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L’espace ........................................................................................................................ 4 1

Les écoles cathédrale, les collèges du moyen âge, les écoles paroissiales, les salles d’asiles, les cases en brousse et les classes françaises sont des lieux dans lesquels on se rend. L’assimilation de l’école à un lieu, à un espace délimité s’affirme autant dans le langage quotidien - tu vas à l’école - que dans les déclarations politiques - l’école sanctuaire. Les réglementations qui le définissent se succèdent depuis le XIXème siècle, le normalisent sous Guizot, puis Victor Duruy, jusqu’aux vastes classes éclairées que nous connaissons qui datent de la troisième république ; les recommandations actuelles maintiennent un ensemble de normes tout en prévoyant les adaptations aux besoins locaux2. La définition de l’espace scolaire est la manifestation d’une conception non seulement de l’école mais, plus largement, de l’organisation sociale.

Ce ne sont pas nécessairement des espaces strictement scolaires. Les écuries du Briançonnais ou du Queyras accueillaient parfois les élèves du XIXème siècle pour des écoles-veillée hivernales3. Bien souvent dans les écoles d’ancien régime, l’école se confondait avec le logement du maître4. Plus récemment les écoles dites ouvertes accueillent des enfants pendant les vacances pour des activités sportives ou de jeu. Les gymnases sont à la fois lieux scolaires et espaces de pratique des clubs hors temps scolaire. Une piscine municipale devient un lieu scolaire à certains moments de la semaine. Il en est de même des activités pendant les visites scolaires d’un musée ou d’une ferme pédagogique. Les constructions scolaires aux hautes fenêtres cerclées de briquettes rouges sont pour nous la figure emblématique de l’école.

Pourtant au gré des mouvements démographiques certaines ferment ou sont recyclées par exemple en atelier de cinéma ou en centre social.

1 WALLON (H.), Les origines de la pensée chez l’enfant, Paris, PUF, 1945 cité in BAUTIER (E.), ROCHEX (J.-Y.), Henri Wallon, L’enfant et ses milieux, Hachette, Paris, 1999.

2 Ministère de l’Éducation nationale Construire une école, Centre national de documentation pédagogique, 1988, cité in Le Courrier des maires et des élus locaux, n° du 27 septembre 1996.

3 BLANC (M.), Essai sur l’enseignement Primaire avant 1789, p. 98. ROUX (C.), L’éducation en Haute Provence, Thèse de doctorat, 1981.

4 PARIAS (H.), L’enseignement et l’éducation en France, L. H., Vol. 2, p. 427

On le constate très vite, ce qui caractérise l’école c’est moins un lieu spécifique, que la convention d’un groupe pour délimiter un espace scolaire. N’importe quel espace peut faire l’affaire pourvu qu’il soit limité. Cet espace n’est pas forcément limité par une frontière visible (les murs d’une école). Regardons une classe se comporter dans un musée, elle s’impose à nous comme une évidence et pourtant le groupe d’élèves se déplace ; c’est dire que la classe, l’école se déplace. La frontière se confond alors avec une ligne groupant les élèves les plus à l’extérieur du groupe, le maître et certains objets qui sont alors provisoirement phagocytés par la classe (une œuvre pour un musée).

Ce qui définit l’espace école est donc moins un lieu stable qu’une frontière imaginaire tracée par les individus qui le composent, et qui en laisse infiniment plus dehors que ce qu’elle contient à l’intérieur.

Définir l’école par une frontière imaginaire tracée par les individus et les objets trouve ses limites dans les situations où le groupe est éclaté en atelier divers. Une limite restreinte à, par exemple, la capacité du maître à voir ou se faire entendre des élèves n’est pas pertinente. Il nous faudra plutôt imaginer une limite symbolique qui assure à chacun le sentiment d’être à l’école ensemble tout en n’étant pas nécessairement ensemble physiquement : les individus dans une école et dans une classe se réclament d’un sentiment d’appartenance à tel groupe scolaire et à telle classe.

Nous dirions que les temps de classe éclatée restent moins nombreux que les situations où la classe est dans le même lieu. Mais on pourrait imaginer que le sentiment d’appartenance au groupe existe même avec des rapports inversés. Par exemple les élèves qui bénéficient de l’enseignement à distance font partie de l’école d’enseignement à distance et de tel niveau de classe et sont à l’école. Les notions d’espace, de temps et de groupe visible sont bouleversées.

B. Outils et instruments

Ce sont les objets scolaires qui nous paraissent au premier abord typiques du milieu scolaire : le tableau, l’ardoise, les bureaux, les livres, l’estrade. Ces artefacts ne sont pas une invention de l’école. Ce sont des importations et des adaptations qui n’y ont pas toujours existé. Ils témoignent des missions qui lui sont affectées, des façons d’enseigner, des valeurs qui courent sur l’histoire de longue durée1 et plus rarement conjoncturelles ; l’enseignement semble en effet peu participer au phénomène de la mode. Ils participent à la spécification du milieu scolaire en devenant à la fois signes et instruments. L’expression «tableau noir» appliqué au tableau de classe remonte selon Alain Rey à 1835, il est introduit en Lorraine par Pierre Fourier. Les tableaux existaient avant pour d’autres usages, ils prennent leur place avec le développement de l’enseignement simultané des frères lassaliens et avec les besoins de l’enseignement mutuel. Ce dernier s’adressait à un collectif d’élèves et rompait avec les enseignements passés fondés sur des méthodes individuelles. On trouve avec le stile romain appliqué sur une couche de cire molle une pratique scolaire proche de l’usage de l’ardoise.

Mais l’ardoise contemporaine peut être brandie, donnée par tous à la vue d’un seul, le professeur, comme dans le panopticon de Bentham2, conception tardive d’une classe centrée sur le maître. Les objets et les oeuvres sont à la fois le point d’émergence des connaissances

1 BRAUDEL (F.), L’identité de la France, Arthaud, Flammarion, Paris, 1986.

2 FOUCAULT (M.), Surveiller et punir, Gallimard, Paris, 1993.

techniques et des conflits sociaux. « La lanterne magique qui fait ses débuts vers 1640 (…) est seulement perçue comme un appareil forain. Sa légitimation pédagogique n’interviendra qu’au XIXème siècle sous l’effet des besoins éducatifs, suscités par l’industrialisation et à la faveur de la concurrence engagée entre l’Eglise et l’Etat pour le contrôle de l’école »1. Certains disparaissent progressivement : l’estrade, les cartes de France exposées, mais aussi le crucifix ; d’autres apparaissent, la bande numérique, la calculette, l’ordinateur. Les objets fondent une pratique en même temps qu’ils sont fondés par elle. Ce sont des œuvres qui portent témoignage. « Elles fixent, résument et conservent ce que les hommes d’un temps ont réussi à faire et à exprimer 2» et qui produisent ; comme le dit Yves Clot « L’outil et le signe ne sont pas amorphes, ils « font ». Cette morphologie sociale et matérielle donne sa contenance à la vie mentale3 ». Les instruments font partie et donnent forme au milieu scolaire, à ce qui est enseigné et aux façons de faire : « avec la diffusion de l’écrit, celui-ci perd son aspect ornemental ; l’écriture de solennelle devient utilitaire… la plume d’acier, qui ne permet pas d’avoir d’aussi beaux pleins et déliés, triomphe de la plume d’oie un peu avant 18504 » Tout un pan de l’enseignement se simplifie, occupe une place de plus en plus réduite et préfigure la lente et profonde transformation de l’école du XXème siècle avec la subordination d’une logique de la restitution à une logique de la compréhension5.

Les objets scolaires sont, comme les espaces scolaires, soumis à des efforts de normalisation dans leur matérialité comme dans leurs usages sous le regard de l’Inspection générale, appel au bon sens ou la raison d’un moment de l’histoire : « L’enjeu d’une utilisation raisonnée et cohérente des outils disponibles est très réel et il est nécessaire que les inspecteurs et les formateurs y soient attentifs6 »

C. Le temps

Quand nous évoquons une école, nous éprouvons très vite la nécessité d’associer à l’espace conventionnel et au milieu matériel un temps. Ce qui distingue les écuries du Queyras des écuries lieux d’accueil des veillées scolaires, c’est le moment où s’exercent des activités d’un genre différent. C’est aussi le cas des écoles ouvertes. Et bien sûr nos écoles actuelles définissent un découpage du temps extrêmement précis. Mais il n’est pas celui du commerçant ou de l’artisan. Les activités de l’école ne sont pas dépendantes du temps de l’horloge comme l’est par exemple l’activité du musicien. Même si du temps est nécessaire, il peut s’étirer presque indéfiniment jusqu’à la mort, pour un éternel étudiant. Le temps n’est pas le milieu fondamental, même si on apprend avec du temps. Le temps a une autre saveur. Dans l’enseignement, c’est le temps de succession des savoirs, c’est l’horloge didactique. Ce temps-là est à l’enseignant ce que le tempo est au musicien, ce que le temps des échéances est au commerçant et ce que sont signes précurseurs du printemps au cultivateur. « L’élève peut bien – admettons le, du moins, un instant – maîtriser le passé, seul le maître peut maîtriser le

1 ROUX (C.) « Nouvelle histoire » et histoire de l’éducation », art. non publié.

2 MEYERSON (I.), Les fonctions psychologiques et les œuvres, 1948 1ère éd., Albin Michel, 1995.

3 CLOT (Y.), « Le travail, activité dirigée », Document de synthèse présenté en vue d’obtenir l’habilitation à diriger des rcherches, Université Paris VIII, nov. 1997, p. 50.

4 PROST (A.), L’enseignement en France, Colin, 1968, p. 123.

5 JOHSUA (S.), L'école entre crise et refondation, La dispute, Paris, 1999.

6 Inspection générale de l’Education nationale, « Les outils des élèves à l’école primaire », N°98-008, Octobre 1998,

futur… la distinction de l’enseignant et de l’enseigné s’affirme donc spécifiquement, non par rapport au savoir, mais par rapport au temps comme temps du savoir1 ».

D. Les acteurs didactiques

Ces espaces scolarisés, ce temps du savoir, ces adaptations des outils en instruments de l’école sont le versant matériel de spécifications scolaires qui affectent bien plus encore les professeurs et les élèves. Ceux que l’on appelait les régents des petites écoles de l’ancien régime exerçaient plusieurs professions ; on trouve des procureurs, sergents, cabaretiers, violonistes malgré les essais de réglementation de l’Eglise2. Concernant les élèves, l’école n’ouvrait alors que de Toussaint à Pâques et préservait ainsi leur travail dans les campagnes.

L’adoption des rôles de professeur et d’élève construit à la fois un système d’attentes de la part du corps social et un système d’attentes réciproques entre maître et élève ; les pensées individuelles de chacun trouvent leur forme dans cette origine sociale3, pensées propres à l’institution d’enseignement. Mary Douglas décrit ce processus de naturalisation : « les institutions dépassent le stade de conventions fragiles : elles sont fondées en nature et donc en raison. Une fois naturalisées, elles deviennent parties prenantes de l’ordre universel et peuvent à leur tour servir de fondement4 ». La rhétorique privilégiée pour asseoir la légitimité est la métaphore5. Chaque métaphore, à chaque époque, révèle les conceptions que les sujets de l’institution incorporent. Comme nous l’avons vu plus haut, les institutions confèrent une identité aux objets, mais aussi aux personnes, gouvernent et contrôlent la mémoire des individus, nomment, classent : « Toute institution se met ensuite à régler la mémoire de ses membres ; elle les force à oublier des expériences incompatibles avec l’image vertueuse qu’elle se donne d’elle-même, et elle leur rappelle des événements qui soutiennent une vision du monde complémentaire de la sienne. Elle fournit aussi leurs catégories de pensée, établit leur conscience de soi et fixe leur identité6. »

Le milieu scolaire ce sont ainsi des espaces réels et symboliques, des objets culturels spécifiés en instruments incorporant des usages, un temps original, didactique mais aussi et surtout, ce sont des façons de penser attachées à tous les acteurs assujettis, professeurs et élèves mais aussi personnel municipal, aides-éducateurs, parents qui maintiennent la stabilité du système.

Nous pensons ainsi avec Chantal Amade-Escot que l’activité enseignante est

« fondamentalement subordonnée au système, c’est-à-dire assujettie aux déterminations de son fonctionnement. Mais dans un même temps, il faut envisager l’autonomie de la pratique professionnelle à partir de laquelle émergent des logiques d’action, de régulation, d’intervention au sein d’un contexte socialement situé.7 »

1 CHEVALLARD (Y.), op. cit., 1991, p. 71-72

2 GROSPERRIN (B.), Les petites écoles sous l’ancien régime, Ouest France, Paris, 1984.

3 DURKHEIM (E.), Education et sociologie, 1ère éd. Librairie Félix Alcan, 1922 PUF, 1977.

4 DOUGLAS (M.), Ainsi pensent les institutions, Ed. Usher, 1989.

5 CHARBONNEL (N.), L’important, c’est d’être propre, P.U.S., Strasbourg, 1991.

6 DOUGLAS (M.), op. cité, 1989.

7 AMADE-ESCOT (C.) « Discussion sur les théories de l’action enseignante » in MERCIER (A.), LEMOYNE (G.), ROUCHIER (A.), Le génie didactique, Ed. De Boeck Université, Bruxelles, 2001.

E. Des savoirs spécifiques à l’école et pour l’école

Ces adaptations d’objets culturels matériels aux besoins de l’école, ces dispositions des agents, ces prêts à penser, ces espaces et ce temps seraient peu sans ce qui fonde la fonction officielle de l’école, c’est-à-dire l’enseignement pour tous d’un certain nombre de savoirs en usage dans les différentes communautés littéraires, scientifiques, sportives et artistiques…

Ce que Michel Verret a pu appeler le premier la « transposition didactique1 » et la construction théorique d’Yves Chevallard2 ont montré le processus de transposition des savoirs en texte d’enseignement. Sont associées à ces savoirs transposés des notions-outils propres à l’activité, en particulier en mathématiques – équations, démonstrations, calculs -ainsi que « des capacités spécifiques…qui ne peuvent vivre que comme pratiques… appelées par la situation3 » - reconnaître une expression, savoir qu’un calcul n’est pas terminé. Ces objets sont non seulement spécifiques de l’école comme nous avons pu en rencontrer avec le milieu scolaire, mais ils sont spécifiques des activités disciplinaires à l’école ; c’est en ce sens que l’on pourra parler de milieux didactiques i.e. spécifiques de certains savoirs. Chaque discipline enseignée abrite ainsi son cortège d’objets, de rapports à ces objets et de pratiques et fonde un système d’attentes entre professeur et élèves.

Le rapport que l’on peut établir dans l’environnement scolaire avec les objets de connaissances qui y circulent est très spécifique du statut de ces objets, statut qui dépend de ce qu’on pourrait appeler le niveau de didacticité de ces objets

Un savoir en cours d’acquisition, enjeu des situations d’apprentissage sera ainsi appelé savoir sensible.

Le statut didactique d'une connaissance vient de ce qu'elle a été enseignée, qu'elle est susceptible de l'être ou qu’elle a un jour joué un rôle pour la résolution d’un problème dans la communauté de la classe. Nous considèrerons une connaissance sans statut didactique comme une connaissance insensible.

Nous désignerons par savoir, une connaissance qui a été l’objet d’une institutionnalisation. Elle a donc non seulement joué un rôle dans la résolution d’un problème, mais a été de plus désignée comme devant être retenue.

Un savoir qui a été enseigné mais qui se présente comme dépassé, obligatoirement maîtrisé par les élèves, et plus d’actualité – c’est-à-dire sur lequel on n’a plus rien à dire est un savoir désensibilisé. Il a une fonction d’outil sans qu’on ne l’interroge plus comme objet4. L’expression concurrente parfois utilisée est celle de savoir mort. Elle désignerait plus spécifiquement selon nous des savoirs ou des pratiques invisibles mais surtout inactifs : des connaissances, des techniques que l’on a apprises et qui n’ayant plus d’occasion de servir deviennent comme enfouies et oubliées.

1 VERRET (M.), Le temps des études, Thèse d’état, Université de Paris V, Paris, Librairie Honoré Champion.

2 CHEVALLARD (Y.), op. cit., 1991.

3 MERCIER (A.), « La transposition des objets d’enseignement et la définition de l’espace didactique, en mathématiques », note de synthèse, Revue Française de Pédagogie n°141, oct. Nov. Déc. 2002.

4 DOUADY (R.), Jeu de cadres et dialectique outil-objet dans l'enseignement des mathématiques, Thèse de doctorat

2. Le rapport de l’élève au milieu