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Chapitre 3. États des connaissances

3.1 Théorie de la promotion de la santé et comportements individuels

3.1.3 The Health lifestyle theory

Tout comme celle de Frohlich et al. (2001), la théorie présentée par Cockerham propose une explication à l’émergence de certains comportements individuels. Toutefois, Cockerham s’intéresse moins à l’articulation entre comportement et contexte en tant que lieux et espace; il propose plutôt une théorie générale des habitudes de vie pour laquelle il conceptualise le rôle de la structure. En se basant essentiellement sur les travaux de Max Weber et de Pierre Bourdieu, cette théorie tente d’expliquer comment les comportements sont produits et reproduits. Cockerham (2005) définit donc les styles de vie comme suit : « collective patterns of health-

related behavior based on choices from options available to people according to their life chances » (p. 55).

La figure 3 illustre les composantes de la théorie des habitudes de vie. Cockerham distingue dans ce modèle les composantes structurelles dans la boîte 1. À la différence de Weber qui ne considérait pas d’autres variables comme force structurante que les circonstances de classe (Cockerham, 2005, p. 58), Cockerham ajoute l’âge, le genre et l’appartenance ethnique, la

collectivité et les conditions de vie. Pour illustrer l’influence des circonstances de classe auxquelles la théorie accorde une place prédominante, Cockerham fait référence aux travaux de Bourdieu qui expliquent en détail les préférences sportives et alimentaires de différentes classes sociales. Par exemple, la barrière économique pour avoir accès à certains loisirs comme le golf ne suffit pas à expliquer le fait que les classes socioéconomiques inférieures ne le pratiquent pas; il y a des exigences relatives au savoir-être et au savoir-faire qui remontent à la socialisation des individus (boîte 2). Ces savoirs sont nécessaires pour avoir accès à ces lieux et sont constitutifs de la socialisation en fonction des circonstances de classe dans lesquelles évoluent les individus.

Le cœur de la théorie de Cockerham est l’interaction entre les life choices (boîte 3) et les life

chances (boîte 4). Sur la base des travaux de Weber et de sa conception de l’agentivité,

Cockerham définit les life choices comme étant « […] a process of agency by which indivuals

critically evaluate and choose their course of action » (Cockerham, 2005, p. 60). Les life choices sont donc les éléments volontaires, relatifs aux individus, tandis que les life chances

sont l’espace dans lequel les choix sont favorisés ou contraints. Les life chances réfèrent ainsi aux possibilités relatives qu’offre une certaine position sociale. Pour Cockerham, c’est l’interaction entre les life choices et les life chances qui détermine le comportement; l’un ne peut ainsi être envisagé sans l’autre. Cockerham précise : « Life chances (structure) either constrain

or enable choices (agency); agency is not passive in this process however » (Cockerham, 2005,

p. 61). Cela rappelle, par conséquent, l’importance de se distancier d’une conception déterministe de l’action des individus.

Figure 3 The Health lifestyle theory (Wiliam Cockerham, 2005)

Ensuite, la disposition d’agir (boîte 5), que Cockerham associe à la notion d’habitus de Bourdieu, est le résultat de choix répétés des individus (life choices) dans le cadre des possibilités offertes par leur position sociale (life chances), qui mène à une prédisposition à faire certains choix. Cockerham précise (2005) :

[…] habitus serves as a cognitive map or a set of perceptions that routinely guides and evaluates a person’s choices and options. It provides enduring dispositions toward acting deemed appropriate by a person in particular social situations and

settings. Included are dispositions that can be carried out even without giving them

a great deal of thought in advance. (Cockerham, p. 61)

7. Alcohol Use, Smoking, Diet Exercise Checkups, Seatbelts Etc. 6. Practices (action) 8. Health lifestyles (Reproduction) 5. Dispositions to Act (Habitus) 4. Life chances (structure) 3. Life choices (agency) 1. Class circumstances Age, Gender, Race/Ethnicity Collectivities Living Conditions 2. Socialisation Experience Interplay

L’habitus peut avoir une connotation déterministe dans la mesure où il est essentiellement issu de la socialisation relative à la position sociale d’un individu (Cockerham, 2005). Au sujet des critiques à l’endroit de la notion d’habitus et de ses tendances déterministes, Cokerham (2005) réfère à Bourdieu qui précise :

The habitus is nevertheless an open system of dispositions that ‘is constanly subjected to experiences, and therefore, constanly affected by them in a way that reinforces or modifies its structure’. Thus the habitus can be creative and initiate changes in disposition. (p. 61)

Dans la théorie de Cockerham, les comportements à risque sont donc considérés comme l’expression des pratiques des individus qui découlent de l’habitus, et la répétition de ces comportements constitue les habitudes de vie. La boucle habitus-pratique-habitudes de vie ainsi formée est issue de l’interaction entre les life choices et les life chances. Les individus ayant des

life chances similaires, étant donné une position sociale comparable, auront tendance à avoir

des pratiques et des habitudes de vie similaires. C’est ce qui explique, selon Cockerham, les régularités observées en lien avec les facteurs de risque ou de protection et la position sociale des individus. En somme, avec la théorie de Cockerham, les habitudes de vie ne sont pas l’expression de préférences individuelles déconnectées les unes des autres; elles sont des routines personnelles qui émergent de l’expérience de vie communément partagée de certains groupes résultant des choix faits par les individus en fonction des possibilités offertes par leur position sociale.

Le modèle de Cockerham est important pour la promotion de la santé parce que sa proposition reconnaît les propriétés contraignantes des structures tout en faisant place à l’agentivité des individus. Cette théorie s’inscrit dans une volonté de mettre en contexte les comportements

considérés comme à risque. Néanmoins, la théorie de Cockerham est soutenue essentiellement par des études quantitatives, donnant peu d’accès aux contextes immédiats dans lesquels les individus déploient leurs actions. Cette théorie est pertinente pour la promotion de la santé, mais insuffisante lorsque l’on s’intéresse à autre chose qu’aux comportements de santé. Également, cette théorie précise peu la notion de changement, ce qui pose problème si l’on convient que l’objectif de la promotion de la santé est ultimement de générer des changements.