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Introduction à la problématique de la recherche

Chapitre 2. Problématique

2.1 Introduction à la problématique de la recherche

2.1.1 Promotion de la santé et approches individualistes

Au cours du XXe siècle, l’accroissement des maladies chroniques qui s’est développé

parallèlement à la baisse des maladies infectieuses (Terris, 1983) a dirigé la recherche des facteurs de risques non plus dans l’environnement, mais dans les comportements individuels (Breslow, 1999; O’Neill et Stirling, 2006). Ce changement épidémiologique a réorienté les stratégies de santé publique vers l’individu (Breslow, 1999). L’éducation à la santé est alors devenue l’outil d’intervention prédominant pour favoriser la santé des populations (O’Neill et al., 2006). La dissémination d’informations pour favoriser la santé des populations n’est toutefois pas le fruit de ce changement épidémiologique; il s’agit plutôt d’une stratégie de santé publique qui est utilisée depuis la fin du XVIIe siècle (Badgley, 1994). Ce n’est toutefois que

dans les années 1950 qu’une approche plus scientifique a été développée pour mieux comprendre et intervenir sur les comportements de santé, donnant ainsi une assise théorique à l’éducation en matière de santé (Pederson, O’Neill et Rootman, 1994). Un corpus théorique important s’est alors constitué sur la base de recherches visant à mieux comprendre le comportement des individus. Le health belief model (Becker, 1974), la social cognitive theory (Bandura, 2004), la théorie du comportement planifié (Ajzen, 1991), ou le transtheoretical

model of change (DiClemente et Prochaska, 1998) sont des exemples de théories utilisées en

santé publique.

Ces approches centrées sur l’individu ont cependant fait l’objet de nombreuses critiques (Cockerham, 2005; Freudenberg, 1987; McLeroy et al., 1993; Minkler, 1989, 1999; Syme, 1994). Il a été constaté que les efforts mis en place pour diffuser de l’information ne se traduisent

pas nécessairement en changements comportementaux et, ultimement, ne mènent pas à l’amélioration globale de la santé des populations (O’Neill et al., 2006). Au fil des années et avec le peu d’impact de l’éducation à la santé, de plus en plus d’acteurs ont souligné les limites des approches individuelles ainsi que ses effets pervers (O’Neill et al., 2006). On reproche entre autres aux stratégies d’éducation à la santé de centrer la responsabilité de l’état de santé sur les individus sans tenir compte du contexte dans lequel ils évoluent (McLeroy, Bibeau, Steckler et Glanz, 1988; Minkler, 1999; Watt, 2007). Ainsi, Minkler (1989) et Link et Phelan (1995) attribuent la surestimation de l’efficacité de l’éducation à la santé à la culture occidentale, qui accorde beaucoup d’importance à la capacité des individus à contrôler leur destin et à s’autodéterminer. Ce faisant, les facteurs contextuels sont négligés dans l’attribution des causes menant à la maladie (Freudenberg, 1987; Frohlich et al., 2001; Minkler, 1999; Susser et Susser, 1994). On parle donc de « vicitim blaming » pour dénoncer les approches culpabilisantes qui mettent l’accent sur la responsabilité individuelle et les changements comportementaux en offrant de l’information et des conseils de santé sans égard aux causes structurelles qui façonnent les comportements et les conditions de vie (Crawford, 1977; McLeroy et al., 1993; Minkler, 1999).

Promotion de la santé et éducation à la santé. La promotion de la santé a souvent été

confondue avec l’éducation à la santé (O’Neill et Stirling, 2006). Aux États-Unis, par exemple, la distinction entre éducation et promotion n’est pas systématique (O’Neill et Stirling, 2006). Glanz et al. (2008) parlent d’ailleurs de l’éducation à la santé et de la promotion de la santé comme étant des concepts qui se chevauchent et incluent la promotion de la santé dans le concept d’éducation à la santé. Quoi qu’il en soit, bien que l’éducation de la santé fasse partie

des stratégies de la promotion de la santé, il existe une nette distinction entre les deux (O’Neill et Stirling, 2006). Effectivement, l’arrivée de la promotion de la santé s’inscrit dans la foulée des critiques faites à l’égard de l’éducation à la santé (O’Neill et Stirling, 2006). Au Québec, on identifie généralement le rapport Lalonde (1974) pour situer le moment où la santé publique réoriente ses cibles d’interventions et sa conception de la construction de la santé (Kickbusch, 2003; Minkler, 1989). Ce rapport statuait que la santé des populations était déterminée par quatre éléments : 1) la biologie des individus; 2) les habitudes de vie; 3) les systèmes de soin; et 4) l’environnement physique et social. Cette nouvelle vision de la santé reconnaissait que celle-ci n’est pas que le résultat des choix individuels; l’environnement dans lequel les individus évoluent était maintenant considéré. À l’échelle mondiale, en 1978, la conférence d’Alma-Ata (OMS, 1978) renforce l’idée que les systèmes de santé ne sont pas la clé de la santé des populations. À cette conférence, les intervenants suggèrent de retourner au principe de base des soins primaires en s’intéressant davantage aux enjeux extérieurs des systèmes de santé (O’Neill et al., 2006). C’est d’ailleurs dans ce courant novateur qu’a lieu la première conférence internationale de la promotion de la santé, qui s’est tenue à Ottawa en 1986. Lors de cette conférence, la Charte d’Ottawa (OMS, 1986), document fondateur de la promotion de la santé, a été créée.

La promotion de la santé selon la Charte d’Ottawa. La Charte d’Ottawa (OMS, 1986) précise

que les efforts de promotion de la santé visent l’équité en matière de santé par la création de conditions favorables à l’épanouissement des individus. Elle appelle à des actions intersectorielles dans la mesure où l’on comprend que les systèmes de santé ne peuvent à eux seuls y parvenir, puisque la santé se construit à l’extérieur de ces systèmes. La Charte d’Ottawa

propose cinq stratégies pour favoriser l’équité en santé : 1) l’élaboration de politiques de santé; 2) la création d’environnements favorables à la santé; 3) le renforcement de l’action communautaire; 4) l’acquisition d’aptitudes individuelles; et 5) la réorientation des services de santé. L’objectif de la Charte était d’établir les fondements d’une compréhension complexe et dynamique de la production de la santé. Or, étant donné l’influence importante qu’a eue le modèle biomédical sur la recherche et l’évaluation (Potvin et al., 2005), les interventions de promotion de la santé ont eu du mal à se dissocier des approches individualistes. En conséquence, les programmes de promotion de la santé se sont longtemps concentrés sur les habitudes de vie et la modification des comportements en accordant peu d’intérêt au contexte (Minkler, 1989). L’efficacité de la promotion de la santé à proposer des stratégies qui prennent en compte le contexte dans lequel émergent les caractéristiques individuelles a donc été remise en question (Baum et Fisher, 2014; Hancock, 2011; Kelly et Charlton, 1995; Mackenzie, Collins, Connolly, Doyle et McCartney, 2017; Potvin et al., 2005; Souto Barreto, 2013).

Cette façon de concevoir les objets de recherche et d’intervention autour des comportements de santé omet de prendre en compte le contexte dans lequel émergent ces comportements et situe la santé comme un but à atteindre et non comme une ressource permettant aux individus de réaliser leur potentiel. La Charte d’Ottawa définit pourtant la santé comme étant

La mesure selon laquelle un groupe ou un individu peut d’une part, réaliser ses ambitions et satisfaire ses besoins et, d’autre part, évoluer avec le milieu ou s’adapter à celui-ci. La santé est donc perçue comme une ressource de la vie quotidienne, et non comme le but de la vie […]. (OMS, 1986)

Il s’agit là d’une contradiction importante avec la définition de la santé adoptée par la promotion de la santé, car en ne s’intéressant qu’aux comportements de santé, on fait l’impasse sur les

circonstances de la vie quotidienne qui façonnent ces comportements et à partir desquelles la santé se construit. En effet, les individus déploient leurs actions en fonction d’autres finalités que la santé et ces actions sont inextricablement liées aux contextes dans lesquels elles se déploient. Même si elles ne poursuivent pas l’objectif précis d’agir sur la santé, ces actions déployées dans le quotidien influencent celle-ci. Or, Potvin et al. (2005) mentionnent que si nous soutenons l’idée que la santé est une ressource et se construit dans la vie quotidienne, il est nécessaire de concevoir des outils théoriques qui en permettent une compréhension fine. Un des défis pour la promotion de la santé est donc de comprendre le contexte et la façon dont se déploie l’action des individus dans leur quotidien tout en considérant le rôle de l’organisation sociale dans la variation de la qualité des circonstances dans lesquelles se déploie l’action des individus.

2.2 Article #1 : Understanding exclusionary mechanisms at the