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A. Milieu didactique, situation adidactique................................................................................... 4 6

8. Mémoire didactique

La mémoire didactique correspond à une mémoire des connaissances, savoirs, pratiques qui apparaissent indispensables pour le fonctionnement du système didactique en tant qu’espace de dévolution de situations dans lesquelles l’élève doit se souvenir de la façon dont on doit penser et faire usage de certains objets.

La mémoire pérenne

Nous avons évoqué l’existence de règles pérennes du contrat qui confèrent une certaine stabilité au système d’attente réciproque entre maître et élèves.

On peut parler d’une façon analogue d’une mémoire pérenne2 liée à des façons de faire, non pas attachée à un savoir particulier mais à une classe de savoirs habituellement mobilisés, enseignés, ou évalués dans des tâches, des protocoles assez standardisés - dictée, résoudre des problèmes mathématiques, exercices à trou en grammaire conjugaison, un résumé d’histoire,

1 SCHUBAUER-LEONI (M. L.), « Le contrat didactique dans une approche psycho-sociale des situations d’enseignement », Interactions Didactiques, Recherches, n°8, Neuchâtel, mars 1988, p. 66.

2 MERCIER (A.), 1988.

calcul mental, procédés Lamartinière. Ce sont des formats assez hétérogènes qui ne disent rien ou pas grand-chose sur l’enjeu de savoir et les façons de comprendre. Ils disent beaucoup en revanche sur ce qu’on a le droit de faire ou pas, sur les procédures acceptables. De ce point de vue, ils sont porteurs d’effets de contrat très fort, pouvant faire obstacle aux heuristiques des élèves.

En même temps, ils sont de l’ordre du nécessaire parce que toute séance de classe ne peut pas chaque fois reconstruire l’ensemble des protocoles. Le milieu accueille ainsi des formats de jeu dans lesquels s’inscrivent les objets spécifiques. Sans ces habitudes, le maître passerait son temps à dévoluer des situations entièrement nouvelles et à expliquer des règles de jeu toujours inédites.

Cette catégorie n’est pas à proprement parler didactique dans le sens où ses éléments ne sont pas spécifiques d’un savoir particulier. Ils ne sauraient pas évoluer, vivre en toute indépendance. Ce sont ces formats que Leutenegger décrit comme l’objet d’enseignement principal des classes de non francophones1. Cela constitue pour eux un premier pas d’acculturation scolaire. Il y a donc là quelque chose qui s’enseigne aussi et qui, surtout, doit être retenu toute la scolarité avec des variations d’un maître à l’autre.

Tous ces éléments sous-entendus, ou rappelés de façon elliptique ou d’index (dictée !) participent au milieu comme s’ils y étaient physiquement.

Se souvenir de situations et du rapport à certains objets

Le maître est celui qui sait avant les élèves ce qui viendra après, mais il est aussi celui qui sait ce dont il faut se souvenir maintenant et ce qu’il faut oublier2. La chronogenèse est le processus qui gère l’obsolescence des savoirs et leur nouveauté, i.e. leur actualité. Les situations de rappel3 sont des moments privilégiés pour définir ce dont il faut se souvenir et participent à la construction du milieu officiel pour la classe. Avec des modalités diverses de réalisation4, les situations de rappel permettent à certains élèves d’établir ou de rétablir un rapport idoine à certains objets travaillés en classe dans le passé et qui vont se révéler importants pour la suite de la séance en devenant objets pertinents du milieu.

La mémoire dans des objets

La mémoire n’est pas qu’évocation narrative, elle s’attache à des objets divers et manipulables.

En rupture avec une approche cognitiviste pour laquelle la mémoire est un attribut de la personne, Yves Matheron5 met en évidence et définit une mémoire dite ostensive. «On appelle ostensifs, les objets qui ont pour nous une forme matérielle sensible au demeurant quelconque.

Un objet matériel (un stylo, un compas) est un ostensif. Mais il en va de même des gestes, des mots, des schémas, des écritures et formalismes. Le propre des ostensifs, c’est de pouvoir être

1 LEUTENEGGER-RIHS (F.), op. cit., 1999.

2 BROUSSEAU (G.), « Les différents rôles du maÎtre », Bulletin de l’Association Mathématique du Québec, 2/23, 14-24.

3 PERRIN-GLORIAN (M.-J), Aires et surfaces planes et Nombres Décimaux, Questions didactiques liées aux élèves en difficulté aux niveaux CM-6ème, Thèse de Doctorat d'Etat: Université de Paris 7, 1992.

4 CHEVALLARD (Y.), op. cit., 1989.

5 MATHERON (Y.), Une étude didactique de la mémoire dans l’enseignement des mathématiques au Collège et a u

manipulés.1 » La mémoire peut être attachée à certains ostensifs comme une mémoire des savoirs pour réaliser une plus grande économie d’écriture et de traitement (la racine carrée).

Dans ce cas, elle n’est plus sous la responsabilité du professeur, mais appartient à la mémoire du système. Elle peut être, plus conjoncturellement, attachée à des ostensifs et donnée à voir de manière revendiquée par l’enseignant (par exemple un professeur qui décrit une courbe exponentielle au moyen de larges gestes montant avec un langage métaphorique en disant :

« vous vous rappelez ? ») Dans l’institution didactique, des associations entre ostensifs et connaissances passées sont ainsi produites pour que des événements didactiques soient visibles de tous. Ces ostensifs sont ainsi des moyens importants pour permettre aux élèves d’adopter le bon rapport à certains objets du milieu.

Créer des institutions mnésiques

Les moyens mis en oeuvre pour convoquer des connaissances ou des savoirs anciens pour comprendre une leçon ou pour résoudre un problème peuvent être sous la responsabilité de l’enseignant, celle de l’élève ou celle du système didactique, incorporée dans la situation préparée par le professeur. G. Sensevy décrit des classes dans lesquelles le maître « est dépositaire de la mémoire de la classe au sens où il est le seul institutionnellement autorisé à produire le geste d’indication qui permettra l’évocation2. » Certains de ces gestes peuvent, au contraire, être placés sous la responsabilité des élèves par la création d'institutions mnésiques, résultats d’un processus d’emblématisation de certaines productions des élèves.

Le souvenir des objets, que l’évocation soit placée sous la responsabilité des élèves ou du maître, est un souvenir de la façon dont on doit penser, faire avec, connaître ces objets. La mémoire des objets indique le rapport que l’on doit établir avec eux. Elle est donc activée dans le milieu pour permettre aux élèves d’assumer les problèmes dévolus.

La mémoire du chemin des élèves

Centeno3 fait référence à des maîtres sans mémoire pour désigner « un contrat dans lequel le maître ne dispose pas de solution pour que l’élève élabore des savoirs intermédiaires... en conséquence, le maître ne peut que transmettre le texte du savoir » Le maître n’a besoin et ne fait référence qu’à des connaissances institutionnalisées et n’a besoin ni de construire des savoirs intermédiaires ni de connaître les élèves pour enseigner et dispenser ses tâches. Il s’appuie sur la mémoire du système.

La mémoire du système, nous dit Centeno, fonctionne comme un labyrinthe avec des sens obligatoires, ou comme un dispositif avec un labyrinthe par élève ou encore un labyrinthe où on ne peut passer qu’une fois au même endroit « l’histoire de chaque élève serait inscrite là où il se trouve », et enfin un système gardant la trace des passages des élèves et des écarts. Des normes de savoir pour un niveau de classe, références à des exemples culturellement reconnus4, des listes de tâches, d’exercices, des réponses standardisées pour des problèmes standards

1 CHEVALLARD (Y.), Ostensifs et non ostensifs dans l’activité mathématique, I.U.F.M. et I.R.E.M. d’Aix-Marseille, 1994.

2 SENSEVY (G.), op. cit., 1998, p. 57.

3 CENTENO (J.), La mémoire didactique de l’enseignant, Thèse posthume inachevée, Ladist, Bordeaux, 1995, documents rassemblés par Claire Margolinas.

4 BROUSSEAU (G.), «Les obstacles épistémologiques et les problèmes en mathématiques», in Recherches en Didactique des mathématiques, Vol. 4; N° 2, pp. 165-198, 1978.

peuvent représenter de tels labyrinthes (mais ils n’en sont que si l’on s’en sert comme tels).

« Un tel système est organisé pour oublier la façon par laquelle l’élève est arrivé à un point donné … Parmi les décisions du maître, il y a celles qui ne vont demander aucune intervention de mémoire particulière parce qu’il s’agit de décisions entièrement conditionnées par la situation de l’instant. Il y aura celles qui vont exiger que le maître se rappelle de quelque chose, soit la mémoire permanente du système, soit une mémoire didactique personnalisée liée à l’histoire de l’élève. » Faire référence à l’histoire de l’élève ou faire appel à la mémoire du système sont ainsi deux façons de penser et d’agir sur les situations de travail des élèves.

Les interventions du professeur pour établir ou modifier le rapport des élèves à des objets symboliques ou matériels apparaissent justifiées par le statut de ces objets. Comme le commente G. Brousseau dans la thèse de Centeno à propos de la mémoire : « Centeno applique le principe fondamental de la théorie des situations qui consiste à définir une connaissance par son rôle dans une situation.1 » Le geste de rappel mémoire travaillé sous de multiples formes dans cette dernière recherche assure des fonctions dépendant du statut et du rôle des connaissances rappelées. Centeno propose une grille d’analyse du geste de rappel qui, selon nous pourrait, concerner tout geste didactique :

- Objet : à propos de quel objet le geste se réalise

- Moment du rappel : début, en cours, fin, à l’occasion d’une erreur... renvoie à sa fonction - Type de rappel : selon le statut du savoir

- Moyens ou forme technique de réalisation du geste - Destinataire : élève, groupe, classe

- Fonction : ce que provoque le geste sur le plan du rapport de l’élève avec le milieu didactique.

La grille de Centeno est plus complexe que ce que nous présentons ; elle prend en compte des traits spécifiques de son objet – la mémoire -que nous n’avons pas retenus ici. Elle décline diverses fonctions particulières au geste de rappel mémoire. Ces fonctions dépendent de l’objet, du type de rappel et des caractéristiques de la situation didactique. Nous verrons dans notre construction des gestes que le niveau que nous avons retenu pour la mémoire est nettement plus général que dans ce travail de référence. Le rappel mémoire est un geste qui, pour nous, concernera indistinctement des savoirs anciens, récents, sensibles, essentiels ou secondaires, mémoire personnalisée des actions des élèves ou mémoire du système. En revanche, nous lui emprunterons la grille d’analyse générale pour la construction et l’analyse gestuelle – objet, moment, statut du savoir, forme technique, destinataire, fonction.

1 CENTENO (J.), op. cit., 1995,

X. GESTES, APPROFONDISSEMENT