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Une méthode fondée sur le droit comparé

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89 - Une méthode fondée sur le droit comparé. Le sujet de cette thèse invitait naturellement à faire du droit comparé209. Comme l’écrit M. Gilles Cuniberti, « comme son nom l’indique, le droit comparé a pour objet la comparaison des droits. Bien que les branches du droit interne d’un Etat donné puissent naturellement être comparées (par exemple, droit public et droit privé des contrats ou procédure civile et administrative), c’est à la comparaison des droits des différents Etats que le vocable renvoie traditionnellement »210. Convaincu que réfléchir

c’est en grande partie comparer, nous ne nous sommes toutefois pas privé, lorsque cela pouvait apporter à l’analyse, de faire du droit comparé « interne », au sein du droit financier lui-même (notamment avec l’information publique défectueuse délivrée sur le marché primaire dans le cadre du prospectus, ou, de manière plus anecdotique, avec celle délivrée par les prestataires financiers), ou avec d’autres branches du droit (droit de la concurrence211 ou

de la consommation, droit médical et droit pénal notamment). Mais c’est sur le droit comparé « externe » que cette thèse est fondée. Il nous faut toutefois indiquer que celui-ci ne s’est imposé que comme un moyen et non comme une fin (A), avant de préciser les systèmes juridiques étrangers étudiés (B).

209 V., ainsi, colloque Les autorités administratives et le règlement des litiges en matière bancaire et financière, dir. Th. Bonneau et H. Le Nabasque, RDBF, 2012, n° 4.

210 G. Cuniberti, Grands systèmes de droit contemporains, Introduction au droit comparé, LGDJ-Lextenso éd., 2015, 3e éd., n° 1.

211 L’étude de la réparation des « préjudices concurrentiels » fait désormais l’objet de très nombreuses études, mais comme on l’a vu, la question, d’ailleurs traitée aujourd’hui à l’échelle européenne, repose sur une philosophie faisant une large place à la fonction normative de la responsabilité civile, et donc assez différente de celle que nous avons adoptée. Il est vrai toutefois que la difficulté de réparation, et notamment d’évaluation, des préjudices concurrentiels est loin d’être sans rapport avec celle existant en matière financière, dans la mesure où elle confronte le juriste à l’appréhension du fait économique. S. Carval, La réparation du dommage

concurrentiel dans le droit français de la responsabilité : le point de vue d’un civiliste, Concurrences, 2014, n°

2, écrit ainsi à propos de cette difficulté : « le spécialiste de la responsabilité civile y est d’autant plus sensible

que c’est l’efficacité de sa discipline qui est remise en question, et donc son aptitude à relever les défis indemnitaires de l’époque contemporaine. Si elle ne parvient pas à réparer correctement les dommages concurrentiels, il y a peu de chances pour qu’elle se révèle plus performante en ce qui concerne, par exemple, les dommages financiers et boursiers ».

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Le droit comparé comme moyen A -

90 - Le droit comparé comme moyen. Comme l’écrivent MM. René David et Camille Jauffret- Spinosi, « le droit comparé est utile pour mieux connaître notre droit national et pour

l’améliorer »212. Pour ces auteurs, cette fonction est l’une trois fonctions principales du droit

comparé, en sus de celles qu’il joue dans la science du droit et dans l’organisation de la société internationale. Ils insistent particulièrement, à cet égard, sur le bénéfice de la méthode comparative : « pour que le droit comparé remplisse le rôle qui lui revient, il faut que les

juristes, ce qu’ils font semble-t-il de plus en plus, ne se concentrent pas seulement sur l’étude de leur droit national, mais qu’en toute occasion propice, ils fassent usage de la méthode comparative »213. C’est exactement sur cette idée de perfectionnement de notre droit interne à

l’aide de la comparaison avec les droits étrangers que repose notre travail. Le droit comparé, tout en revêtant une importance fondamentale, s’y inscrit donc plus comme un moyen que comme une fin en soi.

Pour nous, il s’agissait, plus précisément, de trouver des éléments de réponse à une question de politique juridique assez épineuse, dans la mesure où elle ne reçoit aucune réponse satisfaisante en France. En effet, s’agissant, d’une part, de la responsabilité civile en matière d’information publique défectueuse, la jurisprudence apparaît relativement fixée mais est loin d’être exempte de critiques et de faire consensus. S’agissant, d’autre part, de celle relative à la manipulation de cours et de l’opération d’initié, elle est quasiment inexistante, de sorte que la réflexion se nourrit essentiellement de quelques travaux doctrinaux épars. Dès lors, il était impératif d’aller voir sous d’autres cieux si l’on pouvait y trouver des sources d’inspiration. Deux idées ont plus particulièrement animé notre étude des droits étrangers. Premièrement, l’idée que, malgré la diversité des institutions et des notions propres à chaque système

212 R. David et C. Jauffret-Spinosi, Les grands systèmes de droit contemporains, Dalloz, coll. Précis Droit privé, 2002, 11e éd., n° 5. Il s’agit alors, selon la terminologie proposée par G. Cuniberti, op. cit., n° 1, du droit comparé « micro-juridique », c’est-à-dire consistant à « comparer des institutions particulières, ou des questions

particulières », par opposition au droit comparé « macro-juridique », consistant à comparer les systèmes

juridiques eux-mêmes. En vérité, la démarche est ancienne et s’est particulièrement développée à partir du 19e siècle, avec notamment la création en France en 1869 de la Société de législation comparée.

213 R. David et C. Jauffret-Spinosi, op. cit., n° 13. Adde R. Legeais, Grands systèmes de droit contemporains,

Approche comparative, Litec-LexisNexis, 2008, 2e éd., p. 446 et s., indiquant que l’une des fonctions du droit comparé est d’aider « les droits nationaux à se définir, à se transformer ». Adde J. Ghestin et G. Goubeaux,

Traité de droit civil, Introduction générale, avec la collaboration de M. Fabre-Magnan, LGDJ, 1994, 4e éd., n° 108, indiquant qu’« il est particulièrement instructif pour prendre la mesure d’une règle ou d’une institution, de

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juridique et qui ne saurait être négligée214, les mêmes problèmes de fond se posent. En clair,

dans tous les Etats où il existe un marché financier relativement développé, l’on est conduit à se demander, à un moment ou à un autre, comment réparer les préjudices qui peuvent y être causés compte tenu du fort particularisme du marché boursier. La tentative de résolution de ces problèmes par un système juridique ne peut donc laisser indifférents les autres systèmes juridiques. Deuxièmement, l’idée que cette étude devait être abordée avec une certaine humilité mais également sans crainte ou sentiment d’infériorité. S’il n’y a pas de raison de considérer que les autres systèmes juridiques pensent moins bien que le nôtre, ce qui justifie leur étude, il n’y a pas de raison non plus d’estimer qu’ils pensent mieux. Cette attitude d’ouverture décomplexée s’imposait notamment au regard de l’omniprésence du droit des Etats-Unis en la matière.

Des auteurs, ayant opté pour une approche comparée dans un autre domaine, ont ainsi pu expliquer ce choix de manière assez éclairante : « (…) par nécessité, ensuite, tant les contacts

entre les différents systèmes deviennent fréquents. Par commodité enfin, tant le détour par nos voisins est souvent le chemin le plus court pour aller de soi à soi. La comparaison des droits et des pratiques judiciaires s’offre comme le système d’évaluation de notre système le plus économique, et peut-être aussi le plus sûr ! Si l’on définit la mondialisation comme une mise en regard généralisée de chacun avec chacun, il faut relever le défi de cette comparaison permanente et générale. Il ne faut d’ailleurs pas craindre ce regard mais y voir au contraire une source de dynamisation de nos systèmes de justice. A condition de jouer cartes sur table, de compter nos petites cartes, mais aussi nos atouts et d’écarter tout joker »215.

214 V. G. Cuniberti, op. cit., n° 1, indiquant que si au niveau micro-juridique, « il est possible de comparer les

réponses apportées à des questions particulières par différents ordres juridiques », il faut prendre garde au fait

que « les institutions ou les concepts peuvent être définis et employés différemment dans les différents Etats

concernés, de sorte que la comparaison des seules institutions pourrait se révéler trompeuse ». Adde R. Legeais, op. cit., n° 413, insistant sur la nécessité de méthodes pour « comparer avec justesse », compte tenu du

« problème de la comparabilité des institutions ».

215 V. Incertitude et expertise, synthèse réalisée par A. Garapon, in Le traitement juridique et judiciaire de

l’incertitude, dir. M. Borgetto, A. Garapon, V. Heuzé, H. Muir-Watt et M. Pinault, Dalloz, coll. Thèmes &

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Le choix des systèmes juridiques B -

91 - Le choix des systèmes juridiques. Encore faut-il déterminer les systèmes juridiques devant faire l’objet de la comparaison. Compte tenu de son importance, l’étude du droit américain216 était indispensable (1). L’étude des droits anglais217 et allemand, ayant adopté des régimes

spéciaux de responsabilité civile en la matière au sein de l’Union européenne, était également bienvenue (2).

L’étude indispensable du droit américain 1 -

92 - L’étude indispensable du droit américain. Comme l’écrit M. Pierre-Henri Conac, « les

États-Unis constituent une terre favorable pour les investisseurs désireux d’engager la responsabilité civile des sociétés cotées pour manquement à leurs obligations d’information et des professionnels pour leur activité en matière de conseil boursier »218. Le droit américain

s’imposait, en effet, comme objet d’étude au regard du droit comparé, compte tenu de la place très importante qu’y occupe la responsabilité civile en matière boursière. D’une part, en droit positif, où des aménagements de la responsabilité civile ont été adoptés tant en matière d’information publique défectueuse et de manipulation de cours par la jurisprudence qu’en matière d’opération d’initié par le législateur, d’où un contentieux particulièrement fourni. D’autre part, en doctrine, où la question fait l’objet, depuis près d’un siècle, d’un très fort intérêt et donc d’une littérature abondante. Sous ces deux aspects, le contraste est ainsi saisissant avec la situation prévalant dans tous les autres Etats. Une étude relativement détaillée des Etats-Unis était donc indispensable, le but n’étant pas toutefois de décrire l’ensemble du système, ce qui aurait été à la fois impossible et inutile compte tenu de l’importance de la documentation déjà existante, mais d’insister plus précisément sur ce qui pouvait inspirer le droit français.

216 Nous entendons essentiellement par « droit américain » le droit fédéral des Etats-Unis.

217 On emploiera, par commodité, le terme de « droit anglais » pour viser le droit du Royaume-Uni.

218 P.-H. Conac, La responsabilité civile dans le cadre d’une action collective aux Etats-Unis au titre d’un

manquement à l’obligation d’information, Bull. Joly Bourse, mai-juin 2007, n° 3, p. 359, n° 1. Cet article

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L’étude bienvenue des droits anglais et allemand 2 -

93 - L’étude bienvenue des droits anglais et allemand. Au-delà des Etats-Unis, la question est aujourd’hui d’une forte actualité dans l’ensemble des Etats européens, et même dans quasiment tous les Etats où les marchés financiers sont développés. Il aurait été toutefois impossible de traiter de l’ensemble de ces systèmes juridiques, compte tenu de la dimension de cet ouvrage et de considérations pédagogiques. Il a été ainsi fait le choix de s’intéresser plus particulièrement aux droits anglais et allemand, dans la mesure où tous deux ont fait le choix, au cours des années 2000, d’instaurer un régime spécial de responsabilité civile sur le marché boursier à l’issue de réflexions assez approfondies. Même si ces régimes spéciaux ne concernent que l’information publique défectueuse et non les abus de marchés (manipulation de cours et opération d’initié), leur étude était ainsi particulièrement intéressante, et ce d’autant que ces Etats appartiennent tous deux à l’Union européenne et sont donc soumis pour l’essentiel à la même réglementation financière que le droit français, la matière ayant été très largement communautarisée. D’autres systèmes juridiques ont pu, toutefois, également être évoqués de manière ponctuelle.

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