d) Conséquences et mesures préventives adoptées
A. Sur la méthode
IV. DISCUSSION
A. Sur la méthode
1. Type d’enquête choisi
Notre étude constituait à notre connaissance, le premier travail français entièrement consacré aux sentiments des femmes médecins face à la violence. Cinq autres travaux de thèse en France, s’étaient intéressés à l’insécurité des médecins sans distinction de sexe (4–8). La profession médicale, et en particulier, l'exercice de la médecine générale, se féminise. En effet, 53% des nouveaux médecins généralistes inscrits au tableau de l’Ordre en France pour l’année 2010 étaient des femmes (1). Ainsi, ce travail répond à un besoin d'évaluation des conditions de sécurité de cet exercice par les professionnels concernés.
Une seule de ces thèses utilisait la méthode qualitative par entretiens semi-‐directifs (8).
Dans les 4 autres thèses, l’étude avait été réalisée par la méthode du questionnaire. Les données recueillies avaient ainsi pu être quantifiées, ce qui correspondait à la vision quantitative de la recherche.
A l’instar des études quantitatives, il existe pour les enquêtes qualitatives des critères de validité. Mucchielli les définit ainsi (9) :
• l’acceptation interne • la complétude • la saturation.
L’acceptation interne est définie par le fait que l’interviewé approuve le thème de l’étude, sa méthode de réalisation et l’analyse qui résulte des données recueillies. Ainsi, elle était indispensable à la réalisation de notre enquête. Les médecins interrogés devaient accepter notre présence comme enquêteur et le thème de notre travail. Ils devaient consentir aux résultats de l’étude et se reconnaître dans le portrait que nous
avions fait d’eux. Ils détenaient leur propre réalité.
La complétude de la recherche correspond à la totalité des résultats et à leur présentation en un document porteur de sens. L’analyse finale doit déboucher sur un ensemble cohérent composé de toutes les données. Elle doit être parfaitement crédible et compréhensible.
La saturation est à la recherche qualitative ce que la représentativité est à la recherche quantitative. C’est le phénomène qui apparaît au bout d’un certain temps lorsque les données que l’on recueille ne sont plus nouvelles. La recherche peut alors s’arrêter. Dans notre enquête, elle a été obtenue pour la majorité des thèmes :
• une majorité des médecins interrogés ont défini unanimement la violence • les mêmes profils de patients dangereux et facteurs déclenchant ont été
identifiés par nos interlocutrices
• aucune formation à la gestion d’agression ne leur a été dispensée
• un ressenti commun de vulnérabilité dû à leur condition de femme ressort de notre étude.
Un plus grand nombre d’interviewées aurait peut-‐être permis d’arriver à la saturation pour les conséquences qu’ont eues les agressions sur les médecins.
Nous avons fait le choix de réaliser une étude déclarative, faisant appel à la mémoire des participantes. Ce type d’entretien ne permet pas de vérifier ni de contrôler les faits. Il n’est pas l’expression sans biais de la réalité (17). Par ailleurs, nous n’avions fixé à nos interlocutrices aucune limite temporelle à leurs expériences. C’est pourquoi certains médecins ont parfois marqué quelques hésitations quant aux détails des circonstances de leurs agressions. Ainsi, comme le suggère Neuman, les erreurs des sujets ainsi interrogés constituent un biais. Elles peuvent être liées à des oublis, à la mauvaise compréhension des questions, à la gêne éprouvée ou à des mensonges liés à la présence d’autrui (18).
2. L’échantillon
Dans un souci pratique et logistique, nous avons sélectionné uniquement des médecins généralistes installés en Meurthe-‐et-‐Moselle. Nous pouvions ainsi les contacter et les rencontrer à leur cabinet. Ils pouvaient bénéficier d’une certaine expérience. Aucun médecin remplaçant n’a été inclus dans notre étude. Ceux-‐ci n’auraient pas pu fournir de renseignements quant à l’équipement de locaux professionnels en système de sécurisation. De plus, il nous est apparu délicat de joindre ces médecins à leur domicile et de les interroger chez eux ou dans un lieu public.
Un des médecins contactés téléphoniquement a refusé de participer à notre enquête. Ceci constitue un biais à notre étude. En effet, nous pouvons nous interroger quant aux raisons de ce refus : manque de temps, antécédent personnel d’agression douloureux, désintérêt du sujet ou sentiment de ne pas être concerné par le sujet ?
3. Recueil des données
Il s’agissait pour nous de la première réalisation d’enquête par entretiens. Notre inexpérience de l’exercice a inéluctablement occasionné une perte d’informations et certains oublis pendant les entretiens. Ces erreurs non intentionnelles dues à notre négligence ont pu constituer un biais. Elles englobaient :
•
la mauvaise lecture d'une question•
la modification non pertinente de l'ordre des questions•
la mauvaise compréhension de la réponse de l'informateur•
la prise en compte d'une réponse non pertinente ou incorrecte fournie à une question par l'informateur (18).Malgré notre travail préalable d’apprentissage et d’appréhension de cette technique, la conduite de nos entretiens, comme tout « art », s’est améliorée au fil des interviews, par la méthode des essais et erreurs (11). De plus, ce type d’enquête nécessitant la spontanéité des deux parties, la réalisation d’entretiens tests avec les médecins
sélectionnés n’était pas envisageable. Néanmoins, nous avons éprouvé nos capacités d’enquêteur sur notre famille.
L’enquête par entretiens semi-‐directifs préconise une « proximité » entre l’intervieweur et l’interviewé, un « engagement » réciproque pour rechercher une information authentique et sincère. Il faut donc éviter la neutralité, la distance et inciter l’autre à se livrer, à exprimer son savoir le plus profond, y compris en prenant son parti. L’intervieweur doit conforter l’autre dans ce qu’il dit, ne pas donner de signe qui pourrait le désapprouver.
Le risque, c’est que l’enquêteur fasse dire à l’interviewé ce que ce dernier n’aurait peut-‐ être pas tout seul affirmé (19). Plusieurs facteurs ont ainsi pu influencer nos interlocuteurs :
• notre ton de voix • notre attitude
• nos réactions aux réponses
• nos commentaires effectués hors du contexte de l'entretien (18).
Enfin, pour être fiable, la mesure doit être uniforme d'un individu à l'autre dans l'enquête, quel que soit le milieu et quel que soit le moment. Pour que nous puissions faire des énoncés généraux, il est essentiel que l'information soit semblable. Ainsi, la fiabilité exige l'utilisation d'instruments identiques de collecte des données et de procédés d'enquête conçus pour améliorer l'uniformité (20). Ce critère de fiabilité a été respecté dans notre étude selon les modes de réalisation suivants : usage d’un guide d’entretien, réalisation des entretiens sur le lieu de travail, enregistrement des entretiens et intervention d’un seul enquêteur.
4. Traitement de l’information
La recherche de la représentativité statistique a peu de sens dans les méthodes qualitatives. Les chiffres indiqués tout au long de notre travail ne sont pas significatifs, l’objectif de cette méthode étant bien de recueillir des témoignages et comprendre les
médecins.
Notre manque d’expérience dans l’interprétation des résultats ne nous a sans doute pas permis d’atteindre la complétude de cette recherche. Cette inexpérience a pu constituer un biais en rapport avec des erreurs liées à une exploitation insuffisante ou défectueuse des résultats de l'étude (18). Afin de limiter au maximum ce biais d’interprétation, nous avons réalisé, en collaboration avec le Dr BENOTEAU une double lecture et analyse du verbatim.
Une collaboration ultérieure avec un sociologue pourrait nous permettre d’approfondir notre travail et d’en extraire de nombreuses autres données, notamment par une analyse formelle (sur l’expression même du discours), de l’énonciation ou de l’évaluation (12).