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Les fonctions du droit de la responsabilité civile

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69 - Précisions terminologiques sur les fonctions de la responsabilité civile. Si la fonction réparatrice ne suscite pas de difficulté terminologique, les auteurs n’emploient pas toujours les

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mêmes termes pour viser la fonction normative de la responsabilité civile : on parle indifféremment de fonction « dissuasive », « normative », « punitive », « répressive » ou « préventive ». Tentons brièvement de préciser les choses. Il nous semble que l’on peut dire que la responsabilité civile pour faute assure, outre sa fonction réparatrice, une double fonction : d’une part, une fonction « punitive » (ou « répressive » ou « sanctionnatrice »), dès lors que les dommages-intérêts qu’il doit verser constituent indirectement une « sanction », entendue au sens large, pour l’auteur du dommage ; et d’autre part et plus largement, une fonction « dissuasive » ou « normative », consistant, en grande partie par sa fonction punitive mais aussi du seul fait de la menace que la responsabilité civile constitue pour ceux qui seraient tentés de faire du tort, à dissuader les comportements anti-sociaux et à normaliser les comportements162. Toutefois, si la fonction dissuasive ou normative ne s’identifie ainsi pas à

la fonction punitive, elle en découle très largement, de sorte qu’il nous apparaît justifié d’utiliser indifféremment les deux termes, comme le fait généralement la doctrine, sauf si la nécessité s’en fait sentir. Quant au terme de fonction « préventive », réservons-le, par commodité163, à la nouvelle fonction qu’une partie de la doctrine, s’appuyant notamment sur

le principe de précaution, a proposé d’attribuer à la responsabilité civile, dans le but de prévenir les risques à venir en l’absence de dommages encore réalisés164. Cette fonction,

tournée vers l’avenir et dont l’intérêt est évident, ne relève toutefois pas, à notre sens, de la responsabilité civile, faute notamment de préjudice, et devrait être plutôt envisagée dans le cadre d’une action autonome165 ; elle sera donc exclue de notre thèse166.

162 On pourrait encore distinguer la fonction « dissuasive » (dissuasion des comportements anti-sociaux) et la fonction « normative » (normalisation des comportements), mais ce serait raffiner à l’extrême et ne ferait que compliquer l’analyse, dès lors que ces deux fonctions sont en grande parties confondues – en dissuadant, on normalise.

163 En effet, d’un pur point de vue terminologique, « fonction dissuasive » et « fonction préventive » pourraient être tenues pour synonymes.

164 C. Thibierge, Libres propos sur l’évolution de la responsabilité civile (vers un élargissement des fonctions de

la responsabilité civile ?), RTD civ., 1999, p. 561 ; du même auteur, Avenir de la responsabilité, responsabilité de l’avenir, D., 2004, chron. 9, p. 577. V. également, en ce sens, M. Boutonnet, Le principe de précaution en droit de la responsabilité civile, préf. C. Thibierge, LGDJ, coll. Bibl. dr. pr., t. 444, 2005 ; C. Sintez, La fonction préventive en droit de la responsabilité civile. Contribution à la théorie de l’interprétation et de la mise en effet des normes, préf. C. Thibierge et P. Noreau, Dalloz, coll. Nouvelle bibliothèque de thèses, vol. 110, 2011.

165 Telle que la proposent ses partisans, cette action, uniquement destinée à prévenir des risques de dommages, ne serait pas soumise aux conditions classiques de la responsabilité civile (faute et préjudice notamment) mais à l’existence d’un risque grave et incertain affectant l’environnement ou la santé, et viserait à obtenir, non pas une réparation, mais des mesures préventives soumises au « principe de prévention proportionnelle », sorte de corollaire du principe de réparation intégrale. On le voit, cette action ne relève plus, de toute évidence, du droit de la responsabilité civile. V., en ce sens, M. Bacache-Gibeili, op. cit., n° 55 et s., spéc. n° 58 et 59 ; Ph. Brun,

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Ces précisions étant faites, il nous faut maintenant indiquer quelle doit être, à notre sens, la hiérarchie de ces fonctions au sein de la responsabilité civile, dans le cadre notamment du débat sur la « peine privée ». Il ne fait aucun doute, pour nous, que doit être maintenue la prééminence de la fonction réparatrice, la fonction punitive et dissuasive ne pouvant jouer qu’un rôle subsidiaire (A). Nous aborderons également la question, assez spécifique au droit des affaires, du « private enforcement », en ce qu’elle relève également en partie de ce débat (B).

La prééminence de la fonction réparatrice A -

70 - Les fonctions du droit de la responsabilité civile : une fonction prioritaire de réparation et une fonction subsidiaire de dissuasion. Si la majorité de la doctrine consacre la prééminence de la fonction réparatrice de la responsabilité civile, la question de sa fonction punitive – la peine dite « privée » en ce que son montant est attribué aux victimes – connaît un regain d’intérêt depuis une vingtaine d’années. Nous estimons, pour notre part, que la fonction de la responsabilité civile pour faute est prioritairement la réparation (1) et, seulement à titre subsidiaire, la dissuasion (2).

Le caractère prioritaire de la réparation 1 -

71 - Les arguments en faveur du caractère prioritaire de la réparation. Le principe cardinal de la réparation intégrale. La prééminence de la réparation a, pour elle, l’histoire de l’institution. D’une part, la consécration de la responsabilité civile résulte de son affranchissement progressif de la responsabilité pénale, avec laquelle elle était originairement

Mazeaud, Responsabilité civile et précaution, in La responsabilité civile à l’aube du XXe siècle : bilan

prospectif, RCA, juin 2001, n° hors-série, p. 72.

166 Peuvent en revanche être rattachées à la fonction indemnitaire, prise au sens large, les fonctions proposées en doctrine de « rétablissement » de la situation antérieure (v. M.-E. Roujou de Boubée, Essai sur la notion de

réparation, préf. P. Hébraud, LGDJ, coll. Bibl. dr. pr., t. 135, 1974, p. 134 et s.), ou, plus strictement, de

« cessation de l’illicite » (C. Bloch, La cessation de l’illicite. Recherche sur une fonction méconnue de la

responsabilité civile, préf. R. Bout, Dalloz, coll. Nouvelle bibliothèque de thèses, vol. 71, 2008). En effet,

comme l’écrit M. Bacache-Gibeili, op. cit., n° 47, « les mesures de rétablissement et de cessation de l’illicite

peuvent être envisagées au titre des modalités de la réparation en nature, en ce qu’elles tendent à supprimer la situation dommageable et à rétablir la situation antérieure au dommage. On ne peut efficacement réparer le dommage qu’en tarissant la source même de celui-ci ». Force est de constater, toutefois, que ces fonctions ne

devraient jouer qu’un rôle très limité au regard des faits générateurs qui nous occupent. En effet, lorsque les investisseurs engageront une action en responsabilité civile pour information publique défectueuse ou pour abus de marché, l’information aura généralement déjà été corrigée et la pratique frauduleuse aura cessé.

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liée, entraînant du même coup la dissociation de l’objectif de réparation de celui de répression. D’autre part, comme on l’a vu, après la consécration par le Code civil de la responsabilité civile pour faute, l’époque contemporaine s’est illustrée par l’affirmation de responsabilités objectives afin d’assurer l’indemnisation des victimes.

Mais il y a un argument bien plus décisif. Le caractère prioritaire de la réparation résulte directement de la consécration par la jurisprudence du principe de la réparation intégrale comme principe cardinal gouvernant le droit commun de la responsabilité civile. Depuis 1954, la Cour de cassation énonce, en effet, avec constance que « le propre de la

responsabilité civile est de rétablir aussi exactement que possible l’équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime, aux dépens du responsable, dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable n’avait pas eu lieu ». En clair la victime doit recevoir

l’équivalent exact de son préjudice, ni plus ni moins, de manière à ce qu’elle se retrouve dans l’état qui aurait été le sien si elle ne l’avait pas subi. Tout le préjudice doit être réparé mais rien que le préjudice, sans qu’il en résulte ni perte ni profit. « Il faut réparer le mal, faire en

sorte qu’il semble n’avoir été qu’un rêve » écrit le doyen Carbonnier167. Le principe peut

d’ailleurs être vu comme la traduction prétorienne des articles 1382 et 1383 du Code civil qui, bien que centrés sur la faute, ne soumettent le responsable qu’à la « réparation » du préjudice causé, à l’exclusion de toute autre « sanction ».

Certes, la doctrine a largement montré que ce principe était en bonne partie une fiction nécessaire, une sorte d’idéal, dans la mesure où le préjudice ne peut généralement être entièrement effacé, et ce d’autant que la réparation a généralement lieu par équivalent et non en nature. Mais elle ne l’a pas, pour autant, écarté : elle a simplement montré qu’il se déclinait en réalité davantage comme un principe d’« équivalence » entre la réparation et le préjudice168, ce qu’atteste d’ailleurs l’utilisation de l’expression « aussi exactement que

possible » et non celle d’« exactement » dans la formule prétorienne. Le principe demeure

ainsi, pour beaucoup d’auteurs, la règle d’airain de la responsabilité civile, l’« épine dorsale

167 J. Carbonnier, Droit civil, vol. 2, Les biens, Les obligations, PUF, coll. Quadrige Manuels, 2004, p. 2253. 168 G. Viney et P. Jourdain, Les effets de la responsabilité, op. cit., n° 57 et s. ; G. Viney, L’appréciation du

préjudice, LPA, 2005, n° 99, p. 89. D’autres auteurs parlent de « principe d’équivalence quantitative » (M.-E.

Roujou de Boubée, op. cit., p. 297), de « principe d’adéquation de la réparation au préjudice » (J. Carbonnier,

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du droit à réparation »169. Dans sa thèse relative au principe de la réparation intégrale en droit

privé, Mme Christelle Coutant-Lapalus l’a d’ailleurs défendu ardemment, y voyant une expression de la justice corrective, telle qu’exposée par Aristote au sein de la philosophie grecque, et par conséquent un fondement de notre conception de la justice et de la responsabilité civile170. En tout état de cause, le principe consacre, de manière particulièrement nette, le préjudice subi comme critère unique d’indemnisation171, et par là même, le caractère prioritaire de la fonction réparatrice.

Le caractère subsidiaire de la dissuasion 2 -

72 - Le caractère subsidiaire ou autonome de la fonction punitive ou dissuasive. La question de la peine privée. La responsabilité civile pour faute a naturellement une fonction punitive subsidiaire, découlant de sa fonction première de réparation, dès lors que pour le responsable, les dommages-intérêts auxquels il se voit condamné constituent une sorte de sanction au titre de la faute qu’il a commise. Toutefois, un courant doctrinal, déjà ancien, a voulu aller plus loin et conférer à la responsabilité civile une fonction punitive, non plus subsidiaire, mais autonome en instaurant une « peine privée » ; l’idée n’est d’ailleurs pas étrangère à l’histoire de l’institution, qui a mis du temps à se démarquer véritablement de la responsabilité pénale. Elle connaît en outre, depuis quelques années, un renouveau sous la plume de divers auteurs qui, devant le constat de la pratique insidieuse par le juge de la peine privée sous couvert du principe de réparation intégrale, appellent de leurs vœux l’introduction en droit français des dommages-intérêts punitifs ou exemplaires, qui existent notamment dans les systèmes

169 Y. Chartier, La réparation du préjudice, Dalloz, 1996, p. 34.

170 V. notamment Ch. Coutant-Lapalus, Le principe de réparation intégrale en droit privé, préf. F. Pollaud- Dulian, Presses universitaires d'Aix-Marseille, coll. Institut de droit des affaires, 2002, n° 79 à 86.

171 M. Bacache-Gibeili, op. cit., n° 597, écrit ainsi : « le principe de la réparation intégrale signifie simplement

que le critère exclusif de la détermination de la créance de réparation réside dans l’étendue du dommage subi par la victime. Tout autre critère est inopérant. Il en va ainsi de considérations relatives au responsable lui- même, telles que la gravité de la faute commise, l’étendue des profits qu’il tire de l’activité illicite, ou simplement ses facultés contributives. La réparation est toujours intégrale, même lorsque le responsable n’est coupable que d’une faute légère ou lorsqu’il n’est tenu que sur un fondement objectif. Il en va de même de toute autre considération d’ordre général tenant notamment à des “impératifs budgétaires”. La créance de réparation étant indemnitaire, son montant ne peut être déterminé que du seul point de vue de la victime. La Cour de cassation n’hésite pas d’ailleurs à censurer les juges du fond lorsqu’ils utilisent, pour évaluer le montant de la réparation, un critère autre que l’étendue des préjudices ».

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juridiques anglo-saxons172. La proposition a d’ailleurs été formulée par le rapport Catala173

ainsi que par la proposition de loi Béteille.

73 - Pour le maintien du caractère subsidiaire de la fonction punitive ou dissuasive. Les arguments contre la peine privée. L’idée de peine privée ne nous convainc pas. Nous estimons, pour notre part, que la fonction de la responsabilité civile est prioritairement la réparation et, seulement à titre subsidiaire, la dissuasion, par l’effet mécanique de la réparation. En d’autres termes, il nous paraît inopportun de conférer à la responsabilité civile une fonction punitive autonome, que ce soit, hypocritement, sous couvert d’une réparation artificielle – et donc en contradiction avec le principe de réparation intégrale -, ou bien, ouvertement, sous la forme dommages-intérêts punitifs - sans violation alors du principe de réparation intégrale, celui-ci n’ayant pas valeur constitutionnelle.

D’une part, d’un point de vue technique, comme l’écrit le doyen Carbonnier, la fonction dissuasive a perdu « une bonne part de son mordant » en raison du fort développement de l’assurance174 ; cette première remarque ne vaut toutefois que pour la « peine privée insidieuse » pratiquée par les juges du fond sous couvert de leur pouvoir souverain

d’appréciation, les dommages-intérêts punitifs étant par nature inassurables. D’autre part et surtout, d’un point de vue fondamental, il existe déjà une institution au sein de notre système juridique, le droit pénal - et plus largement le droit répressif -, auquel incombe légalement cette mission et qui, par conséquent, a été doté de toutes les garanties qui doivent encadrer le prononcé d’une sanction175. Il en est ainsi notamment du principe cardinal du droit pénal de

légalité des délits et des peines, en vertu duquel toute incrimination ou toute peine doit être

172 V., notamment, S. Carval, La responsabilité civile dans sa fonction de peine privée, préf. G. Viney, LGDJ, coll. Bibl. dr. pr., t. 250, 1995 ; G. Viney, Introduction à la responsabilité, op. cit., n° 75-1 ; G. Viney et P. Jourdain, Les effets de la responsabilité, op. cit., n° 4 et s. ; Ph. le Tourneau, op. cit., n° 45 et s., proposant de verser les dommages-intérêts supplémentaires à des fonds de garantie. Adde C. Grare, Recherches sur la

cohérence de la responsabilité délictuelle : l’influence des fondements de la responsabilité sur la réparation,

préf. Y. Lequette, Dalloz, coll. Nouvelle bibliothèque de thèses, vol. 45, 2005, n° 362 et s., proposant également de scinder la responsabilité civile en deux actions distinctes : l’une à fin de « compensation », ayant une fonction indemnitaire, et l’autre à fin d’« expiation », ayant une fonction uniquement normative et pouvant être mise en œuvre même en l’absence de dommage. Adde A. Jault, La notion de peine privée, préf. F. Chabas, LGDJ, coll. Bibl. dr. pr., t. 442, 2005.

173 Le rapport Catala a proposé l’instauration de dommages-intérêts punitifs, devant être versés à l’Etat (art. 1371).

174 J. Carbonnier, op. cit., p. 2253. V., également, G. Viney, Introduction à la responsabilité, op. cit., n° 40 et n° 75-1 ; Ph. Brun, op. cit., n° 12.

175 On le sait, le droit administratif répressif a été progressivement doté de ces garanties, sur le modèle du droit pénal. V., notamment, Th. Perroud, La fonction contentieuse des autorités de régulation en France et au

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expressément prévue par un texte, et de son corollaire, le principe de non-rétroactivité de la loi pénale, sauf si elle est plus douce. Mme Suzanne Carval écrit ainsi : « le principe de

légalité des délits et des peines est une des garanties fondamentales que la Déclaration des droits de 1789 accorde aux justiciables : il empêche que l’individu soit livré à l’arbitraire du juge (celui-ci ne pouvant punir que si un texte l’y autorise expressément), tout comme il interdit qu’il subisse le caprice du législateur (la loi pénale plus sévère ne peut rétroagir)

»176. Il s’agit, en effet, d’une liberté fondamentale, d’un impératif de justice absolu, que toute personne soit en mesure de connaître les faits susceptibles d’être punis au moment où elle les commet.

Or, un des arguments des partisans de la peine privée est justement que la responsabilité civile permet, par la souplesse de son fait générateur, d’assurer une fonction normative là où le droit pénal n’intervient pas. Mme Geneviève Viney estime ainsi que, pour que le droit pénal parvienne à remplacer complètement la responsabilité civile dans sa fonction normative en raison du développement de l’assurance, « il faudrait que les incriminations pénales soient

considérablement élargies car précisément ce qui caractérise la responsabilité civile et lui permet, à condition qu’elle ne soit pas intégralement assurée, de jouer un rôle dissuasif efficace, c’est la souplesse de la définition du ”fait générateur”. Or il ne paraît guère pensable et, en tout cas, certainement pas souhaitable, de créer en toutes matières des incriminations à contenu indéfiniment extensible, ce qui en fait reviendrait en fait à abolir le principe, si essentiel pour les libertés individuelles, de la ”légalité des délits”. C’est pourquoi nous estimons que la responsabilité civile ne devrait pas être totalement évincée de sa fonction normative et préventive et qu’il est souhaitable, dans cette perspective, d’officialiser et d’organiser la fonction de ”peine privée” qui peut lui être reconnue dans des domaines nombreux et importants »177. Il est pour le moins curieux, d’un point de vue logique, de

s’appuyer sur le respect du principe de légalité des délits afin de justifier la fonction de peine privée, qui constitue justement une dérogation à ce principe…Plutôt qu’un avantage ou une supériorité quelconque sur le droit pénal, nous y voyons, au contraire, une dérive, une atteinte à une liberté individuelle essentielle.

176 S. Carval, op. cit., n° 208.

177 G. Viney, Introduction à la responsabilité, op. cit., n° 75-1. Adde Ph. Brun, op. cit., n° 13, invoquant « la

souplesse de la sanction civile qui n’est pas bornée comme la sanction pénale par le principe de légalité et qui apparaît ainsi plus à même d’influencer positivement les comportements ».

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Dans le même ordre d’idées, Mme Suzanne Carval soutient que si la peine privée n’échappe pas au principe de légalité, elle peut être soumise à un principe de légalité « atténué », comme il en va en matière administrative, « consistant à donner au juge le pouvoir de sanctionner la

violation d’obligations définies par des textes »178. Elle ajoute : « le degré de précision de cette définition devrait, bien sûr, être suffisant pour assurer que le justiciable soit en mesure de s’y conformer, ce qui n’exclut pas, cependant, l’emploi de termes plus généraux que ceux auxquels le législateur doit avoir recours en droit pénal »179. On voit mal en quoi consiste

précisément ce principe de légalité « atténué ». Soit, il est quasiment équivalent au principe de légalité proprement dit, et on comprend mal alors pourquoi il faudrait faire échapper ces comportements à l’orbite du droit pénal pour les soumettre au juge civil. Soit, il est véritablement atténué, et il constitue alors, selon nous, une atteinte regrettable à une liberté fondamentale, peu important, contrairement à ce que soutient Mme Suzanne Carval, que cette atteinte soit déjà fréquente en matière disciplinaire, administrative, voire même pénale180…Au contraire, si cette atteinte est déjà fréquente en pratique, n’est-il pas encore

plus dangereux que de vouloir l’institutionnaliser ? On ne peut créer une nouvelle sanction, fût-ce sous la forme de dommages-intérêts, qu’à condition de l’assortir des garanties inhérentes au droit répressif.

Enfin, d’un point de vue plus général, on observera avec M. Philippe Brun, que l’introduction de dommages-intérêts punitifs « s’apparenterait à une révolution au sens copernicien du

terme, puisqu’elle marquerait dans une certaine mesure le retour à la confusion originaire de la réparation et de la répression que notre Droit a pourtant bannie »181. L’on assiste en fait à

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