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Essai de contribution pour le développement d’une formalisation de l’activité du professeur

A. Milieu didactique, situation adidactique................................................................................... 4 6

X. G ESTES , APPROFONDISSEMENT

3. Essai de contribution pour le développement d’une formalisation de l’activité du professeur

Le modèle d’Yves Chevallard1 présente selon nous l’intérêt, non de se substituer aux théories que nous avons présentées pour construire nos gestes, mais celui d’essayer de situer ces gestes dans un cadre plus large rendant compte de l’écosystème qui leur donne naissance et des liens qu’ils entretiennent avec d’autres variables et dimensions du système. Savoir où l’on se place dans l’étude du système permet de repérer ce que l’on étudie mais aussi et surtout tout ce que l’on n’étudie pas.

♦ Situer dans leur écosystème les techniques des professeurs

Sans son modèle de l’action professorale, M. Chevallard définit un système ou organisation praxéologique : [T/τ/θ/Θ](p) soit, un type de tâche, des techniques pour accomplir un spécimen de tâche, une technologie - justification et commentaires - une théorie et p représentant la place de l'agent dans l'institution I, ici le système éducation nationale (EN) Si nous étudions le système incorporant un aide-éducateur ou un enseignant néo occupant une autre position sur l’échiquier du système, nous aurons l’organisation praxéologique suivante : [T/τ/θ/Θ](AE) ou [T/τ/θ/Θ](Néo). Chaque intervenant didactique – élèves compris - peut donc être spécifié selon sa position.

T représente le type de tâche « aide à l'étude », τ les techniques permettant de disposer les conditions de l’étude, θ le discours sur ces techniques, Θ les théories (croyances, idéologies) qui fondent leurs discours, chacun avec un assujettissement original. En particulier l’aide-éducateur est en même temps assujetti au professeur P et à l’Institution EN. On peut faire l’hypothèse que pour l’accomplissement de spécimens de tâches appartenant au type « aide à l’étude » T, l’organisation praxéologique placée en amont [θ/Θ](AE) aura une influence sur le choix des techniques τ. On peut, en référence aux théories de l’engagement2 , faire l’hypothèse symétrique, c’est-à-dire que la mise à la disposition de techniques τ auprès d’un professeur peut modifier l’organisation praxéologique en affectant son discours et ses théories.

1 CHEVALLARD (Y.), op. cit., 21 - 31 août 1995.

2 «Ce ne sont pas les idées qui nous engagent, ce sont les actes » BEAUVOIS (J.-L.) et JOULE (R.-V.), Petit traité de

E, l'environnement est l'ensemble des objets matériels ou symboliques identifiables par le professeur, l'élève dans tout lieu et en tout temps. On retrouve avec cette définition large de l’environnement celle qu’en donne G. Lerbet : c'est à dire « une galette d'espace-temps..., l'environnement est hors du système (représenté ici par le système didactique). Le milieu, en revanche, en fait partie et il concerne sa frontière (la zone d'échanges). Il peut être défini comme ce que le système intègre de l'environnement1 ».

M, le milieu est l'ensemble des objets matériels et symboliques (ostensifs) mis à la disposition des élèves ou prélevés par les élèves dans l'environnement et faisant système avec le professeur et d’autres intervenants éventuels.

♦ Constituer les conditions de l’étude d’une oeuvre

Un type de tâche T « aide à l’étude » se spécifie forcément dans l’étude de quelque chose ; c’est le fondement même des modèles didactiques qui prévoient toujours, à l’inverse d’approches strictement sociologiques ou pédagogiques, que les caractéristiques de l’objet étudié auront un effet sur les pratiques d’étude et d’enseignement.

La tâche du professeur consiste donc à créer les conditions de l’étude d’une œuvre O en construisant un milieu adapté. L’étude de cette œuvre passe par l’aménagement des conditions qui permettent aux élèves de construire et de faire évoluer un rapport idoine avec des objets du milieu dont on espère qu’ils permettront la rencontre avec O.

En première approche, notre étude porte sur τ, c’est-à-dire les techniques que les tuteurs didactiques mettent en oeuvre pour aider les élèves à étudier l’œuvre O médiatisée par un milieu pour l’étude. Nous nous sommes intéressés dans une plus modeste mesure à θ/Θ pour les mettre en regard des techniques déployées quand cela était possible.

♦ Tâche

Si on étudie globalement la tâche « faire étudier la proportionnalité », le professeur a recours à un certain nombre de techniques. Mais au fonds, une technique est elle-même une sous-tâche.

Imaginons la tâche faire un potager. Pour mener à bien ce projet, il est nécessaire de recourir à un certain nombre de techniques : planter, entretenir pendant la pousse et récolter. Récolter est une technique au service de la tâche réaliser un potager. Mais c'est en même temps une sous-tâche qui réclame un ensemble de techniques. C’était bien une sous-tâche problématique pour les troupes anglaises en 1914 qui ne savaient pas bêcher avec les bêches françaises2 .

Du coup, si on tient compte de cet emboîtement des tâches en poupée russes, quand arrêter le niveau de regard pour rendre compte d’une spécificité professionnelle, ici celle du professeur ? Dans le modèle praxéologique, l’entrée recommandée par l’auteur pour repérer les tâches est d’écouter les institutions qui les désignent. Ceci implique, c’est en tout cas notre point de vue, qui si toute action - qu’on nous désigne de faire ou que l’on se désigne pour faire - peut, sans contestation, être pensée en termes de tâches, y compris les actions élémentaires, il n’est pas forcément utile de tout penser ainsi. Il existe pour un agent, dans une institution, un niveau

1 LERBET (G.), De la structure au système, Paris, Unmfreo, 1986, p. 21.

2 MAUSS (M.), Sociologie et anthropologie, PUF, 1950, 1997.

opportun de l’action auquel on fera correspondre le concept de tâche – à ce stade peu importe qu’elle soit prescrite ou réelle. Ce niveau est celui qui correspond à la poursuite d’un but spécifique de l’institution et impliquant le choix et la coordination consciente d’un certain nombre d’actions, donc la mobilisation de techniques.

Pour un professeur, ces tâches peuvent être par exemple l’étayage, la dévolution, la correction, la préparation, mais aussi la rédaction du cahier journal, les rencontres en équipe éducative, la relation aux parents, etc. Nous voyons que les tâches gardent ici un niveau assez élevé et sont effectivement des découpages opérés par l’institution.

Ce concept de tâche, doit, à notre avis, et pour être utile, rester à ce niveau assez élevé qui permet de préserver un sens global à l’activité.

♦ Rapports entre geste et technique

Technique : « programme d'action efficace sur le monde »1

Les deux tâches que nous analysons sont celles de professeurs et aides-éducateurs qui projettent d'enseigner à leurs élèves les fonctions numériques en mathématiques et les antonymes en français. Pour cela, ils disposent et mobilisent un ensemble considérable de techniques. Toutes ces techniques ne tiennent pas le même rang comme dans l’exemple de notre potager.

Les types de tâches comme la préparation relative à l'ensemble de la séquence, celle de chaque séance, réfèrent à des techniques diverses. De même, la gestion des moments ou des situations (collectif, groupe, suite des problèmes donnés aux élèves, correction) suppose plusieurs façons, plusieurs techniques pour gérer le passage du collectif au travail de groupe, pour dévoluer les situations aux élèves, pour aider les élèves pendant le travail individuel, pour évaluer leur travail etc.

Quel est le rang de nos gestes d'enseignement ?

Nous réservons le terme de geste à un ensemble de techniques toujours référées à une fonction didactique qu’elles servent. Les gestes décrits sont donc relativement génériques.

Le geste est déclaré pertinent et de rang adéquat parce qu’il assure une fonction didactique. La fonction irréductible d’un geste didactique est de faire varier l’incertitude de l’élève et de régler ce que Brousseau appelle le débit didactique2. Comme nous l’avons montré dans nos développements théoriques initiaux, les trois fonctions didactiques fondamentales sont relatives à la topogenèse, à la chronogenèse et à la mésogenèse. Nous éviterons donc d’utiliser le terme de technique pour désigner ce que nous avons placé au rang de geste.

Dans une perspective plus anthropologique qui tenterait de dépasser le contexte de l’étude didactique, on peut concevoir que dans tout système humain dans lequel existent et se développent des techniques, il est possible de repérer un niveau, un rang de technique qui soit spécifique de l’activité et auquel on puisse donner le nom de geste.

1 LATOUR (B.), LEMONNIER (P.), (sous la direction de), De la préhistoire aux missiles balistiques. L’intelligence sociale des techniques, Paris : La Découverte, 1994.

2 BROUSSEAU (G.), op. cit., 21 - 31 août 1995.

Le geste assure alors une fonction propre à l’activité considérée dans une institution donnée.

Prenons l’exemple d’une institution non didactique comme la chasse dans notre société européenne (qui, d’ailleurs, génère ça et là des espaces didactiques). C’est bien une institution comportant des agents dans des positions diverses (chasseur, agents de contrôle, fabricants…).

Dans notre arborescence, la tâche pourra être de chasser le sanglier dans certaines conditions, par exemple sous la neige, avec des chiens et en forêt (but et conditions de réalisation). Les gestes seront faire le pied (relever les traces), le poste ou l’affût (le guet), le tir, l’approche…

A chaque geste pourra être associé un ensemble de techniques, actes traditionnellement efficaces1 qui se déploient dans l’activité mais qui ne sont pas spécifiques de l’activité. Relever les signes du passage d’un sanglier est une technique commune au chasseur, au garde des eaux et forêts, au naturaliste, au photographe et même au simple promeneur. On pourra alors analyser les différentes techniques de relevé et d’interprétation des traces constituées en signes.

La mise en œuvre de ces techniques n’est pas supposée problématique pour les individus assujettis aux différentes communautés culturelles. Ceci n’implique évidemment pas que les individus ne soient pas candidats à les perfectionner. Parce que toutes les techniques mises en œuvre ne se valent pas et parce que les sujets les maîtrisent inégalement, l’étude des techniques présente un intérêt majeur. Mais cette étude ne peut découper son objet que si le rang des gestes a été établi, de sorte que l’on puisse en déduire les techniques qui le servent.

Le cas de l’apprenti pour lequel un geste propre à une activité humaine à laquelle il veut participer est problématique nous fait changer de système et entrer dans une institution didactique d’initiation à une pratique.

Revenant à notre contexte d’étude, nous dirons à titre d’exemple que la réduction de milieu est un geste qui se distingue du geste de dévolution parce que celui-ci tente de faire assumer une responsabilité plus grande à l'élève dans son rapport avec le milieu alors que celui-là aménage le milieu pour que l’élève soit en mesure de déployer une responsabilité qu’il n’arrivait pas à exercer - topogenèse, chronogenèse, mésogenèse.

Si nous descendons d’un cran, nous constatons que, par exemple, le geste de réduction du milieu ne décrit pas les différentes façons, les différentes techniques possibles pour réduire.

Ces différentes techniques sont d'un rang inférieur puisqu'elles sont les différentes modalités possibles de ce geste de réduction. Elles sont toujours à référer aux trois grandes fonctions didactiques, mais nous ne les appelons pas gestes car ces techniques ne sont pas spécifiques du didactique.

Prenons un exemple, celui de la résonance négative. Nous lui donnons le rang de geste dans la mesure où elle indique à l’élève la non-conformité de son rapport avec un objet du milieu. La résonance répétée peut, par exemple, avoir pour effet de réduire l’incertitude de l’élève dans son rapport avec le milieu, de figer le temps didactique et de diminuer le topos de l’élève.

Mais cette résonance peut matériellement se manifester par des énoncés en nombre infini. Ces énoncés peuvent être regroupés en catégories référées à des critères qui dépendent de ce que

1 MAUSS (M.), op. cit., 1934.

l’on cherche, des hypothèses de travail. Si on fait par exemple l’hypothèse d’une influence de la modalisation sur l’activité de l’élève on obtiendra des énoncés non modalisés : « non, c’est pas ça, c’est faux, ce n’est pas la bonne réponse, tu t’es trompé, etc. », des énoncés modalisés très disqualifiant « tu t’es encore trompé, c’est archifaux, tu fais n’importe quoi », énoncés modalisés encourageant « c’est bien mais attention là une petite erreur, bravo ah attention tu as oublié quelque chose, etc. ». Les simples mouvements de la tête, le regard, la dénégation, la moue des lèvres seraient bien sûr à inclure dans les catégories.

Tous ces mouvements des tuteurs sont des techniques qui, pour nous, ont eu le rang d’indicateurs d’un geste. Mais elles ne sont pas spécifiques du didactique. On peut affirmer un désaccord , manifester un écart avec un produit ou un acte attendu, dans la classe ou n’importe où ailleurs, et pas nécessairement didactique.

Ce qui fait la spécificité didactique, c’est que la technique se réalise dans un contexte spécifique avec un effet également spécifique. La technique renvoie à un geste qui lui, porte une intention et une fonction didactiques.

♦ Un parallèle avec les actes de paroles

Dans le domaine de l’enseignement du français langue étrangère, l'approche dite communicative d'origine anglo-saxonne qui date des années 75, propose des inventaires définis non plus en termes de structures comme c’était le cas avec les anciennes approches mais en termes de fonctions de communication. Elle vise des savoir-faire langagiers s'appuyant sur les usages et s'adaptant aux circonstances concrète et classifiés sous la forme d’actes de parole en fonction des besoins propres aux situations rencontrées. Un acte de parole désigne l'interprétation de l'acte accompli par une forme de phrase.

L’approche définit des types d’événements que nous désignons comme des tâches par exemple « se déplacer dans une ville » . Cela implique la mise en œuvre d’actes de paroles de type « demander son chemin à quelqu’un » qui se réalisent en énoncés, en formes linguistiques

« où se trouve cette adresse », « comment puis-je aller à cet endroit ? » « connaissez vous cette rue ? » etc.

Dans un système didactique, les gestes occupent cette position des actes de parole dans la mesure où ils assurent une fonction spécifique à la situation. Ainsi, la mise en œuvre par le professeur d’un geste s'actualise en techniques langagières ou gestuelles comme un acte de parole s'actualise dans une infinité d’énoncés.

De proche en proche, l’étude des techniques permettant aux gestes de s’accomplir rendrait compte des innombrables façons qu’ont les individus de les faire vivre dans les tâches ; leur analyse conduirait à rendre compte de l’imprévisible vivant qui les instrumentalise d’une façon singulière, inédite toujours renouvelée comme les énoncés incarnent les actes de parole.

♦ Conclusion

Reprenant le modèle de Chevallard et l’adaptant à nos besoins, nous définissons un ensemble Γ composé de l'ensemble des gestes d'aide à l'étude possible d'un professeur générique, i.e. son répertoire de gestes en direction d'un élève générique (en situation scolaire ou pas, entre adulte,

entre enfants, d'enfant à adulte ou inversement) : Γ = 

γ

1,

γ

2,

γ

3,... sont l’ensemble des gestes affectant les trois fonctions fondatrices des systèmes didactiques.

Nous pouvons alors établir trois expressions. La première définit les conditions dans lesquelles l’agent didactique accomplit son activité, ce qui le pilote mais aussi son répertoire en fonction de la tâche disciplinaire, de tel objet de savoir.

Son répertoire n’est pas nécessairement le même d’une discipline à l’autre. Nous introduisons ainsi entre technologie et technique le rang des gestes

Γ

.

La seconde expression définit l’action en situation. Nous ne parlons volontairement plus d’activité dans la mesure où nous n’avons affaire qu’à la face visible de l’activité du professeur : nous trouvons l’ensemble des gestes «

Γ

» accomplis par le professeur dans un intervalle de temps donné «t » et relativement à un objet ou des objets du milieu didactique

«o» , dans une interaction ou dans un épisode, dans un ensemble d’épisodes relatifs à la résolution d’un problème par un ou des élèves «e», dans une séance, dans une séquence, dans un module.. . L’action est donc particulièrement située, contextualisée.

γ

r représente ci-dessous le geste de réduction de milieu,

γ

o le geste d’ostension, etc.

La troisième expression désigne pour un professeur les différentes manières d’accomplir un geste donné, ci-dessous le geste de réduction «

γ

r» relativement à un objet de savoir, une œuvre ou un milieu spécifique et pour un élève (ou un type d’élève) donné. Elle désigne donc un ensemble de techniques qu’il met en œuvre :

Notre recherche s’intéresse à tout ce qui concerne la seconde expression, évoque ce qui relève de la première et utilise comme traces faisant signes les éléments de la troisième sans en faire pour autant un objet d’étude.

[ T / τ / Γ / θ / Θ ] (P)

Γ

t (P, e, o) =

γ

r,

γ

o,

γ

m,...

γ

r(P, e, o) =

 τ

1,

τ

2,

τ

3,

τ

4, ...