4. Antécédents de violence
Nous avons voulu savoir si nos interlocutrices avaient été confrontées à la violence dans leur pratique quotidienne. Dans l’affirmative avaient-‐elles donné suite ? Quelles conséquences cela avait-‐il eu sur leur pratique professionnelle ?
a) Antécédents et type d’agressions rencontrées
Dans notre étude, 14 interlocutrices avaient subi des actes de violence de différentes natures.
L’agressivité verbale est celle qui a été le plus souvent rencontrée par les médecins interrogés. Pour certains, ces incidents ont été occasionnels19 et ils n’y ont accordé que peu d’importance. Actuellement la violence verbale ça peut encore arriver. (…)Des propos
déplacés mais c’est pareil (…) ça me passe au-dessus [7]. Ou encore j’ai été deux fois agressée verbalement fort (…). Mais c’est pas des expériences qui m’ont choquée [9].
D’autres au contraire jugeaient ce type d’agression comme habituelle dans leur pratique quotidienne [3 et 4] : les violences verbales euh, ça paraît bête mais j’ai tellement
Des épisodes de violence physique ont été relatés. Ces actes survenaient de façon exceptionnelle mais pouvaient être violents et traumatisants pour les médecins victimes. Cinq praticiennes ont subi des agressions physiques de natures différentes : séquestration20, recours à la force physique21 ou agression sexuelle22.
Une violence morale ou psychologique a été infligée à plusieurs médecins. Deux médecins décrivaient avoir été terrorisés et déstabilisés par certains comportements de leurs patients [3 et 4].
D’autres expliquaient être parfois victimes de menaces : de changer de médecin [1 et 4], de violence physique [1, 4 et 11], de vandalisme [8] ou encore de menace avec arme [1]. Deux médecins expliquaient subir une violence psychologique en provenance d’autres sources que les patients. Ce qui m’agresse c’est téléphoner à la Sécu et de m’entendre dire
qu’on peut rien faire pour moi ou que, ou pour mon dossier, euh, que j’ai pas rempli le bon imprimé, que c’est pas comme ça qu’il faut faire [6]. Ou encore on est en train de dégrader l’image (…). On veut véritablement la mort du médecin généraliste (…) en l’occurrence c’est euh, confer le MEDIATOR® (…). Moi je prescris donc c’est très grave mais le pharmacien ? Le pharmacien il est passé sous silence (…), il sait qu’il va donner quelque chose de mortel
[13].
De même, 2 médecins évoquaient avoir subi des épisodes d’épuisement professionnel ou burn-‐out durant leur parcours professionnel. Ils l’assimilaient à de la violence. Pour l’un, il résultait essentiellement d’un manque de respect du patient. Le burn out des médecins
il est, il est réel et, euh, c’est toutes ces situations là qui font que mises au bout, les unes aux autres, on y arrive quoi. (…) C’est vrai ; que, on touche ses limites une fois et après, je pense qu’on se dit, stop, je, je vais aussi me faire respecter parce que, parce qu’on a droit au respect [1].
L’autre l’assimilait à un épuisement psychique consécutif aux différentes situations de soins auxquelles il était confronté. Je suis une éponge sensorielle donc j’accumule
beaucoup les sentiments de tout le monde (…). J’étais limite de craquer là, en dernier, j’ai eu plein de décès, j’ai eu plein de cancers, plein de choses comme ça (…) et puis ça épuise beaucoup hein, c’est (…) une forme d’agressivité dans le sens que euh, on a l’impression d’être toujours en train de puiser sur ses réserves pour essayer de soutenir les gens et moi je me sens agressée au niveau de mon psychique [12].
Venaient ensuite les vols ou tentatives de vols. La majorité de nos interlocutrices en a été victime. Téléphone portable [2], sac à main [4], cadres et tableaux [4, 5 et 7] ont été dérobés. Parfois, la nature des objets volés était surprenante : distributeur de savon liquide [5 et 7], papier toilette [5], boutons de porte de placard et tapis [11] ou encore lunette des toilettes [15]. Quelquefois, le vol a revêtu une spécificité propre à la profession médicale avec un intérêt prédéfini pour le voleur. Ainsi, certaines praticiennes ont été dépossédées d’ordonnances [5 et 7] et même de leur sac de médicaments [13].
Enfin, certaines déploraient des actes de vandalisme dans leur cabinet : tags [11], saccage [13] et cambriolage [15].
b) Signalement
Dans notre échantillon, 9 médecins ont déjà engagé des mesures judiciaires. Un seul a réalisé une main courante suite à sa séquestration par un couple de patients psychotiques à leur domicile [12]. Les autres ont déposé plainte pour différents faits subis : vols d’ordonnances [5 et 7], de médicaments [13], d’objets personnels [2 et 4], menace par arme à feu [1], agression à caractère sexuel [3] et violences physiques et verbales [3 et 11].
Parmi nos interlocutrices, 9 connaissaient l’existence d’une fiche de signalement d’incident (annexe 1) [3, 5, 6, 8, 10, 11, 12, 14 et 15] et 2 d’entre elles l’avaient déjà utilisée pour informer l’Ordre des Médecins d’une agression [3 et 11]. Les autres praticiennes l’avaient averti soit par téléphone [4, 5, 7 et 13], soit par courrier [1, 10 et 12].
Les vols ont engendré le plus grand nombre de démarches par les médecins interrogés. Quand il revêtaient un caractère spécifique à la profession médicale, les praticiennes ont engagé des actions judiciaires et ordinales. Je me suis vue obligée quand même de signaler
à la police, parce qu’il y avait eu un vol d’ordonnances en fait, donc y a fallu ben déposer une plainte (…). J’ai prévenu l’Ordre des Médecins, parce que bon euh, on aurait pu être embêté avec les falsifications d’ordonnances [5]. Ou encore on m’a quand même piqué mes ordonnances (…). Oui c’est l’Ordre qui a dû me dire d’ailleurs d’aller à la gendarmerie [7]. J’ai porté plainte (…) j’ai téléphoné à l’Ordre [13].
Lorsqu’il s’agissait d’atteintes aux biens matériels, elles ont seulement déposé une plainte. J’ai porté plainte, pas pour moi mais plus pour euh, d’autres personnes vulnérables
à qui il pourrait, ça aurait pu arriver, et puis dans la mesure où c’était un récidiviste aussi
[2]. Ou encore ce médecin à qui nous demandions s’il avait porté plainte : ah ben
évidemment, j’était obligée ! J’avais tout hein, j’avais le chéquier professionnel, personnel euh, j’avais tout dans le sac [4].
Certaines praticiennes engageaient les 2 types de démarches au décours d’actes de violence physique : j’ai porté plainte donc il a été condamné à de la prison avec sursis (…).
J’avais signalé à l’Ordre, j’avais fait un courrier en disant que je ne voulais plus les soigner à cause de ça. (…) Ils m’ont dit « je suis désolé », ‘fin [11]. Je suis allée tout de suite (…) allée à la gendarmerie, (…) j’ai déposé une main courante à l’Ordre des Médecins en signalant que je ne voulais plus euh, suivre ces patients là [12].
Le médecin victime de menace par arme à feu expliquait : j’avais porté plainte, oui (…). Je
ne sais plus si j’avais signalé à l’Ordre, cette fois là, comme j’étais remplaçante est ce que c’est remonté à l’Ordre des Médecins… Je crois que oui [1].
Un cas d’agression sexuelle avait été suivi d’un dépôt de plainte et d’un signalement à l’instance ordinale : ça a pris euh, 18 mois la procédure, et finalement elle a été condamnée
(…). L’Ordre des Médecins s’était constitué euh, partie civile [3].
Quant à l’agression verbale avec menace de violence physique et au cas de violence morale avec occupation du cabinet médical, ils n’avaient été signalés qu’à l’Ordre des Médecins. J’ai déclaré à l’Ordre des Médecins l’agression, j’ai écrit un courrier, euh, et puis
ça s’est arrêté là, j’ai pas porté plainte [1]. J’ai pas porté plainte, j’ai fait une déclaration à l’Ordre, parce que elle, elle a porté plainte à l’Ordre ! [10].
Les agressions verbales « simples », fréquentes à l’égard des professionnelles de santé ne faisaient l’objet d’aucune action judiciaire ou ordinale. Jamais j’irai porter plainte
parce que, quelqu’un qui a bu ou quoi, va dire « ah, la salope ou quoi », jamais ! Parce que je m’en fiche, parce que je prends ça pour ce que ça vaut ! [3].
Enfin, 2 praticiennes ayant subi des agressions, l’une à caractère sexuel [4] et l’autre physique [9] n’avaient pas donné suite à ces incidents. La première, malgré le caractère jugé grave de cet acte, ne l’avait pas déclaré : qu’est ce qu’y faut faire dans ces cas là ? Euh,
je, j’aurais eu envie de lui dire euh, « changez de médecin », c’est un peu ce qu’on a envie de dire quoi ! Après je suis toute la famille ! La femme, les enfants euh, vous voyez ce que je veux dire ? [4]. Néanmoins, elle expliquait : y aurait eu une deuxième fois, là euh, je le signalais (…), je lui disais de changer de médecin [4]. Quant à la deuxième à qui nous
demandions si elle avait porté plainte, elle répondait : non, c’était un patient. Par contre
j’ai fait remonter euh, au CMP, HP etcétéra hein quand même ! [9].
c) Partage
Certains médecins victimes d’agression ont accordé une importance manifeste au partage de ces expériences.
Plusieurs acteurs étaient sollicités pour écouter les soignantes : le conjoint [1, 3, 5, 7 et 12], les intervenants extérieurs au cabinet comme les visiteurs médicaux [5] et les collègues associés [7 et 11], rencontrés lors de groupe de pairs [9] ou dans le cercle privé [14 et 15].
Les objectifs de cette pratique divergeaient en fonction des médecins. Pour certains, ce fut un moyen d’évacuation salvateur comme nous le confiaient 2 d’entre eux : me libérer
de la violence verbale, de mes angoisses (…). On a besoin de se vider [1]. Ou encore on débriefe euh, régulièrement, ça permet de vite passer à autre chose [5]. Pour d’autres, il
s’agissait surtout d’alerter leurs confrères sur des patients difficiles et d’échanger leur vécu : en leur demandant s’ils ont eu la même chose ou s’ils le connaissent ou s’ils le voient
Ainsi, partager ces incidents a permis à ces femmes d’y mettre fin. Je veux dire le
lendemain ça va [4] ou bien faut passer parce que sinon alors là, si on fait la liste tous les jours euh, on peut plus bosser ou on fait pas de médecine générale [5].
Un médecin victime d’épuisement professionnel expliquait avoir dû recourir à une aide extérieure pour y faire face. On est seul quand même, avec tout ce qu’on accumule, c’est
difficile et j’ai été en détresse moi même, proche du burn out je pense euh, et j’ai réalisé qu’on était seul, alors j’ai trouvé quelque chose vers qui me tourner, j’ai cherché dans les pages jaunes je crois, j’ai trouvé un numéro spécial pour les médecins à bout de force. Avec notre métier, la fatigue et tout, on peut vite euh, être dans la souffrance soi même [1].
A contrario, certains médecins ne parlaient pas de leurs épisodes de violence. Les raisons étaient multiples. Ainsi, nous demandions à l’un d’eux s’il ressentait le besoin de parler de ces violences : pas spécialement. Non, je crois que c’est, bon les agressions
verbales, on peut les avoir dans un magasin, on peut les avoir en voiture, on peut les avoir partout, ça fait partie de la vie je dirais et de l’incivilité ! Mais c’est ainsi [8]. Ou encore j’en parle pas parce que je vois pas l’intérêt d’en parler [3]. Un médecin expliquait : quelqu’un comme euh, mon frère, je lui en parlerai pas parce que je veux pas le flipper, ça c’est clair ! Euh, mon mari (…) pareil, jveux certainement pas le flipper [3].
Un médecin qui évoquait ressentir parfois une violence psychique, émettait l’idée qu’une aide spécialisée pourrait lui être bénéfique sans pour autant n’en avoir jamais sollicité.
Vraiment y a des fois je me dis que j’irais bien voir un psy, histoire de pouvoir sortir tout ça quoi hein ! [12]. Le recours à un soutien psychologique était envisagé par un autre
médecin dans l’hypothèse où il subirait une deuxième séquestration avec violence physique. Si j’en ai une 2ème qui me fait comme elle, je sais pas comment je ferai pour passer outre, alors, je sais pas après faudrait p’t’être aller voir un psy [3].