qui côtoient le plus d’espèces.

Nous n’avons pas encore eu l’occasion d’étudier comment se structuraient les assemblages de plantes communes, en terme de spécialisation, mais la forme de la relation entre Fridley et le SSI, donne à penser que l’on pourrait observer, pour les plantes, une structuration des communautés en fonction de la spécialisation, analogue à ce qui a été décrit chez les oiseaux. C’est une hypothèse que nous testerons prochainement.