• Aucun résultat trouvé

L’INFORMATION EN DROIT FRANCAIS

Dans le document en libre accs sur le site d’Assas (Page 194-199)

PARTIE I DE LEGE LATA, L’AMENAGEMENT DE LA RESPONSABILITE CIVILE

L’INFORMATION EN DROIT FRANCAIS

177 - Considérations liminaires sur la faute d’information publique défectueuse sur le marché secondaire en droit français. La prépondérance du juge répressif. Comme en droit américain, c’est essentiellement dans le cadre de l’information publique défectueuse que le juge français a aménagé la responsabilité civile afin de la rendre plus effective414. Cet

aménagement n’a toutefois pas porté sur la faute, celle-ci n’apparaissant en effet guère problématique en la matière.

On l’a dit415, la faute d’information publique défectueuse pourra consister tant une faute de

commission, à travers la diffusion d’une information mensongère (fausse ou, au moins, trompeuse) au public, que d’omission de délivrer d’une information significative. L’investisseur pourra notamment s’appuyer, pour la caractériser, sur les nombreuses obligations d’information mises à la charge des émetteurs, aussi bien en matière d’information périodique que permanente416. En outre, l’émetteur, du fait de sa place centrale dans la

production de l’information financière, est le seul acteur des marchés financiers à être tenu expressément417 d’une obligation générale de délivrer au public, en toutes circonstances, une

414 Comme on le verra, le juge est également intervenu, en droit français, en matière de responsabilité civile pour opération d’initié. Toutefois, cette intervention s’est essentiellement traduite par la reconnaissance formelle de l’existence d’un préjudice par la Cour de cassation, et l’exigence dans deux affaires d’une altération du cours par les juges du fond, ce qui a empêché de fait toute indemnisation. Il n’y a donc pas eu de véritable « aménagement » de la responsabilité civile, mais simplement l’affirmation du principe de l’existence d’un préjudice – la question étant particulièrement discutée en doctrine -, sans que s’en suive une quelconque indemnisation. L’examen de cette jurisprudence trouve ainsi plus sa place dans la deuxième partie de cette thèse sur le choix de politique juridique à opérer de lege ferenda. Cf. infra.

415 Cf. supra, en introduction.

416 Comme nous l’avons indiqué précédemment, sur le marché secondaire, les obligations d’information à la charge de l’émetteur sont de deux ordres : il est tenu, d’une part, d’une obligation d’information périodique à échéances régulières (annuelle, semestrielle, voire trimestrielle), qui constitue un cadre régulier de communication avec le marché, issu pour l’essentiel de la transposition de la directive Transparence (v., notamment, RG AMF, Livre II, Titre II, Chapitre II, Information périodique) ; il est tenu, d’autre part, d’une obligation d’information permanente ou ad hoc, en vertu de laquelle il est tenu de révéler, dès que possible, toute information privilégiée au public, ce qui constitue un cadre permanent de communication avec le marché, issu de la transposition de la directive Abus de marché (art. 6 parag. 1). V. RG AMF, art. 223-2, I : « tout émetteur doit,

dès que possible, porter à la connaissance du public toute information privilégiée définie à l’article 621-1 et qui le concerne directement ».

417 En effet, en raison de la répression de l’abus de marché de diffusion d’informations fausses ou trompeuses, l’ensemble des acteurs est en fait tenu de ne pas délivrer une information fausse ou trompeuse sur les instruments financiers.

195

information qui présente, selon une trilogie devenue classique, les caractères d’exactitude, de précision et de sincérité418.

En outre, dans un procès civil, l’investisseur ou le juge civil pourra, se fonder, au titre de la faute, sur la sanction pénale de l’abus de marché du délit de diffusion d’informations fausses ou trompeuses419 ou, en dépit de l’absence d’autorité de la chose jugée attachée à ces décisions, sur la sanction administrative de l’abus de marché du manquement de diffusion

418 Cette obligation, énoncée pour la première fois par la COB dans les années 1990 dans le règlement COB n° 90-02 puis reprise dans le règlement COB n° 98-07, figure aujourd’hui à l’article 223-1 du règlement général de l’AMF qui fixe la norme de comportement que doit respecter l’émetteur lorsqu’il délivre des informations au public en prévoyant que « l’information donnée au public par l’émetteur doit être exacte, précise et sincère ». On remarquera que si, sous l’empire des deux règlements précités, la règle s’imposait à toute personne délivrant des informations dans le public, elle ne s’applique plus aujourd’hui qu’au seul émetteur. Le champ d’application en est toutefois fort vaste puisqu’elle s’applique à toute information divulguée par ce dernier, quelle que soit la nature, permanente ou périodique, de cette information - bien que l’article 223-1 du règlement général de l’AMF se situe dans le chapitre relatif à l’information permanente, il existe un consensus pour considérer que cette exigence s’applique à tout type d’informations -, et quelle que l’origine de la décision d’informer : qu’elle découle d’une obligation légale ou réglementaire ou bien qu’elle soit d’origine volontaire(Sanct. COB, 1er juin 1995, Welcom International (Bull. COB, n° 292, juin 1995, p. 15 : Banque et droit, nov.-déc. 1995, n° 44, p. 22, chron. F. Peltier et H. de Vauplane) : « dès lors que la société Welcom International a pris l’initiative, malgré

l’absence d’obligation légale ou réglementaire, d’entrer en communication avec le public, elle devait lui délivrer une information précise, exacte et sincère ». Adde CA Colmar, 1re ch. civ., 14 oct. 2003, n° 01/03432, Michel Pfeiffer c/ Société Eurodirect Marketing (cf. infra) : « la circonstance que la société émettrice ne soit pas

obligée de communiquer des informations ne l’autorise pas pour autant à faire diffuser des informations fausses lorsqu’elle choisit de les faire paraître »). Pour plus de détails concernant les caractères d’exactitude, de

précision et de sincérité, v., notamment, Th. Bonneau et F. Drummond, op. cit., n° 432 et s.

419 Le délit de diffusion d’informations fausses ou trompeuses ou de fausse information, qui a pu être qualifié par la doctrine de délit d’« intoxication boursière » (W. Jeandidier, Droit pénal des affaires, Dalloz, coll. Précis droit privé, 2005, 6e éd., n° 130), a été introduit en droit français en même temps que le délit d’initié par la loi n° 70- 1208 du 23 décembre 1970, initialement à l’article 10-1 al. 3 de l’ordonnance n° 67-833 du 28 septembre 1967. Il est aujourd’hui prévu à l’article L. 465-2 alinéa 2 du Code monétaire et financier qui punit« le fait, pour toute

personne, de répandre ou de tenter de répandre dans le public par des voies et moyens quelconques des informations fausses ou trompeuses sur les perspectives ou la situation d’un émetteur ou de ses titres admis aux négociations sur un marché réglementé au sens de l’article L. 421-1 ou pour lesquels une demande d’admission sur un tel marché a été présentée, ou sur un système multilatéral de négociation qui se soumet aux dispositions législatives ou réglementaires visant à protéger les investisseurs contre les opérations d’intiés, les manipulations de cours et la diffusion de fausses informations ou négociés sur un système multilatéral de négociation, admis à la négociation sur un tel marché ou pour lesquels une demande d’admission à la négociation sur un tel marché a été présentée ou sur les perspectives d’évolution d’un instrument financier ou d’un actif visé au II de l’article L. 421-1 admis sur un marché réglementé, ou d’un contrat commercial relatif à des marchandises et lié à un ou plusieurs des instruments mentionnés précédemment de nature à agir sur les cours desdits instruments ou actifs

». Le texte a été modifié en dernier lieu par la loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013, qui a anticipé en droit français la transposition de la directive 2014/57/UE du 16 avril 2014 relative aux sanctions pénales applicables aux abus de marché (cf. supra, en introduction). La peine prévue est celle de l’article L. 465-1 alinéa 1 du Code monétaire et financier soit une peine de deux ans d’emprisonnement et d’une amende de 1 500 000 euros dont le montant peut être porté au-delà de ce chiffre, jusqu’au décuple du montant du profit éventuellement réalisé, sans que l’amende puisse être inférieure à ce même profit. Le délit de diffusion de fausse information en matière boursière est défini particulièrement largement, d’autant qu’il couvre désormais non plus seulement les marchés réglementés mais également les systèmes multilatéraux de négociation. Il s’applique à tous les intervenants du marché, et ses éléments constitutifs, à la fois matériel et moral, sont bien peu exigeants, de sorte qu’il devrait couvrir la plupart des informations délivrées sur le marché secondaire. D’autres délits pénaux peuvent en outre être applicables aux dirigeants sociaux (délit de présentation de comptes infidèles, cf. infra) ou aux commissaires aux comptes (délit de confirmation d’informations mensongères, cf. infra).

196

d’informations fausses ou trompeuses420 ou de la violation d’une obligation positive

d’information421 (en cas d’omission, notamment de révéler une information privilégiée au titre de l’obligation d’information permanente) par la commission des sanctions de l’AMF, sur le fondement de l’article L. 621-15, II, c) et d) du Code monétaire et financier422. La jurisprudence civile adopte, à cet égard, des positions variées, pouvant se fonder sur la commission d’un abus de marché423, même non sanctionné424, mais également sur d’autres éléments de fait pour caractériser la faute civile425.

420 L’article 632-1 alinéa 1er du règlement général de l’AMF prévoit ainsi que « toute personne doit s’abstenir de

communiquer, ou de diffuser sciemment, des informations, quel que soit le support utilisé, qui donnent ou sont susceptibles de donner des indications inexactes, imprécises ou trompeuses sur des instruments financiers ou sur des produits de base, y compris en répandant des rumeurs ou en diffusant des informations inexactes ou trompeuses, alors que cette personne savait ou aurait dû savoir que les informations étaient inexactes ou trompeuses ». Il a été modifié en dernier lieu par l’arrêté du 5 juin 2014 qui, anticipant la date d’application des

modifications opérées par le règlement n° 596/2014 du 16 avril 2014 sur les abus de marché, en a étendu le champ d’application à l’ensemble des systèmes multilatéraux de négociation (v. RG AMF, art. 632-1 al. 5). On notera également que la loi précitée du 26 juillet 2013, anticipant également l’application du règlement européen, a élargi la répression à la tentative de diffusion d’une information fausse ou trompeuse. Cf. supra, en introduction. Encore plus que le délit, le manquement administratif de diffusion de fausse information trouve largement à s’appliquer. Notamment, au regard de l’élément moral, si le manquement ne peut être considéré comme purement objectif, l’intentionnalité requise apparaît, de manière générale, relativement faible. Ainsi, le manquement administratif devrait couvrir la plupart des informations délivrées sur le marché secondaire.

421 On se reportera aux manuels de référence pour plus de détails. V. notamment Th. Bonneau et F. Drummond,

op. cit., n° 436 et s, et n° 516 et s. ; A. Couret, H. Le Nabasque et al., op. cit., n° 1450 et s., n° 1479, et n° 1544

et s. ; D. Ohl, Droit des sociétés cotées : accès aux marchés, valeurs mobilières cotées, offres publiques, abus de

marché, Litec, coll. LitecProfessionnels Droit des sociétés, 2008, 3e éd., n° 644 et s. ; P. Maistre du Chambon, A. Lepage et R. Salomon, Droit pénal des affaires, LexisNexis, coll. Manuel, 2015, 4e éd., n° 977 et s., et n° 1018 et s. ; D. Martin, E. Dezeuze, et F. Bouaziz (en collaboration avec M. Françon), op. cit., n° 269 et s. ; P. Clermontel, op. cit., n° 538 et s.

422 L’article L. 621-15, II, c) et d) du Code monétaire et financier permet en effet de sanctionner, par renvoi à l’article L. 621-14 du même code, outre les abus de marché, « tout autre manquement de nature à porter atteinte

à la protection des investisseurs ou au bon fonctionnement du marché ».

423 Ainsi, dans le volant civil de l’affaire Marionnaud, les juges du tribunal de commerce se sont expressément référés aux sanctions administratives et pénales prononcées contre la société et ses principaux dirigeants pour caractériser la faute civile de ces derniers et indemniser un grand nombre d’actionnaires. V. T. com. Créteil, 2e ch., 19 janv. 2010, n° 2005F00978, Marionnaud Parfumeries : « attendu que le jugement du Tribunal de Grande

Instance de Paris en date du 9 juillet 2008, l’Arrêt de la Cour d’appel de Paris en date du 27 mai 2009, ainsi que la décision de l’AMF du 5 juillet 2007 devenue définitive suite à l’Arrêt de la Cour d’appel de Paris en date du 25 juin 2008, s’accordent dans leurs attendus et dispositifs à qualifier d’“erronée et trompeuse” ladite communication. Attendu que ces décisions s’accordent également à juger que cette communication fallacieuse était susceptible de causer un préjudice aux actionnaires, en les incitant à acheter ou à conserver des titres de la société MARIONNAUD à un cours supérieur à sa valeur réelle » (cf. infra).

424 Le juge civil peut, en effet, se référer expressément aux éléments constitutifs d’un abus de marché pour caractériser la faute civile quand bien même celui-ci n’aurait pas été sanctionné pénalement ou administrativement. Tel a été le cas dans l’affaire Eurodirect Marketing. Les juges de première instance ont d’abord rappelé qu’il était indifférent, au regard des procédures judiciaires, que les communiqués litigieux diffusés par l’émetteur, faisant état de prévisions de résultats qu’il savait ne pas pouvoir atteindre puis rectifiant de manière tardive l’information erronée, n’aient pas fait l’objet d’une sanction de la COB. Ils ont, toutefois, relevé ensuite, en se référant aux éléments constitutifs du délit de diffusion d’informations fausses ou trompeuses, que « la société défenderesse a répandu sciemment de fausses informations dans le but de maintenir

ses actions à leur cours, voire les faire augmenter », pour caractériser une faute civile et indemniser un

actionnaire qui avait acquis des actions de l’émetteur sur le fondement des fausses informations (cf. infra). 425 Ainsi, dans l’affaire Gaudriot, si les juges ont fait référence à la décision de sanction administrative prononcée par l’AMF contre le président-directeur général de la société (Sanct. AMF, 26 oct. 2006, Pierre-Henri Gaudriot, BALO 28 févr. 2007, Bull. n° 26 : RDBF, 2007, n° 4, 166, p. 31, note A.-C. Muller - CA Paris, 1re ch.

197

La situation se présente différemment devant le juge répressif. La commission d’une infraction pénale, par exemple de diffusion d’informations fausses ou trompeuses, sera, en effet, une condition indispensable pour que la victime puisse être indemnisée, le juge pénal ne pouvant, bien évidemment, statuer sur les intérêts civils en application des principes de la responsabilité civile, que si une infraction pénale a été commise - celle-ci constituant alors la faute civile426. La plupart des affaires relatives à l’indemnisation d’investisseurs pour information publique défectueuse sur le marché secondaire se sont d’ailleurs tenues devant le juge pénal427, en raison notamment des facilités probatoires qu’offre la voie répressive, en

comparaison de la voie civile. En effet, la preuve, qui relève essentiellement de la victime devant le juge civil, sera, en grande partie, apportée au pénal par le travail préalable d’enquête du Parquet et d’instruction du juge d’instruction. On rappellera enfin l’existence du principe d’autorité de la chose jugée au criminel sur le civil, en vertu duquel le juge civil doit tenir pour vrai ce qui a été jugé par le juge répressif428, et qui a pour conséquence procédurale que

le « criminel tient le civil en état »429.

La preuve de la faute ne posant, en définitive, guère de difficulté en matière d’information publique défectueuse sur le marché boursier, ce sont les conditions relatives à la causalité et au préjudice qui ont dû faire l’objet d’un aménagement par le juge, afin de faciliter l’exercice de la responsabilité civile.

sect. H, 20 nov. 2007, Gaudriot c/ AMF - Cass. com. 18 nov. 2008, n° 08-10.246, Gaudriot c/ AMF : Dr. sociétés, juill. 2009, n° 7, comm. 142, p. 25, note Th. Bonneau ; RTDF, 2008, n° 4, p. 141, obs. B. Garrigues ; RTD com. 2009, p. 179, note N. Rontchevsky ; JCP E, 30 avr. 2009, p. 1431, chron. Y. Sexer et N. du Chaffaut ; Banque et droit, janv. 2009, n° 123, p. 27, note H. de Vauplane, J.-J. Daigre, B. de Saint-Mars et J.-P. Bornet ; RJDA 3/2009, n° 233 (texte intégral et rapport R. Salomon, p. 151)), ils ont, plus largement, afin de caractériser la faute civile de ce dirigeant et d’autres administrateurs, constaté leurs manœuvres délibérées consistant à donner une image tronquée de la société et révélant leur volonté de fausser l’opinion du public, ce qui les a conduits à indemniser un grand nombre d’actionnaires (cf. infra).

426 On notera, cependant, que la loi n° 2000-647 du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels, JORF n° 159 du 11 juillet 2000, p. 10484, dite « loi Fauchon », a introduit un article 4-1 dans le Code de procédure pénale qui permet désormais au juge pénal qui a prononcé une relaxe concernant une infraction d’imprudence de se prononcer tout de même sur les intérêts civils. Toutefois, le délit de diffusion d’informations fausses ou trompeuses étant, par nature, une infraction intentionnelle, ce texte ne pourra s’appliquer en la matière.

427 A l’exception des affaires Eurodirect Marketing, Flammarion, Gaudriot, et, en partie, Marionnaud (cette affaire connaissant également un volet pénal). Toutes les autres affaires, environ une dizaine (Société générale

de fonderie, Landauer, Comptoir des entrepreneurs, Sedri, Banque Pallas Stern, Crédit Lyonnais, Sidel, Régina Rubens, Marionnaud dans son volet pénal, et Vivendi), se sont tenues devant le juge répressif. Cf. infra.

428 V. J. Larguier et Ph. Conte, Procédure pénale, Dalloz, coll. Mémentos, 2014, 23e éd., p. 424 et s. Le domaine en a toutefois été réduit, notamment du fait du nouvel article 4-1 du Code de procédure pénale, préc., en vertu duquel la relaxe au pénal n’interdit plus au juge civil de retenir une faute d’imprudence.

429 Selon l’article 4 alinéa 2 du Code de procédure pénale, le juge civil doit surseoir à statuer jusqu’au prononcé d’une décision pénale irrévocable. V. J. Larguier et Ph. Conte, op. cit., p. 186 et 187 : « la raison de cette règle

est que le juge civil devra ensuite tenir compte de la chose jugée au criminel (c’est parce que “Le criminel emporte le civil” que “Le criminel tient le civil en état”) ».

198

178 - L’aménagement de la responsabilité civile par le juge. L’investisseur qui prend une décision d’investissement relativement à des titres financiers alors qu’une fausse information relative auxdits titres était diffusée sur le marché boursier subit-il un préjudice ? Si la Cour de cassation a répondu de manière positive à cette interrogation dès le début des années 1990430, la question de la nature de ce préjudice a fait l’objet, depuis lors, d’une construction prétorienne continue qui reflète le particularisme de l’information publique défectueuse sur le marché boursier, tenant à la summa divisio entre altération de la décision et altération du cours.

Le juge français a ainsi tenu compte de cette double influence en aménageant la responsabilité civile en la matière, de façon à ce qu’elle puisse constituer un mode de réparation collectif du préjudice et ainsi être effective. S’il a, au début, opté pour la réparation d’une altération du cours de bourse, celle-ci est restée résiduelle (Section I) ; il a rapidement abandonné cette voie pour privilégier la réparation d’une altération de la décision (Section II).

430 La voie de l’indemnisation par le juge pénal des victimes d’infractions boursières a été ouverte par la Cour de cassation lorsqu’elle a admis la recevabilité de l’action civile des actionnaires ou porteurs d’instruments financiers de l’émetteur, victimes d’un délit de diffusion de fausse information ou de publication de comptes infidèles (Cass. crim 5 nov. 1991, n° 90-82.605, Société Industrielle et Financière Bertin, Bull. crim., n° 394, p. 997 : Bull. Joly sociétés, 1992, n° 2, p. 163, § 145, note J.-F. Barbièri ; Rev. sociétés, 1992, p. 91, note B. Bouloc ; Dr. sociétés, 1991, n° 56, note H. Le Nabasque ; D., 1992, IR, p. 13). Dans cet arrêt, la Cour de cassation, statuant au stade de l’instruction, après avoir rappelé la formule classique selon laquelle « pour qu’une

constitution de partie civile soit recevable devant la juridiction d’instruction, il suffit que les circonstances sur lesquelles elle s’appuie permettent au juge d’admettre comme possibles l’existence du préjudice allégué et la relation directe de celui-ci avec une infraction à la loi pénale », censure l’arrêt de la chambre d’accusation ayant

déclaré irrecevable la plainte, au titre du délit de présentation ou de publication de comptes infidèles commis par le président du conseil d’administration d’une société anonyme, d’une partie civile qui n’avait acquis des actions de la société que plusieurs mois après l’assemblée générale où avait été présenté le bilan critiqué. La Cour de cassation estime que ledit actionnaire, faisant état de ce que le faux bilan avait servi de base à l’évaluation des actions qu’il avait achetées, était bien recevable en sa constitution de partie civile devant le juge d’instruction. Dans le même sens, v. déjà T. corr. Seine, 31 oct. 1963 : Gaz. Pal., 1964, 1, jur., p. 173, admettant la recevabilité de l’action civile du chef de la publication ou la présentation de comptes infidèles d’un actionnaire ayant acheté ou cédé ses titres au vu des énonciations de faux comptes. Adde Cass. crim. 30 janv. 2002 (cf. infra), et en

Dans le document en libre accs sur le site d’Assas (Page 194-199)