e) Intégration de la notion de violence : sécurisation de l’exercice de façon
préventive
Le Conseil National de l’Ordre des Médecins (CNOM) s’efforce d’améliorer les conditions de sécurité des professionnels de santé. Ainsi, il met à leur disposition un guide pratique pour la sécurité des professionnels de santé (38). Il résulte d’un travail entre le Ministère de l’Intérieur, l’Observatoire national des violences en milieu hospitalier (ONVH) et les 7 ordres des professions de santé : médecins, chirurgiens-‐ dentistes, sages-‐femmes, pharmaciens, infirmiers, masseurs-‐kinésithérapeutes et pédicures podologues.
le Ministère de l’Intérieur, consultable en ligne. Ces fascicules sont des inventaires de mesures et recommandations pour les soignants afin de prévenir les actes de malveillance dont ils pourraient être victimes. Ils contiennent également des conseils en matière d’aménagement du cabinet et de sécurisation. Pourtant, une minorité de nos interlocutrices en connaissaient l’existence. Une de nos interlocutrices expliquait d’ailleurs qu’elle n’avait pas attendu les consignes du CNOM pour équiper son cabinet [7]. Il semblerait que ces outils de prévention réalisés par le CNOM devraient bénéficier d’une meilleure médiatisation auprès des professionnels.
Les médecins interrogés exerçaient de différentes façons. Cependant ils énonçaient certaines mesures similaires en matière de prévention de la violence.
Le travail en association permettrait de réduire les agressions en atténuant l’isolement physique et psychologique des médecins et de leurs collaborateurs. Ainsi, l’essor des maisons médicales peut avoir un intérêt pour leur sécurité (40).
De même, l’existence d’un secrétariat représenterait un bouclier pour le médecin face à la violence des patients. En première ligne face aux soignés, les secrétaires seraient parfois davantage confrontées à leurs agressions. Mais transférer la violence du médecin à la secrétaire constitue-‐t-‐il un moyen concevable de sécurisation de l’exercice professionnel ?
Les consultations sur rendez-‐vous assureraient une meilleure organisation temporelle d’une part et une prévention des incidents d’autre part. Ils dissuaderaient les patients malveillants et diminueraient le délai en salle d’attente.
La moitié des médecins interrogés ne participaient pas à la PDS. Ceci constituait pour eux une mesure préventive non négligeable à la violence. En effet, les gardes impliquaient un recrutement de patient élargi au-‐delà de leur patientèle et de leur secteur habituels. Elles procuraient un sentiment d’insécurité. Néanmoins, l’abandon de la participation à la PDS constitue un manquement aux devoirs civiques et professionnels selon l’article 47 du Code de la Santé Publique (article R.4127-‐47). De plus, si ce désengagement des praticiens pour la continuité des soins se généralisait à l’ensemble de la profession, les modalités d’accès aux soins pour tous seraient compromises et devraient être réorganisées.
Les alarmes anti intrusion et les systèmes de vidéosurveillance sont les premiers outils de sécurisation auxquels pensent les médecins libéraux (40). Les vols sont particulièrement redoutés par ces cibles prisées détenant de l’argent, du matériel informatique et des téléphones portables (39). Cependant dans notre série, une minorité de médecins possédait ces systèmes de sécurisation. Un d’entre eux expliquait d’ailleurs qu’il refusait de « travailler dans un bunker » [5].
Un autre utilisait une ruse afin de dissuader, de compliquer et de rendre mal aisé un passage à l’acte malveillant en prétendant un enregistrement permanent de sa salle d’attente et relié à la Police. Il opérait ainsi une prévention situationnelle [15] (23). Certains praticiens de notre panel adaptaient leur comportement selon certaines situations de soins. Ainsi, la majorité d’entre eux expliquait rester calme et établir la communication avec les patients agressifs. Ces attitudes permettraient sinon d’empêcher l’agression, du moins d’en limiter les dommages (38). Lors des Assises Nationales de la Femme Médecin Libéral, il a été précisé qu’en cas de violence, il fallait prendre en compte le rapport de force et éviter le cercle vicieux de l’agressivité (41). En effet, ce principe d’établir un lien avec l’agresseur, le rassurer en échangeant avec lui de façon courtoise s’avère efficace. C’est ainsi qu’en Février 1993, un homme qui reprochait aux médecins d’un hôpital de Los Angeles de lui avoir inoculé le syndrome de l'immunodéficience acquise (SIDA) lors d’un examen physique pour un entretien d’embauche prenait en otage un groupe de personne au sein de l’établissement pour se venger. Il avait préalablement tiré sur 3 médecins avec une arme à feu. Un neuro-‐ pédiatre parmi les otages réussit, avec l’aide des Forces de l’Ordre locales à raisonner l’homme armé et à faire cesser la séquestration. Son expérience de réussite de négociation avec le preneur d’otages a été reprise à des fins pédagogiques par la police (42).
Certains médecins de notre panel sollicitaient une tierce personne lorsque le motif d’appel ou le lieu de la visite les alertait. Ils la renseignaient quant à l’identité du patient, sa pathologie supposée voire même son domicile. Le fait de partager ces informations avec une secrétaire médicale ne transgresse pas l’obligation du médecin au secret professionnel (article R.4127-‐4 du code de la santé publique). Il s’agit du secret partagé qui reste limité aux membres de l’équipe soignante (article L.1110-‐4, al 3 du code de la
dérogations légales. Partager des informations confidentielles avec leur conjoint ou leurs proches constitue donc un manquement au devoir des médecins. Cependant, ces femmes médecins qui se sentaient souvent isolées et impuissantes dans des situations de soins dangereuses, souvent nocturnes, n’avaient d’autres recours que leurs proches comme moyens pour se rassurer. La création d’un service d’aide nocturne spécifique aux médecins participant à la PDS semblerait être une alternative intéressante. Cette assistance nocturne pourrait s’envisager comme suit :
-‐ équipement d’une assistance secours rapide : déclenchement d’un appel d’urgence aux Forces de l’Ordres en appuyant sur un bouton de montre-‐ téléphone géolocalisateur.
-‐ mise en place sur le logiciel de traitement des appels au 15/112 par les Assistants de Régulation Médicale (ARM) d’une réactivation du contact avec les médecins après un délai prédéfini sur les lieux de la visite.
De ce fait, les médecins ne dérogeraient plus au secret médical et bénéficieraient d’une relative protection.
Une praticienne expliquait avoir effectué, pour des raisons de sécurité, plusieurs visites avec la porte d’entrée ouverte au domicile d’un même patient [3]. Une autre, avertie de la dangerosité potentielle d’un soigné qui détenait une arme à feu, en avait informé son psychiatre [11]. Nous sommes étonnées que les médecins dans ces 2 exemples n’aient pas renseigné le Préfet du caractère menaçant de ces patients, pour eux-‐mêmes ou pour autrui. Pourtant, le signalement aux autorités compétentes effectué dans les conditions prévues dans l’article 226-‐14(3) du Code Pénal, ne peut faire l’objet d’aucune sanction disciplinaire. Alors, les médecins connaissent-‐ils réellement leurs droits et leurs devoirs ? Ou serait-‐ce la peur des représailles qui les dissuade ?
Pour la majorité des médecins interrogés, ces différents moyens de sécurisation ont été installés en prévention d’incidents et non au décours de ces derniers. Ces médecins, conscients d’être exposés à une violence potentielle, l’ont anticipé.
Une de nos interlocutrices évoquait l’idée de créer un dispositif préventif, spécifique aux risques inhérents à la profession médicale libérale [3]. Elle suggérait la mise en place d’un système de géolocalisation pour les médecins ainsi qu’une ligne téléphonique directe entre les médecins et les Forces de l’Ordre. Ainsi, une aide rapide pourrait leur être apportée. Cette dernière mesure est actuellement en vigueur à Paris et en Seine-‐ Saint-‐Denis (43) . Généraliser cette dernière à l’ensemble du territoire français semblerait intéressant. Le Président du CNOM a d’ailleurs signé le 10 mai 2011 le protocole national dit « Santé-‐Sécurité-‐Justice-‐Ordres » réclamé depuis de nombreuses années pour la sécurité des professionnels de santé, également signé en Meurthe-‐et-‐ Moselle. L’objectif est de concrétiser la création de numéros dédiés aux professionnels de santé dans le cadre de la prévention des agressions, des agressions elles-‐mêmes et des suites de ces dernières.
2. Formation
Nous avions questionné les médecins sur l’existence d’une formation à la gestion de la violence pendant leur cursus universitaire. Aucun d’eux ne semblait avoir bénéficié d’un enseignement ni même d’une sensibilisation à cette réalité pendant leur FMI. Pourtant les médecins font partie des professions les plus touchés par les agressions physiques et verbales, comme les contrôleurs de la Poste, les employés de banque ou les agents de sécurité (44). Ainsi dans l’exercice médical, la violence constitue un risque professionnel. A ce titre, les futurs médecins devraient être formés, entrainés et préparés afin de prévenir et de gérer ce risque (45).
La majorité de nos interlocutrices évoquaient l’expérience comme principale méthode d’apprentissage et d’appréhension de la violence. Or, nous avons remarqué que les violences verbales perpétrées à leur encontre émanaient le plus souvent d’un soigné de leur patientèle. Alors, il serait certainement utile d’inculquer aux étudiants en médecine la nécessité d’éduquer leur patientèle. En effet, ériger des barrières avec des lignes de conduite bien définies pour les patients permettrait au médecin de se faire respecter et de contrôler la relation soignant/soigné. Ceci protègerait le médecin comme le patient de certaines situations conflictuelles. Il est évident que l’éducation de la patientèle
devrait débuter à l’aube de la carrière professionnelle, les mauvaises habitudes ayant tendance à ne jamais disparaître (45).
Les FMC ne constituaient pas d’avantage une source formatrice à l’appréhension de la violence pour la plupart de nos interlocutrices. Cependant certaines évoquaient leur existence mais n’y avaient pas participé par manque de temps alors qu’elles portaient un intérêt à ce thème. Leurs statuts de médecin, de femme et de mère impliquaient pour celles-‐ci des choix voire des renoncements au risque de se mettre en danger.
Nous notons qu’aucun des médecins interrogés n’évoquait les groupes Balint qui constituent certainement un des moyens les plus formateurs en matière de situations de soins difficiles. Ce sont des groupes de parole composés de médecins et dirigés par un psychiatre. Les médecins exposent des situations de soins délicates auxquelles ils ont été confrontés. Ainsi, cette méthode de « formation-‐recherche » permet aux praticiens d’analyser leurs affects et émotions impliqués dans la relation soignant/soigné et d’appréhender différemment les situations délicates afin d’éviter le conflit.
Enfin, rencontres et échanges entre médecins installés et étudiants en médecine pourraient constituer un volet intéressant au niveau de cette formation. Les interrogations et appréhensions des jeunes relatives à des situations de soins particulières pousseraient les plus expérimentés à réfléchir et à remettre en question certaines de leurs pratiques (45). En effet, certains médecins vivent régulièrement des évènements à risque de violence sans en réaliser le danger. Et inversement pour les étudiants, ces échanges leur permettraient de prendre conscience d’une réalité à laquelle ils n’ont jamais été confrontés au cours de leurs études.
3. Conséquences de la violence
a) Signalement
i. Aux forces de l’ordre
Sur le plan judiciaire, il existe plusieurs démarches, en fonction de la gravité des faits et des circonstances : la main courante et le dépôt de plainte.
La main courante est une déclaration à faire auprès du commissariat de police. Elle permet de relater les faits dont est victime une personne, sans qu’ils constituent une infraction pénale. Elle ne déclenche pas de procédure judiciaire. Le numéro d’enregistrement de la mention est communiqué à la victime. L’information est archivée localement.
La plainte peut être déposée dans n’importe quel service de police ou brigade de gendarmerie. Elle peut aussi être adressée directement, sur papier libre, au procureur de la République. Elle est enregistrée sur un procès-‐verbal, dont une copie est remise à la victime. Si la situation le requiert, en l’occurrence la peur des représailles, la plainte peut être recueillie sur place ou dans le cadre d’un rendez-‐vous. De même, une domiciliation à l’adresse professionnelle de la victime, voire au service de police ou à la brigade de gendarmerie territorialement compétente, peut être proposée à la victime après accord du procureur de la République.
Une plainte avec constitution de partie civile adressée au doyen des juges d’instruction est également possible.
Le procureur de la République informe ensuite la victime des suites procédurales réservées à sa plainte, qu’il s’agisse d’un classement sans suite, d’une mesure alternative aux poursuites pénales ou d’un renvoi à une juridiction Pénale(38).