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communautés de plantes communes à large échelle : occupation humaine et homogénéisation biotique

« Toute la flore — comme une qui va mourir en plein soleil implacable de midi — du bouton d’or aux plus extravagantes orchidées. Nul être humain, nul animal : le globe est couvert de fleurs — moi, rêveur solitaire au milieu.

Je fais un geste: tout s’assombrit ; le soleil se détache du ciel, dégringole et s’enfuit, étoile filante de moins en moins visible. Il stagne un jour lie-de-vin ; les fleurs se teignent de nuances sombrement violettes. — J’essaie de cueillir un bouquet : chaque corolle perd sa tige, se désagrège, tombe en fine poudre…

Je ferme les yeux : un jour verdâtre filtre ; les fleurs pâlissent, pâlissent ; les voici blanches, aux tons de cires, cadavéreuses. Des ailes sans corps s’ouvrent et se ferment — silencieusement…»

Adolphe Retté, Thulé des brumes, Le crépuscule des fleurs (1891)

Partie IV : Occupation humaine et homogénéisation biotique

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A. Effet des pressions humaines sur les communautés de

plantes communes: état des connaissances actuelles

1. Origine des données disponibles

Le plupart des études sur les plantes s’intéressent à des populations d’espèces ciblées (Lindborg, Cousins, & Eriksson, 2005; Rich & Sydes, 2000), ou à des habitats particuliers choisis pour leur valeur patrimoniale (Butaye, Adriaens, & Honnay, 2005; Krauss, Klein, Steffan-Dewenter, & Tscharntke, 2004). Dans le cadre de notre étude, nous nous intéresserons aux assemblages de plantes communes, tels que nous les avons évoqués au chapitre 1 : la notion de plantes communes est ici entendue dans le sens d’espèces assez abondantes pour que l’on puisse disposer de données sur les variations de leur fréquence à large échelle. Deux types d’approches peuvent être utilisés pour documenter les variations de fréquences de ces espèces :

(1) L’approche diachronique s’intéresse à l’évolution des communautés au cours du temps. Ce type d’approche implique de disposer de relevés floristiques effectués sur le même site à plusieurs années d’intervalle. Afin d’être à même de déceler si les changements observés s’opèrent à plus large échelle, et d’en inférer les causes, il est par ailleurs nécessaire de disposer de relevés sur un grand nombre de sites. De telles séries temporelles sont malheureusement rarement disponibles en écologie. Cette discipline est en effet relativement jeune, et les données standardisées sur la flore, collectées dans le cadre d’études écologiques ont rarement plus de 20 ans (en dehors des quelques exceptions décrites ci-dessous). Aujourd’hui encore, la plupart des études en écologie s’étalent sur des durées inférieures à la décennie (Magnuson, 1990). Hormis pour ces échelles de temps plutôt brèves, les études comparent des inventaires floristiques effectués à des intervalles de temps très longs, de l’ordre de plusieurs siècles/millénaires, grâce aux données palynologiques (Karlsson, Hornberg, Hannon, & Nordstrom, 2007; Naughton, Bourillet, Sanchez Goni, Turon, & Jouanneau, 2007). Entre ces extrêmes, les durées de l’ordre de quelques décennies ne sont que très rarement documentées, de sorte que la plupart des effets anthropiques sur la biodiversité depuis le siècle dernier ont rarement pu être suivis et quantifiés. Ainsi, de nombreux botanistes font mention de disparitions locales d’espèces depuis l’après-guerre, de sorte que cette période est souvent considérée comme une phase de bouleversements majeurs

pour la flore. Une étude de Preston au Royaume-Uni (Preston, 2003) montre pourtant qu’il existait dès le XIXième siècle des atlas mentionnant des changements dans la flore (Winch, 1831), parfois accompagnés de listes d’espèces éteintes dans l’aire considérée (Gibson, 1862). Ainsi, le manque de données fiables, et les jugements subjectifs des observateurs sur l’ampleur des changements, font qu’il est difficile de savoir si les transformations observées au cours de l’époque contemporaine sont réellement exceptionnelles, ou si les botanistes ont simplement une tendance naturelle à percevoir les changements de leur époque comme particulièrement marquants. Ceci a amené Magnuson (1990) à parler de « présent invisible » pour désigner le laps de temps nous séparant de la dernière révolution industrielle, au cours duquel un grand nombre de changements affectant la biodiversité se sont produits sans pouvoir être documentés de façon fiable (Magnuson, 1990).

(2) L’approche synchronique est communément utilisée pour pallier le manque de séries temporelles. Ce type d’approche postule que les patrons spatiaux observés à un instant donné peuvent permettre d’inférer les changements se déroulant au cours du temps (« space-for-time substitution » (Johnson & Miyanishi, 2008)), en positionnant par exemple, des relevés le long d’un gradient d’urbanisation (Schwartz, Thorne, & Viers, 2006; Kühn & Klotz, 2006) afin de comprendre quel pourrait être l’impact de l’urbanisation au cours du temps.

2. Les changements documentés

À l’heure actuelle, seules quelques études diachroniques ont pu quantifier précisément les changements s’étant opérés dans les communautés végétales au cours du siècle dernier, en comparant des données anciennes et actuelles. La plupart de ces études se sont appuyées sur des réseaux de placettes fixes en forêts tempérées, et montrent une baisse de la richesse spécifique locale. Des placettes d’observation dans la forêt de Bialowieza (Pologne) ont vu en 25 ans une perte de 45% d’espèces (Kwiatkowska, 1994), tandis que des enclos dans la réserve de Heart’s Content (Etats-Unis) ont subi des pertes moyennes de 70% en 60 ans (Rooney & Dress, 1997). De la même manière, des comparaisons effectuées à l’échelle du siècle sur l’île de Staten, et dans la réserve de Middlesex Fells (États-Unis) montrent, dans les deux cas, des pertes d’espèces natives de l’ordre de 40% (Drayton & Primack, 1996; Robinson, Yurlina, & Handel, 1994). Par ailleurs il semble que les changements observés se produisent différemment en fonction du type d’espèces considéré, ainsi Rooney et al. (2004) ont pu montrer une diminution globale de 18,5% des espèces natives dans les forêts du nord

Partie IV : Occupation humaine et homogénéisation biotique

79 du Wisconsin (Etats-Unis), alors que dans le même temps, les espèces naturalisées tendaient à augmenter. Ces réactions contrastées entre espèces soulignent que les changements de fréquence s’opérant au sein des communautés peuvent se produire dans plusieurs sens simultanément (Waller & Rooney, 2004). D’autres études, comparant les atlas de la flore vasculaire du Royaume-Uni dressés dans les années 1960 et 1990 (Preston et al., 2002b), ont permis de déceler des changements de fréquence variables selon le type d’espèces. Les espèces typiques de certains milieux ont vu leur fréquence diminuer au cours du dernier demi-siècle, en particulier les espèces des prairies calcaires, des landes, des zones humides et des milieux agricoles (Rich & Woodruff, 1996). D’une manière générale, ces changements traduisent un recul des espèces possédant certaines caractéristiques propres, telles qu’une tendance à l’oligotrophie, une petite taille (ces deux traits caractérisant souvent des plantes stress-tolérantes dans la classifications de Grime), ou encore une affinité nordique (Preston et al., 2002a). Dans le même temps, d’autres espèces ont pu voir leur fréquence augmenter, telles que les espèces naturalisées, d’affinité méditerranéenne, ou nitrophiles. Ce type de résultat a été retrouvé dans d’autres études similaires, se focalisant sur une échelle plus réduite (McCollin, Moore, & Sparks, 2000), ou sur d’autres zones géographiques (Van der Veken, Verheyen, & Hermy, 2004). Il apparaît donc qu’à une échelle locale la richesse observée ne diminue pas toujours malgré les extinctions d’espèces, car ces espèces « perdantes » peuvent être remplacées pas un cortège d’espèces « gagnantes » (Chocholou!ková & Pysek, 2003). Ce remplacement graduel d’espèces locales par quelques espèces gagnantes, peut conduire en revanche à une similarité accrue entre sites (diminution de la diversité !), et constitue l’une des facettes de l’homogénéisation biotique.

3. L’homogénéisation biotique

L’homogénéisation biotique est définie comme l’ensemble des processus par lesquels la similarité entre communautés augmente (McKinney & Lockwood, 1999; Olden et al., 2004). Cette définition peut recouvrir des processus d’homogénéisation génétique, taxonomique, ou fonctionnelle, selon qu’elle se traduit respectivement par une augmentation de la similarité (1) du pool génétique, (2) de l’identité taxonomique ou (3) du rôle fonctionnel des espèces entre communautés (Olden & Rooney, 2006). Dans la suite de ce document nous nous intéresserons aux processus d’homogénéisations taxonomique et fonctionnelle.