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Le métayage ou colonage partiaire

Dans le document La notion de fruits : étude de droit privé (Page 152-156)

Chapitre 2 – Une construction moderne méthodique

2) Le métayage ou colonage partiaire

163 <> La « reprise » par le Code civil du colonage partiaire ou métayage issu de l’ancien droit <> Avant la Révolution, la gestion des terres grâce au colonage partiaire ou métayage couvrait les sept huitièmes de la France et encore le tiers de celle-ci dans la seconde moitié du XIXe siècle500 malgré sa sinistre réputation liée au statut de

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BOUISSOU (M.)¸TURLIN (G.), Traité théorique et pratique du métayage ou bail à colonat

partiaire, éd. Arthur Rousseau, Paris, 1897, p. 5.

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L’auteur continue en expliquant que « Selon les pays, la tenure prend le nom de bail à cens, bail à rente, bail à champart, agrier, bordelage, emphytéose à perpétuité. Plus spécialement, on l'appelle closerie dans l'Anjou et les provinces voisines; gaignage ou gagnage en Lorraine; grangeage dans la Bresse, le Maçonnais, le Lyonnais, le Forez, le Vivarais et le Dauphiné ; fâcherie en Provence ; borderie dans le Quercy; vignolerie ou vinidrie en Auvergne ; locatairie ou locaterie dans le Bourbonnais ; domaine dans le Berry ». BEAUNE (H.), Introduction à l’étude historique du droit coutumier français jusqu’à la rédaction

officielle des coutumes, Larose éd., 1880, p. 394.

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BOUISSOU (M.)¸TURLIN (G.), op. cit., p. 7.

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servage du métayer501. Malgré le grand nombre de contrats de métayage, le Code civil ne contient que deux dispositions qui lui soient applicables : les articles 1763502 et 1764503. Ces dispositions ne traitant d’ailleurs que de la question de l’impossibilité pour le métayer de sous-louer les terres reçues en métayage, impossibilité sanctionnée par la résiliation du contrat et l’indemnisation du propriétaire. Mais rien dans les textes ne vient préciser les modalités de l’attribution des fruits entre métayer et propriétaire, ni les modalités de règlement de conflits autres que la sous-location504. Le Code civil adopté, ce sont les coutumes et anciens contrats qui s’appliquèrent aux terres agricoles lorsque ceux-ci ne contrevenaient pas à la loi. Il fallut attendre la troisième République pour qu’une codification du droit rural voie le jour. La loi rurale du 18 juillet 1889, établissant le livre IV du Code rural, définit en son article premier le bail à colonat partiaire ou métayage comme « le contrat par lequel le possesseur d’un héritage rural le remet pour un certain temps à un preneur qui s’engage à le cultiver, sous la condition d’en partager les produits avec le bailleur ». L’article 2 poursuit en indiquant que « les fruits et produits se partagent par moitié, s’il n’y a stipulation ou usage contraire ». On se rend compte que les textes, tant ceux du Code civil que ceux du Code rural, sont assez peu nombreux et assez larges. Ainsi, comme le soulignait Baudry-Lacantinerie, « on peut convenir que les fruits se partageront dans une proportion autre que la moitié, ou que certains produits seront attribués en totalité soit au propriétaire, soit au colon, ou que le propriétaire prélèvera avant partage une portion des fruits pour le paiement d’impôts. Les usages contraires visés par la loi varient à l’infini suivant les localités505 ». Ainsi loin de concerner la question de l’appropriation des fruits ou de ses modalités, la plus grande part des conflits qui existent sur le colonat

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Sur la question de l’histoire et l’évolution du colonage partiaire ou métayage, il convient de lire les thèses de RIGAUD (F.-A.), Du bail à colonat partiaire ou bail à métairie en droit romain et en droit

français, Th. Paris, 1891, spécialement p. 85 ; GOURDEZ (H.), Du colonat partiaire en droit romain et en droit français, Th. Aix, 1869.

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« Celui qui cultive sous la condition d’un partage de fruits avec le bailleur, ne peut ni sous-louer ni céder, si la faculté ne lui en a pas été expressément accordée par le bail ».

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« En cas de contravention, le propriétaire a droit de rentrer en jouissance, et le preneur est condamné aux dommages-intérêts résultant de l’inexécution du bail ».

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D’ailleurs ces deux textes – comme beaucoup d’autres dans le sont très nettement inspirés des textes du Digeste. Ainsi l’Article 1764 du Code civil est très inspiré d’un fragment du livre sur le contrat de louage – locati conducti : D. XIX, II, 55 §2 dont la solution est identique comme l’a souligné BIRET (A.-C.-L.-M), Applications au Code civil des Institutes de Justinien et des cinquante livres du Digeste, T.2, Chez Arthus-Bertrand, Paris, 1824, p. 226 et s. Et souvent le colon est placé dans la même situation du fermier : les Article s 522 et 524 du Code civil par exemple usent de la formule « au fermier ou au métayer ».

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BAUDRY-LACANTINERIE (G.), WAHL (A.), Traité théorique et pratique de droit civil, 8- Du

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partiaire portent sur la qualification même du contrat. Les auteurs de l’époque oscillant entre la volonté d’y voir un type particulier de bail à ferme506 et un contrat de société507.

164 <> Les défenseurs de la qualification du contrat de société se basent sur un fragment de Gaïus qui énonce « Partiarius colonus, quasi societatis jure, et damnum et

lucrum cum domino partitur508 » estimant que le colonage partiaire, à l’instar de la société, est une entreprise commune ayant pour but de partager les bénéfices et les pertes. Ceux qui défendent l’idée selon laquelle le colonat partiaire serait un bail se fondent sur la place des textes qui lui sont consacrés dans le Code civil mais aussi par l’application des règles du bail à ferme au colonat partiaire, par un argument d’analogie, dans les juridictions. Si ce débat revêt une importance ce n’est pas tant au niveau du résultat qui est le partage des fruits mais au niveau des modalités en vertu desquelles les protagonistes en deviennent propriétaires. En effet, dans un cas, le colon est considéré comme propriétaire de l’ensemble des fruits et a l’obligation par le contrat d’en transférer la part prévue au propriétaire. Dans une seconde hypothèse, on estime que colon et propriétaire sont parties au contrat de colonage et qu’à ce titre, ils ont une vocation aux bénéfices conjointement.

165 <> Enfin, dans une dernière hypothèse, on estime que le propriétaire du sol s’approprie les fruits par le jeu de l’accession et transfère la propriété d’une partie convenue de la récolte pour prix de la force de travail du colon. Pour Méplain, la solution des modalités de l’appropriation des fruits réside dans le droit de propriété pour le propriétaire et dans le contrat pour le métayer509. Par conséquent, « ce que le propriétaire prend, c’est ce qui lui appartient comme produit de sa terre, ce qui n’a jamais cessé d’être à lui ; ce que le colon garde, c’est ce qu’il a conquis par son travail. Il y a partage entre eux, suivant des règles fixées à l’avance ; il n’y a pas de remise du preneur au bailleur510 ». La part de fruits prélevée sur la récolte par le propriétaire est donc partibus rei. Le colonat partiaire ne fait donc pas a priori obstacle à l’accession des fruits alors même que ces

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Parmi les auteurs qui défendent cette théorie, on trouve Aubry et Rau, Toullier et déjà avant eux Cujas.

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Dans la liste des auteurs défendant cette thèse, on trouve Duranton, Troplong, Méplain ou encore Dalloz.

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D. XIX, II, 25, §6 : « un fermier qui donne au propriétaire pour loyer une portion de fruits est dans le cas d’un associé, et partage avec le propriétaire le gain et la perte ».

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« Avant d’entrer dans les biens de celui-ci, il doit avoir fait partie des biens de celui-là ; par exemple le fermier proprement dit qui paie au bailleur son terme de fermage est propriétaire de la monnaie, dont son paiement se compose, jusqu’au moment où il s’en dessaisit. On n’en peut dire autant, de la portion de fruits qui ne revient au maître dans le bail partiaire. Elle ne tombe jamais dans les biens du colon qui, dans aucun moment, n’en a la possession à titre de propriétaire ». MÉPLAIN (M.-E.), Traité du bail à portion de

fruits ou colonage partiaire, Moulins, 1850, p. 11.

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LAISNE DES HAYES (J.), Colonage partiaire d’après la loi du 18 juillet 1889, Impr. Lanier, Caen, 1902, p. 69.

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derniers sont l’objet même du contrat. Au moment de la séparation, les fruits qui n’étaient qu’une part de la chose elle-même, sont considérés comme appartenant au propriétaire du sol. Au même instant, s’opère un transfert de la propriété de la part des fruits prévue dans le contrat au métayer-colon. Ces deux mécanismes sont factuellement liés puisque par le biais du contrat, c’est au colon que revient la charge de percevoir l’intégralité des fruits – c’est-à-dire les siens ainsi que ceux du propriétaire – et ensuite d’opérer la remise matérielle de ceux-ci entre les mains de ce dernier511. Ce contrat de colonage est donc en tout point conforme à ceux qui préexistaient au Code civil et ce d’autant que les textes eux-mêmes se réfèrent aux coutumes. Néanmoins, les coutumes sont elles-eux-mêmes une reproduction du Digeste dont les solutions sont sur ce point un parfait miroir. Néanmoins, si les règles du colonat sont reprises quasi à l’identique, expliquant le peu de passion suscitée, les questions qu’elles soulevaient en droit romain demeurent. Ainsi, Méplain se plaint que les doutes sur le caractère du colonage aient perdurés au-delà du Code civil mais aussi des arrêts et des réflexions doctrinales. Pour lui, « le Code civil a continué, par son silence, les incertitudes du droit romain512 ». On voit bien que la question est plus profonde, car avec l’adoption de règles relatives au colonat dans le Code rural, la nature du colonage est moins décisive. C’est un contrat spécial et dans le silence de la loi, il appartient au juge de définir la solution la plus adéquate, ce en quoi il est aidé par la

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La qualification de société ne peut pas tenir en réalité car il n’existe pas d’affectio societatis. L'affectio societatis est défini par Madame Reboul-Maupin comme « un consentement à intention particulière. En effet, tandis que le consentement se définit comme la volonté de contracter une convention quelconque, l'affectio societatis demeure certes un aspect précis de ce dernier puisqu'il s'agirait bien de la volonté de contracter une société. Mais à cela, il faut ajouter que la volonté, loin de se cantonner au moment de la formation du contrat de société, perdure aussi longtemps que dure la société » (REBOUL (N),

« Remarques sur une notion conceptuelle et fonctionnelle : L'affectio societatis », Revue des sociétés 2000, p.

425). Cet argument qui nous semble évident aujourd’hui, ne l’était pourtant pas en 1804 et même encore très récemment. L’autre argument, moins anachronique peut-être, est que le propriétaire et le colon n’entendent pas constituer une société puisque le fonds du propriétaire n’est pas considéré comme « apporté » et devant répondre de la contribution des pertes. La seule chose qui pourrait être considérée comme apportée serait le

fructus, la vocation à fructifier du sol que le colon augmente par son travail. Mais cette vocation à fructifier –

en ce qui concerne une terre – est indépendante de l’activité humaine et ne demeure que très exceptionnellement inféconde (car même les herbes les moins nobles peuvent constituer une pâture satisfaisante à bien des troupeaux par exemple). Ainsi, il y a bien une vocation aux bénéfices ET aux pertes, mais les pertes encourues par le propriétaire résident non pas dans la perte du bien apporté (la terre) mais dans celle du « revenu naturel du fonds (…) c’est-à-dire dans l’absence de tout ou partie du revenu que ce capital doit produire » (MÉPLAIN (M.-E.), op. cit., p. 9). Ce n’est pas plus un bail à ferme car, d’une part, l’analogie n’est pas l’identité mais surtout, d’autre part, il n’y a pas paiement d’un prix (loyer) du preneur à l’égard du propriétaire. En effet, si l’on suit la logique les fruits remis au propriétaire n’ont jamais transités par le patrimoine du colon, il n’y a donc par de transfert du prix, pas même par un paiement en nature. En outre, le colon n’a pas, contrairement au preneur, la jouissance paisible du bien et le droit d’en user à son gré en bon père de famille. Il n’en a pas la jouissance mais tout au mieux l’administration matérielle selon les règles fixées par le propriétaire. Ainsi, il n’appartient à aucune de ces deux catégories, il s’agit tout simplement d’un contrat sui generis, d’un contrat spécial dont le fonctionnement est tantôt analogue au bail, tantôt analogue au contrat de société.

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proximité de ce contrat avec le bail à ferme ou la société. Cependant, si on aborde ce contrat à travers la notion de fruits et sur son appropriation, la question est plus subversive à l’égard du droit romain. En effet, le Code civil ayant consacré – comme nous le verrons plus tard – l’accession comme mode d’appropriation des fruits, il dénie à la separatio sa portée juridique, la réduisant à son seul aspect matériel. Or, nous avons vu que le droit romain ne pouvait pas reconnaître l’accession comme mode d’appropriation puisque l’élément de nouveauté excluait qu’il y ait un propriétaire du bien accessoire à évincer513 et il n’y avait pas d’élément d’extranéité inhérente à l’accession514. Ce glissement, nous le verrons, n’est pas sans incidence sur la façon dont la notion et son régime sont appréhendés par les codificateurs mais également par la doctrine qui fût amenée à composer avec ces approximations pour tenter de rendre l’ensemble cohérent.

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