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Chapitre 5. Méthodologie

5.3 Méthode de collecte de données

La collecte de données a été élaborée à partir de l’approche des récits de vie proposée par le sociologue Daniel Bertaux. Les récits de vie ou les histoires de vie ont longtemps été utilisés pour avoir accès aux schèmes de représentations, aux valeurs et aux croyances des individus, ou encore pour connaître leurs motivations (Atkinson, 2002, Bertaux, 2016). À l’instar de Bertaux (2010), nous estimons que les récits de vie offrent un accès à une réalité allant au-delà de la simple subjectivité ou de la représentation d’un phénomène propre à un seul individu. Au-delà du ressenti d’une personne en lien avec un événement, ce même récit peut donner accès à des pratiques liées à ce sentiment (par exemple, la description de pratiques discriminatoires lors de la location de logement pouvant créer un fort sentiment d’injustice chez ceux qui en sont victimes). Le récit de vie offre ainsi un accès à l’action dans la durée; une action qui s’incarne

dans des contextes sociaux qui permettent de révéler les structures et les dynamiques en jeu (Bertaux, 2016).

En sciences sociales, l’entretien de type récit de vie est un entretien plus ou moins dirigé au cours duquel un chercheur invite un individu à lui raconter l’ensemble ou une partie de son parcours (Bertaux, 2010). L’entretien met l’accent sur les événements importants, les décisions prises, les actions posées, les conséquences de ces actions et les relations avec les autres (Bertaux, 2016). Pour Bertaux, la méthode des récits de vie ne s’applique donc pas uniquement aux entretiens qui tentent d’explorer en profondeur la biographie entière des personnes : « il y a du récit de vie dès lors qu’un sujet raconte à une autre personne, chercheur ou pas, un épisode quelconque de son expérience vécue » (Bertaux, 2016, p. 39). Il convient toutefois de déterminer l’angle d’approche ou les épisodes du parcours de vie à l’avance de façon à éviter de générer une trop grande quantité d’informations inutiles à l’objet d’étude (Bertaux, 2010). Le récit de vie est « un discours narratif qui s’efforce de raconter une histoire réelle, et qui de plus, à la différence de l’autobiographie écrite, est improvisé au sein d’une relation dialogique avec un chercheur qui l’a d’emblée orientée vers son objet d’étude […] » (Bertaux, 2016, p. 77). Dans cette recherche, le point de départ des récits sollicités réside dans les circonstances qui ont fait en sorte que la personne interviewée se rende à un organisme qui intervient en sécurité alimentaire.

Selon Bertaux (1980, 1997), les types d’objets pouvant être appréhendés par la méthode des récits de vie peuvent être regroupés en trois catégories : les mondes sociaux, les catégories de situation et les trajectoires sociales. Dans cette recherche, nous nous sommes intéressée à une

catégorie de situation. En l’occurrence, il s’agit ici d’une situation où un individu est amené à fréquenter un organisme qui intervient en sécurité alimentaire. Une catégorie de situation est propice à l’observation des contraintes et des logiques d’action similaires ou contrastées (Bertaux, 2016). Également, les moments transitoires ou de crise (l’insécurité alimentaire pouvant être considérée comme telle) rendent les habiletés individuelles, les opportunités ou le manque d’opportunités plus apparents (Zimmermann, 2006). Dans cette recherche, la méthodologie des récits de vie est donc utilisée pour comprendre les dynamiques d’action, actuelles et antérieures, ainsi que leurs contextes qui font en sorte qu’un individu décide de se rendre dans un organisme qui intervient en sécurité alimentaire.

Un canevas a été conçu (voir Annexe VII) pour explorer : 1) les éléments du modèle d’analyse des mécanismes d’exclusion relatifs à la position sociale des individus (l’éducation, le revenu, l’occupation, le genre et l’appartenance ethnique); et 2) l’action des individus à travers les circonstances qui les ont menés à fréquenter un organisme qui intervient en sécurité alimentaire, y incluant les motifs de fréquentation d’un organisme communautaire, la situation actuelle du participant, ses interactions avec l’organisme et sa sécurité alimentaire. Le canevas a essentiellement servi d’aide-mémoire plutôt que de liste hiérarchique des sujets à explorer. La participation de la chercheuse aux activités de l’organisme A a aidé à élaborer ce canevas. Par exemple, à travers sa participation, elle a constaté que des participants fréquentaient plutôt l’organisme pour des motifs idéologiques. Le canevas contenait donc des questions à cet effet si ce type de raison de fréquentation était évoqué. Cette immersion a également facilité la conduite des entretiens, car la chercheuse a pu se consacrer au récit des participants et non à des

questions de clarification concernant le mode de fonctionnement de l’organisme qu’ils fréquentent.

La chercheuse consultait ce canevas avant chaque entretien et apportait une copie avec elle pour référence, au besoin. Dès le début de la collecte de données, la chercheuse a constaté l’ampleur de l’hétérogénéité des parcours des participants et est restée le plus près possible de leur récit. Elle ne reprenait pas nécessairement les questions posées à l’entretien précédent si le participant n’évoquait pas des propos s’y rattachant. Par exemple, pour certains, l’épisode de fréquentation d’un organisme qui intervient en sécurité alimentaire les a amenés à parler de leur enfance, et d’autres non. Lorsque l’enfance n’était pas volontairement évoquée dans l’entretien, la chercheuse ne poursuivait pas l’entretien à ce sujet. Cela dit, des questions « clés » se sont vite avérées facilitantes pour accéder au contenu désiré et ont été utilisées dans la plupart des entretiens. Ces questions concernaient les raisons, motivations et événements qui ont amené les participants à se présenter à l’organisme, les raisons actuelles qui motivaient les participants à fréquenter l’organisme, et la situation actuelle comparativement à la situation au moment où ils avaient décidé de fréquenter l’organisme pour la première fois. Ces questions facilitaient l’identification d’éléments ayant mené à un changement dans la situation des participants ou au contraire, ayant maintenu le statu quo.