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Texte intégral

(1)

école doctorale de droit privé

Thèse de doctorat en droit

soutenue le 31 mars 2016

La responsabilité civile sur les marchés financiers

Johan Prorok

DIRECTEUR DE RECHERCHE Monsieur Hervé SYNVET

Professeur à l’Université PANTHEON-ASSAS (PARIS II)

MEMBRES DU JURY

Monsieur Thierry BONNEAU

Professeur à l’Université PANTHEON-ASSAS (PARIS II) Monsieur Jean-Jacques DAIGRE

Professeur émérite de l’Université PANTHEON-SORBONNE (PARIS I) Madame Olympe DEXANT - DE BAILLIENCOURT

Professeur à l’Université de FRANCHE-COMTE Monsieur Hervé LE NABASQUE

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2

Avertissement

La Faculté n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans cette thèse ; ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur.

(3)

3

Principales abréviations

En langue française

Act. Actualité

Adde Ajouter

AEDBF Association européenne pour le droit bancaire et financier

Aff. Affaire

AJDA Actualité juridique de droit administratif

al. Alinéa

art. Article

Banque & Droit Revue Banque & Droit

Bull. civ. Bulletin des arrêts des chambres civiles de la Cour de cassation Bull. COB Bulletin mensuel de la Commission des opérations de bourse

Bull. crim. Bulletin des arrêts de la chambre criminelle de la Cour de

cassation

Bull. Joly Bourse Bulletin Joly Bourse et produits financiers Bull. Joly Sociétés Bulletin Joly Sociétés

C. civ. Code civil

C. consom. Code de la consommation

C. com. Code de commerce

C. mon. fin. Code monétaire et financier

C. pén. Code pénal

C. proc. pén. Code de procédure pénale

CA Cour d’appel

Cah. dr. entr. Juris-Classeur périodique – Cahiers de droit de l’entreprise Cass. ass. plén. Assemblée plénière de la Cour de cassation

Cass. civ. Chambre civile de la Cour de cassation

Cass. com. Chambre commerciale de la Cour de cassation

Cass. crim. Chambre criminelle de la Cour de cassation

Cass. req. Chambre des requêtes de la Cour de cassation

CE Communautés Européennes

CEDH Cour européenne des droits de l'homme

Cf. Confer

Ch. Chambre

Chap. Chapitre

Chron. Chronique

CJCE Cour de justice des Communautés européennes

CJUE Cour de justice de l'Union européenne

CMF Conseil des marchés financiers

Coll. Collection

Comm. Commentaire

Comp. Comparer

Concl. Conclusion(s)

Cons. const. Conseil constitutionnel

Contra En sens contraire

D. Recueil Dalloz

(4)

4

DC Décision du Conseil constitutionnel

Defrénois Répertoire du notariat Defrénois

DH Recueil hebdomadaire de jurisprudence Dalloz

Dir. Direction

Doctr. Doctrine

DP Recueil périodique et critique mensuel Dalloz

Dr. et patr. Droit et patrimoine

Dr. pén. Droit pénal

Dr. sociétés Droit des sociétés

Ed. Edition, éditions

Et al. Et alii (et autres)

Fasc. Fascicule

Gaz. Pal. Gazette du Palais

Gr. ch. Grande chambre

Ibid. Ibidem (au même endroit)

In Dans

In fine A la fin

Infra Ci-dessous

Inter alia Entre autres

IOSCO-OICV International Organization of Securities Commissions -

Organisation Internationale des Commissions de Valeurs JCP E Juris-Classeur périodique, édition entreprise et affaires

JCP G Juris-Classeur périodique, édition générale

JO Journal officiel

Journ. sociétés Journal des sociétés

Jurispr. Jurisprudence

L. Loi

LPA Les Petites Affiches

Obs. Observation

Op. cit. Ouvrage précité

P. Page

Préc. Précité

Préf. Préface

Rapp. Rapport

Rappr. Rapprocher

RCA Revue Responsabilité civile et assurances

RDC Revue des contrats

Rev. crit. DIP Revue critique de droit international privé Rev. dr. bancaire et

bourse Revue de droit bancaire et de la bourse

RDBF Revue de droit bancaire et financier

Rev. sociétés Revue des sociétés

RG AMF Règlement général de l'AMF

RID comp., RIDC Revue internationale de droit comparé

RJ com. Revue de jurisprudence commerciale

RJDA Revue de jurisprudence de droit des affaires

Rev. Lamy dr. aff.,

RLDA Revue Lamy droit des affaires

(5)

5 RLDC

Rev. Lamy Droit de la

concurrence Revue Lamy droit de la concurrence

RRJ Revue de la recherche juridique - Droit prospectif

RSC Revue de science criminelle et de pénal comparé

RTD civ. Revue trimestrielle de droit civil

RTD com.

RTD eur. Revue trimestrielle de droit commercial Revue trimestrielle de droit européen

RTDF Revue trimestrielle de droit financier

s. suivant(e)s S. Sirey Sect. Section Somm. Sommaire Spéc. Spécialement Supra Ci-dessus T. Tome

T. com. Tribunal de commerce

T. corr. Tribunal correctionnel

TGI Tribunal de grande instance

UE Union européenne

V. Voir

Vol. Volume

En langue anglaise

Am. J. Comp. L. American Journal of Comparative Law

Ariz. L. Rev. Arizona Law Review

Berkeley Bus. L.J. Berkeley Business Law Journal

Brook. L. Rev. Brooklyn Law Review

B.U. L. Rev. Boston University Law Review

Bus. Law. Business Lawyer

Cal. L. Rev., California L.

Rev. California Law Review

Cath. U. L. Rev. Catholic University Law Review

Case W. Res. L. Rev. Case Western Reserve Law Review

Colum. L. Rev. Columbia Law Review

Colum. Bus. L. Rev. Columbia Business Law Review

Cornell L. Rev. Cornell Law Review

Del. J. Corp. L. Delaware Journal of Corporate Law

Duke L. J. Duke Law Journal

ECFR European Company and Financial Law Review

Emory L. J. Emory Law Journal

Entrepreneurial Bus. L.J. Entrepreneurial Business Law Journal

Fin. Analysts J. Financial Analysts Journal

Fin. Mgmt Financial Management

Fla. L. Rev. Florida Law Review

Fla. St. U. L. Rev. Florida State University Law Review

Fordham L. Rev. Fordham Law Review

(6)

6

Geo. Was. L. Rev. George Washington Law Review

Harv. Bus. L. Rev. Harvard Business Law Review

Harv. L. Rev. Harvard Law Review

Hastings Bus. L.J. Hastings Business Law Journal

Ind. L. Rev. Indiana Law Review

Iowa L. Rev. Iowa Law Review

J. Bus. & Tech. L. Journal of Business & Technology Law

J. Corp. L. Journal of Corporation Law

J. Econ. Persp. Journal of Economic Perspectives

J. Empirical Legal Stud. Journal of Empirical Legal Studies

JETL Journal of European Tort Law

J. Fin. Journal of Finance

J. Fin. & Quantitative

Analysis Journal of Financial and Quantitative Analysis J. L. Econ. & Org. Journal of Law, Economics and Organization

Law & Contemp. Probs. Law and Contemporary Problems

Lewis & Clark L. Rev. Lewis & Clark Law Review

McGill L.J. McGill Law Journal

Md. L. Rev. Maryland Law Review

Mich. L. Rev. Michigan Law Review

Minn. L. Rev. Minnesota Law Review

Nat’l L.J. National Law Journal

N.C.J. Int’lL. & Com.

Reg. North Carolina Journal of International Law and Commercial Regulation

N.C. L. Rev. North Carolina Law Review

Nw. U. L. Rev. Northwestern University Law Review

N.Y. L. J. New York Law Journal

N.Y.L. Sch. L. Rev. New York Law School Law Review

NYU JL & Liberty New York University Journal of Law & Liberty

N.Y.U. L. Rev. New York University Law Review

N.Y.U.J. L & Bus. New York University Journal of Law & Business

SSRN Social Science Research Network

St. John’s L. Rev. St. John's Law Review

Stan. J.L. Bus. & Fin. Stanford Journal of Law, Business & Finance

Stan. L. Rev. Stanford Law Review

Suffolk J. Trial & App.

Adv. Suffolk Journal of Trial & Appellate Advocacy Temp. Int’l & Comp. L.J. Temple International and Comparative Law Journal

Tex. L. Rev., Texas L.

Rev. Texas Law Review

Tul. L. Rev. Tulane Law Review

U. Chi. L. Rev. University of Chicago Law Review

U. Ill. L. Rev University of Illinois Law Review

U. Miami L. Rev. University of Miami Law Review

U. Pa. L. Rev. University of Pennsylvania Law Review

UCLA L. Rev. UCLA Law Review

Utah L. Rev. Utah Law Review

Va. J. Int’L L. Virginia Journal of International Law

(7)

7

Vand. L. Rev., Vanderbilt

L. Rev. Vanderbilt Law Review

Vill. L. Rev. Villanova Law Review

Wake Forest L. Rev. Wake Forest Law Review

Wash. & Lee L. Rev. Washington and Lee Law Review

Wash. U. L. Q. Washington University Law Quarterly

Wash. U. L. Rev. Washington University Law Review

Wisconsin L. Rev. Wisconsin Law Review

Wm & Mary Bus. L.

Review William & Mary Business Law Review Wm. & Mary L. Rev. William & Mary Law Review

Yale J. on Reg. Yale Journal on Regulation

Yale L.J. Yale Law Journal

En langue allemande

AG Die Aktiengesellschaft

BAFIN Bundesanstalt für Finanzdienstleistungaufsicht

BB Betriebs-Berater

BGB Bürgerliches Gesetzbuch

BGH Bundesgerichtshof

BKR Zeitschrift für Bank- und Kapitalmarktrecht

BörsG Börsengesetz

DB Der Betrieb

KapMuG Kapitalmarkt- Musterverfahrensgesetz

NJW Neue Juristische Wochenschrift

WM Wertpapier-Mitteilungen

WpHG Wertpapierhandelsgesetz

ZBB Zeitschrift Bankrecht und Bankwirtschaft

ZHR Zeitschrift für das gesamte Handelsrecht

ZIP Zeitschrift für Wirtschaftsrecht

(8)

8

SOMMAIRE

PREMIERE PARTIE :

DE LEGE LATA, L’AMENAGEMENT DE LA

RESPONSABILITE CIVILE TITRE I : L’AMENAGEMENT PAR LE JUGE

CHAPITRE I : LA REPARATION D’UNE ALTERATION DU COURS PAR L’INFORMATION EN DROIT AMERICAIN

CHAPITRE II : LA REPARATION D’UNE ALTERATION DE LA DECISION PAR L’INFORMATION EN DROIT FRANCAIS

TITRE II : L’AMENAGEMENT PAR LE LEGISLATEUR

CHAPITRE I : LES REGIMES SPECIAUX « ALIBIS » EN CAS D’INFORMATION DEFECTUEUSE EN DROITS ALLEMAND ET ANGLAIS CHAPITRE II : LE REGIME SPECIAL A FINALITE DISSUASIVE EN CAS D’OPERATION D’INITIE EN DROIT AMERICAIN

DEUXIEME PARTIE :

DE LEGE FERENDA, L’APPLICATION DU DROIT COMMUN

TITRE I : LE CHOIX DE POLITIQUE JURIDIQUE

CHAPITRE I : L’INFORMATION PUBLIQUE DEFECTUEUSE

CHAPITRE II : L’INTERVENTION FRAUDULEUSE SUR LE MARCHE TITRE II : LA MISE EN ŒUVRE DU CHOIX DE POLITIQUE JURIDIQUE

CHAPITRE I : LES ASPECTS SUBSTANTIELS CHAPITRE II : LES ASPECTS PROCESSUELS

(9)

9

INTRODUCTION

1 - La responsabilité civile sur les marchés financiers. Intérêt du sujet. L’objectif de notre thèse est d’étudier comment le particularisme des marchés financiers rejaillit sur la mise en œuvre de la responsabilité civile. Il s’agit, plus précisément, de confronter un domaine spécifique, les marchés financiers, à notre droit commun de la responsabilité civile, dont ces derniers relèvent, dans le but de déterminer s’il convient d’adapter le droit commun en la matière et, dans l’affirmative, dans quelle mesure. La question suscite d’autant plus d’intérêt que son étude en droit français est assez récente, et qu’elle est loin d’être résolue.

Le sujet est pour l’essentiel délaissé par la doctrine civiliste, qui ignore largement la réparation des préjudices causés sur les marchés financiers. Cela est d’autant plus surprenant qu’un certain nombre de domaines retiennent, au contraire, particulièrement l’attention (le droit médical ou celui de l’environnement notamment), ou commencent au moins à être étudiés (le droit de la concurrence par exemple), enrichissant ainsi la réflexion civiliste. Les marchés financiers ne sont, pour leur part, que rarement évoqués1, et ce alors même que la jurisprudence se développe en la matière. Sans doute la technicité de la matière et le particularisme des marchés financiers ont-ils eu, pour l’instant, raison de l’intérêt des auteurs. La situation est plus complexe au sein de la doctrine issue du droit des affaires. Deux champs sont alors à distinguer. D’un côté, la responsabilité civile des prestataires financiers est assez largement étudiée, ne serait-ce que parce qu’elle donne lieu à une jurisprudence abondante et largement commentée. De l’autre, la responsabilité civile résultant des manquements commis dans l’information du public et des abus de marché a longtemps été totalement délaissée, sans doute parce qu’elle ne suscitait quasiment aucune jurisprudence ; le contraste était alors saisissant avec le droit américain, caractérisé par une jurisprudence pléthorique et une doctrine y consacrant des développements très substantiels2. Le vent est toutefois en train de

1 Les entrées « marché », « finance », « financier » ou « bourse » ne figurent ainsi pas dans les tables des matières des principaux manuels de droit de la responsabilité civile.

2 V., par exemple, le manuel de T.L. Hazen, The Law of Securities Regulation, Hornbook Series, West, 2009, 6e éd., qui consacre environ 150 pages à la réparation des préjudices subis sur les marchés financiers sur un total

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10

tourner. Des régimes spéciaux ont été adoptés dans d’autres systèmes juridiques européens et, si tel n’est pas encore le cas en France, la jurisprudence commence à s’y développer sous la pression d’investisseurs voulant obtenir réparation. La question est désormais, en tout cas, d’une grande actualité, suscitant un engouement croissant de la part de la doctrine3 - dont plusieurs thèses de doctorat récentes4 -, des professionnels5 et des autorités6. Elle reste toutefois fort débattue, chacun avançant des arguments et des propositions fort éloignés, et ne semble avoir trouvé à ce jour aucune réponse satisfaisante.

Notre recherche a un cadre, la rencontre entre la responsabilité civile et un domaine particulier, les marchés financiers, bien différent de ses champs habituels (Chapitre I). Elle a un objet, la question de politique juridique relative à un aménagement de la responsabilité civile sur les marchés financiers (Chapitre II).

d’environ 750 pages (soit un cinquième de son contenu). Il en est de même des autres manuels et des traités. Les articles sont par ailleurs extrêmement nombreux. Enfin, les manuels généraux de responsabilité civile abordent, quoique brièvement, le domaine des marchés financiers à travers la théorie de la fraude sur le marché (v., par exemple, D.B. Dobbs, The Law of Torts, Hornbook Series, West, 2000, p. 1358 et s.).

3 Un certain nombre d’articles a été publié depuis une vingtaine d’années sur le sujet. Les développements y relatifs dans les manuels de droit financier sont également devenus plus substantiels dans les dernières éditions. V., notamment, Th. Bonneau et F. Drummond, Droit des marchés financiers, Economica, coll. Corpus Droit privé, 2010, 3e éd., spéc. n° 528 et s. ; A. Couret, H. Le Nabasque, M.-L. Coquelet, Th. Granier, D. Poracchia, A. Raynouard, A. Reygrobellet et D. Robine, Droit financier, Dalloz, coll. Précis Droit privé, 2012, 2e éd. (désormais cité A. Couret, H. Le Nabasque et al., Droit financier, Dalloz, coll. Précis Droit privé, 2012, 2e éd.), spéc. n° 1469 et s.

4 Plusieurs thèses de doctorat récentes traitent ou abordent le problème de la réparation des préjudices subis sur les marchés financiers : K. Deckert, La sollicitation publique des investisseurs en droits communautaire,

français et allemand, th. Paris I et Université de Hambourg, dir. D. Carreau et K.J. Hopt, 2009 ; N. Spitz, La réparation des préjudices boursiers, préf. A. Pietrancosta, RB éd., coll. Droit fiscalité, 2010 ; A. Sotiropoulou, Les obligations d’information des sociétés cotées en droit de l’Union européenne, préf. A. Couret et A. Prüm,

Larcier, coll. de la Faculté de droit, d’économie et de finance de l’Université du Luxembourg, 2012 ; K. Sergakis, La transparence des sociétés cotées en droit européen, préf. J.-J. Daigre, IRJS éd., coll. Bibliothèque de l'Institut de recherche juridique de la Sorbonne - André Tunc, t. 41, 2013 ; J. Chacornac, Essai sur les

fonctions de l’information en droit des instruments financiers, préf. F. Drummond, Dalloz, 2014.

5 Des ouvrages spéciaux, publiés par des professionnels, y consacrent également un certain nombre de développements. V., ainsi, D. Martin, E. Dezeuze et F. Bouaziz (en collaboration avec M. Françon), Les abus de

marché : manquements administratifs et infractions pénales, LexisNexis, coll. Droit & Professionnels, 2013 ; P.

Clermontel, Le droit de la communication financière, préf. N. Molfessis, Joly-Lextenso éd., coll. Pratique des affaires, 2009. Des groupes de travail enfin se sont constitués sur le sujet (v. rapport du Club des juristes,

L’évaluation du préjudice financier de l’investisseur dans les sociétés cotées, nov. 2014, présidé par A.

Lévy-Lang et D. Tricot).

6 Rapport de l’AMF relatif à l’indemnisation des préjudices subis par les épargnants et les investisseurs émis par le groupe de travail présidé par Jacques Delmas-Marsalet et Martine Ract-Madoux le 25 janvier 2011 dans la ligne du plan stratégique de l’AMF du 29 juin 2009 (dit « rapport Delmas-Marsalet et Ract-Madoux »).

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LE CADRE DE LA RECHERCHE : LA RENCONTRE ENTRE CHAPITRE I

-RESPONSABILITE CIVILE ET MARCHES FINANCIERS

2 - Le cadre de la recherche : la rencontre entre la responsabilité civile et les marchés financiers. Notre recherche amène à une rencontre originale, celle de deux acteurs a priori fort éloignés. D’un côté, la théorie de la responsabilité civile conçue par les rédacteurs du Code civil de 1804, à l’aune des rapports essentiellement bilatéraux qui dominaient au début du 19e siècle. L’institution, si elle a connu depuis une évolution profonde et fait encore l’objet

d’importantes lignes de fracture, reste cependant bien établie sur ses bases depuis, maintenant, plus de deux siècles. D’un autre côté, les marchés financiers, qui se sont développés bien plus tard, dans la seconde moitié du 20e siècle en France et surtout à partir des années 1980, mais

se sont aujourd’hui imposés au sein d’une économie capitaliste vibrant au rythme de leurs succès et de leurs crises7, et de leur mutation constante. De nature profondément collective, ils

s’inscrivent mal dans la logique essentiellement individuelle de la responsabilité civile.

Après avoir présenté les deux acteurs de la rencontre (Section I), nous en décrirons les modalités, ce qui nous permettra de délimiter le champ d’application de la thèse (Section II).

Les acteurs de la rencontre Section I

-3 - Les acteurs de la rencontre : la responsabilité civile et les marchés financiers. Dans cette rencontre entre responsabilité civile et marchés financiers, c’est, plus précisément, la philosophie de l’une (Paragraphe 1) et le particularisme des autres8 (Paragraphe 2) qui

s’opposent.

7 Sans remonter encore plus avant, l’on assite depuis une vingtaine d’années à une succession ininterrompue de crises financières, entraînant à chaque fois un renforcement significatif de l’appareil normatif : les scandales comptables majeurs touchant les sociétés cotées aux Etats-Unis et en Europe à la fin des années 1990 et au début des années 2000 ; l’éclatement de la bulle « Internet » en 2003 ; la crise dite des « subprimes » et la faillite de Lehmann Brothers en 2007 et 2008 ; et enfin la crise des dettes souveraines au cours des années 2010.

8 Précisons que c’est le particularisme des marchés financiers eux-mêmes qui constitue notre propos, plus que celui du droit des marchés financiers (ou droit financier), que la doctrine a d’ailleurs parfaitement montré. V. notamment, sur le particularisme du droit financier, A. Couret, H. Le Nabasque et al., op. cit., n° 8.

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12

Paragraphe 1 - La philosophie de la responsabilité civile

4 - La philosophie de la responsabilité civile. Une logique individuelle. Comme l’explique fort bien Mme Geneviève Viney, la philosophie du Code civil en matière de responsabilité civile se traduit par trois caractéristiques essentielles : l’universalisme (à travers l’instauration d’un principe général de responsabilité, et non un droit des délits spéciaux), le moralisme (à travers la prééminence de la faute) et l’individualisme9. En vérité, c’est essentiellement cette dernière

caractéristique qui pose problème au regard des marchés financiers, de sorte qu’elle seule retiendra notre attention ici. Toutefois, avant de pouvoir mettre en évidence sa logique individuelle (B), il nous faut d’abord rappeler les fondements de la responsabilité civile (A).

Les fondements de la responsabilité civile A

-5 - Les fondements de la responsabilité civile : la faute et le risque. Commencer par exposer les fondements de la responsabilité civile nous permet en effet d’introduire la définition et le cadre de celle-ci. Ces fondements sont connus : il s’est agi d’abord de la faute (1), puis du risque (2).

Le fondement de la faute 1

-6 - La théorie générale de la responsabilité civile. Le triomphe de la faute. La responsabilité civile peut être définie, en première approche, comme l’obligation qui pèse sur la personne à l’origine d’un dommage10 causé à autrui de le réparer « en offrant à la victime une

9 G. Viney, Traité de droit civil, Introduction à la responsabilité, dir. J. Ghestin, LGDJ, 2008, 3e éd., n° 13 et s.

Adde Ph. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, LexisNexis, coll. Manuel, 2014, 3e éd., n° 9.

10 La doctrine est divisée sur le point de savoir s’il faut distinguer les notions de dommage et de préjudice – le dommage serait l’atteinte, la lésion elle-même, tandis que le préjudice serait la conséquence, la suite négative de cette atteinte ou lésion – ou bien les tenir pour synonymes. Traditionnellement la doctrine opte pour la seconde option, estimant que la distinction n’offre que peu d’intérêt. Un certain nombre d’auteurs appellent toutefois à sa restauration en vue d’une clarification. D’ailleurs, le projet Catala (cf. infra) a repris cette distinction en manifestant sa volonté de « donner des sens distincts aux termes “dommage” et “préjudice”, le dommage

désignant l’atteinte à la personne ou aux biens de la victime et le préjudice, la lésion des intérêts patrimoniaux ou extra-patrimoniaux qui en résulte » (note subpaginale sous l’article 1343). Il est vrai que cette distinction a le

mérite d’une plus grande clarté conceptuelle. Toutefois, nous ne la retiendrons pas dans la mesure où, restant controversée en doctrine et ne correspondant pas à l’état du droit positif, elle compliquerait inutilement l’analyse. V., en ce sens, B. Fages, Droit des obligations, LGDJ-Lextenso éd., 2015, 5e éd., n° 367.

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13

compensation »11. Elle englobe tant la responsabilité contractuelle que la responsabilité

délictuelle ou extracontractuelle, la première découlant de l’inexécution d’un acte juridique, le contrat, tandis que la seconde résulte d’un fait juridique, c’est-à-dire d’un fait auquel la loi attache un effet créateur d’obligation indépendamment de la volonté des parties. En effet, comme le soutient la doctrine majoritaire, seule une différence de régime, tenant à la source spécifique de la responsabilité contractuelle12, et non de nature distingue ces deux ordres de responsabilité civile13. C’est toutefois la responsabilité délictuelle qui nous intéressera plus particulièrement au titre de cette thèse.

Inscrite par les rédacteurs du Code civil de 1804 aux articles 1382 et suivants, elle consacre, de la manière la plus solennelle, la faute comme fondement exclusif de la responsabilité civile. L’article 1382 du Code civil érige ainsi un principe général de responsabilité pour faute pour les fautes intentionnelles (délits civils), en vertu duquel « tout fait quelconque de

l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer », tandis que l’article 1383 reprend le même principe pour les fautes non

intentionnelles d’imprudence et de négligence (quasi-délits) en prévoyant que « chacun est

responsable du dommage qu’il cause non seulement par son fait mais encore par sa négligence ou par son imprudence »14. L’avènement du Code civil marque donc le triomphe

de la responsabilité dite « subjective ».

11 V. G. Viney, Introduction à la responsabilité, op. cit., n° 1. Adde M. Bacache-Gibeili, Traité de droit civil, t. 5, Les obligations, La responsabilité civile extracontractuelle, Economica, coll. Corpus Droit privé, 2016, 3e éd., n° 1.

12 La responsabilité civile contractuelle, prévue aux articles 1146 à 1155 du Code civil dans une section intitulée « des dommages et intérêts résultant de l'inexécution de l'obligation », se signale notamment par la possibilité d’un aménagement conventionnel de la responsabilité par les parties, interdit en matière délictuelle, et la limitation de la réparation au dommage prévisible, contraire au principe de réparation intégrale gouvernant la responsabilité délictuelle.

13 Une doctrine minoritaire conteste l’existence de la responsabilité contractuelle au prétexte que les dommages-intérêts en cas de manquement au contrat ne sont qu’une forme d’exécution par équivalent et n’ont donc qu’une fonction satisfactoire et non compensatoire (v., notamment, Ph. Rémy, La responsabilité contractuelle : histoire

d’un faux concept, RTD civ., 1997, p. 323 ; Ph. Le Tourneau, Droit de la responsabilité et des contrats, régimes d’indemnisation, Dalloz, coll. Dalloz action, 2014, 10e éd., n° 802 et s.). Mais la doctrine majoritaire n’a, à juste titre, pas retenu cette conception restrictive. D’une part, l’allocation de dommages-intérêts n’équivaut pas à l’exécution de l’obligation (sauf s’il s’agit d’une obligation de somme d’argent). D’autre part, les dommages-intérêts contractuels sont susceptibles de réparer l’inexécution proprement dite mais aussi les préjudices résultant de ladite inexécution. On relèvera en outre que les régimes spéciaux ont tendance à ne plus distinguer entre ces deux formes de responsabilité civile.

14 La consécration de la faute comme fondement exclusif de la responsabilité civile par les rédacteurs du Code civil ne les a pas empêchés de reconnaître, à côté du fait personnel, deux autres faits générateurs de responsabilité que sont le fait d’autrui et le fait des choses. L’article 1384 alinéa 1er du Code civil prévoit notamment qu’« on est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait mais encore

de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre ou des choses que l’on a sous sa garde ».

(14)

14

Le fondement du risque 2

-7 - L’évolution de la responsabilité civile délictuelle. Le déclin de la faute. Le triomphe n’a été que de courte durée. S’il est, en effet, un domaine du droit qui a été marqué par une évolution profonde et continue, en dépit de la constance des cinq articles fondateurs du Code civil, c’est bien le droit de la responsabilité civile. La démonstration en a été largement faite et depuis longtemps, si bien qu’on n’en rappellera qu’à grands traits les principaux aspects15. Le

mouvement se caractérise essentiellement, d’une part, par une objectivation et un déclin de la responsabilité civile et d’autre part, par une socialisation des risques16.

La responsabilité civile a, en premier lieu, fait l’objet d’une profonde mutation, tant dans ses fondements que dans son unité. Le fondement originel de la faute, adapté aux rapports sociaux prévalant au temps des rédacteurs du Code civil 1804, est apparu assez vite insuffisant à protéger les victimes des nouveaux risques apparus avec l’industrialisation de la fin du 19e siècle. La doctrine a alors milité pour la prise en compte d’un nouveau fondement de la responsabilité civile à travers la théorie du risque, selon laquelle c’est à la personne à l’origine d’une activité et qui en tire les fruits d’en supporter aussi les risques. Cela s’est traduit par un fort mouvement d’objectivation de la responsabilité civile, rendu possible par le développement de l’assurance, qui s’est manifesté tant par l’intervention de la jurisprudence dans le cadre du droit commun de la responsabilité du fait des choses et du fait d’autrui, que par celle du législateur à travers la multiplication de régimes spéciaux sans faute (dits « objectifs »), voire sans exigence de causalité.

surveillance) et n’étaient en vérité que des déclinaisons du principe de responsabilité pour faute, de sorte que celle-ci demeurait l’élément fédérateur de la responsabilité civile. V. M. Bacache-Gibeili, op. cit., n° 8.

15 De nombreux ouvrages et articles ont été consacrés à l’évolution moderne de la responsabilité civile. V., notamment, G. Viney, Le déclin de la responsabilité individuelle, préf. A. Tunc, LGDJ, coll. Bibl. dr. pr., t. 53, 1965. Adde G. Viney, Les grandes orientations du droit de la responsabilité civile, Cah. dr. entr., Entretiens de Nanterre, 1992, 29 ; F. Chabas, Cent ans de responsabilité civile, Gaz. Pal. 23-24 août 2000, 2 ; Ch. Radé,

Réflexions sur les fondements de la responsabilité, D., 1999, chron., 313 et 323. V., également, les colloques

suivants : Quel avenir pour la responsabilité civile ?, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, 2015 ; Journée

Henri, Léon et Jean Mazeaud : La responsabilité civile, dir. M. Grimaldi, Association Henri Capitant, LPA, n°

spécial, 31 août 2006, n° 174 ; Les métamorphoses de la responsabilité, Sixièmes journées R. Savatier, PUF, 1997 ; La responsabilité civile à l’aube du XXIe siècle : bilan prospectif, RCA, 2001, n° 6 bis, juin 2001.

16 V. Ph. Le Tourneau, op. cit., n° 1303. Dès 1963, R. Savatier, Personnalité et dépersonnalisation de la

responsabilité civile, in Mélanges Laborde-Lacoste, éd. Brière, 1963, p. 321, parlait d’une « dépersonnalisation de la responsabilité civile ». Décrivant une telle évolution, v. Y. Lambert-Faivre, L’évolution de la responsabilité civile d’une dette de responsabilité à une créance d’indemnisation, RTD civ., 1987, p. 1.

(15)

15

Au déclin de la faute, ayant cédé une bonne partie de son empire au risque, s’est, en second lieu, ajouté celui de la responsabilité civile elle-même. En effet, celle-ci est, désormais, plus que sérieusement concurrencée par des procédés indemnitaires ne reposant plus sur la logique de la responsabilité, qui suppose de rechercher la personne responsable du dommage pour le lui faire supporter, mais sur la socialisation des risques. C’est un changement total de paradigme qui se manifeste par le recours croissant à la solidarité nationale, à travers notamment le développement de la Sécurité sociale et des régimes et des fonds d’indemnisation collective, seuls à même de faire face à l’expansion des risques de grande ampleur (catastrophes naturelles, terrorisme, etc.). Se pose ainsi « la question de la place de la

responsabilité civile au sein de cet ensemble plus vaste qu’on peut appeler le droit de la réparation des dommages »17. Il en résulte, au total, un bouleversement, une « crise de la responsabilité », que la doctrine appelle à se réformer en profondeur18.

8 - Le maintien de la faute. L’idéologie de la réparation. Si le risque est devenu un nouveau fondement de la responsabilité civile délictuelle, il n’a fait que concurrencer la faute : il ne l’a jamais éliminée. Certes elle n’occupe plus qu’une position relative et non exclusive, mais elle se maintient envers et contre tout. Elle demeure le socle fondateur de l’institution et même, d’une certaine manière, son modèle. Elle figure d’ailleurs en bonne place au sein des projets nationaux de réforme de la responsabilité civile19, comme des projets européens

d’harmonisation20. Louée pour sa « verdeur »21, elle paraît ainsi loin de disparaître. Elle

17 Ph. Brun, op. cit., n° 11.

18 Le mouvement est assez unanime. V., inter alia, G. Viney, Modernité ou obsolescence du Code civil ?

L’exemple de la responsabilité, in Libre droit : mélanges en l’honneur de Philippe Le Tourneau, Dalloz, 2008,

1041 ; du même auteur, Quelques propositions de réforme du droit de la responsabilité civile, D., 2009, p. 2944 ; Ch. Radé, Plaidoyer en faveur d’une réforme de la responsabilité civile, D., 2003, chron., p. 2247 ; Incertitude et

réparation des dommages (synthèse V. Heuzé), in Le traitement juridique et judiciaire de l’incertitude, Dalloz,

coll. Thèmes et commentaires, 2008, p. 97, appelant à une remise à plat complète du système qui, à force de modifications diverses, a perdu toute cohérence. L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, JORF n° 0035 du 11 février 2016, texte n° 26, n’a, pour l’essentiel, pas modifié le droit de la responsabilité civile.

19 V. P. Catala (dir.), Avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription, La Documentation française, 2006, dit « projet Catala » ; F. Terré (dir.), Pour une réforme du droit de la responsabilité civile, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, 2011, dit « projet Terré ». Adde proposition de loi portant réforme de la responsabilité civile, présentée par M. Laurent Béteille et déposée au Sénat le 9 juillet 2010, session extraordinaire de 2009-2010, n° 657.

20 Sur les projets européens d’harmonisation, v. Study Group on a European Civil Code, dirigé par M. Christian Von Bar ; European Group on Tort Law, ayant abouti à la rédaction de principes de droit européen (v. O. Moréteau et M. Séjean, Principes du droit européen de la responsabilité civile, coll. Droit privé comparé et européen, Société de législation comparée, 2011). Sur le droit français face aux projets européens, v. notamment Groupe de recherche européen sur la responsabilité civile et l'assurance (GRERCA), Le droit français de la

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participe enfin largement au mouvement actuel de diversification du préjudice qui, lui, redonne de la vigueur à la responsabilité civile et se manifeste à travers l’apparition de nouveaux préjudices individuels (par exemple le préjudice moral), mais également de préjudices collectifs, dont certains sont particulièrement abstraits et détachés de toute atteinte individuelle, comme le préjudice d’atteinte à la nature ou « préjudice écologique pur ». Cette prolifération des préjudices réparables s’inscrit toutefois dans une « soif de réparation » toujours plus grande et dans une « idéologie de la réparation » dénoncée avec force et à juste titre par la doctrine22, donnant encore plus d’actualité à l’idée ancienne mais récurrente d’une

hiérarchisation des préjudices23.

La responsabilité civile délictuelle pour faute sera, en tout état de cause, au centre de notre étude, dans la mesure où, comme nous l’avons dit, la matière financière continue de relever du droit commun, faute d’un quelconque régime spécial, et où, les faits générateurs que nous étudierons seront essentiellement de nature délictuelle. Ses fondements ayant été précisés, il est maintenant possible d’expliciter en quoi la responsabilité civile s’inscrit dans une logique individuelle.

La logique individuelle de la responsabilité civile B

-9 - La logique individuelle de la responsabilité civile. La logique individuelle de la responsabilité civile pose, de manière générale, problème dès lors que doit être appréhendée une dimension collective (1). Le problème est, toutefois, encore plus aigu sur les marchés financiers au sens où la dimension collective prend alors une tournure bien plus spécifique : elle est multilatérale (2).

de recherche juridique de la Sorbonne - André Tunc, t. 36, 2012 ; Ph. Brun et Ch. Quézel-Ambrunaz, French

Tort Law Facing Reform, Journal of European Tort Law, 2013, p. 78.

21 Ph. Le Tourneau, La verdeur de la faute ou de la relativité de son déclin, RTD civ., 1988, p. 505.

22 V., notamment, L. Cadiet, Sur les faits et les méfaits de l’idéologie de la réparation, in Le juge entre deux

millénaires : mélanges offerts à Pierre Drai, Dalloz, 2000, p. 495 ; D. Mazeaud, Famille et responsabilité : réflexions sur quelques aspects de l’idéologie de la réparation, in Le droit privé français à la fin du XXe siècle : études offertes à Pierre Catala, Litec, 2001, p. 569.

23 Déjà au centre de la théorie de la garantie proposée par B. Starck, Essai d’une théorie générale de la

responsabilité civile considérée dans sa double fonction de garantie et de peine privée, th. Paris, 1947, l’idée

d’une hiérarchisation des préjudices est toujours vivace. V., par exemple, J.-S. Borghetti, Les intérêts protégés et

l’étendue des préjudices réparables en droit de la responsabilité civile extra-contractuelle, in Etudes offertes à Geneviève Viney : Liber amocorum, LGDJ-Lextenso éd., 2008, p. 145, qui appelle à une indemnisation

différenciée en fonction du type d’intérêt lésé (intégrité corporelle, intégrité des biens, intérêts incorporels, etc.).

Adde G. Viney et P. Jourdain, Traité de droit civil, Les effets de la responsabilité, dir. J. Ghestin,

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Le problème général d’appréhension de la dimension collective 1

-10 - L’absence de prise en compte originelle de la dimension collective par la responsabilité civile. Lorsque Mme Geneviève Viney fait référence à l’individualisme de la responsabilité civile24, elle vise en fait l’absence d’allusion au sein du code à la responsabilité collective

(c’est-à-dire celle de plusieurs individus) ou à celle des groupements tels que les sociétés et les associations. En clair, c’est uniquement la responsabilité individuelle, c’est-à-dire celle d’un seul individu, qui est envisagée, à l’exclusion de celle d’un quelconque groupement, qu’il soit doté de la personnalité morale ou pas. Mme Geneviève Viney se place donc essentiellement du point de vue de l’auteur en qualifiant d’« individualiste » la philosophie de la responsabilité civile. Pourtant, sa remarque vaut tout autant si l’on se place du côté des victimes. Elle écrit d’ailleurs en des lignes fort parlantes : « on peut d’ailleurs penser que la

position des codificateurs ne fut pas seulement ni même principalement le fruit d’une option philosophique délibérée, mais, plus simplement, le reflet des structures sociales et économiques de la société française à la fin du XVIIIe siècle. En effet dans un monde où l’activité économique demeurait principalement artisanale, les relations de droit privé mettaient généralement en présence des individus et, en cas de dommage, c’était donc un litige entre individus qu’il fallait, le plus souvent, trancher ».

En d’autres termes, c’est non seulement la pluralité d’auteurs mais également de victimes qui est ignorée du Code civil. Et, il faut bien le reconnaître, c’est au regard des secondes que cette absence de prise en compte de toute dimension collective est aujourd’hui la plus gênante. Il est banal, en effet, de constater la multiplication contemporaine de dommages de masse, c’est-à-dire d’une ampleur telle qu’ils affectent un grand nombre de victimes, tant en droit de la consommation, de la santé que de l’environnement. Les causes en sont connues : développement scientifique, industriel et technologique, avènement de la société de consommation et, encore à plus grande échelle, atteinte portée au milieu naturel. Or, comme le met bien en évidence Mme Anne Guégan-Lécuyer, dans sa thèse intitulée « dommages de

masse et responsabilité civile », la responsabilité civile a été conçue pour résoudre des conflits

de nature individuelle et non pour répondre à des dommages d’une telle ampleur : « l’optique

dans laquelle la responsabilité civile fut construite apparaît ainsi totalement étrangère au cas

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où un fait quelconque de l’homme cause à une masse d’autrui un dommage. Le modèle classique du conflit entre deux individus vole en éclats puisque l’auteur des dommages n’est plus confronté à un seul individu mais à un grand nombre de victimes »25.

Toutefois, comme le note cet auteur, la responsabilité civile a su réagir au défi que lui ont posé les dommages de masse, en développant la théorie du risque à travers l’objectivation de la faute dans le cadre du droit commun et des régimes spéciaux de responsabilité civile. Tout en reconnaissant que la concurrence exercée par les régimes et fonds d’indemnisation mis en place a rudement éprouvé la responsabilité civile, elle défend l’idée, dans une approche prospective, que celle-ci a encore son mot à dire en matière de dommages de masse26, au

regard notamment des limites budgétaires s’imposant aux systèmes d’indemnisation et de la fonction dissuasive qu’elle est la seule à assurer - et ce y compris lorsqu’elle est soutenue par l’assurance -, et propose pour ce faire différents aménagements substantiels (notamment la création d’un droit d’exception en la matière, faisant intervenir en premier lieu un régime de responsabilité et, subsidiairement, un système d’indemnisation à partir d’un certain seuil) et procéduraux.

Le problème spécifique d’appréhension de la dimension multilatérale 2

-11 - Le dépassement de la dimension collective par les marchés financiers : la dimension multilatérale. L’absence de prise en compte de la dimension collective en droit commun de la responsabilité civile délictuelle pose également un sérieux problème au regard du droit financier, dès lors que les marchés financiers sont, par nature, des lieux collectifs, susceptibles eux aussi de connaître des dommages de masse. Si l’on en retient la définition qu’en donne Mme Anne Guégan-Lécuyer, l’on pourrait même considérer que, parmi ces dommages de masse, figure en outre une atteinte abstraite au système financier, une sorte de « préjudice

financier pur » à l’instar du préjudice écologique pur, dès lors que les crises financières

relèvent bien du « droit des catastrophes » et causent un dommage au système financier et à l’économie dans son ensemble. La crise des subprimes, dont on a vu les effets dévastateurs,

25 A. Guégan-Lécuyer, Dommages de masse et responsabilité civile, préf. P. Jourdain, avant-propos G. Viney, LGDJ, coll. Bibl. dr. pr., t. 472, 2006, n° 3.

26 Qu’elle définit, dans un louable effort de conceptualisation, « comme des atteintes aux personnes, aux biens ou

au milieu naturel qui touchent un grand nombre de victimes à l’occasion d’un fait dommageable unique, ce dernier pouvant consister en un ensemble de faits dommageables ayant une origine commune » (ibid., n° 428).

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ne le démentira pas. Il nous semble, toutefois, que seuls les régimes et fonds d’indemnisation pourraient être d’un véritable secours pour ce type de préjudice, tout du moins au regard de l’indemnisation des investisseurs, de sorte que la responsabilité civile n’y trouve guère sa place, d’où l’exclusion de cette problématique de notre étude27.

Mais il y a bien plus. Comme nous le verrons, les marchés financiers ne se caractérisent pas seulement par une dimension collective classique, au sens où sont impliquées une multitude de personnes. Leur dimension collective est bien plus spécifique : elle est multilatérale, en ce qu’elle se traduit par une confrontation multilatérale des ordres au sein d’un système organisé afin d’aboutir à l’établissement d’un cours de bourse et à la conclusion des transactions. Les marchés financiers se caractérisent ainsi par une forte interdépendance et une grande instabilité des échanges qui s’y nouent. Il en résulte que, s’il l’on se trouve ici encore en présence des dommages de masse, ceux-ci sont d’une nature autrement plus complexe. Le défi qui est lancé à la responsabilité civile est ainsi bien plus important. Déjà bien mal armée face aux dommages de masse classiques, elle va de fait se révéler, sur les marchés financiers, largement inadaptée.

Paragraphe 2 - Le particularisme des marchés financiers

12 - La notion générale de marché. Si la notion de marché apparaît, de prime abord, évidente, elle est, en vérité, assez difficile à appréhender. Premièrement, il n’existe pas de notion juridique du marché en tant que tel, et ce d’autant que celle-ci est commune à diverses branches du droit - droit financier, mais également droit de la concurrence ou droit de la consommation28. Deuxièmement, la notion est polysémique, si bien qu’empruntant ensuite

aussi bien à l’économie qu’au droit, de nombreuses définitions ont pu en être données à la fois par les juristes et par les économistes. Trois définitions ont été, toutefois, principalement avancées29. Dans un premier sens, « le marché peut être défini comme le lieu où s’effectuent les transactions, où se rencontrent les acheteurs et les vendeurs »30 : l’accent est mis sur la

27 Cf. infra, de manière générale, sur l’exclusion des préjudice collectifs.

28 Il existe des notions techniques utilisant le terme de marché comme le « marché pertinent » en droit de la concurrence, les « marchés publics » en droit public économique ou encore les « marchés réglementés » en droit financier, mais aucune de ces notions ne correspond à la notion générique de marché.

29 V., notamment, Th. Bonneau et F. Drummond, op. cit., n° 5. 30 Ibid.

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notion de lieu d’échange31, celui-ci pouvant revêtir un caractère abstrait s’agissant des

marchés financiers qui, en raison de leur électronisation, n’ont généralement plus de localisation géographique32. Dans un deuxième sens, le marché est défini par les contrats qui y sont négociés eux-mêmes, que ces contrats portent sur la fourniture de marchandises, de valeurs ou de services : l’accent est mis sur l’élément conventionnel de la transaction33, le marché s’identifiant alors à celle-ci34. Dans un troisième sens, le marché peut être défini comme la structure mise en place afin de permettre des échanges et notamment de dégager un prix : l’accent est mis sur l’organisation35.

13 - Le particularisme des marchés boursiers. Vaste champ que celui des marchés financiers et donc, corrélativement, de la responsabilité civile dans ce domaine. Il est, dès lors nécessaire, de se concentrer sur ce qui, en leur sein, présente le plus grand particularisme au regard de l’application de la responsabilité civile. Or, si les définitions précédemment énoncées sont applicables à n’importe quel type de marché, elles permettent, s’agissant plus précisément des marchés financiers, de mettre en évidence la dichotomie majeure qui existe en leur sein entre les marchés boursiers et les marchés de gré à gré (A). Les premiers présentant un bien plus fort particularisme que les seconds, le domaine d’application de la thèse sera limité aux marchés boursiers (B).

La dichotomie majeure entre marchés boursiers et marchés de gré à gré A

-14 - Les marchés financiers : une dichotomie majeure entre les marchés boursiers et les marchés de gré à gré. Au vrai, les marchés financiers se divisent en deux catégories fort distinctes. D’une part, les marchés, que l’on qualifiera de « boursiers », qui constituent des systèmes collectifs de négociation, c’est-à-dire des systèmes multilatéraux et organisés

31 V., également, Association Henri Capitant, G. Cornu, Ph. Malinvaud, M. Cornu, M. Goré et Y. Lequette,

Vocabulaire juridique, PUF, coll. Quadrige Dicos poche, 2014, 10e éd. (désormais cité Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique, par G. Cornu et al., PUF, coll. Quadrige Dicos poche, 2014, 10e éd.), définissant notamment le « marché » comme un « lieu d’échanges commerciaux ».

32 V. notamment, en ce sens, H. de Vauplane, Les notions de marché, Rev. dr. bancaire et bourse, mars-avr. 1993, n° 36, p. 62.

33 Th. Bonneau et F. Drummond, ibid.

34 V. Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique, par G. Cornu et al., PUF, coll. Quadrige Dicos poche, 2014, 10e éd., définissant notamment le « marché » comme une « espèce de convention ». On retrouve d’ailleurs ce sens dans l’expression courante de « conclure un marché ».

35 Traitant plus particulièrement de la matière financière, Th. Bonneau et F. Drummond, ibid., font directement référence à la régulation des marchés par des autorités de tutelle ou de régulation qui précisent le champ des intervenants (investisseurs) et les modalités de fonctionnement du marché.

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permettant la rencontre de multiples intérêts acheteurs et vendeurs. D’autre part, les marchés dits de gré à gré qui consistent, en fait, non en de véritables marchés mais en de simples transactions conclues de gré à gré, et fonctionnent ainsi classiquement sur la base de contrats négociés, de manière bilatérale, entre les parties. On retrouve, en partie, les distinctions opérées ci-dessus à propos la notion générale de marché : alors que les marchés boursiers constituent des lieux d’échanges organisés selon une structure particulière, les marchés de gré à gré ne sont, pour leur part, ni plus ni moins que des contrats36.

Une différence fondamentale en découle. Si les marchés de gré à gré relèvent classiquement d’une logique contractuelle ou bilatérale, les marchés boursiers relèvent d’une logique « collective » ou « multilatérale », bien plus originale et bien plus complexe, et qui constitue leur spécificité. En fait, la seule caractéristique commune à ces deux types de marché consiste en leur caractère intrinsèquement risqué. On remarquera, en outre, que la notion de marché boursier se distingue également largement de celle du marché des biens et services du droit de la concurrence et du droit des contrats37. Le particularisme des marchés financiers est donc

avant tout, selon nous, le particularisme des marchés boursiers (1), bien plus que celui des marchés de gré à gré (2).

Les marchés boursiers 1

-15 - La logique collective ou multilatérale des marchés boursiers. Plus que simplement collective, la logique des marchés boursiers est plus précisément « multilatérale ». En vérité, lorsqu’en droit financier, l’on emploie le terme de « logique collective » des marchés financiers, par opposition à celui de « logique contractuelle », le terrain est assez miné. Il renvoie, en effet, à une controverse doctrinale toujours vivace sur la qualification, contractuelle ou pas, des opérations qui s’y effectuent. Si le débat sur la qualification est en

36 V., notamment, S. Amadou, Bourses d’hier et de demain. Brèves réflexions sur l’évolution des incertitudes

sémantiques et juridiques relatives à la notion de « marché », in Mélanges AEDBF-France I, RB éd., 1997, p.

13, spéc. p. 21.

37 Ainsi, C. Lucas de Leyssac et G. Parléani, Droit du marché, PUF, coll. Thémis, 2002, p. 333 et p. 363, en essayant de dégager les traits d’un droit commun du marché, se concentrent sur le droit de la concurrence et le droit de la consommation, en excluant les marchés boursiers qu’ils tiennent pour des « marchés spéciaux », dont l’étude est trop technique pour trouver sa place dans un ouvrage général. On remarquera, pour notre part, que le marché boursier est un marché existant et organisé a priori afin de permettre la réalisation de transactions, alors que le marché du droit de la concurrence, notamment, est un marché construit a posteriori afin de sanctionner la violation des règles de la concurrence (en particulier, les ententes et abus de position dominante). La différence de nature entre ces deux types de marché est, donc, fondamentale.

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lui-même de peu d’intérêt pour notre thèse, il a en revanche parfaitement mis en évidence la logique multilatérale38 gouvernant l’ensemble du processus de marché39. C’est, plus précisément, au stade de la négociation que ce caractère multilatéral importe au regard de la responsabilité civile. Il en découle, en effet, que les transactions vont se réaliser sur un marché boursier selon un mode très original : à travers une confrontation multilatérale de tous les ordres d’achat et de vente passés sur le marché, qui va entraîner la « cotation », « c’est-à-dire

l’établissement d’un cours de bourse qui désigne le prix auquel se négocient les instruments financiers »40, et l’exécution des ordres.

16 - La définition des marchés boursiers : des systèmes collectifs ou multilatéraux de négociation. Typologie. C’est d’ailleurs en se fondant sur ce caractère multilatéral de la négociation que la directive « Marchés d’instruments financiers » du 21 avril 200441, animée

par la volonté de mettre en concurrence les marchés réglementés avec d’autres systèmes de négociation afin de renforcer la compétitivité et de diminuer les coûts pour les investisseurs, a introduit une nouvelle catégorie de marché dénommée « système multilatéral de négociation » ou « multilateral trade facility » (« MTF »)42, bouleversant ainsi la structure des marchés

financiers européens.

38 V., notamment, A.-C. Muller, Droit des marchés financiers et droit des contrats, préf. H. Synvet, Economica, coll. Recherches juridiques, vol. 16, 2007. Selon cet auteur, « l’objectif premier d’efficience du marché est servi

par l’adoption de règles spéciales organisant la réalisation des échanges économiques suivant une logique particulière, radicalement différente de la conception du contrat synallagmatique. La formation et l’exécution des opérations de marché obéissent à des principes collectifs, excluant le caractère bilatéral des conventions. C’est pourquoi les marchés financiers ne sauraient être assimilés à une somme de contrats standardisés, ils ne constituent pas, ainsi que cela a pu être soutenu, une sorte de “phénomène contractuel à grande échelle” »

(ibid., p. 382). Elle conclut que « le droit financier n’est pas un droit spécial des contrats, c’est un droit de

marché » (ibid., p. 30), qui déplace « la réflexion juridique des relations individuelles, bilatérales vers une organisation collective des échanges économiques » (ibid., p. 608).

39 Rappelons en effet, en simplifiant, que, sur un marché réglementé, la réalisation d’une transaction se fait selon un processus de marché qui obéit à des règles particulières et qui comprend deux étapes : une première phase dite de « négociation », qui « vise la conclusion de l’opération et se caractérise tant par la production des

ordres sur le marché que par la recherche d’une contrepartie » (Th. Bonneau et F. Drummond, op. cit., n° 791),

et une seconde phase de « compensation » et de « règlement-livraison », qui va permettre l’exécution de la transaction (ibid.).

40 Th. Bonneau et F. Drummond, op. cit., n° 812.

41 Directive 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 concernant les marchés d’instruments financiers, modifiant les directives 85/611/CEE et 93/6/CEE du Conseil et la directive 2000/12/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 93/22/CEE du Conseil, JOUE du 30 avril 2004, L 145/1, dite « directive MIF ». La directive est entrée en vigueur au 1er novembre 2007. Elle a été, en grande partie, transposée en droit français par l’ordonnance n° 2007-544 du 12 avril 2007 relative aux marchés d'instruments financiers, JORF n° 87 du 13 avril 2007, p. 6749.

42 V., notamment, Ph. Redaelli, Les systèmes multilatéraux de négociation, Banque et droit, juill.-août 2005, n° 102, p. 13 ; K. Vuillemin, Libre propos sur la directive relative aux marchés d’instruments financiers

2004/39/CE, Bull. Joly Bourse, 2005, n° 119, p. 579 ; J.-J. Daigre, Les systèmes multilatéraux de négociation,

RTDF, 2006, n° 1, p. 119 ; Th. Bonneau, Marchés réglementés, système de négociation multilatérale et système

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En effet, si ce nouveau type de marché présente une protection moindre que le marché réglementé, il se caractérise, de la même façon, par le caractère multilatéral des négociations qui s’y déroulent, comme l’indique sa dénomination même. Les définitions, directement inspirées de la directive MIF, du marché réglementé et du système multilatéral de négociation sont d’ailleurs très proches. Le marché réglementé est défini comme « un système multilatéral

qui assure ou facilite la rencontre, en son sein et selon des règles non discrétionnaires, de multiples intérêts acheteurs et vendeurs exprimés par des tiers sur des instruments financiers, d'une manière qui aboutisse à la conclusion de contrats portant sur les instruments financiers admis à la négociation dans le cadre des règles et systèmes de ce marché, et qui fonctionne régulièrement conformément aux dispositions qui lui sont applicables »43. Le système

multilatéral de négociation est défini pour sa part, dans des termes très similaires, comme « un

système qui, sans avoir la qualité de marché réglementé, assure la rencontre, en son sein et selon des règles non discrétionnaires, de multiples intérêts acheteurs et vendeurs exprimés par des tiers sur des instruments financiers, de manière à conclure des transactions sur ces instruments »44.

Ainsi, à ceci près que les premiers posent une exigence de fonctionnement régulier que l’on ne trouve pas chez les seconds, tous deux sont définis comme des systèmes multilatéraux de négociation permettant la rencontre, selon des règles non discrétionnaires, d’ordres d’achat et de vente. Telle est la définition que nous retiendrons désormais d’un « marché boursier ». C’est donc le caractère multilatéral de la négociation, qui, s’effectuant par une confrontation multilatérale des ordres et une cotation, constitue leur spécificité. Cette spécificité entraînant, comme nous le verrons un fort particularisme de la responsabilité civile, c’est en ce sens, qu’au regard de notre étude, nous considérerons que les marchés boursiers fonctionnent selon une logique « collective », ou encore plus précisément, « multilatérale ».

17 - Les marchés boursiers français. Les marchés financiers français existants ont ainsi dû se fondre dans le moule de cette nouvelle catégorisation, lors de la transposition de la directive

Directive européenne sur les marchés d’instruments financiers – « MIF » - du 21 avril 2004, in Mélanges en l’honneur de Dominique Schmidt, Joly Editions, 2005, p. 77 ; J.-J. Daigre, De la directive de 1993 à celle de 2004 : d’un modèle de marché à un autre, Banque et droit, juill.-août 2005, n° 102, p. 7. V., de manière

générale, J.-J. Daigre, La fin des « bourses », RDBF, mars-avr. 2003, n° 2, p. 83 ; du même auteur, Evolution de

la notion de marché financier, in Liber Amicorum Jacques Malherbe, Bruylant, 2006, p. 233.

43 C. mon. fin., art. L. 421-1. La définition est directement inspirée de la directive MIF (art. 4 parag. 1, 14)). 44 C. mon. fin., art. L. 424-1. La définition est directement inspirée de la directive MIF (art. 4 parag. 1, 15)).

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MIF. En effet, alors que la notion de système multilatéral de négociation constitue en droit européen une catégorie unique, elle a entraîné une subdivision en droit interne entre les systèmes multilatéraux de négociation de droit commun et les systèmes multilatéraux de négociation organisés, issus des anciens marchés organisés et soumis à des exigences supplémentaires, notamment en matière de protection des investisseurs. Les marchés boursiers français comprennent ainsi, par ordre d’encadrement décroissant, des marchés réglementés (soit au comptant, comme Euronext Paris ; soit à terme, comme le Marché à Terme International de France ou MATIF et le Marché des Options Négociables de Paris ou MONEP), des systèmes multilatéraux de négociation organisés (comme Alternext), et des systèmes multilatéraux de négociation simples (comme le marché libre et des valeurs radiées du marché réglementé).

Ils ne comprennent pas, en revanche, ni l’internalisation systématique ni les marchés de gré à gré, qui tous deux fonctionnent sur une base bilatérale.

Les marchés de gré à gré 2

-18 - La logique contractuelle ou bilatérale des marchés de gré à gré. Comme on l’a dit, les marchés de gré à gré, qui se confondent en réalité avec les transactions elles-mêmes, relèvent de la liberté contractuelle. Ils fonctionnent donc, au stade de la négociation, selon le principe du bilatéralisme, et non, comme les marchés boursiers, du multilatéralisme. L’obligation de concentration ayant été supprimée dans le cadre de la transposition de la MIF, ils peuvent désormais porter sur l’ensemble des instruments financiers, y compris ceux admis aux négociations sur un marché réglementé ; l’on peut ainsi parfaitement envisager une transaction de gré à gré sur des valeurs mobilières telles que des actions ou des obligations. Toutefois, ces marchés, que l’on qualifie généralement d’« OTC » (« over-the-counter »), revêtent de fait une importance particulière pour les produits dérivés ou, plus précisément, les contrats financiers45, qui y ont connu, depuis les années 1980, un développement

spectaculaire.

45 En effet, dans un effort de rationalisation conceptuelle de la matière, le législateur a, depuis l’ordonnance n° 2009-15 du 8 janvier 2009 relative aux instruments financiers (JORF n° 0007 du 9 janvier 2009, p. 570), organisé la catégorie des instruments financiers autour d’une summa divisio entre les titres financiers et les contrats financiers, dénommés également « instruments financiers à terme ». V. C. mon. fin., art. L. 211-1 : « I. -

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Il est vrai que les contrats financiers conclus de gré à gré se rapprochent de ceux négociés sur les marchés boursiers, en raison notamment de leur standardisation et de l’obligation de compensation désormais introduite par le règlement EMIR46. Demeure toutefois, en matière de négociation, la différence fondamentale, sur laquelle nous avons construit notre thèse, entre ces deux types de contrat : les produits dérivés échangés sur les marchés boursiers sont négociés sur une base collective ou multilatérale, alors que les produits dérivés conclus sur les marchés de gré à gré sont négociés sur une base contractuelle ou bilatérale. Il s’en induit, en outre, une différence fondamentale au regard de la liquidité de ces marchés et de ces instruments : s’il est aisé pour un investisseur de dénouer son engagement, sur un marché réglementé ou un système multilatéral de négociation, par la conclusion d’un engagement en sens opposé, cela n’est, en revanche, pas toujours possible pour un contrat de gré à gré, dans la mesure où il n’est pas coté sur un marché de produits standardisés.

Le domaine d’application de la thèse : les marchés boursiers B

-19 - Le domaine d’application de la thèse : les marchés boursiers. Il ressort de cette dichotomie fondamentale entre marchés boursiers, relevant d’une logique multilatérale, et marchés de gré à gré, relevant d’une logique bilatérale, un bien plus fort particularisme des premiers. C’est pourquoi notre thèse aura pour champ d’application les marchés boursiers (1) et partant, les instruments financiers qui y sont cotés (2).

Les marchés boursiers 1

-20 - Le domaine d’application de la thèse : les marchés boursiers. Exclusion corrélative des marchés bilatéraux et des opérations boursières particulières. Notre thèse ayant pour coeur les marchés boursiers, c’est-à-dire ceux caractérisés par une négociation multilatérale,

Les instruments financiers sont les titres financiers et les contrats financiers. II. - Les titres financiers sont : 1. Les titres de capital émis par les sociétés par actions ; 2. Les titres de créance, à l'exclusion des effets de commerce et des bons de caisse ; 3. Les parts ou actions d'organismes de placement collectif. III. - Les contrats financiers, également dénommés " instruments financiers à terme ", sont les contrats à terme qui figurent sur une liste fixée par décret ».

46 Règlement (UE) n° 648/2012 du 4 juillet 2012 sur les produits dérivés de gré à gré, les contreparties centrales et les référentiels centraux, JOUE du 27 juillet 2012, L 201/1, dit « EMIR » (« European Market and

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