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4.2 La dépendance-indépendance à l’égard du champ

4.2.3 Dépendance-indépendance à l’égard du champ et performance en réalité

réalité virtuelle

Très peu d’études se sont focalisées sur l’impact de la dépendance-indépendance à l’égard du champ sur la performance en réalité virtuelle. Cependant, elle est citée comme influençant la performance dans de nombreux travaux (Boyd, 1995 ; Stanney et al., 1998 ; Salzman et al., 1999b ; Pasquier et al., 1999 ; Fuchs & Moreau, 2003 ; Brouwer, 2005). Par exemple, Boyd (1995) affirme que la dépendance à l’égard du champ affecte la performance en réalité virtuelle puisque ce style cognitif reflète la capacité d’un individu à orienter un objet en fonction de sa propre orientation et du contexte visuel. Ce qui correspond effectivement à ce que doit réaliser un individu lorsqu’il manipule un objet dans un environnement virtuel. Brouwer (2005), quant à lui, fait l’hypothèse que les individus indépendants à l’égard du champ sont capables d’isoler un nombre important de détails dans un environnement riche (tel qu’un environnement virtuel) en ignorant les informations non pertinentes. Selon Brouwer (2005), les sujets indépendants à l’égard du champ devraient être plus performants dans les tâches de réalité virtuelle que les sujets dépendants à l’égard du champ.

Cependant, seule l’étude de Ogle (2002) se focalise sur les relations entre les performances en réalité virtuelle et la dépendance-indépendance à l’égard du champ. Plus précisément, Ogle, op. cit., a étudié l’impact de la réalité virtuelle sur la qualité de l’apprentissage en fonction du style cognitif des sujets mesuré par l’EFT. Un hypermédia sur le cœur humain était présenté à des sujets, ils devaient le parcourir pendant vingt-cinq minutes et apprendre le maximum d’informations. Deux configurations de test étaient proposées aux sujets. Dans la première configuration, les sujets pouvaient manipuler un cœur humain représenté dans environnement virtuel. Dans la seconde configuration, seulement des images étaient proposées au sujet. A la fin de la phase d’apprentissage, une série de quarante questions à choix multiples concernant le cœur humain était posée aux sujets. Les résultats indiquent clairement que les sujets indépendants à l’égard du champ ont acquis davantage d’informations quelle que soit la configuration utilisée. Les résultats montrent également que dans la configuration utilisant uniquement des images, tous les sujets ont des performances similaires, tandis que dans celle utilisant un environnement virtuel, les sujets indépendants à l’égard du champ sont meilleurs

que les sujets dépendants. La dépendance-indépendance à l’égard du champ semble donc avoir un impact sur l’utilisation et l’intégration d’un matériel virtuel.

Si peu d’études se sont intéressées à l’impact de la dépendance-indépendance à l’égard du champ sur la performance en réalité virtuelle, de très nombreuses études se sont focalisées sur son impact dans le cadre des hypermédias ou des hypertextes (Chen & Macredie, 2002). Parkinson & Redmond (2002) ont montré que les sujets indépendants à l’égard du champ sont meilleurs pour utiliser internet que les sujets dépendants à l’égard du champ. Chen & Ford (1998), quant à eux, ont demandé à des étudiants d’acquérir des informations relatives à l’intelligence artificielle à travers l’utilisation d’un hypertexte. Ils ont montré que les sujets dépendants à l’égard du champ utilisent préférentiellement le menu principal, tandis que les indépendants, utilisent les boutons de navigation "page suivante", "page précédente". Ainsi, selon leur style cognitif, les sujets utilisent des stratégies de navigation différentes. Un résultat similaire a été montré par Liu & Reed (1994). Lors de l’utilisation d’un hypermédia, les sujets dépendants auraient une stratégie linéaire. Leader & Klein (1996) ont complété cette étude en montrant que les indépendants utilisaient davantage les index, les cartes. Ces résultats ont été complétés grâce aux études de Palmquist & Kim (2000) et de Kim (2001). En effet, ces travaux ont étudié les effets conjoints de l’expertise et du style cognitif mesuré par l’EFT dans la recherche d’informations sur internet. Palmquist & Kim ont demandé à des étudiants de rechercher des informations sur un sujet précis. La performance de recherche était mesurée en terme de temps nécessaire et de nombre de nœuds traversés pour localiser un item pertinent. Ils trouvèrent une interaction entre les styles cognitifs et l’expérience dans la recherche d’in-formations. Les dépendants à l’égard du champ novices prennent plus de temps et traversent plus de nœuds pour localiser des informations pertinentes que les indépendants à l’égard du champ novices. Aucune différence n’apparaît pour les chercheurs experts. Des résultats simi-laires ont été trouvés par Kim. Nous reviendrons sur l’impact de l’expertise sur la performance d’interaction dans le paragraphe 4.3.

4.2.4 Conclusion

Ces différents travaux montrent clairement l’impact de la dépendance-indépendance à l’égard du champ sur les stratégies de navigation dans un hypertexte ou un hypermédia, ils montrent également que cet impact peut être modulé par l’expertise dans la tâche.

Néanmoins, ces travaux n’utilisent pas de système de réalité virtuelle. Seule l’étude de Ogle (2002) permet de supposer un impact de la dépendance-indépendance à l’égard du champ sur la performance en réalité virtuelle (cf. tableau 4.3).

Cependant de nombreux auteurs ont fait l’hypothèse d’un impact de ce style cognitif sur la performance (Boyd, 1995 ; Stanney et al., 1998 ; Salzman et al., 1999b ; Pasquier et al., 1999 ;

Caractéristiques Performances dans les tâches

de l’utilisateur Locomotion Recherche d’itinéraire Manipulation

Dépendance-Indépendance

? ? Indépendants > Dépendants

à l’égard du champ (Ogle, 2002)

Les ? signifient que nous n’avons pas identifié d’études concernant cette configuration.

Tableau 4.3 – Principaux résultats expérimentaux concernant la dépendance-indépendance à l’égard du champ

Fuchs & Moreau, 2003 ; Brouwer, 2005), nous pouvons donc supposer que ce style cognitif va influencer la performance dans les tâches d’interaction en réalité virtuelle (cf. tableau 4.4). Cette hypothèse peut être étayée en rappelant que les tâches de manipulation et de locomotion ont été définies comme des tâches requérant soit la manipulation du point de vue de l’utili-sateur, soit celle d’un objet. Or, la dépendance-indépendance à l’égard du champ définit les stratégies d’appréhension des référentiels spatiaux. Les sujets peuvent soit utiliser un référen-tiel égocentrique (centré sur l’individu) et sont indépendants, soit un référenréféren-tiel exocentrique (centré sur l’objet) et sont dépendants. La même dichotomie, que celle observée pour définir les tâches, est obtenue. Il est donc aisé de faire l’hypothèse d’un lien entre les performances dans ces tâches et l’appréhension des référentiels spatiaux. Les sujets dépendants risquent donc rencontrer davantage de difficultés lors de la réalisation d’une tâche de locomotion puisque cette tâche ne nécessite pas l’utilisation d’un référentiel spatial exocentrique. L’étude de Ogle (2002) ayant montré que les dépendants sont moins bons que les indépendants dans les tâches de manipulation, qui pourtant est congruente avec un référentiel exocentrique. Nous pouvons faire l’hypothèse que ces sujets dépendants auront des performances très faibles en locomotion.

Caractéristiques Performances dans les tâches

de l’utilisateur Locomotion Manipulation

Dépendance-Indépendance

Indépendants > > Dépendants Indépendants > Dépendants à l’égard du champ

Le texte en gras indique que ces résultats ont été confirmés par d’autres auteurs expérimentalement (cf. tableau 4.3).

Tableau 4.4 – Principales hypothèses découlant de l’étude de la dépendance-indépendance à l’égard du champ

Nous poursuivons cette analyse des caractéristiques de l’utilisateur, en introduisant une caractéristique essentielle : son expérience dans le domaine de l’application, de la tâche à réaliser, de la technologie, de l’interface, du domaine etc.

4.3 L’expérience des utilisateurs

Dans cette partie, nous nous focalisons sur l’expérience de l’utilisateur. En effet, en er-gonomie cognitive, l’analyse de l’utilisateur passe par l’étude de son niveau de compétence, d’expérience dans la tâche, dans le domaine de l’application, dans l’utilisation de l’interface, de la technologie etc. (Egan, 1988 ; Nielsen et al., 1993 ; Dix et al., 1998 ; Boy, 2003). Nous notons, dès à présent, que nous ne nous plaçons pas dans le cadre des travaux sur l’exper-tise et des performances exceptionnelles tels que peuvent, par exemple, les définir les travaux princeps sur les joueurs d’échecs experts (Chase & Simon, 1973) ou les travaux postérieurs sur l’expertise (Salthouse, 1991 ; Ericsson & Smith, 1991 ; Ericsson et al., 1993 ; Ericsson & Kintsch, 1995 ; Ericsson & Lehmann, 1996 ; Ericsson, 1999). L’expertise dans sa forme la plus extrême peut se définir comme une compétence exceptionnelle particulière, souvent profession-nelle, acquise par un grande nombre d’années de pratique (une dizaine d’années) (Ericsson et al., 1993). Nous préférons employer les termes de niveau d’expérience ou de compétences dans une tâche ou dans la technologie.

De très nombreuses études se sont focalisées sur l’acquisition d’expérience, nous nous fo-caliserons uniquement sur les théories, modèles et résultats expérimentaux issus du domaine de l’interaction homme-machine. Dans ce domaine, l’un des principaux modèles proposé est celui de la loi de la pratique selon lequel plus un utilisateur réalise une tâche, moins il a besoin de temps pour la réaliser (Egan, 1988 ; Newell & Rosenbloom, 1981). Cette modélisation bien que pertinente d’un point de vue pratique (car elle permet de prédire la performance d’un utilisateur) est peu satisfaisante.

Pour tenter de mieux comprendre cet impact de l’expérience sur la performance, le modèle des niveaux d’activité de Rasmussen (1986) qui est le modèle le plus fréquemment usité en interaction homme-machine sera présenté ainsi que quelques études expérimentales montrant le lien existant entre la performance de l’utilisateur et son niveau d’expérience.

4.3.1 Le modèle des niveaux d’activité (Rasmussen, 1986)

L’observation d’un utilisateur en situation d’activité montre explicitement qu’une même situation peut poser problème à un novice et être un cas de routine pour un utilisateur expéri-menté. Les utilisateurs n’auront donc pas le même comportement, leurs représentations et leurs connaissances utilisées ne seront pas les mêmes. Rasmussen et ses collaborateurs (Rasmussen, 1986 ; Rasmussen et al., 1994) ont proposé un modèle distinguant trois niveaux d’activité, ou de fonctionnement pour un opérateur selon que les décisions qu’il doit prendre pour réaliser une tâche relèvent d’habilités, de règles ou de connaissances (cf. figure 4.1). Ces trois niveaux sont souvent associés à la diminution du niveau de familiarité avec la tâche.

Comportements basés sur les connaissances (savoirs)

sur les règles Comportements basés (procédés)

Comportements basés sur les habilités

(réflexes)

BUTS Symboles

Situations

Situations

Entrées sensorielles Signaux / Actions Identification Reconnaissance Association états / tâche Décision, choix de la tâche Planification Règles pré−stockées Extraction de caractéristiques Réactions sensori−motrices automatisées

Figure 4.1 – Le modèle des niveaux d’activités

1. Le premier niveau (le plus bas sur la figure 4.1), le niveau réflexe est basé sur les habiletés (skill-based behavior). Il représente les actions sensori-motrices effectuées par l’utilisa-teur sans réel contrôle conscient, de façon rapide et souvent automatique. L’utilisal’utilisa-teur compose et utilise des ensembles de sous-programmes sensori-moteurs automatisés adap-tés aux buts spécifiques de la tâche. Ces programmes peuvent être considérés comme des connaissances procédurales stockées en mémoire à long terme. C’est le niveau en-gendrant le moins d’efforts cognitifs. Par conséquent, l’exécution parallèle de différentes tâches est possible. Les activités de ce type laissent les ressources cognitives disponibles pour d’autres activités.

2. Le second niveau (le central sur la figure 4.1), le niveau des procédés est basé sur les règles (rule-based behavior). Les comportements de ce niveau fonctionnent sur des règles pré-stockées; l’utilisateur, son but et son environnement fournissant les paramètres de la règle. Si l’utilisateur n’a pas vécu de situation identique, il utilise une règle valable dans une situation analogue. Tandis que les comportements basés sur les habilités sont en grande partie automatiques, ceux basés sur les règles sont schématiques et basés sur des savoirs-faire explicites. Le traitement parallèle est possible, bien que ce niveau d’activité exige un niveau minimum d’attention.

3. Le dernier niveau (le plus haut sur la figure 4.1), le niveau du savoir est basé sur les connaissances (knowledge-based behavior ou model-based behavior). Ce niveau de com-portement est utilisé lorsque aucun réflexe ou aucune règle ne convient à la situation rencontrée. L’utilisateur se trouve alors confronté à un processus de résolution de pro-blème. Son comportement doit alors s’appuyer sur un modèle mental de la situation.

Les traitements effectués sont conscients, lents, séquentiels et coûteux d’un point de vue attentionnel. Les comportements basés sur les connaissances sont spécifiques à un événe-ment et sont conduits par des buts expliciteévéne-ment formulés, nécessitant le développeévéne-ment de plan.

Selon Rasmussen (1986), le comportement humain utilise simultanément ces trois niveaux. Le niveau du savoir définit les buts, les deux autres se chargent de les satisfaire en fonction de leurs compétences. Par exemple, lorsque un utilisateur expérimenté cherche son chemin dans un environnement virtuel, les connaissances de l’utilisateur sur cet environnement (niveau du savoir) permettent de planifier la trajectoire du déplacement. Les règles (niveau des procédés) dont dispose l’utilisateur lui permettent de déterminer la procédure de déplacement à utiliser, tandis que les habilités (niveau réflexe) motrices de l’utilisateur soutiennent la manipulation de l’interface. Cependant, pour un utilisateur inexpérimenté, la simple tâche de manipulation de l’interface peut nécessiter la mise en oeuvre du niveau des connaissances ou des procédés, puisque l’interaction n’est pas encore automatisée. Ainsi, selon leur expertise, les utilisateurs vont se différencier selon les niveaux auxquels ils font appel. Le développement de l’expertise s’accompagne donc d’un déplacement du niveau des connaissances vers le niveau réflexe (Ras-mussen et al., 1994). A la vue de la complexité des tâches d’interaction en réalité virtuelle, pour les utilisateurs novices, ce déplacement du niveau des connaissances vers le niveau réflexe, risque de demander un temps d’apprentissage important et, d’être coûteux d’un point de vue attentionnel. C’est pourquoi l’objectif d’un concepteur d’interfaces va être de minimiser les connaissances nécessaires à son utilisation.

En réalité virtuelle, et plus particulièrement en interaction homme-machine, de très nom-breux travaux ont montré l’impact de cette expérience des utilisateurs sur la performance, nous en introduisons quelques-uns à titre d’exemples.