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Cadre théorique, objectifs et questions de recherche

Le chapitre 2 de cette thèse a discuté de la nécessité pour la promotion de la santé de développer des outils théoriques pour mieux comprendre l’action des individus au-delà des comportements de santé. Les individus déploient leur action en fonction d’autres finalités que la santé, et ces actions sont indissociables des contextes dans lesquels elles se déploient. Cette interface entre l’individu et son contexte doit donc être mieux théorisée, car ces actions déployées dans le quotidien, même si elles ne poursuivent pas l’objectif précis d’agir sur la santé, l’influencent.

Par la suite, les limites du concept d’exclusion sociale pour décrire un ensemble de phénomènes hétérogènes souvent conçus en termes d’état individuel ont été discutées. L’exclusion sociale est ici considérée comme un mécanisme qui limite l’accès aux droits, ressources et possibilités de développer des capacités pour avoir une vie en santé. Il a également été proposé de concevoir les conséquences des limites d’accès induites par les mécanismes d’exclusion en termes de vulnérabilité. La vulnérabilité est entendue comme étant une situation issue de la relation dynamique entre l’individu et son contexte où l’individu a de fortes probabilités de devoir faire face à des menaces sans avoir accès aux ressources pour être en mesure de le faire sans subir de pertes dommageables. Enfin, il a été exposé comment cette façon de conceptualiser l’exclusion comme un mécanisme qui limite l’accès aux droits, ressources et capacités mettant les individus en situation de vulnérabilité décentre l’analyse de l’individu et oriente la compréhension vers cette interface où l’individu déploie des actions et où ces actions interagissent avec des composantes structurelles.

Le survol des théories en promotion de la santé a mis de l’avant différentes façons de concevoir l’émergence des comportements à risque en lien avec les inégalités sociales de santé. On retient essentiellement de la théorie des causes fondamentales de Link et Phelan (1995, 2010) que l’accès différentiel aux ressources permettant aux individus de se protéger contre l’apparition de maladies ou d’atténuer celles-ci explique les inégalités de santé. Par la suite, l’approche des modes de vie collectifs propose de concevoir les habitudes de vies collectives comme des comportements routiniers qui sont un aspect « observable du contexte, repérable à travers les pratiques des individus » (Frohlich et al., 2008, p. 160). L’étude des habitudes de vie collectives suggère non seulement de s’intéresser aux attributs des contextes et aux pratiques des individus, mais également de regarder comment les individus expérimentent ces attributs et ce qu’ils sont en mesure d’en retirer.

Cockerham (2005), de son côté, met de l’avant l’interaction entre les life choices et les life

chances. Les life choices sont les éléments volontaires, relatifs aux individus, et les life chances

sont l’espace dans lequel les choix sont favorisés ou contraints. C’est l’interaction entre les life

choices et les life chances qui détermine le comportement. Selon cette théorie, les habitudes de

vie ne sont pas des comportements déconnectés les uns des autres; elles sont des routines personnelles qui émergent de l’expérience de vie communément partagée de certains groupes résultant des choix faits par les individus en fonction des possibilités offertes par leur position sociale.

Enfin, le travail de Rütten et Gelius (2011) propose de trouver des voies d’entrée pour introduire des changements de comportements par le biais d’interventions de promotion de la santé, et ce, sans recourir aux théories comportementales pour atteindre leur objectif. L’idée derrière leur

proposition est également d’offrir un modèle qui sera en mesure d’incarner les considérations pratiques et théoriques sous-jacentes à la promotion de la santé, particulièrement en lien avec les stratégies mises de l’avant par la Charte d’Ottawa (OMS, 1986) et la notion de récursivité.

L’importance de ces théories pour la promotion de la santé a été soulignée, car elles déconstruisent la vision individualiste de l’émergence des comportements à risque et les remettent dans leur contexte. Cependant, cet accent sur les comportements liés à la santé fait l’impasse sur les actions qui ne sont pas en lien avec des facteurs de risque ou de protection. En effet, les actions des individus se déploient en fonction de bien d’autres objectifs que la santé, ce qu’il importe de prendre en considération.

Ainsi, nous avons mobilisé les travaux de Giddens (1987), qui est souvent utilisé en promotion de la santé pour sa définition de la structure en tant qu’ensemble de règles et de ressources. Toutefois, l’ouvrage de Giddens (1987) comporte une partie importante sur l’action des individus, en dehors des comportements de santé. Il met de l’avant l’inaliénabilité de l’agentivité des individus et propose une façon de concevoir les propriétés contraignantes des systèmes sociaux comme la réduction d’options disponibles pour un acteur. Cependant, Giddens ne précise pas la façon dont les contraintes induites par les systèmes sociaux interagissent avec l’action des individus.

Finalement, la section 3.3 rappelle l’importance qu’a eue le concept d’exclusion sociale pour les sciences sociales et présente les différentes façons d’utiliser la notion de vulnérabilité selon les champs d’études. Ainsi, les études sur les désastres naturels ou technologiques proposent une conception dynamique de la vulnérabilité, reconnaissant que celle-ci se trouve dans

l’interaction entre un désastre, les individus et leurs conditions de vie, qui sont influencées par l’organisation sociale (Delor et Hubert, 2000). Ces définitions étant mobilisées essentiellement pour comprendre les situations en lien avec des désastres naturels ou technologiques, elles n’abordent pas la manière dont la vulnérabilité se vit aussi dans le quotidien des individus. Les théories de la vulnérabilité issues des sciences sociales ont quant à elles introduit la réflexion sur la capacité d’agir des individus en lien avec les conjonctures des sociétés contemporaines. Cependant, la façon dont ces contextes contraignants interagissent avec l’action des individus reste sous-explorée.

Cet alliage théorique compose le cadre théorique de cette thèse. Il permet de conceptualiser l’espace pertinent à examiner pour être en mesure d’observer à la fois des contraintes et des individus en action. Rappelons que cette thèse veut explorer l’action des individus, mais d’une autre façon que par l’étude des comportements jugés problématiques – dans ce cas-ci, des comportements à risque.

Rappelons donc que la présente recherche avait pour objectif de répondre à la question suivante : comment les limites d’accès aux droits, aux ressources et aux possibilités de développer des capacités interagissent-elles avec l’action des individus et le contexte dans lequel ils déploient cette action ? Pour ce faire, deux objectifs spécifiques ont été identifiés :

1) Caractériser la composition du contexte immédiat dans lequel l’action des individus se déploie;

Pour examiner ces contextes contraignants dans lesquels les individus déploient des actions, il est nécessaire de s’intéresser à des contextes caractérisés par des limites d’accès pour lesquels les individus déploient des actions. La figure 5 reprend la figure du modèle d’analyse des mécanismes d’exclusion présentée à la section 2.2 pour illustrer l’espace conceptuel que nous voulons explorer. Cette thèse examine donc un secteur très particulier de ce modèle qui fait l’objet de cette recherche empirique. Au chapitre suivant, nous expliquerons pourquoi le choix de l’insécurité alimentaire est un choix théoriquement et empiriquement pertinent pour répondre à nos questions de recherche.

Chapitre 5. Méthodologie