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3.3 Les étapes du traitement de l’information

3.3.2 La mémoire de travail

La mémoire de travail est définie comme un système de maintien temporaire et de ma-nipulation de l’information, nécessaire pour réaliser des activités cognitives complexes, telles que la compréhension, l’apprentissage, le raisonnement (Baddeley, 1986). Cette notion fait référence à un système dynamique intégrant et transformant l’information. Elle se démarque de la notion de mémoire à court terme, qui correspond à un système de stockage passif.

Le modèle de la mémoire de travail défini par Baddeley (1986), illustré sur la figure 3.5, est un système tripartite comprenant un superviseur (l’administrateur central) et deux sous-systèmes : l’un spécialisé dans le traitement du matériel linguistique (la boucle phonologique), l’autre dans le traitement de l’information visuo-spatiale (le calepin visuo-spatial). Baddeley a proposé l’existence de ces deux sous-systèmes, sans écarter la possibilité qu’il en existe plus. Les arguments en faveur de cette vue à composantes multiples proviennent essentiellement d’observations de doubles dissociations5

(Logie, 1995) et de recherches en neuro-imagerie qui suggèrent l’implication de différentes régions du cerveau pour des tâches différentes en mémoire de travail (Smith & Jonides, 1997). Dans les paragraphes suivants, les propriétés de ces trois composants seront détaillées. Une attention particulière sera portée aux propriétés du calepin visuo-spatial qui prend une place particulière lors de l’interaction en réalité virtuelle (cf. chapitre 4).

5. Pour conclure en terme de double dissociation, il faut démontrer qu’un symptôme A apparaît lors de la lésion d’une structure S1 mais non lors de celle de S2 et que le symptôme B apparaît lors de la lésion de la structure S2 mais pas de S1.

Calepin

Visuo−spatial Phonologique

Boucle Administrateur

Central

Figure 3.5 – Le modèle de mémoire de travail (Baddeley, 1986)

L’administrateur central

Ce système amodal aurait pour fonction de contrôler l’allocation des ressources attention-nelles, de planifier l’activité, de transférer l’information en mémoire à long terme, de gérer la mise en oeuvre et la coordination des deux sous-systèmes (la boucle phonologique et le calepin visuo-spatial). Il serait mobilisé pour effectuer des tâches cognitives de haut niveau : raisonne-ment, compréhension du langage, calcul etc. (Baddeley, 1986). Ce système serait responsable de l’ensemble des fonctions de contrôle de l’activité.

L’une des fonctions principales de cet administrateur central est l’allocation des ressources attentionnelles. En effet, chaque tâche (selon son degré de pratique ou selon le contexte d’exé-cution) ne consomme pas la même quantité de ressources. A chaque instant, la demande cumulée de ressources attentionnelles de toutes les tâches excède la quantité disponible. Dès lors, une régulation devient indispensable pour éviter une diminution généralisée d’efficacité de la performance. Ce régulateur prend divers noms selon les modèles (administrateur cen-tral, processeur cencen-tral, superviseur attentionnel) mais sa fonction est la même : déterminer les priorités de traitement garantissant à une tâche un niveau satisfaisant de ressources atten-tionnelles (Couillet et al., 2002 ; Camus, 1996). Certains auteurs ont proposé l’existence d’un réservoir unique de ressources attentionnelles (Kahneman, 1973), tandis que d’autres (Allport et al., 1972 ; Wickens, 1980 ; 1984), ont suggéré l’existence de réservoirs multiples spécialisés dans des traitements particuliers (vision, audition etc.) et indépendants pouvant fonctionner sans concurrence ni interférence.

Les formulations récentes de la mémoire de travail (Baddeley, 1986 ; 1992 ; 2000) assimilent le fonctionnement de l’administrateur central à celui du système attentionnel de supervision définit dans le modèle de Norman & Shallice (1980). L’idée fondamentale de ce modèle est que nous serions capables de réaliser un grand nombre d’actions quotidiennes sans y prêter attention, c’est-à-dire de manière automatique, alors qu’un contrôle attentionnel volontaire s’avérerait nécessaire lorsqu’une composante de planification ou d’inhibition d’un comporte-ment dominant est requise (Norman & Shallice, 1980). Norman & Shallice (1980) ont donc proposé un modèle composé de deux entités principales : un mécanisme de résolution de conflits et un système attentionnel de supervision. Ces deux entités agiraient sur les schémas d’actions. Ceux-ci sont définis comme étant des structures de connaissances génériques et hiérarchisées

contrôlant des séquences d’actions sur-apprises, des routines. Selon ce modèle, le gestionnaire de conflits sélectionnerait les schémas d’action les plus pertinents et contrôlerait l’action jus-qu’à sa réalisation. Ce processus de déclenchement et de sélection serait rapide, automatique et suivrait des règles et des lignes de conduite claires. Ce processus concernerait uniquement les situations familières. Le système attentionnel de supervision, quant à lui, interviendrait dans des situations où les procédures de routine sont insuffisantes. Ce système serait mis en oeuvre pour réaliser des tâches dangereuses ou difficiles, pour des situations impliquant un processus de planification, de prise de décision, de correction d’erreurs, de réaction à la nouveauté, ainsi que pour des situations exigeant de contrecarrer une réponse habituelle forte. Cette seconde voie serait plus lente, plus contrôlée que celle du gestionnaire de conflits, par contre, elle serait plus flexible et plus coûteuse en ressources.

La boucle phonologique

La boucle phonologique, représentée sur la figure 3.6, maintiendrait les informations ver-bales (auditives ou visuelles). Elle serait responsable de la mise en oeuvre des processus ar-ticulatoires (impliqués dans la compréhension et la production du langage). Cette boucle soutiendrait l’auto-répétition mentale qui permettrait de maintenir l’information en mémoire de travail ou de la transférer en mémoire à long terme. La boucle phonologique est définie comme étant composée d’un stock phonologique à court terme et d’une boucle articulatoire qui permet de maintenir l’information dans ce stock. Le fonctionnement de cette boucle serait basé sur un codage phonologique des items verbaux (Conrad, 1967 ; Baddeley, 1966). Ces items verbaux présentés en modalité auditive doivent donc subir une analyse phonologique, tandis que pour ceux présentés en modalité visuelle, un codage phonologique est nécessaire. Par abus de langage, le terme mémoire verbale peut être employé pour désigner l’activité résultante de la boucle phonologique. à Court Terme Entrée Auditive Entrée Visuelle Stock Phonologique Analyse Phonologique Boucle Articulatoire Recodage Phonologique Code Visuel

Le calepin visuo-spatial

Le dernier composant du modèle de la mémoire de travail est le calepin visuo-spatial. Il serait impliqué dans le stockage temporaire de l’information visuelle et spatiale (information non verbale). Il gérerait et coordonnerait les processus impliqués dans des tâches d’imagerie mentale6

(par exemple les tâches de rotation mentale de Shepard & Metzler (1971)) et de recherche visuo-spatiales (les tâches de parcours mental de Kosslyn et al. (1978)). Ce com-posant permettrait d’accomplir les tâches de cognition spatiale comme, par exemple, trouver son chemin pour aller d’un point à l’autre de l’espace (Lemaire, 1999). Par abus de langage, le terme mémoire visuo-spatiale peut être employé pour désigner l’activité résultante de ce calepin.

De nombreuses données expérimentales, et neuropsychologiques, ont conduit des auteurs à proposer l’éclatement du calepin visuo-spatial en deux registres distincts : un registre spatial qui traiterait l’information spatiale ainsi que les relations entre les objets et un registre visuel qui traiterait les couleurs et les formes (Baddeley, 1992 ; Logie, 1986 ; Logie & Marchetti, 1991 ; Logie & Pearson, 1997 ; Smith et al., 1995 ; Tresch et al., 1993 ; Hecker & Mapperson, 1997). Ceci expliquerait que la rétention temporaire de l’information visuelle est perturbée par un stimulus visuel non pertinent, mais pas par une tâche concurrente spatiale (telle qu’une tâche de mouvement du bras) (Logie, 1986 ; Logie & Marchetti, 1991). Par contre, la rétention d’un matériel spatial n’est pas perturbée par la présentation concurrente d’un matériel visuel. Des études ont également montré que le calepin visuo-spatial, plus et précisément le registre spatial, serait impliqué dans la planification des mouvements (Smyth & Pendleton, 1990 ; Logie, 1995 ; Salway & Logie, 1995).

Nous reviendrons sur le traitement de l’information visuo-spatiale dans le chapitre 4, sec-tion 4.1 en introduisant les capacités spatiales, la théorie des images mentales et les études en réalité virtuelle montrant de fortes corrélations entre la performance en réalité virtuelle et le traitement de l’information spatiale.

Si le modèle de Baddeley (1986) est parfois contesté, notamment par les modèles fondés sur la notion d’activation (Cowan, 1988), il constitue néanmoins une référence dans ce domaine. Selon nous, son principal intérêt est qu’il considère les processus spatiaux, contrairement aux modèles antérieurs de la mémoire, (Waugh & Norman, 1965 ; Atkinson & Shiffrin, 1968). Pour conclure, nous noterons qu’une révision de ce modèle incorporant un buffer épisodique a été proposé par Baddeley (2000). Ce buffer aurait une capacité limitée, serait contrôlé par l’administrateur central et serait capable d’intégrer de l’information provenant de diverses

sources. Il servirait d’interface entre les sous-systèmes (boucle phonologique, calepin visuo-spatial) et la mémoire à long terme.

Cette mémoire de travail permet notamment de sélectionner la réponse motrice adaptée à la situation. Nous étudions ce dernier point dans le paragraphe suivant.