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Des méthodes ab initio ?

2.2 La corrélation électronique

2.2.6 Des méthodes ab initio ?

Les méthodes présentées ici, qu’elles soient basées sur la fonction d’onde ou sur la densité électronique, sont toutes dites ab initio. Toutefois, afin de se comparer au mieux avec l’expérience reine, ces méthodes ont souvent pris le parti de faire intervenir des paramètres en leur sein. Le but de cette partie est de mesurer l’impact d’une telle paramétrisation sur le calcul d’une grandeur récurrente dans le monde de la transition de spin, le gap adiabatique ∆Eadia qui représente la

différence d’énergie entre les fonds de puits des deux états de spin (cf. figure 2.9).

d

Fe-L

FIGURE 2.9 – Courbes potentielles pour un composé à transition de spin du fer(II). L’énergie E est représentée en fonction de la déformation Oh dF e−L.

Le travail de la DFT

Le calcul DFT s’est imposé dans le monde de la chimie quantique, le plus souvent sous sa forme hybride, en particulier par l’utilisation de la fonctionnelle B3LYP, qui compte 20% d’échange Hartree-Fock. C’est naturellement que les inspections sur les composés à transition de spin ont été pour la plupart conduites par cette approche avec des fortunes diverses. Au dé- but des années 2000, M. Reiher et al. réalisent une inspection détaillée sur des complexes de fer(II) soufrés et sur le prototype de la transition de spin [Fe(phen)2(NCS)2]. Ils montrent une

dépendance linéaire de ∆Eadia en fonction de la part d’échange Hartree-Fock (notée c3, cf. fi-

gure 2.10).42, 43 L’importance de la dépendance au pourcentage d’« échange vrai » (mesurée par

la pente) est frappante. Il apparaît alors que la part d’échange optimale à considérer n’est pas de 20% comme pour B3LYP, mais de 15%. C’est l’origine de la fonctionnelle B3LYP∗.

FIGURE2.10 – Dépendance de ∆Eadia vis-à-vis de la part c3 d’échange Hartree-Fock.43

CASPT2 et le traitement des couches ouvertes

Nous avons conduit, en 2009, une étude similaire à partir de calculs CASPT2.44Le paramètre

modulé ici n’est pas une part d’échange exact, mais la valeur d’un paramètre IPEA introduit dans la procédure CASPT2 en 2004.45

En effet, un problème est apparu très tôt dans la formulation initiale de CASPT2. Celui-ci se manifestait par une erreur systématique dans les énergies de dissociation (10−25 kJ.mol−1) ainsi

qu’une surestimation de l’énergie de corrélation des états à couches ouvertes. Cette erreur peut s’expliquer en considérant l’élément diagonal de la matrice de Fock généralisée Fpp. En effet,

dans le cas d’une orbitale p inactive, Fppcorrespond à −IPp(potentiel de ionisation) et à −EAp

quelque part entre ces deux situations extrêmes et peut s’écrire Fpp = − 1 2  DppIPp+ (2 − Dpp) EAp  (2.66) avec Dppl’élément diagonal de la matrice densité à une particule. Cette formulation sous-estime

la correction de second-ordre de l’énergie des états dominés par des configurations couches fer- mées par rapport à ceux dominés par des configurations couches ouvertes. Ce comportement systématique provient de dénominateurs trop grands quand on considère une excitation depuis ou vers une orbitale partiellement occupée. Pour corriger cette erreur, une modification de ˆH0 a

été introduite par G. Ghigo et al. qui proposent d’ajouter une correction à l’équation 2.66.45Dans

le cas d’une excitation vers une orbitale active, cette correction vaut σp(EA) = 1 2Dpp  IPp− EAp  (2.67) et Fppdevient alors −EAp. Dans le cas d’une excitation depuis une orbitale active, cette correc-

tion prend la valeur

σ(IP )p = −1 2(2 − Dpp)  IPp− EAp  (2.68) et donc Fpp vaut −IPp. Toutefois, il est difficile d’estimer EAp et IPp pour chaque cas, c’est

pourquoi la différence est remplacée par une valeur nommée paramètre IPEA, notée ǫ, telle que σp(EA) = 1

2Dppǫ (2.69)

σp(IP ) = −1

2(2 − Dpp)ǫ (2.70)

Dépendance de CASPT2 vis-à-vis du paramètreǫ

Afin de mieux analyser la dépendance de la correction au second ordre de l’énergie, quelques approximations peuvent être faites. En premier lieu, supposons que les couplages entre orbitales inactives et actives, inactives et virtuelles et actives et virtuelles sont nuls : une simplification raisonnable puisque ces couplages devraient être faibles dans le cas d’un espace actif « bien

choisi ».46Cette première étape permet de considérer une matrice diagonale pour le perturbateur,

la pré-étape de diagonalisation étant ainsi court-circuitée. Deuxième approximation, nous allons considérer une expression de type Møller-Plesset pour la correction au second ordre de l’énergie, avec en lieu et place de l’énergie des orbitales l’élément diagonal de la matrice de Fock géné- ralisée F . Moyennant ces hypothèses, la contribution énergétique évaluée au second ordre des perturbations est donnée par :

E(2) =X p<q r<s |hpq||rsi|2 Fpp+ Fqq− Frr− Fss = 1 4 X pqrs |hpq||rsi|2 Fpp+ Fqq− Frr− Fss . (2.71)

Notons également, ∆IPEAle dénominateur en présence d’un IPEA. Il peut être exprimé en fonc- tion de sa valeur, ∆(0) = ∆(ǫ = 0).

∆IPEA = FppIPEA+ FqqIPEA− FrrIPEA− FssIPEA

= ∆(0)+ σp(IP )+ σq(IP )− σr(EA)− σs(EA) (2.72) Compte-tenu des expressions de σ(IP ) et σ(EA), la différence ∆IPEA − ∆(0) peut s’exprimer en

fonction de la classe d’excitation α concernée (α = 1h, 1p, 1h1p, 2h, 2p, 2h1p, 1h2p ou 2h2p) ∆IPEA− ∆(0) = −1

2ǫκα (2.73)

où καne dépend pas du paramètre ǫ, mais seulement de l’occupation des orbitales actives concer-

nées par l’excitation α (cf. table 2.1). Remarquons que, comme attendu, κ2h2pest nul et donc que

le déterminant ne dépend pas de ǫ pour la classe d’excitation 2h2p. Les contributions 2h2p sont insensibles au paramètre ǫ.

L’expression de la contribution de l’énergie au second ordre en perturbations s’exprime fina- lement comme E(2) =X 2h2p Epqrs+ X α6=2h2p |hpq||rsi|2 ∆(0) 1 2ǫκα (2.74) où Ers

pq, ∆(0), hpq||rsi et κα ne dépendent pas de ǫ. La dérivée de l’énergie par rapport à ǫ peut

donc être calculée selon ∂E(2) ∂ǫ = X α6=2h2p 1 2|hpq||rsi| 2κ α 1 ∆(0)1 2ǫκα 2 (2.75)

TABLE2.1 – Expression de καpour les différentes classes d’excitations α. α κα 1h 2 − Dqq+ Drr+ Dss 1p 4 − Dpp− Dqq+ Drr 1h1p 2 − Dqq+ Drr 2h Drr+ Dss 2p 4 − Dpp− Dqq 2h1p Drr 1h2p 2 − Dqq 2h2p 0

Comme pour toutes les contributions κα prend une valeur positive, il vient ∂E(2)/∂ǫ > 0. Un

comportement monotone croissant de l’énergie est donc attendu quelle que soit la classe d’exci- tation concernée.

Un système modèle

Nous avons étudié cette dépendance sur un complexe modèle [Fe(NCH)6]2+ pris dans une

géométrie octaédrique (cf. figure 2.11). Les atomes Fe, N, C et H sont décrits par des bases de type ANO-RCC47avec les contractions respectives [7s6p5d3f2g1h], [4s3p1d], [3s2p1d] et [1s].

L’espace actif choisi contient les 5 orbitales d du fer, un second jeu d’orbitales d comptant un nœud supplémentaire et 2 orbitales de type σ entre le fer et ses ligands. Au final, l’espace actif compte 10 électrons pour 12 orbitales (CAS[10,12]). Les choix des bases et de l’espace actif sont détaillés dans le chapitre suivant.

Deux géométries d’équilibres sont décrites pour [Fe(NCH)6]2+ : l’une correspond à un état

bas spin (BS) et des distances Fe–N de 1,90 Å, l’autre à un état haut spin (HS) pour des distances Fe–N de 2,15 Å. Les énergies des états BS et HS, chacun pris dans sa géométrie la plus favorable, ont été calculées au niveau CASPT2 pour différentes valeurs de ǫ. Comme attendu, l’état HS qui

présente un caractère couche ouverte plus important est bien plus sensible au paramètre IPEA que l’état BS (cf. figure 2.12).

FIGURE 2.11 –

[Fe(NCH)6]2+ en symé-

trie octaédrique.

FIGURE 2.12 – Calculs CASPT2 des états BS (bleu) et HS (rouge) de [Fe(NCH)6]2+ avec différentes valeurs du para-

mètre IPEA.

Dans un second temps, l’influence de la correction IPEA ǫ sur les différentes contributions de CASPT2 a été suivie en détail (cf. figure 2.13). La plus forte dépendance de l’état HS vis-à-vis de ǫ par rapport à l’état BS est également retrouvée ici. Ces courbes exhibent également une influence de moins en moins importante envers ǫ le long de la série 1h, 2h, 2h1p, une marque de la sollicitation moins importante des orbitales actives. Le même comportement est attendu pour le cheminement 1p, 2p, 1h2p. Néanmoins, les processus impliquant la création de particules sont moins affectées que ceux qui mettent en jeu la formation de trous. Les orbitales virtuelles sont, en moyenne, plus éloignées en énergie des orbitales actives que les orbitales inactives. Les différences d’énergies qui apparaissent dans les dénominateurs de E(2) sont donc plus grandes

dans ce cas et, par là, moins sensibles au paramètre ǫ. Régler l’IPEA

En plus de l’analyse des variations de l’énergie CASPT2, nous avons mené une étude sur des systèmes synthétiques afin de déterminer une valeur raisonnable de ǫ pour l’étude des systèmes

FIGURE 2.13 – Influence du paramètre IPEA ǫ sur les contributions à l’énergie CASPT2 des états BS (courbes bleues) et HS (courbes rouges) par rapport à leurs valeurs pour ǫ = 0 u. a., i.e. η = (∆Eα(ǫ) − ∆Eα(ǫ = 0))/∆Eα(ǫ = 0).44

à transition de spin. En effet, la valeur ǫ = 0, 25 u.a. a été initialement proposée par étalonnage sur la dissociation des composés diatomiques X2. Non seulement la structure chimique des com-

posés de fer(II) est plus complexe, mais la modulation du nombre de couches ouvertes est plus important.

Cette inspection a été conduite sur six complexes de fer(II). 2 = [Fe(py)4(NCS)2]48 et 3

= cis-[Fe(mMBPT)2(NCS)2]49 qui demeurent HS quelle que soit la température, 4 = trans-

[Fe(MBPT)2(NCS)2],49 5 = [Fe(Medpq)

2(py)2(NCS)2]50 et 6 = [Fe(phen)2(NCS)2]51 qui pré-

sentent une transition de spin avec la température, et enfin 7 = [Fe(bipy)2(NCS)2]52qui contient

un fer(II) BS.

figure 2.9) en fonction de ǫ (cf. figure 2.14). Pour un composé HS, on attend une valeur négative pour ∆Eadia. Au contraire, un composé BS doit présenter une valeur positive. Enfin, les compo-

sés à transition de spin doivent posséder un ∆Eadiapositif mais faible (de l’ordre de 1000 cm−1)

traduisant la quasi-dégénérescence des états BS et HS. D’après cette étude de cas, le compor- tement magnétique de chacun est correctement décrit pour 0, 55 < ǫ < 0, 65 (unité atomique) (zone gris sombre). En prenant en compte l’incertitude constatée sur le calcul de ∆Eadia par

les méthodes CASPT2,53, 54 il est raisonnable d’élargir cette zone à 0, 50 < ǫ < 0, 70 (unité

atomique) (zone gris clair). Signalons que ces valeurs sont nettement supérieures à la valeur communément choisie, et utilisée par défaut depuis la version 6.4 deMOLCAS, ǫ = 0, 25 u.a..

FIGURE 2.14 – Dépendance de ∆Eadia vis-à-vis du paramètre IPEA ǫ dans la méthode

CASPT2.44

Malheureusement, rien ne permet de penser que ce calibrage reste valable dans le cas d’autres complexes. En effet, nous nous sommes limités ici à l’étude de complexes de type Fe(II)N6. La

Ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain

Ces études DFT et CASPT2 ont un caractère décourageant quant à la fiabilité des calculs dans l’approche des propriétés de complexes de métaux de transition. Toutefois, il faut rappeler que le cas choisi ici représente l’un des pires scénario envisageables avec un changement de spin S = 0 → S = 2 associé à une modification de la géométrie. En particulier, l’influence de l’IPEA est probablement moins importante sur des phénomènes impliquant un changement plus doux du nombre de couches ouvertes. De plus, comme l’indique la figure 2.14 le comportement énergétique est reproductible d’un complexe à l’autre. Ainsi sans avoir la valeur exacte du gap adiabatique, les tendances peuvent tout de même être étudiées avec confiance.

Le message qui doit rester est une mise en garde contre l’utilisation « boîte noire » qui pourrait être faite des méthodes de chimie quantique dites ab initio qui ne le sont pas tout à fait.