Notre manque d’expérience dans l’interprétation des résultats ne nous a sans doute pas permis d’atteindre la complétude de cette recherche. Cette inexpérience a pu constituer un biais en rapport avec des erreurs liées à une exploitation insuffisante ou défectueuse des résultats de l'étude (18). Afin de limiter au maximum ce biais d’interprétation, nous avons réalisé, en collaboration avec le Dr BENOTEAU une double lecture et analyse du verbatim.
Une collaboration ultérieure avec un sociologue pourrait nous permettre d’approfondir notre travail et d’en extraire de nombreuses autres données, notamment par une analyse formelle (sur l’expression même du discours), de l’énonciation ou de l’évaluation (12).
B. Sur les résultats
1. La violence au cabinet médical
a) Actes et patients violents
Quatorze des médecins interrogés évoquaient des antécédents d’agressions. Cependant, tous s’accordaient sur le fait que ces incidents restaient exceptionnels. Le CNOM recense chaque année les incidents déclarés par les praticiens. Différents types d’incidents sont décrits. Le rapport du 18 Mars 2011 de l’Observatoire pour la Sécurité des Médecins (2) les définit comme :
• les agressions verbales • les agressions physiques • les vols ou tentatives de vols • les actes de vandalisme.
CNOM révèle une hausse du taux d’agressions verbales. Elles représentent le premier caractère de sinistralité : 57% en 2009 contre 63% en 2010. De même les vols à l’encontre des médecins connaissent une légère hausse et constituent toujours la deuxième cause d’agression, comme dans notre travail.
Il est intéressant de souligner que les médecins interrogés n’ont pas identifié les vols ou les actes de vandalisme comme de la violence. Cependant, ils nous rapportaient tous de multiples exemples d’incidents de ce type durant leur carrière.
Les atteintes aux personnes constituent 72% des incidents recensés en 2010 par le CNOM. Elles comprennent 13% d’agressions physiques de multiples natures dont :
1. 12% coups et blessures volontaires 2. 1% arme sur la tempe
3. < 1% tentative d’homicide 4. < 1% agression sexuelle 5. < 1% séquestration.
Parmi nos interlocutrices, 1 avait été victime de violence physique, plusieurs avaient été séquestrées, 1 avait été menacée par arme à feu et 2 avaient subi des violences sexuelles. L’Organisation Mondiale de la Santé définit la violence sexuelle comme :
«Tout acte sexuel, tentative pour obtenir un acte sexuel, commentaire ou avances de nature sexuelle, ou actes visant à un trafic ou autrement dirigés contre la sexualité d’une personne utilisant la coercition, commis par une personne indépendamment de sa relation avec la victime, dans tout contexte, y compris, mais s’en s’y limiter, le foyer et le travail » (21).
L’ampleur de ce type d’incident semble être minimisée dans le milieu médical comme dans le reste de la société. En effet, les données disponibles dans ce domaine sont exclusivement fournies par la Police, les instances juridiques et les services médicaux. Or on sait que beaucoup de victimes hésitent à dénoncer ces violences sexuelles subies que ce soit à la police, à leur famille ou à des tiers. Ainsi, les informations actuellement disponibles relatives à ce fléau, ne seraient pas le reflet de la réalité. En effet en 1993, une étude a montré que plus de 75% des femmes médecins interrogés en Ontario
avaient déjà subi des violences sexuelles par des patients (22). Les femmes médecins victimes de ces incidents pourraient émettre des réticences à témoigner. De tels actes influeraient sur leur bien-‐être social, les victimes étant souvent stigmatisées et parfois mises au ban de la société. De plus, les conséquences de ces violences auraient des répercussions directes sur le bien-‐être de leur famille et de leur communauté (21). Selon 2 praticiennes, tout patient serait susceptible de développer de la violence. Pour le reste de notre échantillon, certains profils de patients prédisposeraient à cette violence. D’après Toutin et Bénézech, il semblerait qu’il existe des profils psychologiques ou criminologiques plus récurrents que d’autres, dans les agressions à l’encontre du médecin (23). Ils citent notamment les patients :
• anxieux • impulsifs
• alcooliques violents • toxicomanes
• avec des troubles de la personnalité • avec des troubles de l’humeur • psychotiques
• délinquants de droits communs.
La majorité de ces personnalités jugées dangereuses ont été citées par nos interlocutrices. Ainsi pour elles, les soignés les plus dangereux seraient les patients souffrant de pathologies psychiatriques. L’une d’elles identifiait leur rupture de soins et l’absence de prise en charge spécialisée comme des facteurs déclenchants de cette violence. Dubreucq et al. ont listé les circonstances qui augmentent le risque de survenue d’un comportement violent chez certains patients :
• histoire de violence antérieure
• non observance de la médication et du suivi
• abus d’alcool ou de drogues (24).
De plus, comme le souligne Manca, avec le manque de prestataires de soins en santé mentale, les médecins de famille ont un contact de plus en plus important avec les patients psychiatriques. Etant peu expérimentés dans la prise en charge spécifique de ces patients, ils sont plus à risque d’être victimes de harcèlement (25).
Mais l’essentiel de la violence dans notre société n’est pas dû aux malades mentaux. En effet, dans notre étude, l’addiction est identifiée comme une maladie propice à la manifestation de violence. L’état de manque qu’elle instaure oblige les patients à se procurer rapidement et par n’importe quel moyen leur produit de prédilection, au risque de recourir à la violence physique. Les substances convoitées peuvent également faire l’objet d’un trafic parallèle. Les agresseurs ne sont donc plus considérés comme des malades mais comme des dealers (26).
Ces patients présentent donc effectivement un risque de violence à l’encontre de leur médecin d’une part et de leur famille ou de tierces personnes d’autre part.
La prise en charge des patients alcoolisés, souvent réfractaires à un projet de soins, peut aussi amener les praticiens à gérer des situations parfois délicates et dangereuses.
Certains praticiens ont trouvé la source de cette violence sociale ambiante dans le contexte économique européen morose. Celui-‐ci entrainerait au sein des foyers français une dangereuse précarité. Alors, les plus démunis seraient capables de voler ou vandaliser pour subvenir à leurs besoins. Y a-‐t-‐il un réel lien de causalité entre crise financière et violence ? Il semblerait que oui. En effet, dans une enquête réalisée en Septembre 2010 par TNS Sofres auprès des français, les causes de l’insécurité en France sont :
• la crise économique et le chômage pour 48% des personnes interrogées • les mauvaises conditions de vie dans certains quartiers pour 39% (27). Un médecin interrogé excusait les dégradations gratuites, pillages insensés ou violences sans but évident par la crise sociale [13]. Il s’agirait plutôt là d’un moyen de se rassurer quant à la nature humaine.
Enfin, le sexe des patients violents n’a été que très peu cité. Les médecins interrogés ont majoritairement jugé les hommes plus violents que les femmes. Selon l'Observatoire National de la Délinquance et des Réponses Pénales (ONDRP), les hommes représentaient en 2010, 83,9% des 1 146 316 personnes mises en cause pour crimes et
délits par la police et la gendarmerie en France métropolitaine. Plus de 85 % des mis en cause pour des violences physiques, verbales ou des menaces étaient des hommes (28). Pourtant, l’existence d’une violence féminine a été citée par 2 des médecins interrogés. Alors qu’elle soit sous-‐estimée ou limitée à des cas exceptionnels, la violence des femmes a néanmoins bien lieu et est avérée (29).
b) Une forme particulière de violence : le burn out
Deux médecins évoquaient être victimes d’un autre type de violence, lié spécifiquement à leur activité professionnelle : le burn-‐out. Il touche essentiellement les professions qui nécessitent une forte sollicitation mentale et une implication émotionnelle et affective importante (30). Il se définit comme un « état de fatigue, ou d’incapacité à fonctionner normalement dans le milieu du travail quand les demandes dépassent la capacité d’un individu à les recevoir » (31).
Ce syndrome comprend plusieurs phases :
1. l’épuisement émotionnel : fatigue active et difficulté à trouver une distance émotionnelle satisfaisante avec le patient
2. la déshumanisation de la relation à l’autre : mode d’adaptation initiale au stress professionnel, peut être dangereux pour le patient qui perd sa position de personne (32)
3. la diminution de l’accomplissement personnel : faillite narcissique avec désinvestissement de soi.
Le risque à long terme de ce syndrome est le suicide du praticien.
Ce type de violence dont témoignaient ces médecins n’est pas rare. C’est pourquoi une réflexion quant au diagnostic précoce de stress chez les médecins est indispensable. Cela permettrait d’assurer des soins adaptés aux patients et de venir en aide aux médecins en détresse avant d’engager ce processus destructeur.